Noël, présence du Christ à toute la vie humaine

Nativité, Livre d'Heures de la famille d'Epinay, 1430-1450, miniature mi-page, artiste inconnu, Rennes MS0033, folio F.65. BIB2007.1030-016.
Nativité, Livre d’Heures de la famille d’Epinay, 1430-1450, miniature mi-page, artiste inconnu, Rennes MS0033, folio F.65. BIB2007.1030-016.

Juste en quittant les temps de Noël et de l’Épiphanie, arrêtons-nous devant l’Enfant de Bethléem et méditons encore sur le Mystère avec cette priante page de Karl Rahner dans laquelle Jésus nous parle :

« Je suis là, je suis près de toi. Je suis ta vie, je suis ton temps terrestre. Je suis la grisaille de ton quoti­dien : et tu refuserais de la supporter ? Je pleure tes larmes ; pleure donc à ton tour les miennes, mon enfant. Je suis ta joie : et tu craindrais d’être joyeux ? Depuis que j’ai pleuré, vois-tu, c’est l’attitude de la joie devant la vie qui est la plus conforme à la réalité ; laisse la crainte et la tristesse à ceux qui se croient sans espérance. Je suis là dans tes impasses elles-même : ne cherche pas à en sortir, pauvre enfant borné, car c’est alors que tu es arrivé près de moi, seulement tu n’en as pas conscience. »

« Je suis là dans ta crainte, car je l’ai soufferte avec toi, et je n’y ai pas été héroïque à la façon dont le monde entend ce mot. Je suis là dans la prison de ta finitude, car mon amour a fait de moi ton prisonnier. Je suis là encore, même lorsque tu n’ar­rives pas à t’y retrouver dans le compte de tes pensées et dans le bilan des expériences de ta vie ; si ton calcul n’est jamais juste et que cela te désespère, c’est que tu m’oublies et que tu oublies mon amour, tant tu as de la peine encore à le comprendre. Je suis là enfin dans ta détresse, car je l’ai soufferte, et elle a beau, dans la gloire où je suis, avoir changé de nature, qui pour­rait jamais l’extirper de mon cœur humain ? »

« Je suis là jusque dans tes chutes les plus profondes, car à Noël j’ai pris le chemin qui descend vers l’enfer. Et je suis là dans ta mort, car, par ma nais­sance, j’ai commencé à mourir avec toi, et je n’ai pas voulu que la mort humaine me fasse aucun cadeau. Ne prends pas en pitié ceux qui naissent, comme le faisait le vieux Job; car tous ceux qui acceptent mon salut sont nés en la sainte Nuit, tant il est vrai que la nuit bénie de ma naissance enveloppe tous vos jours et toutes vos nuits. Je me suis laissé entraîner, avec tout mon être et toute ma personne, dans l’effroyable aventure dont votre naissance marque le début; et, croyez-moi, celle que j’ai courue ne fut ni plus facile ni plus exempte de risques que la vôtre. Mais je vous assure qu’elle débouche sur une issue bienheureuse. »

« Depuis que je suis devenu votre frère, vous m’êtes aussi proches que je le suis de moi-même. Mais alors, si, en me faisant créature, j’entends montrer, aussi bien dans ma personne que dans celle des frères et des sœurs que vous êtes pour moi, que mon œuvre créatrice, s’agissant de l’homme, n’a pas été un avatar, qui donc pourra jamais vous arracher de ma main (Jn 10, 28-29) ? En assumant ma vie d’homme, je vous ai pris sur moi, et c’est comme l’un de vos pareils que je suis sorti vainqueur de l’abîme de ma mort, marquant ainsi un commencement nouveau, une seconde et définitive aurore. »

« Si vous vous conten­tez de juger l’avenir selon vos mesures, vous ne serez jamais assez pessimistes. Mais, ne l’oubliez pas, votre véritable avenir, c’est mon présent ; et mon pré­sent, commencé aujourd’hui, échappe à cet écoulement qui jette toutes choses dans le passé. Dès lors, le vrai réalisme consiste à partager mon optimisme, lequel n’est pas utopie, mais la réalité même de Dieu que, par la merveille inconcevable de mon amour tout-puissant, j’ai logée, sans lui faire subir aucune altération, dans la froide étable de votre monde. »

« Je suis là. Et je ne quitterai plus votre monde, même si vos yeux ont cessé de me voir. Ah ! pauvre homme qui fêtes Noël, tu n’as qu’une chose à dire à tout ce qui existe et à tout ce que tu es ; et cette chose, dis-la-moi à moi-même : « Tu es là. Tu es venu. Tu es venu au cœur de toutes choses. Jusque dans mon âme. Tu as même franchi le mur de mon arrogance mauvaise, qui voudrait refuser ton pardon. » Oui, contente-toi de me dire, pour que ce soit aussi Noël pour toi : « Tu es là. » Ou plutôt ne dis rien ; il suffit que je sois là. Et je suis toujours là, car, depuis ma venue en ce monde, rien ni personne ne viendra jamais à bout de mon amour. »

« Je suis là. C’est Noël. Allons, allumez les bougies ! Elles ont plus de droit que toutes les ténèbres ! C’est Noël. Et Noël ne passe pas, c’est éternellement Noël. »

Karl Rahner