Tous les articles par P. Jean-Daniel Planchot

En regardant l’histoire de Moïse

En regardant l’histoire de Moïse

Ce matin, après avoir célébré la Sainte Messe en privé, le Saint-Père François s’est rendu  à la cathédrale Sainte-Thérèse de Juba pour la rencontre avec les évêques, les prêtres, les diacres, les consacrés et les séminaristes.

voyage du Pape au Sud-Soudan
voyage du Pape au Sud-Soudan

A son arrivée à 9h10 (8h10 à Rome), le Pape a été accueilli par l’archevêque de Juba, S.E. Mgr Stephen Ameyu Martin Mulla, et par le curé qui lui a apporté la croix et l’eau bénite. Ensemble, ils descendirent la nef centrale pour atteindre l’autel. Puis, après le chant d’entrée et le salut du Président de la Conférence épiscopale du Soudan, S.E. Mgr Yunan Tombe Trille Kuku Andali, évêque d’El Obeid, un prêtre et une religieuse ont témoigné. Le pape François a ensuite prononcé son discours.

À la fin, après la bénédiction et l’hymne final, le Saint-Père est ensuite retourné  à la nonciature apostolique de Juba où il a rencontré en privé les membres de la Compagnie de Jésus présents dans le pays.

Nous publions ci-dessous le discours que le Saint-Père a prononcé lors de la rencontre avec les évêques, les prêtres, les diacres, les consacrés et les séminaristes :

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
en RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO et au SOUDAN DU SUD
(Pèlerinage Œcuménique de Paix au Soudan du Sud)
[31 janvier – 5 février 2023]

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES, LES PRÊTRES, LES DIACRES, LES PERSONNES
CONSACRÉES, ET LES SÉMINARISTES

DISCOURS DU SAINT-PÈRE 

<Cathédrale de Sainte-Thérèse (Djouba)
Samedi 4 février 2023

________________________________________

Chers frères Évêques, prêtres et diacres,
chers consacrés, chers séminaristes, chers novices et aspirants, bonjour à tous !

Depuis longtemps, je nourri le désir de vous rencontrer ; c’est pourquoi je voudrais remercier le Seigneur aujourd’hui. J’exprime ma gratitude à Mgr Tombe Trille pour ses salutations et à vous tous pour vos salutations et votre présence ; certains d’entre vous ont fait des jours de voyage pour être ici aujourd’hui ! Je porte toujours gravés dans mon cœur des moments vécus avant cette visite : la célébration à Saint-Pierre en 2017, au cours de laquelle nous avons élevé une supplique à Dieu pour le don de la paix ; et la retraite spirituelle en 2019 avec les Leaders politiques, invités pour que, par la prière, ils prennent à cœur la ferme décision de poursuivre la réconciliation et la fraternité dans le pays. Nous avons besoin avant tout de cela: accueillir Jésus, notre paix et notre espérance.

Dans mon discours d’hier, je me suis inspiré du cours des eaux du Nil qui traverse votre pays comme s’il était sa colonne vertébrale. Dans la Bible, à l’eau sont souvent associées l’action du Dieu créateur, la compassion avec laquelle il étanche notre soif lorsque nous errons dans le désert, la miséricorde avec laquelle il nous purifie lorsque nous tombons dans les marécages du péché. Dans le baptême, Il nous a sanctifiés avec une eau qui nous « a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint » (Tt 3, 5). C’est précisément dans une perspective biblique que je voudrais regarder à nouveau les eaux du Nil. D’une part, dans le lit de ce cours d’eau, les larmes d’un peuple plongé dans la souffrance et la douleur, martyrisé par la violence se déversent ; un peuple qui peut prier comme le psalmiste : « Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions » (Ps 137, 1). Les eaux du grand fleuve, en effet, recueillent les gémissements de souffrance de vos communautés, recueillent le cri de douleur de tant de vies brisées, recueillent le drame d’un peuple en fuite, l’affliction du cœur des femmes et la peur gravée dans les yeux des enfants. On peut voir la peur dans les yeux des enfants. Mais en même temps, les eaux du grand fleuve nous ramènent à l’histoire de Moïse et, par conséquent, elles sont un signe de délivrance et de salut : des eaux, en effet, Moïse a été sauvé et, en conduisant les siens à travers la Mer Rouge, il est devenu un instrument de libération, une icône du secours de Dieu qui voit l’affliction de ses enfants, entend leur cri et descend pour les libérer (cf. Ex 3, 7). En regardant l’histoire de Moïse qui a conduit le peuple de Dieu à travers le désert, demandons-nous que signifie être ministres de Dieu dans une histoire traversée par la guerre, la haine, la violence, la pauvreté. Comment exercer le ministère sur cette terre, sur les rives d’un fleuve baigné de tant de sang innocent, alors que les visages des personnes qui nous sont confiées sont striés par les larmes de la souffrance ? Voilà la question. Et quand je parle de ministère, je le fais dans un sens large : ministère presbytéral, ministère diaconal et ministère catéchétique, d’enseignement, qu’accomplissent tant de consacrés et de laïcs.

Moïse église sainte Clotilde Paris
Moïse église sainte Clotilde Paris

Pour tenter de répondre, je voudrais m’arrêter sur deux attitudes de Moïse : la docilité et l’intercession. Je pense que ces deux choses touchent notre vie ici.

La première chose qui nous frappe dans l’histoire de Moïse est sa docilité à l’initiative de Dieu. Nous ne devons cependant pas penser qu’il en a toujours été ainsi : au début, il avait la prétention de mener seul la tentative de lutter contre l’injustice et l’oppression. Sauvé par la fille du Pharaon des eaux du Nil, il se laisse toucher par la souffrance et l’humiliation de ses frères lorsqu’il découvre son identité, si bien qu’un jour il décide de se faire justice tout seul, en frappant à mort un égyptien qui maltraite un juif. Suite à cet épisode il doit fuir et rester dans le désert de nombreuses années. Il y fait l’expérience d’une sorte de désert intérieur : il avait pensé affronter l’injustice par ses seules forces, et maintenant, en conséquence, il se retrouve comme un fugitif devant se cacher, vivant dans la solitude, éprouvant le sentiment amer de l’échec. Je me demande : quelle a été l’erreur de Moïse ? Penser qu’il était le centre, ne comptant que sur ses propres forces. Mais il était ainsi devenu prisonnier des pires méthodes humaines, comme celle de répondre à la violence par la violence.

