Tous les articles par P. Jean-Daniel Planchot

L’inépuisable aliment eucharistique

L’inépuisable aliment eucharistique

VENDREDI (2e semaine de Pâques) Ac 5,34-42 Jn 6,1-15
Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, les leur distribua (Jn 6,11)

L'inépuisable aliment eucharistique
L’inépuisable aliment eucharistique

Avant de passer de ce monde à son Père, le Sauveur veut rassasier cette foule qui s’est attachée à ses pas, et pour cela il se dispose à faire appel à toute sa puissance. Vous admirez avec raison ce pouvoir créateur à qui cinq pains et deux poissons suffisent pour nourrir cinq mille hommes, en sorte qu’après le festin il reste encore de quoi remplir douze corbeilles.

Un prodige si éclatant suffit sans doute à démontrer la mission de Jésus ; n’y voyez cependant qu’un essai de sa puissance, qu’une figure de ce qu’il s’apprête à faire, non plus une ou deux fois, mais tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles ; non plus en faveur de cinq mille personnes, mais pour la multitude innombrable de ses fidèles.

Celui que nous avons vu naître en Bethléem, la « Maison du pain », va lui-même leur servir d’aliment ; et cette nourriture divine ne s’épuisera pas. Vous serez rassasiés comme vos pères l’ont été ; et les générations qui vous suivront seront appelées comme vous à venir goûter combien le Seigneur est doux (Ps 33,9).

C’est dans le désert que Jésus nourrit ces hommes qui sont la figure des chrétiens. Tout ce peuple a quitté le tumulte de la ville pour suivre Jésus ; dans l’ardeur d’entendre sa parole, il n’a craint ni la faim ni la fatigue ; et son courage a été récompensé… Le moment vient où notre âme, rassasiée de Dieu, ne plaindra plus les fatigues du corps ; unies à la componction du cœur, elles lui auront mérité une place d’honneur au festin immortel.

L’Église primitive ne manquait pas de proposer aux fidèles ce miracle de la multiplication des pains, comme l’emblème de l’inépuisable aliment eucharistique : aussi le rencontre-t-on fréquemment sur les peintures des Catacombes et sur les bas-reliefs des anciens sarcophages chrétiens.

Les poissons donnés en nourriture avec les pains apparaissent aussi sur ces antiques monuments de notre foi, les premiers chrétiens ayant l’usage de figurer Jésus Christ sous le symbole du Poisson, parce que le mot « Poisson », en grec, est formé de cinq lettres dont chacune est la première de ces mots : Jésus, Christ, Fils, de Dieu, Sauveur…

Ces hommes que le Sauveur venait de rassasier avec tant de bonté et une puissance si miraculeuse, n’ont plus qu’une pensée : ils veulent le proclamer leur roi. Cette puissance et cette bonté réunies en Jésus le leur font juger digne de régner sur eux. Que ferons-nous donc, nous chrétiens, auxquels ce double attribut du Sauveur est incomparablement mieux connu qu’il ne l’était à ces Juifs ?

Il nous faut dès aujourd’hui l’appeler à régner sur nous, car c’est lui qui nous a apporté la liberté, en nous affranchissant de nos ennemis. Cette liberté, nous ne la pouvons conserver que sous sa loi. Jésus n’est point un tyran, comme le monde et la chair ; son empire est doux et pacifique, et nous sommes plus encore ses enfants que ses sujets.

A la cour de ce grand roi, servir c’est régner. Venons donc oublier auprès de lui tous nos esclavages passés ; et si quelques chaînes nous retiennent encore, hâtons-nous de les rompre. Marchons sans faiblesse, car Jésus nous donnera le repos, il nous fera asseoir sur le gazon comme ce peuple de notre évangile ; et le Pain qu’il nous a préparé nous fera promptement oublier les fatigues de la route.

Prosper Guéranger L’Année liturgique, 4e dimanche de carême.

Dieu premier servi

Dieu premier servi

JEUDI (2P semaine de Pâques) Ac 5,27-33 Jn 3,31-36

Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (Ac 5,29)

Saint Thomas More
Saint Thomas More

Sous Henry VIII, roi d’Angleterre, le chancelier Thomas More, au dire d’Érasme, « luttait aussi farouchement pour s’éloigner de la Cour que la plupart des hommes pour y parvenir ». Il n’était pas corrompu dans le plus corrompu des temps.

