En mémoire du Père Jacques Hamel

26-07-2017 source : Radio Vatican

La France a rendu hommage [mercredi 26 juillet 2017] au père Jacques Hamel, assassiné le 26 juillet 2016 dans l’église Saint-Étienne du Rouvray par deux jeunes se revendiquant de l’organisation État islamique.
Seulement cinq fidèles assistaient à la messe du père Hamel lorsqu’il fut tué, cruellement, en raison de foi.

Des chaises ont dû être installées sur le parvis pour permettre à tous de suivre la célébration. Dans l’église, les paroissiens ont entouré la famille du père Jacques, et les trois religieuses présentes lors du martyre.

Le président Macron, le Premier ministre, des membres de son gouvernement ont été présents, mais au premier rang se trouvaient des représentants du CFCM et de la communauté musulmane de Saint Étienne du Rouvray. «Votre amitié est si importante», leur a dit publiquement l’archevêque de Rouen. «La haine n’a pas triomphé et ne l’emportera pas» assurait-t-il avant la messe.

Dans son homélie (texte intégral ci-dessous), Mgr Lebrun a évoqué ce prêtre «fidèle, simple ordinaire» qui parlait le langage de l’amour.

«Dans cette église, le Père Jacques Hamel a été réduit au silence. Il ne parle plus. Or, le Père Hamel parle encore. Sa vie, sa mort parlent bien au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer. Sa vie, sa mort, parlent, inspirent mais aussi crient. Elles s’adressent à chacun d’entre nous selon sa propre vie, selon ses propres questions ou convictions. (…) Sa mort, sa vie inspirent. Des hommes et des femmes, j’en suis témoin, cherchent de nouveaux chemins. (…)

Le Père Jacques Hamel parle doucement quand apparaît dans notre cœur non plus des images atroces mais sa discrétion, sa persévérance, sa fidélité, sa générosité, sa vie donnée, quand, dans notre cœur, nous apercevons les premiers fruits du drame : l’amitié, la concorde, le dialogue, en somme l’amour vainqueur, bien au-delà de ce que nous aurions pu imaginer.»

A la fin de la messe, Mgr Lebrun a appelé chacun, et en particulier, les prêtres à des pensées de pardon et de paix. Pas seulement des pensées, des actes.

Une fidèle a ensuite placé un bouquet devant la statue de la vierge, Notre Dame de Fatima. Lors de la célébration, des fleurs, venant pour certaines du jardin du père Hamel, ont été déposées devant les quatre signes de la foi profanés l’an dernier : la statue de la Vierge, la croix de procession, l’autel et le cierge pascal.

A l’issue de la messe une cérémonie civile s’est tenue à proximité de l’Église. Le maire de la ville et Mgr Lebrun ont salué la mémoire du père Hamel et  tous ceux qui œuvrent pour la fraternité, pour «préserver la bienveillance dans la communauté». La parole fut ensuite donnée au président Macron. Il a remercié l’Église de France d’avoir su pardonner

«Le visage de Jacques Hamel est devenu le visage de ce qui en nous refuse cette culture de mort et ce terrorisme arrogant», a affirmé le président de la République, ajoutant: «son sourire est devenu un sourire de résistance, celui de l’humanisme qui se tient droit face à l’obscurantisme».

«Au pied de son autel, les deux terroristes ont certainement cru semer parmi les catholiques de France, la soif de vengeance et de représailles, ils ont échoué», a ajouté le chef de l’État, remerciant les habitants de la ville d’avoir donné l’exemple en devenant «d’inlassables artisans de la paix».

Dans la continuité des engagements du père Jacques, plusieurs initiatives locales ont été prises en faveur du dialogue islamo-chrétien. Le président Macron a affirmé que la République n’avait «pas à combattre une religion». Mais, a-t-il souligné, «chaque religion (…) a à mener sa part de combat pour que jamais la haine, le repli, la réduction de ce que nous sommes ne puissent triompher».

Une stèle «pour la paix et la fraternité et à la mémoire du père Jacques Hamel» a ensuite été érigée, place de l’église, par la commune de Saint-Etienne-du-Rouvray.