Quelque chose de semblable se produit parfois dans notre vie de prêtres, de diacres, de religieux, de séminaristes, de consacrés, dans notre vie à tous : au plus profond, nous pensons que nous sommes le centre, que nous pouvons compter, sinon en théorie du moins en pratique, presque exclusivement sur notre talent ; ou, en tant qu’Église, que nous trouvons la réponse aux souffrances et aux besoins du peuple dans des moyens humains, comme l’argent, la ruse, le pouvoir. Au contraire, notre œuvre vient de Dieu : Il est le Seigneur et nous sommes appelés à être des instruments dociles entre ses mains. Moïse l’apprend lorsqu’un jour, Dieu vient à sa rencontre, en lui apparaissant dans « la flamme d’un buisson en feu » (Ex 3, 2). Moïse se laisse attirer, il fait place à l’émerveillement, il se met dans une attitude de docilité pour se laisser éclairer par le charme de ce feu devant lequel il pense : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » (v. 3). Voilà la docilité nécessaire à notre ministère : s’approcher de Dieu avec émerveillement et humilité. Frères et sœurs, ne perdez pas l’émerveillement de la rencontre avec Dieu ! Ne perdez pas l’émerveillement du contact avec la Parole de Dieu. Moïse s’est laissé attirer et diriger par Dieu. La primauté n’est pas à nous, la primauté est à Dieu : nous confier à sa Parole avant d’utiliser nos propres mots, accueillir docilement son initiative avant de nous concentrer sur nos projets personnels et ecclésiaux.

Le fait de nous laisser docilement modeler nous fait vivre le ministère d’une manière renouvelée. Devant le Bon Pasteur, nous comprenons que nous ne sommes pas des chefs tribaux, mais des pasteurs compatissants et miséricordieux ; non pas les maîtres du peuple, mais des serviteurs s’abaissant pour laver les pieds des frères et sœurs ; nous ne sommes pas une organisation mondaine qui administre des biens terrestres, mais nous sommes la communauté des enfants de Dieu. Frères et sœurs, faisons donc comme Moïse sous le regard de Dieu : enlevons nos sandales avec un humble respect (cf. v. 5), dépouillons-nous de notre présomption humaine, laissons-nous attirer par le Seigneur et cultivons la rencontre avec Lui dans la prière ; approchons-nous chaque jour du mystère de Dieu, pour qu’il nous émerveille, pour qu’Il brûle les broussailles de notre orgueil et de nos ambitions démesurées et fasse de nous d’humbles compagnons de route de ceux qui nous sont confiés.

Purifié et illuminé par le feu divin, Moïse devient un instrument de salut pour les siens qui souffrent ; la docilité envers Dieu le rend capable d’intercéder pour ses frères. Voilà la deuxième attitude dont je voudrais vous parler aujourd’hui : l’intercession. Moïse a fait l’expérience d’un Dieu compatissant, qui ne reste pas indifférent au cri de son peuple et descend pour le délivrer. C’est magnifique : descendre. Dieu descend pour le libérer. Dieu, par condescendance envers nous, descend parmi nous au point de prendre notre chair en Jésus, de faire l’expérience de notre mort et de nos enfers. Il descend toujours pour nous relever et ceux qui le vivent sont amenés à l’imiter. C’est ainsi que fait Moïse, qui “descend” au milieu des siens : il le fera plusieurs fois au cours de la traversée du désert. En effet, dans les moments les plus importants et les plus difficiles, il monte et descend de la montagne de la présence de Dieu afin d’intercéder pour le peuple, c’est-à-dire de se mettre à l’intérieur de son histoire pour le rapprocher de Dieu. Frères et sœurs, intercéder, « ne signifie pas simplement “prier pour quelqu’un”, comme nous le pensons souvent. Étymologiquement, cela signifie “faire un pas au milieu”, faire un pas pour se mettre au milieu d’une situation » (C.M. Martini, Un grido di intercessione, Milan, 29 janvier 1991). Parfois, on n’obtient pas beaucoup, mais il faut le faire : un cri d’intercession. Intercéder, c’est donc descendre pour se mettre au milieu du peuple, pour “devenir des ponts” qui le relient à Dieu.

Il est demandé aux pasteurs de développer justement cet art de “marcher au milieu”. Ce doit être la spécialité des pasteurs, de marcher au milieu : au milieu de la souffrance, au milieu des larmes, au milieu de la faim de Dieu et de la soif d’amour des frères et sœurs. Notre premier devoir n’est pas d’être une Église parfaitement organisée – n’importe quelle entreprise peut le faire -, mais une Église qui, au nom du Christ, se tient au milieu de la vie souffrante du peuple et se salit les mains pour les gens. Nous ne devons jamais exercer le ministère en recherchant le prestige religieux et social, – que c’est laid de  » faire carrière  » -mais en marchant au milieu et ensemble, en apprenant à écouter et à dialoguer, en collaborant entre nous ministres et laïcs. Je voudrais ici répéter ce mot important : ensemble. Ne l’oublions pas : ensemble. Évêques et prêtres, prêtres et diacres, pasteurs et séminaristes, ministres ordonnés et religieux – toujours dans le respect de la merveilleuse spécificité de la vie religieuse : essayons de surmonter entre nous la tentation de l’individualisme, des intérêts partisans. Il est bien triste que des pasteurs ne soient pas capables de communion, ne réussissent pas à coopérer, voire s’ignorent mutuellement ! Cultivons le respect mutuel, la proximité, la coopération concrète. Si cela ne se produit pas entre nous, comment pouvons-nous le prêcher aux autres ?

Revenons à Moïse et, afin d’approfondir l’art de l’intercession, regardons ses mains. L’Écriture nous offre trois images à cet égard : Moïse avec le bâton à la main, Moïse avec les mains tendues, et Moïse avec les mains levées vers le ciel.

La première image, celle de Moïse avec le bâton à la main, nous montre qu’il intercède par la prophétie. Avec ce bâton, il accomplit des prodiges, des signes de la présence et de la puissance de Dieu au nom duquel il parle, dénonçant avec force le mal dont souffre le peuple et demandant au Pharaon de le laisser partir. Frères et sœurs, pour intercéder en faveur de notre peuple, nous sommes également appelés à élever la voix contre l’injustice et la prévarication, qui écrasent les gens et utilisent la violence pour gérer les affaires à l’ombre des conflits. Si nous voulons être des pasteurs qui intercèdent, nous ne pouvons pas rester neutres face à la douleur causée par les injustices et les violences, car là où une femme ou un homme est lésé dans ses droits fondamentaux, le Christ lui-même est offensé. J’ai été heureux d’entendre dans le témoignage du Père Luka que l’Église ne cesse d’exercer un ministère à la fois prophétique et pastoral. Merci ! Merci car, s’il y a une tentation dont nous devons nous prémunir, c’est bien celle de laisser les choses telles qu’elles sont et de ne pas nous intéresser aux situations par peur de perdre des privilèges et des commodités.

