Il les aima jusqu’au bout

Le Christ lavant les pieds des apôtres (vitrail dans l’église Saint-Étienne-du-Mont Paris)

Les jours de la Passion s’ouvrent avec l’évangile de saint Jean au chapitre 13,  dont ce soir nous pouvons méditer le verset : « Il les aima jusqu’au bout. »

La première exigence pour comprendre ce que veut dire aimer, et aimer jusqu’au bout, est de se mettre en mouvement. En effet, Jésus nous invite d’abord à venir dans le Cénacle. Il nous faut monter, discrètement, parmi les disciples rassemblés autour de lui. Là notre Seigneur livre ses pensées les plus intimes.

Ceci nous ouvre à la seconde exigence de l’amour : se mettre à l’écoute. Pendant ces trois jours, nous devons veiller à ce que le silence règne dans nos cœurs, pour accueillir l’initiative d’amour de notre Seigneur. Ce soir il pose un geste et fait un don qu’il nous faut savoir accueillir comme ils le méritent.

Se mettre dans de telles dispositions est répondre à la volonté de Jésus. Il nous dit en effet : « C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. » Le message est clair : une fois rentrés chez nous, il nous faudra trouver les gestes de service réciproque qui disent l’amour de charité qui constitue l’Église.

L’insistance de saint Jean sur cette volonté explicite de Jésus ne trompe d’ailleurs pas : « Jésus se lève de table, quitte son vêtement, prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin, il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture ». Saint Jean n’omet aucun détail. Il veut que nous voyions bien ce qui se passe. Il veut imprimer cette scène dans nos cœurs comme elle est imprimée dans le sien.

Chaque geste traduit la délicatesse du maître, sa totale disponibilité pour le service. Mais ce geste dérange. Car il ne suffit pas de dire que le maître prend la place de l’esclave pour rendre compte de la surprise des disciples. Il faut se rappeler que le lavement des pieds est un rituel qui a lieu normalement au moment de l’accueil des convives, c’est-à-dire avant le repas.

Il s’agit donc d’un enseignement. Une volonté délibérée de Jésus que nous le voyions s’agenouiller devant chacun de ses disciples. Et cet enseignement ne s’arrête pas à ce geste symbolique. Jésus repasse à table et partage le pain.

Nous n’avons pas là deux anecdotes originales juxtaposées l’une dernière l’autre. Il s’agit d’un même et unique enseignement. A ceux dont il a lavé les pieds, Jésus donne son corps en nourriture et son sang en boisson. Voilà le témoignage d’un amour allant jusqu’au bout.

A ceux qu’il a aimés d’un amour qui fait se mettre au service de l’autre, sans recherche de soi, Jésus se livre, il se donne pour ne faire qu’un avec eux. Et pour qu’eux-mêmes ne soient qu’un. C’est le sens du commandement « faites cela en mémoire de moi ». Ce qui importe pour Jésus, c’est que notre charité se manifeste d’abord dans notre unité.

La table eucharistique est donc la table de la fraternité. Pas seulement la table de la convivialité, mais celle d’une fraternité qui révèle son visage et son origine dans le service des autres. Dans le lavement des pieds.

Celui qui prend le pain partagé à cette table ne peut pas, ne doit pas, rester insensible à l’exigence de service de ses frères, de tous ces frères, quels qu’ils soient, un nécessiteux ou un membre de notre propre famille.

Aimer jusqu’au bout, c’est aimer avec la radicalité dont Jésus nous rend capables d’aimer. C’est aimer en respectant sans concession l’appel de Jésus. En mettant en pratique toutes les exigences, les plus grandes comme les plus petites, qui sont liées à notre état de vie.

Parce que le sacrement de l’eucharistie nous permet d’accueillir l’initiative d’amour de notre Seigneur, de garder vivante la mémoire de sa volonté sur nous, et parce qu’il possède la vertu de mettre en œuvre son commandement d’amour, il est un sacrement tellement précieux. Si précieux que nous allons tout à l’heure consacrer une partie de notre nuit à l’adorer.

Mais ce n’est pas tout. Ce verset, « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout », nous rend aussi une idée précise du climat de cette nuit unique. La nuit qu’il fut livré. Les sentiments que Jésus a éprouvés, les angoisses qu’il a traversées, nous nous les rappelons en cette nuit. Ils nous motivent à rester avec Jésus ce soir.

Non pas pour éviter qu’il soit seul. Les disciples se sont tous endormis, nous ne valons guère mieux. Non pas par quelque regret ou repentir des souffrances que nous lui avons causées. Il faut certes en avoir, nous le méditerons demain. Mais bien plutôt par gratitude ! Merci Seigneur d’avoir choisi d’aller jusqu’au bout pour notre liberté.

Merci Seigneur d’avoir bu la coupe amère de la trahison et de la mort pour nous faire revivre. Ton sacrifice n’est pas vain, nous l’accueillons. Ton sacrifice portera du fruit dans nos vies. Émerveillés devant la gratuité de ton amour, nous aussi nous sommes prêts à aller jusqu’au bout, à aimer jusqu’à se donner soi-même. A aimer jusqu’au bout.

L’amour est l’héritage le plus précieux que Jésus laisse à ceux qu’il appelle à sa suite. Or cet amour, partagé entre ses disciples, est ce soir offert à l’humanité entière. Qui ira le leur porter ? Telle est notre responsabilité ; telle est notre réponse.

Seigneur, tu nous as aimés jusqu’au bout, nous irons porter cet amour jusqu’au bout de notre cercle familial, social, humain ; tu nous a aimés jusqu’au bout, nous remercions en mettant cet amour en pratique jusqu’au bout de tes exigences.

Il est grand le mystère de la foi que nous célébrons ce soir ! Seigneur Jésus, unis à toute l’Église, nous annonçons ta mort. Remplis de gratitude, nous goûtons la joie de ta résurrection. Remplis de confiance, nous nous engageons à vivre conformément à ton commandement dans l’attente de ton retour glorieux. Aujourd’hui et à jamais, ô Christ, notre Rédempteur. Amen !

F. D.