Discours de Mgr Lebrun pour l’inauguration de la stèle :

«Monsieur le Président de la République,

Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Ministre d’État, ministre de l’intérieur,

Monsieur le Ministre ;

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,

Monsieur le vice-président du Sénat

Mesdames et messieurs les parlementaires,

Madame la ministre,

M. le député et M. le Maire,

Mesdames et messieurs les hautes autorités civiles, judiciaires et militaires.

Mesdames et messieurs les élus,

Monsieur le directeur départemental de la sécurité publique,

Mesdames et messieurs, habitants de Saint-Étienne du Rouvray,
croyants ou non, d’une confession religieuse ou d’une autre.

Chère Roseline et chère Chantal,
Chères sœurs,

Chers amis,

La communauté catholique a beaucoup apprécié le désir de M. le maire, d’ériger un monument à la mémoire du Père Jacques Hamel en écho aux souhaits de nombreux Stéphanais et Stéphanaises. Elle est très sensible à votre présence, M. le Président, pour l’inaugurer.

Ce monument prend la forme d’une très belle « stèle républicaine pour la paix et la fraternité, à la mémoire du père Jacques Hamel ». C’est une étape importante. Permettez-moi de dire quelques mots de cette étape avant d’accueillir avec vous le message de cette stèle.

La famille, les témoins de l’assassinat du Père Jacques Hamel, la communauté paroissiale et bien d’autres poursuivent ce que nous appelons trop communément un chemin de deuil. Au fil de l’année, j’ai vu une succession d’ombres et de lumières.

L’ombre de la disparition et de la tristesse, la lumière d’une présence jamais aussi forte ; l’ombre des regrets, inquiétudes, peurs, la lumière de l’affection qui fait vivre ; l’ombre du souvenir tenace de la violence, la lumière des amitiés consolantes ; l’ombre des soupçons et des accusations, la lumière du pardon toujours recherché ; l’ombre d’interrogations demeurant sans réponse, la lumière de la foi.

La vie personnelle comme la vie commune est jalonnée par ces passages, de l’ombre à la lumière. Il ne serait pas responsable de tenir pour acquise la lumière. Saint-Étienne du Rouvray, pas plus que Jérusalem, New York, Djarkarta, Kinshasa, Alger, Rio de Janeiro, la Libye ou Rouen ne peuvent se dire une ville sans ombres ni … lumières !

Il n’est pas plus responsable et, encore moins chrétien, de penser être dans la lumière, et de juger et condamner les autres aux ténèbres. Pire encore, de penser que nos cœurs sont habités par la seule lumière tandis que d’autres, les autres, seraient les acteurs de l’ombre. C’est vrai dans une famille, dans une communauté, dans un pays, dans le monde.

Des attentats, hier, la profanation de tombe ou de lieux de culte, aujourd’hui encore, même accomplie par des adolescents, sont une ombre pour toute notre société.

Notre société qui ne sait plus où elle va après la mort, et se croit libre de faire tout ce que chaque individu souhaiterait, y compris abréger sa vie ou l’empêcher de naître ; c’est une ombre pour notre société qui met de côté des ressources spirituelles en chargeant la loi d’établir la morale alors que celle-ci, la loi, ne peut qu’être qu’une aide et que la morale, elle vient du profond de notre humanité.

L’aide au développement, le secours des migrants, l’appui aux États du Moyen-Orient qui redonne espoir aux chrétiens de pouvoir rester chez eux, comme dans la plaine de Ninive, sont, parmi d’autres, des lumières pour toute notre société qui sait qu’elle ne peut pas vivre bien à côté de ceux qui vivent mal.

C’est l’honneur de la France d’être engagée largement sur cette voie. Comment ne pas relier ce que nous vivons, aujourd’hui à l’entrée dans Mossoul hier du Patriarche chaldéen accompagné de trois évêques de France et d’un prélat français ?

Dans une ville, comme dans une église, nos cœurs n’en finissent pas de passer du côté de l’amour. Permettez-moi, au nom même de Jacques Hamel, de lancer cet appel à ceux qui hésitent encore :

Quittez l’ombre de la haine, passons ensemble vers la lumière de l’amour !
Quittez l’ombre de la division et passons ensemble à la lumière de l’unité !
Quittez l’ombre des mensonges, des égoïsmes et des égos, passons ensemble à la lumière de la vérité et de la fraternité !
Quittez l’ombre de la guerre, passons ensemble à la lumière de la paix !