Deuxième image : Moïse avec les mains tendues. L’Écriture nous dit qu’il, « étendit les bras sur la mer » (Ex 14, 21). Ses mains tendues sont le signe que Dieu est sur le point d’agir. Ensuite, Moïse tiendra les tables de la Loi dans ses mains (cf. Ex 34, 29) pour les montrer au peuple Ses mains tendues indiquent la proximité de Dieu qui est à l’œuvre et qui accompagne son peuple. En effet, pour libérer du mal, la prophétie ne suffit pas, il faut tendre les bras à ses frères et sœurs, soutenir leur marche. Caresser le troupeau de Dieu. Nous pouvons imaginer Moïse montrant le chemin et saisissant les mains des siens pour les encourager à avancer. Après quarante ans, devenu vieux, il reste proche des siens : voilà la proximité. Et cela n’a pas été une tâche facile : il a souvent dû relancer un peuple découragé et fatigué, affamé et assoiffé, parfois même capricieux, qui s’abandonnait aux murmures et à la paresse. Et pour accomplir cette tâche, il a dû aussi lutter contre lui-même, car il a parfois connu des moments d’obscurité et de désolation, comme celui où il a dit au Seigneur : « Pourquoi traiter si mal ton serviteur ? Pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux que tu m’aies imposé le fardeau de tout ce peuple ? […] Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple : c’est trop lourd pour moi » (Nb 11, 11.14). Regardez la prière de Moïse : il est épuisé. Pourtant, Moïse n’a pas reculé : toujours proche de Dieu, il ne s’est jamais éloigné des siens. Nous aussi, nous avons ce devoir : tendre la main, relever nos frères, leur rappeler que Dieu est fidèle à ses promesses, les exhorter à avancer. Nos mains ont été “ointes de l’Esprit” non seulement pour les rites sacrés, mais pour encourager, aider, accompagner les personnes à sortir de ce qui les paralyse, les enferme, les rend craintives.

Enfin – troisième image – les mains levées vers le ciel. Lorsque le peuple tombe dans le péché et se fabrique un veau d’or, Moïse remonte sur la montagne – pensons à toute cette patience ! – et prononce une prière qui est une véritable lutte avec Dieu pour qu’il n’abandonne pas Israël. Il va jusqu’à dire : « Ce peuple a commis un grand péché : ils se sont fait des dieux en or. Ah, si tu voulais enlever leur péché ! Ou alors, efface-moi de ton livre, celui que tu as écrit. » (Ex 32, 31-32). Il se range du côté du peuple jusqu’au bout, élève la main en sa faveur. Il ne pense pas à se sauver seul, il ne vend pas le peuple pour ses propres intérêts ! Il intercède. Moïse intercède, Moïse lutte avec Dieu ; il garde les bras levés en prière pendant que ses frères se battent dans la vallée (cf. Ex 17, 8-16). Soutenir les luttes du peuple par la prière devant Dieu, implorer le pardon, administrer la réconciliation en tant que canaux de la miséricorde de Dieu qui pardonne les péchés : tel est notre devoir d’intercesseurs !

Bien-aimés, ces mains prophétiques tendues et levées requièrent un effort, cela n’est pas facile. Être prophète, accompagnateur, intercesseur, montrer par sa vie le mystère de la proximité de Dieu avec son peuple peut même coûter la vie. Beaucoup de prêtres, de religieuses et de religieux – comme Sœur Regina nous l’a dit à propos de ses sœurs – ont été victimes de violences et d’attaques dans lesquelles ils ont perdu la vie. En réalité, ils ont offert leur existence pour la cause de l’Évangile, et leur proximité avec leurs frères et sœurs est un merveilleux témoignage qu’ils nous laissent et qui nous invite à poursuivre leur chemin. Nous pouvons rappeler Saint Daniel Comboni qui, avec ses frères missionnaires, a réalisé une grande œuvre d’évangélisation sur ces terres : il disait que le missionnaire doit être prêt à tout pour le Christ et l’Évangile, et qu’il faut des âmes audacieuses et généreuses qui sachent souffrir et mourir pour l’Afrique.

Je tiens donc à vous remercier pour ce que vous faites au milieu de tant d’épreuves et d’efforts. Merci, au nom de toute l’Église, pour votre dévouement, votre courage, vos sacrifices, votre patience. Merci ! Je vous souhaite, chers frères et sœurs, d’être toujours des pasteurs et des témoins généreux, armés seulement de la prière et de la charité ; pasteurs témoins, qui se laissent docilement surprendre par la grâce de Dieu et deviennent des instruments de salut pour les autres ; pasteurs et prophètes de proximité qui accompagnent le peuple, des intercesseurs aux bras levés. Que la Sainte Vierge vous protège. En ce moment, pensons en silence à nos frères et sœurs qui ont donné leur vie dans ce ministère pastoral ici, et remercions le Seigneur de nous avoir été proches. Nous remercions le Seigneur pour leur proximité martyriale. Prions en silence.

Merci pour votre témoignage. Et si vous avez un peu de temps, priez pour moi. Merci.


Copyright © Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana

Texte traduit et présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

Rencontre avec les évêques du Congo

Voyage apostolique de Sa Sainteté François en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud (Pèlerinage œcuménique de paix au Soudan du Sud) (31 janvier – 5 février 2023)

– Rencontre avec les évêques au siège de la Conférence épiscopale nationale du Congo

Ce matin, 3 février, après avoir célébré la Sainte Messe en privé, le Saint-Père François a pris congé du personnel et des bienfaiteurs de la Nonciature apostolique de Kinshasa et s’est rendu au siège de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), qui regroupe les évêques des 48 circonscriptions ecclésiastiques du pays, pour la rencontre avec les évêques.

A 8h30, introduit par le mot de bienvenue du Président de la Conférence épiscopale, l’Archevêque métropolitain de Kisangani, S.E. L’Archevêque Marcel Utembi Tapa, le Pape a prononcé son discours. A la fin de la rencontre, il a récité avec tous le Notre Père et la bénédiction. Ensuite, le pape s’est rendu à l’aéroport international N’djili de Kinshasa pour son départ de la République démocratique du Congo.