Il n’était pas ambitieux dans une époque de lutte et d’ambition. Il pouvait encore faire la différence entre la volonté du roi et la loi morale, alors que la majo­rité en avait perdu le pouvoir. Pourquoi ? Il n’y a pas de secret.

More, depuis son adolescence, était un homme de prière. Étudiant à Lincoln’s Inn, il menait avec les Chartreux une vie de parfaite austérité, travaillant et priant dix-neuf heures par jour, dormant sur une plan­che avec une bûche pour oreiller. Quand il trouva sa voca­tion dans le mariage, il maintint ses prières et son austé­rité.

Il se levait à deux heures du matin, travaillait et priait jusqu’à sept heures. Il porta toute sa vie un cilice et se donnait la discipline. Était-ce habituel, à cette rude épo­que ? Au contraire ! Sa femme en fut tellement horrifiée qu’elle essaya de persuader le confesseur de son mari de lui faire retirer son cilice… Il était aussi peu courant de vivre dans une telle austérité à la Cour voluptueuse d’Henry VIII qu’il le serait de nos jours.

Voilà l’origine de la lucidité de More. L’ambition, la soif des richesses et du pouvoir ne signifiaient rien pour un homme dont la vie était imprégnée de prière et d’austé­rité et qui avait pour idéal la simplicité et la vie en com­mun des Franciscains et des Chartreux.

La puissance et la gloire que pouvaient lui offrir Henry — et il lui en pro­posa beaucoup — étaient impuissantes à corrompre un homme qui suivait son divin Maître dans la voie de la souffrance.

Il ne fléchit pas davantage devant la mort. Son martyre était inévitable. More croyait connaître sa faiblesse — il n’y eut jamais âme plus humble. Il vit de bons ecclésiastiques, comme le docteur Wilson et l’évêque Tunstall, hésiter devant la menace de la mort.

Il craignait de chanceler en face de la torture ou de l’éventration, châti­ment des traîtres. Aussi, dans sa prison, se tourna-t-il vers Celui qui, devant l’agonie et la mort, eut une sueur de sang et pria pour que ce calice lui fût épargné…

Voilà la citadelle intérieure de saint Thomas More. Au cours d’une existence vécue dans le tumulte des lois et du service public, parmi les tentations de la Cour et des prin­ces, au milieu d’hommes qui recherchaient sans cesse de nouveaux honneurs et de nouvelles richesses, il marcha avec Dieu. Sa mission terrestre témoignait de la vision et de la connaissance des choses éternelles.

Il demeure hors du temps parce qu’il vécut hors de son temps dans la prière. Il servit la loi morale et les intérêts de la paix, de l’unité, de l’amour et de la compassion, parce qu’il les vécut dans son âme. Et, sa vie entière étant centrée sur Dieu, il put discerner ce qui appartenait à Dieu et ce qui appartenait à César, et mourir finalement sur l’échafaud,… bon serviteur du roi, mais Dieu premier servi.

Barbara Ward Les Saints que nous aimons Amiot-Dumont, 1954, p. 151-153.

L’EUCHARISTIE MÉDITÉE 11

L’EUCHARISTIE MÉDITÉE 11

L’Époux céleste

Voici l’époux qui vient. (Matth., XXV, 6.)

Eucharistie- Motif sculpté sur porte d'église - Bruxelles
Eucharistie- Motif sculpté sur porte d’église – Bruxelles

11e Action de grâces – Jésus dans l’incarnation a épousé la nature humaine.

Ah ! c’est bien quand l’âme se repose sur votre cœur, Ô Jésus, qu’elle peut s’écrier avec l’épouse des sacrés Cantiques : mon bien-aimé m’a fait entrer dans le cellier où il met son vin, et il a réglé en moi mon amour. Il met sa main gauche sous ma tête, et il m’embrasse de sa droite.

Oui, Seigneur, il faut que votre force vienne en aide à la faiblesse de votre créature, alors que votre bonté l’enivre de votre amour comme d’un vin délicieux qui la transporte et la met hors d’elle-même.

Comment, sans votre secours, pourrait-elle, ô Jésus, supporter, sans rompre les liens qui l’unissent à sa prison d’argile, la douceur de vos consolations, lorsque entrevoyant sous les voiles eucharistiques les splendeurs de votre gloire, rassasiée d’une joie, d’un bonheur qui n’a pas de nom sur la terre, vous lui découvrez tous les secrets de votre cœur, toutes les inventions, toutes les profusions de votre amour ?