La stèle que nous inaugurons porte des figures qui semblent être un peu dans l’ombre. Elles semblent chercher la lumière. Puissions-nous nous retrouver tous parmi ceux qui passent de l’ombre à la lumière, de l’ombre de la mort, à la lumière de la vie. Comme le Père Jacques Hamel, je le crois, est passé définitivement de la mort à la vie, à la vie éternellement bienheureuse.

La stèle porte un défi, celui – nous l’avons entendu – de l’universel où la lumière ne peut rejoindre quelques-uns au détriment des autres. Tel est le sens d’une déclaration universelle des droits de l’homme. Ayons l’ambition de la fraternité universelle inscrite dans le premier article de la déclaration de 1948 :

«Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.»

Les chrétiens ont une responsabilité immense. Pour eux, la fraternité n’est pas une option. Jésus a révélé le nom de « Père » comme le nom propre de Dieu. Qui sommes-nous alors, sinon des frères et des sœurs ? Pouvons-nous appeler Dieu «Père» sans regarder l’autre et tous les autres comme un frère, comme une sœur ?

La famille humaine a brisé le lien fraternel lorsque Caïn tue son frère Abel, se séparant ainsi du grand projet divin. Jésus vient restaurer la fraternité, véritable dignité des êtres humains. Il l’a fait au prix de son sang qui crie plus fort que le sang d’Abel pour appeler à la fraternité.

Le sang du Père Jacques Hamel est de la même composition que le sang de Jésus ; il crie avec tous les martyrs. Il appelle à la fraternité, sans exclusion, comme en témoigne le rassemblement de ce matin.

Monsieur le Maire, Monsieur le député, M. le Président, chers amis non croyants ou croyants de diverses confessions, nous pouvons avancer ensemble, dans le respect de nos responsabilités, dans le respect de nos esprits et de nos âmes, si divers et si semblables, dans la fraternité !

Le visage du Père Jacques Hamel, en bas de la stèle semble regarder vers l’article 18 de la déclaration universelle : «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites)».

Ce regard du Père Jacques Hamel tourné vers l’article 18 de la déclaration universelle est-il un hasard ? Vous pouvez penser que je crois plus à la providence qu’au hasard ! Quoi qu’il en soit, c’est pour moi l’occasion de remercier tous ceux qui comprennent que la communauté catholique peut et veut participer à la vie commune, par ses membres et en tant que communauté.

Elle n’a pas d’autre vocation, car elle croit que sa mission est sur terre comme au ciel, sur terre pour le ciel, où nous attend le Père Jacques Hamel. La communauté catholique est aujourd’hui fière de l’exemple donné par le Père Jacques Hamel, frère, oncle, citoyen et chrétien, prêtre catholique.

Si l’un de ces aspects pouvait apparaître en premier selon les circonstances, il n’était jamais séparé des autres. L’hommage qui lui est rendu sur cette place et par ce monument en témoigne.

Merci aux artistes Marie-Laure Bourgeois et Vincent Bécheau. Merci de tout cœur M. le maire, – avec un « s » – pour votre geste, merci aussi pour votre amitié. Nous la devons au Père Jacques Hamel. Soyons-lui fidèles aussi en cela !

Je vous remercie.»

Texte intégral de l’homélie de Mgr Lebrun lors de la messe :

«Celui qui a des oreilles, qu’il entende» (Mt 13, 9) dit Jésus !

Dans cette église, le Père Jacques Hamel parlait le langage de l’amour. Dans cette église, le Père Jacques Hamel a été réduit au silence. Il ne parle plus.

Or, le Père Hamel parle encore. Sa vie, sa mort parlent bien au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer. Sa vie, sa mort, parlent, inspirent mais aussi crient. Elles s’adressent à chacun d’entre nous selon sa propre vie, selon ses propres questions ou convictions.

Tout au long de l’année, nous avons crié quand des images atroces revenaient à notre mémoire, le jour et, parfois, la nuit. Tout au long de l’année, nous avons crié quand nous n’étions plus «les derniers à pleurer» (cf. paroles du maire de Saint-Étienne-du-Rouvray à l’époque, Hubert Wulfranc).