Nous publions ci-dessous le discours que le Saint-Père a prononcé lors de la rencontre avec les évêques de la CENCO :

Chers frères Évêques, bonjour !

Je suis heureux de vous rencontrer et je vous remercie de tout cœur pour votre accueil chaleureux. Merci à Mgr Utembi Tapa pour les salutations qu’il m’a adressées et de vous avoir donné la parole à travers les siennes. Je vous suis reconnaissant de la manière dont vous annoncez courageusement la consolation du Seigneur, en marchant au milieu du peuple, en partageant leurs peines et leurs espérances.

Il m’a été agréable de passer ces jours-ci dans votre pays, qui, avec sa grande forêt, est le « cœur vert » de l’Afrique, un poumon pour le monde entier. L’importance de ce patrimoine écologique nous rappelle que nous sommes appelés à protéger la beauté de la création et à la défendre contre les blessures causées par l’égoïsme prédateur. Mais cette immense étendue de verdure qu’est votre forêt est aussi une image qui parle à notre vie chrétienne : en tant qu’Église, nous avons besoin de respirer l’air pur de l’Évangile, chasser l’air pollué de la mondanité, garder le cœur juvénile de la foi. C’est ainsi que j’imagine l’Église africaine et c’est ainsi que je vois cette Église congolaise : une Église jeune, dynamique, joyeuse, animée par la soif missionnaire, par l’annonce que Dieu nous aime et que Jésus est le Seigneur. Votre Église est présente dans l’histoire concrète de ce peuple, enracinée en profondeur dans la réalité, actrice dans la charité ; une communauté capable d’attirer et de contaminer par son enthousiasme et, comme le font vos forêts, avec beaucoup d' »oxygène ». Merci, d’être un poumon qui donne du souffle à l’Église universelle !

C’est laid de commencer un paragraphe par le mot « malheureusement », mais je dois le faire ! Malheureusement, je suis bien conscient que la communauté chrétienne de ce pays présente également une autre physionomie. Votre visage jeune, lumineux et beau est en effet marqué par la douleur et la fatigue, parfois par la peur et le découragement. C’est le visage d’une Église qui souffre pour son peuple, c’est un cœur qui bat au rythme de la vie du peuple avec ses joies et ses tribulations. C’est une Église signe visible du Christ qui, aujourd’hui encore, est rejeté, condamné et méprisé dans les nombreux crucifiés du monde, et qui pleure nos propres larmes. C’est une Église qui, comme Jésus, veut aussi sécher les larmes du peuple, en s’évertuant à prendre sur elle les blessures matérielles et spirituelles des gens, et en faisant couler sur elles l’eau vive qui guérit du côté du Christ.

Avec vous, frères, je vois Jésus souffrant dans l’histoire de ce peuple, peuple crucifié, peuple opprimé, frappé par une violence qui n’épargne pas, marqué par la souffrance des innocents; un peuple contraint de vivre dans les eaux troubles de la corruption et de l’injustice qui polluent la société, et qui souffre de la pauvreté en tant de ses enfants. Mais je vois en même temps un peuple qui n’a pas perdu l’espérance, qui embrasse avec enthousiasme la foi et se tourne vers ses pasteurs, qui sait revenir au Seigneur et se remettre entre ses mains afin que la paix à laquelle il aspire, étouffée par l’exploitation, l’égoïsme partisan, par les poisons des conflits et des vérités manipulées, puisse enfin advenir comme un don d’en haut.

On en vient à se demander : comment exercer le ministère dans cette situation ? En pensant à vous, pasteurs du Peuple saint de Dieu, l’histoire de Jérémie m’est venue à l’esprit, un prophète appelé à vivre sa mission à un moment dramatique de l’histoire d’Israël, au milieu des injustices, des abominations et des souffrances. Il a dépensé sa vie à proclamer que Dieu n’abandonne jamais son peuple et fait émerger des projets de paix, même dans les situations qui semblent perdues et irrécupérables. Mais cette annonce consolante de la foi, Jérémie l’a vécue d’abord dans sa personne, il a le premier fait l’expérience de la proximité de Dieu. Ce n’est que de cette manière qu’il a pu apporter aux autres une courageuse prophétie d’espérance. Votre ministère épiscopal vit aussi entre ces deux dimensions dont je voudrais vous parler : la proximité de Dieu et la prophétie pour le peuple.

Avant tout, je voudrais vous dire : laissez-vous toucher et réconforter par la proximité de Dieu. Il est proche de nous. La première parole que le Seigneur adresse à Jérémie est celle-ci : «Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais» (Jr 1, 5). C’est une déclaration d’amour que Dieu grave dans le cœur de chacun d’entre nous, que personne ne peut effacer et qui, au milieu des tempêtes de la vie, devient une source de réconfort. Pour nous, qui avons reçu l’appel à être les pasteurs du Peuple de Dieu, il est important de nous appuyer sur cette proximité du Seigneur, en nous « structurant dans la prière », en nous tenant pendant des heures devant Lui. Ce n’est qu’ainsi que le peuple qui nous est confié se rapproche du Bon Pasteur, et ce n’est qu’ainsi que nous devenons vraiment des pasteurs, car sans Lui nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15, 5). Nous serions des entrepreneurs, des « maîtres », mais nous ne suivrions pas l’appel du Seigneur. Sans Lui, nous ne pouvons rien faire. Qu’il ne nous arrive pas de nous considérer comme autosuffisants, et encore moins de voir dans l’épiscopat la possibilité d’accéder à une position sociale et d’exercer un pouvoir. Cet horrible esprit de  » carriérisme « . Et surtout : que n’entre pas l’esprit mondain qui nous fait interpréter le ministère selon les critères de nos intérêts lucratifs personnels, qui nous rend froids et détachés dans l’administration de ce qui nous est confié, qui nous pousse à nous servir de la fonction au lieu de servir les autres, et à ne plus nous soucier de la relation indispensable, humble et quotidienne, de la prière. N’oublions pas que la mondanité est le pire qui puisse arriver à l’Église, c’est le pire. J’ai toujours été touché par la fin du livre du cardinal de Lubac sur l’Église, les trois ou quatre dernières pages, où il dit : la mondanité spirituelle est le pire qui puisse arriver, pire encore que l’époque des papes mondains et concubins. C’est pire. Et la mondanité est toujours à l’affût. Soyons attentifs !