Oh ! qu’il est doux, Seigneur, de sonder, de mesurer toute la profondeur, toute la hauteur, l’étendue et l’immensité de cet amour d’un Dieu pour sa pauvre et misérable créature !

Oh ! l’esprit étonné, ravi, se perd, se plonge avec délices dans cette magnifique contemplation, et quand il croit avoir trouvé le fond de cet abîme incommensurable, un nouveau mystère se découvre à lui, et il reconnaît avec surprise qu’il n’a rien vu, qu’il ne connaît rien encore, et que ce qu’il lui reste à prendre est infiniment plus que ce qu’il sait déjà.

Qui donc le comprendra votre amour, ô Jésus mon repos, mes délices, mon bonheur et ma vie ? Qui me dira ce qu’il fut ce qu’il est, ce qu’il sera encore ? Hélas ! vous me le dites, vous me le faites sentir, et quand,  ne vivant plus que de vous et par vous, j’éprouve ce rassasiement du cœur, ce bonheur parfait qui semble ne devoir pas être le partage de l’exil, j’ai peine encore à comprendre ce que je sens, et ma langue ne trouve pas de paroles pour le redire.

Pourquoi éprouvé-je encore, ô bien-aimé, cette indicible souffrance que je ne sais nommer, que vous seul comprenez, que rien ici-bas ne peut adoucir et alléger ? Ah ! c’est que l’amour a aussi ses tourments ; c’est que pour moi vous avez un instant soulevé le coin du voile qui vous dérobe à nos regards.

J’ai entrevu vos perfections infinies, ô éternelle beauté, et je ne peux plus rien voir, rien trouver sur la terre qui me contente et qui me plaise. Il me faut l’air, la lumière, la chaleur du ciel ; ici tout est ténèbres, tout m’oppresse, tout me glace. Il vous faut à mon cœur, ô Jésus, vous êtes mon soleil, mon élément, ma respiration, ma vie ; sans vous, je languis, je végète, je souffre et je meurs mille fois.

Où donc trouverai-je un cœur qui comprenne mon cœur, une âme qui ressente ce que ressent mon âme ? Oh ! qu’elle vienne alléger ma souffrance en me faisant partager la sienne ; qu’elle vienne augmenter mon amour en me parlant de celui dont elle brûle pour Jésus.

Mais, hélas ! Seigneur, nul ne répond à mon appel, toutes les voix se taisent, et les cœurs qui brûlent de votre amour renferment en eux-mêmes les impressions qu’il y opère, les sentiments qu’il y fait naître, comme un trésor qu’ils craignent de perdre en le faisant connaître.

Mes paroles mêmes ne peuvent traduire ce que j’éprouve, ô mon Dieu ; elles sont impuissantes à rendre ce que je ressens ; elles sont inintelligibles pour l’âme qui ne sait pas vous aimer.

Ah ! vous seul me comprenez, ô unique amour ; c’est votre main qui a percé mon cœur du trait qui le brûle et le consume ; c’est vous qui lui avez fait la plaie secrète qui le fait défaillir à vos pieds. Vous seul, ô bien-aimé, pouvez la guérir et verser sur elle le baume qui l’adoucira.

Mais, Seigneur, avec cette plaie d’amour qui fait à la fois mon tournent et mon bonheur à chaque instant, à chaque heure de ma vie, que cet amour, prenant sans cesse en moi de nouveaux accroissements, la termine enfin, cette vie, pour me donner celle qui seule est véritable et éternelle.

O vous, Vierge sainte, que l’Église appelle à si juste titre Mère du bel amour ; vous qui êtes la seule à qui l’époux céleste a pu dire avec vérité : Vous êtes toute belle, ô ma bien-aimée, et il n’y a pas de tache en vous; vous enfin qui avez connu toutes les langueurs, tous les tourments du divin amour, comme vous en avez connu toutes les joies et tous les bonheurs, oh ! prenez pitié de ma misère, voyez ma faiblesse…

Je voudrais aimer Jésus autant qu’il est aimable, je l’aime, et mon cœur, impuissant à l’aimer davantage, se consume d’ardeur et de brûlants désirs, laissez, oh ! laissez tomber dans ce pauvre cœur une étincelle de ce feu divin qui a fait du vôtre l’holocauste du céleste amour; ou plutôt, ce cœur, unissez-le si étroitement au vôtre, qu’il s’enflamme et brûle au contact de ce foyer d’amour et de charité, qu’il vive de cet amour et qu’un jour il meure consumé par ses saintes et vastes ardeurs. Ainsi soit-il.

Léonie Guillebaut