Tout au long de l’année, nous avons crié car «tuer au nom de Dieu» est inhumain, contraire à l’humain. Comme l’a dit la Maman de l’un des assassins : «comment Dieu qui nous a créés pourrait-il prendre du plaisir à nous voir nous entretuer ?»

Sa mort, sa vie inspirent. Des hommes et des femmes, j’en suis témoin, cherchent de nouveaux chemins. Ils la cherchent en découvrant et recevant le Père Jacques Hamel dans leur vie : un homme parmi les hommes, un prêtre parmi les prêtres, fidèle, simple, ordinaire. Alors des artistes composent des poèmes, écrivent des livres, réalisent des objets d’art … d’autres choisissent le silence pour mieux entendre le Père Jacques Hamel.

Sa vie, sa mort créent, inspirent et parlent. Elles parlent même doucement. La Parole, dit Jésus, est comme une semence, des grains qui tombent sur le sol. Cela ne fait guère de bruit.

Le Père Jacques Hamel parle doucement quand apparaît dans notre cœur non plus des images atroces mais sa discrétion, sa persévérance, sa fidélité, sa générosité, sa vie donnée, quand, dans notre cœur, nous apercevons les premiers fruits du drame : l’amitié, la concorde, le dialogue, en somme l’amour vainqueur, bien au-delà de ce que nous aurions pu imaginer.

La Parole est comme une semence, dit Jésus. Pour donner du fruit, elle a besoin de la terre. Pour porter du fruit, la Parole a besoin de la terre. Dieu a besoin de nous !

Aujourd’hui, Jésus nous interroge : sommes-nous la bonne terre ? Il relève trois obstacles à la fécondité de la Parole c’est-à-dire de l’amour.

En premier, le bord du chemin où les moineaux font disparaître la semence. Nous pouvons nous mettre au bord du chemin, celui de l’histoire des autres, celui de l’histoire tout court. Ce peut être une tentation pour les chrétiens. Se mettre hors-jeu, en jugeant les autres, en condamnant de notre petite hauteur, en sachant tout, cela ne produit aucun fruit. L’amour disparaît sans avoir produit de fruit, sans avoir fécondé la terre.

Le deuxième obstacle, c’est le sol pierreux. Comment est notre cœur ? S’est-il endurci devant l’épreuve ou bien la blessure l’a-t-il ouvert pour rencontrer les autres, les autres blessés de la vie, quels qu’ils soient ? Sur le sol pierreux, la plante commence à pousser mais elle manque de racines.

Beaucoup d’hommes, pas seulement les chrétiens, savent que la prière permet à l’amour de Dieu de s’enraciner dans le cœur. En fait, nous pouvons faire l’expérience que la prière ne comble pas mais creuse le désir de l’amour.

Enfin, Jésus met en garde contre les ronces qui étouffent. Quelles sont-elles sinon l’agitation du monde qui envahit nos meilleures intentions ? Ces ronces, quelles sont-elles, sinon ces addictions, ces drogues, ces idéologies qui peuvent emporter les enfants, les jeunes, les plus fragiles dans des cercles de violences incontrôlables ? Quelles sont-elles sinon ces mensonges, ces jalousies, ces désirs de paraître, ces injustices qui étouffent notre joie de vivre ensemble ?

Frères et sœurs, Jésus dira aussi : «Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt il porte beaucoup de fruits» (Jn 12, 24). Jésus parlait de sa mort. Il parlait aussi de la mort de tous les hommes qu’il a uni mystérieusement dans sa mort pour qu’ils vivent avec lui.

Le Père Jacques n’est pas mort seul. Il est mort avec Jésus dont il venait de prononcer les paroles sur l’autel : «Ceci est mon corps, livré pour vous». À chaque eucharistie, nous entendons la Parole de Dieu, nous la célébrons dans sa vie donnée en Jésus, pour tous et à tous.

Que notre eucharistie ce matin, comme celle que chaque prêtre célèbre avec un seul ou cinq fidèles, ou bien avec des milliers, que cette eucharistie nous entraîne à accueillir l’amour, l’amour qui résiste aux ronces, l’amour qui s’enfouit au plus profond de nos cœurs pour donner les fruits tant attendus par notre prochain, qui est parfois lointain. Amen.»

(Diocèse de Rouen)