Chers frères évêques, soignons notre proximité avec le Seigneur afin d’être ses témoins crédibles et les porte-paroles de son amour auprès du peuple. C’est à travers nous qu’il veut l’oindre de l’huile de la consolation et de l’espérance ! Vous êtes la voix avec laquelle Dieu veut dire aux Congolais : «Tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu » (Dt 7, 6). L’annonce de l’Évangile, l’animation de la vie pastorale, la conduite du peuple ne peuvent se réduire à des principes éloignés de la réalité de la vie quotidienne, mais doivent toucher les blessures et communiquer la proximité divine, afin que les personnes découvrent leur dignité de fils de Dieu et apprennent à marcher la tête haute, sans jamais s’incliner devant les humiliations et les oppressions. Par vous, ce peuple a la grâce de s’entendre dire des paroles semblables à celles que le Seigneur adressa à Jérémie : « Tu es un peuple béni, avant de te former dans le ventre de ta mère, j’ai pensé à toi, je t’ai connu, je t’ai aimé ». Si nous cultivons la proximité avec Dieu, nous serons poussés vers le peuple et nous éprouverons toujours de la compassion pour ceux qui nous sont confiés. Cette attitude de compassion, qui n’est pas un sentiment, c’est un souffrir avec. Réconfortés et fortifiés par le Seigneur, nous devenons à notre tour des instruments de consolation et de réconciliation pour les autres, pour guérir les blessures de ceux qui souffrent, apaiser la peine de ceux qui pleurent, relever les pauvres, libérer les personnes de nombreuses formes d’esclavage et d’oppression. C’est dire que la proximité de Dieu fait de nous des prophètes pour le peuple, capables de semer la Parole qui sauve dans l’histoire blessée de cette terre.

Et pour approfondir ce deuxième point, la prophétie pour le peuple, regardons à nouveau l’expérience de Jérémie. Après avoir reçu la Parole aimante et consolante de Dieu, il est appelé à être «prophète pour les nations» (Jr 1, 5), envoyé pour apporter la lumière dans les ténèbres, pour témoigner dans un contexte de violence et de corruption. Et Jérémie, qui dévore la Parole du Seigneur, car elle est pour lui joie et allégresse du cœur (cf. Jr 15, 10), confesse que cette même Parole sème en lui une inquiétude irrépressible et le pousse à aller vers les autres pour qu’ils soient touchés par la présence de Dieu. Il écrit: «Elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir» (Jr 20, 9). Nous ne pouvons pas garder la Parole de Dieu pour nous seuls, nous ne pouvons pas contenir sa puissance : elle est un feu qui brûle notre apathie et allume en nous le désir d’éclairer ceux qui sont dans les ténèbres. La Parole de Dieu est un feu qui brûle à l’intérieur et qui nous pousse à sortir ! Voilà notre identité épiscopale: brûlés par la Parole de Dieu, en sortie vers le peuple de Dieu, avec zèle apostolique !

Mais – nous pouvons nous demander – en quoi consiste cette annonce prophétique de la Parole, cette ardeur? Le Seigneur dit au prophète Jérémie : «Voici, je mets dans ta bouche mes paroles! Vois: aujourd’hui, je te donne autorité sur les nations et les royaumes, pour arracher et renverser, pour détruire et démolir, pour bâtir et planter» (Jr 1, 9-10). Ce sont des verbes forts : d’abord arracher et renverser, pour finalement bâtir et planter. Il s’agit de collaborer à une histoire nouvelle que Dieu veut construire dans un monde de perversion et d’injustice. Vous aussi, donc, vous êtes appelés à continuer à faire entendre votre voix prophétique pour que les consciences se sentent interpellées et que chacun devienne acteur et responsable d’un avenir différent. Il faut donc arracher les plantes vénéneuses de la haine et de l’égoïsme, de la rancœur et de la violence ; renverser les autels consacrés à l’argent et à la corruption ; bâtir une coexistence basée sur la justice, la vérité et la paix ; et, enfin, planter les graines de la renaissance pour que le Congo de demain soit vraiment ce dont le Seigneur rêve : une terre bénie et heureuse, plus jamais violentée, opprimée ni ensanglantée.

Mais attention, il ne s’agit pas d’une action politique. La prophétie chrétienne s’incarne dans de multiples actions politiques et sociales, mais telle n’est pas la tâche des évêques et des pasteurs en général. Elle est d’annoncer la Parole pour éveiller les consciences, pour dénoncer le mal, pour réconforter ceux qui sont affligés et sans espérance.  » Consolez, consolez mon peuple  » : cette devise qui revient, revient, est une invitation du Seigneur : consolez le peuple. « Consolez, consolez mon peuple ». Il s’agit d’une annonce faite non seulement de mots mais aussi de proximité et de témoignage : proximité, tout d’abord, avec les prêtres – les prêtres sont ceux qui sont les plus proches d’un évêque -, écoute des agents pastoraux, encouragement de l’esprit synodal pour travailler ensemble. Et le témoignage, parce que les pasteurs doivent être crédibles, avant tout, en toutes choses, et en particulier dans le fait de cultiver la communion, dans la vie morale et dans l’administration des biens. Il est essentiel, en ce sens, de savoir construire l’harmonie sans se mettre sur des piédestaux, sans rudesses, mais en donnant le bon exemple du soutien et du pardon mutuel, en travaillant ensemble comme des modèles de fraternité, de paix et de simplicité évangéliques. Qu’il n’arrive jamais, alors que le peuple souffre de la faim, que l’on puisse dire de vous : « Ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce» (Mt 22, 5). Non, le commerce, s’il vous plaît, laissons-le en dehors de la vigne du Seigneur ! Un pasteur ne peut pas être un homme d’affaires, il ne peut pas ! Nous sommes pasteurs et serviteurs du peuple de Dieu, pas des administrateurs de biens, pas des hommes d’affaires, des pasteurs ! L’administration de l’évêque doit être celle du berger : devant le troupeau, au milieu du troupeau, derrière le troupeau. Devant le troupeau pour montrer le chemin ; au milieu du troupeau pour sentir le troupeau, pour ne pas le perdre ; derrière le troupeau pour aider ceux qui vont plus lentement, et aussi pour laisser le troupeau seul pendant un moment et voir où il trouve des pâturages. Le berger doit se déplacer dans ces trois directions.

Chers frères évêques, j’ai partagé avec vous ce que je portais dans mon cœur : cultiver la proximité avec le Seigneur afin d’être des signes prophétiques de sa compassion pour le peuple. Je vous prie de ne pas négliger le dialogue avec Dieu et de ne pas laisser le feu de la prophétie s’éteindre, à cause de calculs ou de compromis avec le pouvoir, ni à cause d’une vie tranquille et routinière. Face au peuple qui souffre et face à l’injustice, l’Évangile exige que nous élevions la voix. Quand nous élevons notre voix selon Dieu, nous risquons. C’est ce qu’a fait l’un de vos frères, le serviteur de Dieu Mgr Christophe Munzihirwa, un pasteur courageux et une voix prophétique, qui a gardé son peuple en offrant sa vie. La veille de sa mort, il avait envoyé un message à tous en disant : «En ces jours, que pouvons-nous encore faire ? Restons fermes dans la foi. Ayons confiance que Dieu ne nous abandonnera pas et que, de quelque part, une petite lueur d`espérance naîtra pour nous. Dieu ne nous abandonnera pas si nous nous engageons à respecter la vie de nos voisins, quel que soit le groupe ethnique auquel ils appartiennent». Le lendemain, il a été tué sur la place de la ville, mais sa graine, plantée dans cette terre, avec celle de beaucoup d’autres, portera du fruit. Il est bon de se souvenir, avec gratitude, des grands pasteurs qui ont marqué l’histoire de votre pays et de votre Église, de ceux qui vous ont évangélisés et précédés dans la foi. Frères, ils sont vos racines qui vous fortifient dans l’ardeur évangélique. Je pense à tout le bien que reçu par le fait d’avoir connu le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya.

Bien-aimés, n’ayez pas peur d’être des prophètes d’espérance pour le peuple, des voix concordantes de la consolation du Seigneur, des témoins et des messagers joyeux de l’Évangile, des apôtres de la justice, des Samaritains de la solidarité, des témoins de la miséricorde et de la réconciliation au milieu des violences déclenchées, non seulement par l’exploitation des ressources et les conflits ethniques et tribaux, mais aussi et surtout par la puissance obscure du malin, l’ennemi de Dieu et de l’homme. Mais ne vous découragez jamais : le Crucifié est ressuscité, Jésus est victorieux, bien plus, il a déjà vaincu le monde (cf. Jn 16, 33) et il veut briller en vous, dans votre précieux travail, dans votre ensemencement fécond de paix ! Frères, je veux vous remercier pour votre service, pour votre zèle pastoral, pour votre témoignage.

Et, maintenant que je suis arrivé au terme de ce voyage, je tiens à vous exprimer toute ma gratitude, ainsi qu’à ceux qui l’ont préparé ici. Vous avez eu la patience d’attendre un an, vous êtes bons ! Merci pour cela ! Vous avez dû travailler deux fois, car la première fois la visite a été annulée, mais je sais que vous êtes miséricordieux envers le Pape! Merci beaucoup! En juin prochain, vous célébrerez le Congrès eucharistique national à Lubumbashi. Jésus est vraiment présent et à l’œuvre dans l’Eucharistie ; là, il restaure et guérit, console et unit, illumine et transforme ; là, il inspire, soutient et rend votre ministère efficace. Que la présence de Jésus, le pasteur doux et humble, vainqueur du mal et de la mort, transforme ce grand pays et soit toujours votre joie et votre espérance ! Je vous bénis de tout cœur.

Je voudrais ajouter une seule chose : j’ai dit  » soyez miséricordieux « . La miséricorde. Pardonnez toujours. Quand un croyant vient se confesser, il vient demander le pardon, il vient demander la caresse du Père. Et nous, d’un doigt accusateur : « Combien de fois ? Et comment l’avez-vous fait ?… ». Non, pas ça. Pardonnez. Toujours. « Mais je ne sais pas…, parce que le code me dit… ». Le code nous devons l’observer, car il est important, mais le cœur du pasteur va au-delà ! Prenez le risque. Pour le pardon, prenez des risques. Toujours. Pardonnez toujours dans le Sacrement de la Réconciliation. Et ainsi vous sèmerez le pardon pour l’ensemble de la société.

Je vous bénis de tout mon cœur. Et s’il vous plait, continuez à prier pour moi, car cette charge est un peu difficile ! Mais je me confie à vous. Merci.


Copyright © Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana

 

Encouragements du Pape aux religieux congolais

Encouragements du Pape aux religieux congolais

Dernier événement public de cette journée du Pape à Kinshasa, la rencontre ce jeudi après-midi 2 février avec les prêtres, diacres, personnes consacrées et séminaristes de RDC, en la cathédrale Notre-Dame du Congo de Kinshasa. Dans son discours, il a parlé des nombreux défis de l’Église congolaise et de l’importance de servir le peuple, comme témoins de l’amour de Dieu.

 

 VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
en RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO et au SOUDAN DU SUD
(Pèlerinage Œcuménique de Paix au Soudan du Sud)
[31 janvier – 5 février 2023]

Rencontre de prière
avec les prêtres, les diacres, les consacrés et les séminaristes à la Cathédrale de Kinshasa

DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Chers frères prêtres, diacres et séminaristes,
chers consacrés, bonsoir et bonne fête !

Je suis heureux de me trouver avec vous en ce jour précis, Présentation du Seigneur, le jour où nous prions spécialement pour la vie consacrée. Tous, comme Siméon, nous attendons la lumière du Seigneur pour qu’elle éclaire les ténèbres de notre vie.

Plus encore, nous désirons tous vivre la même expérience qu’il a faite dans le Temple de Jérusalem : tenir Jésus dans ses bras. Le tenir dans les bras de manière à l’avoir devant les yeux et sur le cœur. En mettant Jésus au centre, le regard sur la vie change et, malgré les souffrances et les peines intérieures, nous nous sentons enveloppés de sa lumière, consolés par son Esprit, encouragés par sa Parole, soutenus par son amour.

*

Je dis cela en pensant au mot de bienvenue prononcé par le Cardinal Ambongo, que je remercie. Il a parlé «d’énormes défis » à affronter pour vivre l’engagement sacerdotal et religieux en cette terre marquée par des « conditions difficiles et parfois dangereuses », terre de tant de souffrances.

Pourtant, comme il le rappelait, il y a aussi beaucoup de joie dans le service de l’Évangile et les vocations au sacerdoce et à la vie consacrée sont nombreuses. C’est l’abondance de la grâce de Dieu qui agit dans la faiblesse (cf. 2 Co 12, 9) et qui vous rend capables, avec les fidèles laïcs, de générer l’espérance dans les situations souvent douloureuses de votre peuple.

*

La certitude qui nous accompagne aussi dans les difficultés est donnée par la fidélité de Dieu qui dit, par le prophète Isaïe : « Je ferai passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides » (43, 19).

J’ai pensé vous proposer quelques réflexions à partir de ces paroles d’Isaïe : Dieu ouvre des chemins dans nos déserts et nous, ministres ordonnés et personnes consacrées, nous sommes appelés à être le signe de cette promesse et à la réaliser dans l’histoire du Peuple saint de Dieu. Mais, concrètement, à quoi sommes-nous appelés ? À servir le peuple comme témoins de l’amour de Dieu. Isaïe nous aide à comprendre comment.

*

Par la bouche du prophète, le Seigneur rejoint son peuple à un moment dramatique, lorsque les Israélites sont déportés à Babylone et réduits en esclavage. Poussé par la compassion, Dieu veut les consoler. Cette partie du livre d’Isaïe est connue en effet comme “Livre de la Consolation”, parce que le Seigneur adresse à son peuple des paroles d’espérance et des promesses de salut.

Et tout d’abord, il rappelle le lien d’amour qui le lie à son peuple : « Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi. Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi, les fleuves ne te submergeront pas. Quand tu marcheras au milieu du feu, tu ne te brûleras pas, la flamme ne te consumera pas » (43, 1-2).

Le Seigneur se révèle ainsi comme Dieu de la compassion et Il assure ne jamais nous laisser seuls, être toujours à nos côtés, refuge et force dans les difficultés. Dieu est compatissant. Les trois noms de Dieu, les trois caractéristiques de Dieu sont miséricorde, compassion et tendresse. Car tous ceux-ci font la proximité de Dieu : un Dieu proche, compatissant et tendre.

*

Chers prêtres et diacres, consacrés, séminaristes : à travers vous, le Seigneur veut aujourd’hui encore oindre son peuple avec l’huile de la consolation et de l’espérance.

Et vous êtes appelés à vous faire l’écho de cette promesse de Dieu, à rappeler qu’Il nous a façonnés et que nous Lui appartenons, à encourager le cheminement de la communauté et à l’accompagner dans la foi à la rencontre de Celui qui marche déjà à nos côtés. Dieu ne permet pas aux eaux de nous submerger, ni au feu de nous brûler.

Sentons que nous sommes porteurs de cette annonce au milieu des souffrances des gens. C’est ce que signifie être serviteurs du peuple : prêtres, sœurs, missionnaires qui ont fait l’expérience de la joie de la rencontre libératrice avec Jésus et qui l’offrent aux autres. Souvenons-nous-en : le sacerdoce et la vie consacrée deviennent arides si nous les vivons pour “nous servir” du peuple au lieu de “le servir”.

Il ne s’agit pas d’un métier pour gagner ou avoir une position sociale, non plus pour s’occuper de la famille d’origine ; mais ils ont pour mission d’être des signes de la présence du Christ, de son amour inconditionnel, du pardon par lequel il veut nous réconcilier, de la compassion avec laquelle il veut prendre soin des pauvres.

Nous avons été appelés à offrir notre vie pour nos frères et sœurs, en leur apportant Jésus, le seul qui guérit les blessures du cœur.

*

Pour vivre ainsi notre vocation, nous avons toujours des défis à affronter, des tentations à vaincre. Je voudrais m’arrêter brièvement sur les trois suivantes : la médiocrité spirituelle, le confort mondain, la superficialité.

*

Avant tout vaincre la médiocrité spirituelle. Comment ? La Présentation du Seigneur, qui dans l’Orient chrétien est appelée “fête de la rencontre”, nous rappelle la priorité de notre vie : rencontrer le Seigneur, en particulier dans la prière personnelle, car la relation avec Lui est le fondement de notre action.

N’oublions pas que le secret de tout, c’est la prière car le ministère et l’apostolat ne sont pas d’abord notre œuvre et ne dépendent pas seulement de moyens humains. Alors vous me direz : oui, c’est vrai, mais les engagements, les urgences pastorales, les efforts apostoliques, la fatigue et autres risquent de ne pas laisser suffisamment de temps et d’énergie pour la prière.

C’est pourquoi je voudrais partager quelques conseils : avant tout, tenons à certains rythmes liturgiques de la prière qui cadencent la journée, de la messe au bréviaire. La célébration eucharistique quotidienne est le cœur battant de la vie sacerdotale et religieuse. La Liturgie des Heures nous permet de prier avec l’Église, et avec régularité : ne la négligeons jamais !

Et n’oublions pas non plus la confession : nous avons toujours besoin d’être pardonnés afin de pouvoir donner la miséricorde.

Un autre conseil : comme nous le savons, nous ne pouvons pas nous limiter à la récitation rituelle des prières, mais il faut réserver chaque jour un temps intense de prière, pour être cœur à cœur avec le Seigneur : un moment prolongé d’adoration, de méditation de la Parole, le saint Rosaire ; une rencontre intime avec Celui que nous aimons par-dessus tout.

De plus, lorsque nous sommes en pleine activité, nous pouvons également recourir à la prière du cœur, à de brèves “oraisons jaculatoires” – elles sont un trésor, les oraisons jaculatoires –, des paroles de louange, d’action de grâce et d’invocation à répéter au Seigneur partout où nous nous trouvons. La prière nous décentre, nous ouvre à Dieu, nous remet sur pied parce qu’elle nous met entre ses mains.

Elle crée en nous de l’espace pour faire l’expérience de la proximité de Dieu, afin que sa Parole nous devienne familière et, à travers nous, familière à tous ceux que nous rencontrons. Sans prière, on ne va pas loin. Enfin, pour surmonter la médiocrité spirituelle, ne nous lassons jamais d’invoquer la Vierge – elle est notre Mère – et d’apprendre d’elle à contempler et à suivre Jésus.

*

Le deuxième défi est celui de vaincre la tentation du confort mondain, d’une vie confortable dans laquelle on règle plus ou moins toutes les choses en avançant par inertie, recherchant notre confort et en nous traînant sans enthousiasme. Mais on perd de cette façon le cœur de la mission qui est de sortir des territoires du moi pour aller vers les frères et les sœurs, en exerçant, au nom de Dieu, l’art de la proximité.

Un grand risque lié à la mondanité, spécialement dans un contexte de pauvreté et de souffrances, est celui de profiter du rôle que nous avons pour satisfaire nos besoins et notre confort. Il est triste, très triste de se replier sur soi-même en devenant de froids bureaucrates de l’esprit. Alors, au lieu de servir l’Évangile, nous nous soucions de gérer les finances et de mener à bien quelque affaire avantageuse pour nous.

Frères et sœurs, c’est un scandale quand cela arrive dans la vie d’un prêtre ou d’un religieux, qui devraient au contraire être des modèles de sobriété et de liberté intérieure. Qu’il est beau en revanche de rester transparent dans les intentions et libéré des compromis avec l’argent, en embrassant avec joie la pauvreté évangélique et en travaillant aux côtés des pauvres !

Et qu’il est beau de rayonner en vivant le célibat comme signe de disponibilité complète au Royaume de Dieu ! Que ces vices, que nous voudrions éradiquer chez les autres et dans la société, ne se trouvent jamais enracinés en nous. S’il vous plaît, faisons attention au confort mondain.

*

Enfin, le troisième défi est celui de vaincre la tentation de la superficialité. Si le Peuple de Dieu attend d’être rejoint et consolé par la Parole du Seigneur, il y a besoin de prêtres et des religieux préparés, formés, passionnés de l’Évangile.

Un don a été mis entre nos mains et il serait présomptueux de notre part de penser pouvoir vivre la mission à laquelle Dieu nous a appelés sans travailler chaque jour sur nous-mêmes, et sans nous former de manière comme il convient à la vie spirituelle à la théologie. Les gens n’ont pas besoin de fonctionnaires du sacré ni de diplômés à part du peuple.

Nous sommes tenus d’entrer au cœur du mystère chrétien, d’en approfondir la doctrine, d’étudier et de méditer la Parole de Dieu ; et en même temps de rester ouverts aux inquiétudes de notre temps, aux questions toujours plus complexes de notre époque, pour comprendre la vie et les besoins des personnes, pour comprendre comment les prendre par la main et les accompagner.

Par conséquent, la formation du clergé n’est pas une option. Je le dis aux séminaristes, mais cela vaut pour tous : la formation est un chemin à poursuivre toujours et toute la vie. On l’appelle formation permanente : la formation tout au long de la vie.

*

Ces défis dont je vous ai parlé doivent être affrontés si nous voulons servir le peuple comme témoins de l’amour de Dieu, car le service n’est efficace que s’il passe par le témoignage. Ne pas oublier ce mot : le témoignage. En effet, après avoir prononcé des paroles de consolation, le Seigneur dit par l’intermédiaire d’Isaïe :

« Qui, parmi eux, peut annoncer cela et nous rappeler les événements du passé ? Vous êtes mes témoins » (43, 9.10). Témoins. Pour être de bons prêtres, diacres et personnes consacrées, les paroles et les intentions ne suffisent pas : c’est avant tout la vie qui parle, la vie personnelle.

Chers frères et sœurs, en vous regardant, je rends grâce à Dieu, car vous êtes des signes de la présence de Jésus qui passe le long des routes de ce pays et touche la vie des personnes, les blessures de leur chair. Mais il faut encore de jeunes qui disent “oui” au Seigneur, d’autres prêtres et religieux qui, par leur vie, laissent transparaître sa beauté.

*

Dans vos témoignages, vous m’avez rappelé combien il est difficile de vivre la mission sur une terre riche de tant de beautés naturelles et de ressources, mais blessée par l’exploitation, la corruption, la violence et l’injustice. Mais vous avez aussi parlé de la parabole du bon samaritain : c’est Jésus qui passe le long de nos routes et, spécialement à travers son Église, qui s’arrête et prend soin des blessures des opprimés.

Très chers amis, le ministère auquel vous êtes appelés est celui-ci : offrir proximité et consolation, comme une lumière toujours allumée au milieu de tant d’obscurité. Apprenons du Seigneur qui est proche, toujours.

Et pour être frères et sœurs de tous, soyez-le d’abord entre vous : témoins de fraternité, jamais en guerre ; témoins de paix, apprenant à dépasser aussi les aspects particuliers des cultures et des origines ethniques, parce que, comme l’a affirmé Benoît XVI en s’adressant aux prêtres africains, « votre témoignage de vie pacifique, par-delà les frontières tribales et raciales, peut toucher les cœurs » (Exhort. ap. Africae munus, n. 108).

*

Un proverbe dit : « Le vent ne brise pas ce qui sait se plier ». L’histoire de beaucoup de peuples de ce continent a été malheureusement courbée et meurtrie par des blessures et des violences. Et donc, si un désir monte du cœur, c’est bien celui de ne plus devoir le faire, ne plus devoir se soumettre à l’autorité du plus fort, ne plus avoir à baisser la tête sous le joug de l’injustice.

Mais nous pouvons accueillir les paroles du proverbe surtout dans un sens positif. Se plier n’est pas toujours synonyme de faiblesse, d’être lâche, mais de force. C’est aussi être flexible en surmontant les rigidités ; c’est cultiver une humanité docile qui ne se ferme pas dans la haine et la rancœur ; c’est être disponible à se laisser changer sans s’accrocher à ses idées et positions.

Si nous nous inclinons devant Dieu, avec humilité, Il nous fait devenir comme Lui, des artisans de miséricorde. Quand nous restons dociles entre les mains de Dieu, Il nous façonne et fait de nous des personnes réconciliées, qui savent s’ouvrir et dialoguer, accueillir et pardonner, faire couler des fleuves de paix dans les steppes arides de la violence.

Et, ainsi, lorsque soufflent impétueusement les vents des conflits et des divisions, ces personnes ne peuvent pas être brisées, parce qu’elles sont remplies de l’amour de Dieu. Soyez ainsi, vous aussi : dociles au Dieu de la miséricorde, jamais brisés par les vents des divisions.

*

Sœurs et frères, je vous remercie de tout cœur pour ce que vous êtes et ce que vous faites, je vous remercie pour votre témoignage à l’Église et au monde. Ne vous découragez pas, il y a besoin de vous ! Vous êtes précieux, importants : je vous le dis au nom de l’Église tout entière.

Je vous souhaite d’être toujours des canaux de la consolation du Seigneur et des témoins joyeux de l’Évangile, prophétie de paix dans les spirales de la violence, disciples de l’Amour, prêts à soigner les blessures des pauvres et de ceux qui souffrent.

Merci beaucoup, sœurs et frères, merci encore pour votre service et pour votre zèle pastoral. Je vous bénis et je vous porte dans mon cœur. Et vous, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi ! Merci.


Copyright © Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana