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cultiver la liberté avec Dieu

cultiver la liberté avec Dieu

Pour son deuxième jour en terre slovaque, le Souverain pontife a rencontré l’ensemble des évêques, prêtres et religieux de Slovaquie en la cathédrale catholique Saint-Martin de Bratislava, ce lundi 13 septembre 2021. Dans son discours, le Pape François a insisté sur la relation de liberté à nourrir dans la vie spirituelle et dans l’Église.

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VOYAGE APOSTOLIQUE DU SAINT-PÈRE
À BUDAPEST, À L’OCCASION DE LA MESSE DE CLÔTURE
DU 52e CONGRÈS EUCHARISTIQUE INTERNATIONAL, ET EN SLOVAQUIE
(12-15 SEPTEMBRE 2021)

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES, LES PRÊTRES, LES RELIGIEUX ET LES RELIGIEUSES,
LES SÉMINARISTES ET LES CATÉCHISTES 

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS

Cathédrale Saint-Martin (Bratislava)
Lundi 13 septembre 2021

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Chers frères évêques,
Chers prêtres, religieux, religieuses et séminaristes,
Chers catéchistes, sœurs et frères, bonjour !

Je vous salue avec joie et je remercie Mgr. Stanislav Zvolenský pour les paroles qu’il m’a adressées. Merci de m’inviter à me sentir chez moi : je viens comme votre frère et je me sens comme l’un des vôtres. Je suis ici pour partager votre cheminement – c’est ce que doit faire l’évêque, le Pape -, vos questions, les attentes et les espérances de cette Église et de ce pays.

Et, en parlant du pays, je viens de dire à Madame la Présidente que la Slovaquie est une poésie ! Partager était le style de la première Communauté chrétienne : ils étaient assidus et unanimes, ils marchaient ensemble (cf. Ac 1, 12-14). Ils se disputaient aussi, mais ils cheminaient ensemble.

C’est la première chose dont nous avons besoin : une Église qui marche ensemble, qui parcourt les routes de la vie avec le flambeau de l’Évangile allumé. L’Église n’est pas une forteresse, elle n’est pas une puissance, un château situé en hauteur qui regarderait le monde avec distance et suffisance. Ici, à Bratislava, le château est déjà là, et il est très beau !

Mais l’Église c’est la communauté qui désire attirer au Christ par la joie de l’Évangile – pas le château ! -, le levain qui fait fermenter le Royaume de l’amour et de la paix dans la pâte du monde. S’il vous plaît, ne cédons pas à la tentation de la magnificence, de la grandeur mondaine !

Le centre de l’Église n’est pas l’Église

L’Église doit être humble comme l’était Jésus qui s’est dépouillé de tout, qui s’est fait pauvre pour nous enrichir (cf. 2 Co 8, 9) : c’est ainsi qu’il est venu habiter parmi nous et guérir notre humanité blessée.

Qu’elle est belle, une Église humble qui ne se sépare pas du monde et qui ne regarde pas la vie avec distance, mais y habite. Habiter à l’intérieur, ne l’oublions pas : partager, marcher ensemble, accueillir les questions et les attentes des personnes. Cela nous aide à sortir de l’autoréférentialité : le centre de l’Église… Qui est le centre de l’Église ? Ce n’est pas l’Église !

Et quand l’Église se regarde elle-même, elle finit comme la femme de l’Évangile : courbée sur elle-même, en regardant son nombril (cf. Lc 13, 10-13). Le centre de l’Église n’est pas elle-même. Sortons de l’inquiétude excessive pour nous-mêmes, pour nos structures, pour la façon dont la société sympathise avec nous. Et à la fin, cela nous conduira à une “théologie du maquillage”…Comme on se maquille mieux…

Plongeons-nous plutôt dans la vie réelle, la vie réelle des gens et demandons-nous : quels sont les besoins et les attentes spirituels de notre peuple ? Qu’attend-on de l’Église ? Il me semble important d’essayer de répondre à ces questions et je pense à trois mots.

Le premier est liberté. Sans liberté, il n’y a pas de véritable humanité, parce que l’être humain a été créé libre et pour être libre. Les périodes dramatiques de l’histoire de votre pays sont un grand enseignement : lorsque la liberté a été blessée, violée et éliminée, l’humanité a été dégradée et les tempêtes de la violence, de la coercition et de la privation des droits se sont déchaînées.

Mais en même temps, la liberté n’est pas une conquête automatique qui demeure une fois pour toutes. Non ! La liberté est toujours un chemin, parfois pénible, à renouveler continuellement, il faut lutter chaque jour pour elle. Il ne suffit pas d’être libre extérieurement, ou à travers les structures de la société, pour l’être vraiment.

Le risque du choix 

La liberté appelle directement à la responsabilité des choix, à discerner, à faire avancer les processus de la vie. Et cela est difficile, ça nous fait peur. Il est parfois plus commode de ne pas se laisser provoquer par les situations concrètes et de continuer à répéter le passé, sans y mettre le cœur, sans le risque du choix : mieux vaudrait passer sa vie en faisant ce que d’autres – peut-être la masse ou l’opinion publique ou les choses que les médias nous vendent– décident pour nous.

Ça ne va pas. Et aujourd’hui, nous faisons plusieurs fois les choses que les médias décident pour nous. Et on perd la liberté. Souvenons-nous de l’histoire du peuple d’Israël : il souffrait sous la tyrannie du Pharaon, il était esclave.  Il est ensuite libéré par le Seigneur, mais pour devenir vraiment libre, pas seulement délivré de ses ennemis, il doit traverser le désert, un chemin pénible.

Et il lui arrivait de penser : “C’était presque mieux avant, au moins on avait un peu d’oignons à manger…”. Une grande tentation : mieux vaudrait un peu d’oignons que la fatigue et le risque de la liberté. C’est l’une des tentations. Hier, en parlant au groupe œcuménique, je rappelais Dostoïevski avec “Le grand inquisiteur”.

Le Christ revient sur terre en cachette et l’inquisiteur le réprimande pour avoir donné la liberté aux hommes. Un peu de pain et un petit quelque chose suffit ; de pain et autre chose suffit. Toujours cette tentation, la tentation des oignons. Mieux vaut un peu d’oignons et de pain que l’effort et le risque de la liberté. Je vous laisse penser à ces choses.

Parfois, même dans l’Église, cette idée peut faire son chemin : mieux vaudrait avoir toutes les choses prédéfinies, des lois à observer, la sécurité et l’uniformité, plutôt que d’être des chrétiens responsables et adultes qui pensent, interrogent leur conscience et se remettent en cause. C’est le début de la casuistique, tout réglementé…

Dans la vie spirituelle et ecclésiale, la tentation existe de chercher une fausse paix qui nous laisse tranquille, plutôt que le feu de l’Évangile qui nous inquiète, qui nous transforme. Les oignons assurés d’Égypte sont plus commodes que les incertitudes du désert. Mais une Église qui ne laisse pas de place à l’aventure de la liberté, même dans la vie spirituelle, risque de devenir un lieu rigide et fermé.

Certains sont peut-être habitués à cela ; mais bien d’autres – surtout parmi les nouvelles générations – ne sont pas attirés par une proposition de foi qui ne leur laisse pas de liberté intérieure, ils ne sont pas attirés par une Église où il faut penser tous de la même manière et obéir aveuglement.

Chers amis, n’ayez pas peur de former les personnes à une relation mûre et libre avec Dieu. Cette relation est importante. Cela nous donnera peut-être l’impression de ne pouvoir pas tout contrôler, de perdre force et autorité ; mais l’Église du Christ ne veut pas dominer les consciences ni occuper les espaces, elle veut être une “fontaine” d’espérance dans la vie des personnes. C’est un risque. C’est un défi.

Je le dis surtout aux Pasteurs : vous exercez votre ministère dans un pays où beaucoup de choses ont changé rapidement et où de nombreux processus démocratiques ont été engagés, mais la liberté est encore fragile. Elle l’est surtout dans le cœur et dans l’esprit des personnes. C’est pourquoi je vous encourage à les faire grandir, libres d’une religiosité rigide.

Qu’elles sortent de cela, et qu’elles grandissent libres ! Que personne ne se sente écrasé. Que chacun puisse découvrir la liberté de l’Évangile en entrant graduellement dans la relation avec Dieu, avec la confiance de celui qui sait que, devant lui, il peut porter son histoire et ses blessures sans peur et sans faux-semblants, sans se soucier de défendre sa propre image.

Pouvoir dire : « Je suis un pécheur », mais le dire avec sincérité, ne pas nous battre la poitrine et puis continuer à nous croire justes. La liberté. Que l’annonce de l’Évangile soit libératrice, jamais écrasante. Et que l’Église soit signe de liberté et d’accueil !

Je suis sûr qu’on ne se saura jamais d’où ça vient. Je vous dis une chose qui s’est produite il y a longtemps. La lettre d’un Évêque, parlant d’un Nonce. Il disait : “Eh bien, nous avons été 400 ans sous les Turcs et nous avons souffert. Puis 50 sous le communisme et nous avons souffert.

Mais les sept ans avec ce Nonce ont été pires que les deux autres choses !”. Je me demande parfois : combien de personnes peuvent dire la même chose de l’évêque qu’ils ont ou du curé? Combien de personnes? Non, sans liberté, sans paternité rien ne va.

La riche tradition chrétienne

Deuxième mot – le premier était la liberté – : la créativité. Vous êtes les fils d’une grande tradition. Votre expérience religieuse trouve sa source dans la prédication et le ministère des figures lumineuses des saints Cyrille et Méthode. Ceux-ci nous enseignent que l’évangélisation n’est jamais une simple répétition du passé.

La joie de l’Évangile c’est toujours le Christ, mais les voies qui permettent à cette bonne nouvelle de se frayer un chemin dans le temps et dans l’histoire sont diverses. Les voies sont toutes différentes.

Cyrille et Méthode ont parcouru ensemble cette partie du continent européen et, brûlants de passion pour l’annonce de l’Évangile, ils sont arrivés à inventer un nouvel alphabet pour traduire la Bible, les textes liturgiques et la doctrine chrétienne.

C’est ainsi qu’ils sont devenus des apôtres de l’inculturation de la foi auprès de vous. Ils furent des inventeurs de nouveaux langages pour transmettre la foi, ils ont été créatifs dans la traduction du message chrétien, ils ont été si proches de l’histoire des peuples qu’ils rencontraient qu’ils ont parlé leur langue et assimilé leur culture. La Slovaquie n’a-t-elle pas encore besoin de cela aujourd’hui ? Je me demande.

N’est-ce pas là la tâche la plus urgente de l’Église auprès des peuples de l’Europe : trouver de nouveaux “alphabets” pour dire la foi ? Nous avons en arrière-plan une riche tradition chrétienne, mais, pour la vie de nombreuses personnes aujourd’hui, elle reste dans le souvenir d’un passé qui ne parle plus et qui n’oriente plus les choix de l’existence.

Face à la perte du sens de Dieu et de la joie de la foi, il ne sert à rien de se lamenter, de se retrancher dans un catholicisme défensif, de juger et d’accuser le monde de mauvais, non, la créativité de l’Évangile est nécessaire. Faisons attention ! L’Évangile n’a pas encore été fermé, il est ouvert ! Il est en vigueur, il est en vigueur, il va de l’avant.

Rappelons-nous ce que firent ces hommes qui voulaient porter un paralytique devant Jésus et qui ne réussissaient pas à passer par la porte d’entrée. Ils ouvrirent une brèche sur le toit et le descendirent d’en haut (cf. Mc 2, 1-5). Ils furent créatifs !

Face à la difficulté – “Mais comment faisons-nous? Ah, faisons cela” –, devant, peut-être, une génération qui ne croit pas, qui a perdu le sens de la foi, ou qui a réduit la foi à une habitude ou à une culture plus ou moins acceptable, ouvrons un trou et soyons créatifs ! Liberté, créativité…Qu’il est beau de savoir trouver des voies, des façons et des langages nouveaux pour annoncer l’Évangile !

Et nous pouvons aider avec la créativité humaine, même chacun de nous a cette possibilité, mais le grand créateur est l’Esprit Saint! C’est Lui qui nous pousse à être créatifs ! Si, par notre prédication et par notre pastorale, nous ne parvenons plus à entrer par la voie ordinaire, cherchons à ouvrir des espaces différents, expérimentons d’autres voies.

Et j’ouvre ici une parenthèse. La prédication. Quelqu’un m’a dit que dans “Evangelii gaudium”, je me suis trop arrêté sur l’homélie, parce que c’est l’un des problèmes de ce temps. Oui, l’homélie n’est pas un sacrement, comme le prétendaient certains protestants, mais c’est un sacramental ! Ce n’est pas un sermon de Carême, non, c’est autre chose. Elle est au cœur de l’Eucharistie.

Et pensons aux fidèles, qui doivent entendre des homélies de 40 minutes, 50 minutes, sur des sujets qu’ils ne comprennent pas, qui ne les touchent pas… S’il vous plaît, prêtres et évêques, pensez bien à la façon de préparer l’homélie, à la façon de la faire, pour qu’il y ait un contact avec les gens et qu’ils prennent inspiration du texte biblique.

Une homélie ne doit normalement pas dépasser dix minutes, parce que les gens perdent l’attention après huit minutes, à condition qu’elle soit très intéressante. Mais le temps devrait être 10-15 minutes, pas plus. Un professeur que j’ai eu en homilétique, disait qu’une homélie doit avoir une cohérence interne : une idée, une image et une affection ; que les gens s’en aillent avec une idée, une image et quelque chose qui a bougé dans leur cœur.

L’annonce de l’Évangile est simple ! Et ainsi prêchait Jésus qui prenait les oiseaux, qui prenait les champs, qui prenait ceci… les choses concrètes, mais que les gens comprenaient. Excusez-moi de revenir sur cela, mais je m’inquiète… [Applaudissements] Je me permets une malignité : les applaudissements ont commencé par les sœurs, qui sont victimes de nos homélies !

Cyrille et Méthode ont ouvert cette nouvelle créativité, l’ont fait et nous disent ceci : l’Évangile ne peut pas croître s’il n’est enraciné dans la culture d’un peuple, c’est-à-dire dans ses symboles, dans ses interrogations, dans ses paroles, dans sa manière d’être. Les deux frères ont été beaucoup gênés et persécutés, vous le savez.

Ils étaient accusés d’hérésie parce qu’ils avaient osé traduire la langue de la foi. Voilà l’idéologie qui naît de la tentation d’uniformiser. Derrière le désir d’être uniforme, il y a une idéologie. Mais l’évangélisation est un processus d’inculturation : elle est une semence féconde de nouveauté, la nouveauté de l’Esprit qui renouvelle toute chose.

Le paysan sème – dit Jésus –, puis il rentre chez lui et dort. Il ne se lève pas pour voir si ça pousse, si ça germe… C’est Dieu qui donne la croissance. Ne contrôlons pas trop en ce sens la vie : laissons que la vie grandisse, comme l’ont fait Cyrille et Méthode. Il nous revient de bien semer et de garder comme pères, cela oui. Le paysan garde, mais il ne va pas là tous les jours voir comment ça grandit. S’il fait ça, il tue la plante.

Le souvenir des blessures, brèches pour imiter Dieu

Liberté, créativité, et enfin, le dialogue. Une Église, qui forme à la liberté intérieure et responsable, qui sait être créative en s’immergeant dans l’histoire et dans la culture, est aussi une Église qui sait dialoguer avec le monde, avec ceux qui confessent le Christ sans être “des nôtres”, avec ceux qui vivent la fatigue d’une recherche religieuse, même avec ceux qui ne croient pas.

Elle n’est pas sélective d’un petit groupe, non, elle dialogue avec tout le monde : avec les croyants, avec ceux qui font progresser la sainteté, avec les tièdes et avec les non-croyants. Elle parle à tout le monde. C’est une Église qui, à l’exemple de Cyrille et de Méthode, unit et maintient ensemble l’Orient et l’Occident, des traditions et des sensibilités différentes.

Une Communauté qui, en annonçant l’Évangile de l’amour, fait germer la communion, l’amitié et le dialogue entre les croyants, entre les différentes confessions chrétiennes et entre les peuples.

L’unité, la communion et le dialogue sont toujours fragiles, surtout quand il y a derrière une histoire de souffrances qui a laissé des cicatrices. Le souvenir des blessures peut entraîner le ressentiment, la méfiance, et même le mépris, en incitant à élever des barrières devant ceux qui sont différents de nous

. Mais les blessures peuvent être des brèches, des ouvertures qui, en imitant les plaies du Seigneur, font passer la miséricorde de Dieu, sa grâce qui change la vie et nous transforme en artisans de paix et de réconciliation. Je sais que vous avez un proverbe : « A celui qui te jette une pierre, toi, donnes un pain ». Ça nous inspire. Ceci est très évangélique !

C’est l’invitation de Jésus à briser le cercle vicieux et destructeur de la violence, en présentant l’autre joue à ceux qui nous frappent, pour vaincre le mal par le bien (cf. Rm 12, 21). Je suis frappé par un détail de l’histoire du Cardinal Korec. C’était un Cardinal jésuite, persécuté par le régime, emprisonné et obligé à travailler durement jusqu’à ce qu’il tombe malade.

Quand il est venu à Rome pour le Jubilé de l’An 2000, il est allé dans les catacombes et a allumé un luminaire pour ses persécuteurs, en invoquant pour eux la miséricorde. Voilà l’Évangile ! Voilà l’Évangile ! Il grandit dans la vie et dans l’histoire à travers l’amour humble, à travers l’amour patient.

Chers amis, je rends grâce à Dieu d’être parmi vous, et je vous remercie de tout cœur pour ce que vous faites et pour ce que vous êtes, et pour ce que vous ferez en vous inspirant de cette homélie, qui est aussi une graine que je sème…

Voyons si les plantes poussent ! Je vous souhaite de poursuivre votre chemin dans la liberté de l’Évangile, dans la créativité de la foi et dans le dialogue jaillissant de la miséricorde de Dieu qui nous a rendus frères et sœurs, et nous appelle à être artisans de paix et de concorde. Je vous bénis de tout cœur. Et, s’il vous plaît, priez pour moi.

Merci !


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Que l’Europe retrouve ses racines chrétiennes

Que l’Europe  retrouve ses racines chrétiennes

Première étape du voyage apostolique en Slovaquie, une rencontre œcuménique avec les représentants des Églises du pays s’est tenue à la nonciature apostolique de Bratislava, la capitale, dimanche 12 septembre. Dans son discours, le Pape François a interpellé les chrétiens du Vieux continent, les invitant à renouer avec «l’ardeur de l’annonce et la prophétie du témoignage».

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VOYAGE APOSTOLIQUE DU SAINT-PÈRE
À BUDAPEST, À L’OCCASION DE LA MESSE DE CLÔTURE
DU 52e CONGRÈS EUCHARISTIQUE INTERNATIONAL, ET EN SLOVAQUIE
(12-15 SEPTEMBRE 2021)

RENCONTRE ŒCUMÉNIQUE

DISCOURS DU SAINT-PÈRE FRANÇOIS

Nonciature apostolique à Bratislava
Dimanche 12 septembre 2021

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Chers Membres du Conseil Œcuménique des Églises en République slovaque,

je vous salue cordialement et vous remercie d’avoir accepté l’invitation et d’être venus à ma rencontre: moi en tant que pèlerin en Slovaquie, vous comme hôtes bienvenus à la Nonciature ! Je suis content que la première rencontre soit avec vous : c’est un signe que la foi chrétienne est – et veut être –, dans ce pays, germe d’unité et levain de fraternité.

Merci Béatitude, Frère Rastislav, pour votre présence ; merci cher Monseigneur Ivan, Président du Conseil Œcuménique, pour les paroles que vous m’avez adressées et qui témoignent de la volonté de continuer à marcher ensemble pour passer du conflit à la communion. La marche de vos communautés a repris après les années de persécution athéiste, alors que la liberté religieuse était interdite ou mise à dure épreuve.

Enfin, elle est arrivée. Et maintenant vous avez en commun une partie du parcours sur lequel vous expérimentez combien il est beau, mais en même temps difficile, de vivre la foi comme des personnes libres. En effet il existe la tentation de redevenir esclaves, certes, non pas d’un régime, mais d’un esclavage encore pire, l’esclavage intérieur.

C’est ce contre quoi Dostoïevski mettait en garde dans un récit célèbre, la Légende du Grand Inquisiteur. Jésus est revenu sur la Terre et est emprisonné. L’inquisiteur prononce des paroles cinglantes : l’accusation qu’il porte est précisément celle d’avoir donné trop d’importance à la liberté des hommes.

Il lui dit : « Tu veux aller au monde les mains vides, en prêchant aux hommes une liberté que leur sottise et leur ignominie naturelles les empêchent de comprendre, une liberté qui leur fait peur, car il n’y a et il n’y a jamais rien eu de plus intolérable pour l’homme ! » (Les Frères Karamazov, Galimard 1994, p. 644).

Et il augmente la dose, en ajoutant que les hommes sont disposés à échanger volontiers leur liberté avec l’esclavage le plus confortable, celui qui consiste à se soumettre à quelqu’un qui décide pour eux, pour avoir du pain et une sécurité.

Et il en arrive ainsi à reprocher à Jésus de ne pas avoir voulu devenir César pour plier la conscience des hommes et établir la paix par la force. Au contraire, il continué à préférer pour l’homme la liberté, alors que l’humanité réclame “du pain et rien d’autre”.

Chers Frères, que cela ne nous arrive pas ; aidons-nous à ne pas tomber dans le piège de se contenter de pain et de rien d’autre. Car ce risque survient lorsque la situation se normalise, lorsque nous nous sommes établis et que nous nous installons dans le but de mener une vie tranquille.

Alors, ce que l’on vise n’est plus « la liberté que nous avons dans le Christ Jésus » (Ga 2, 4), sa vérité qui nous rend libres (cf. Jn 8, 32), mais l’obtention d’espaces et de droits qui, selon l’Évangile, sont “du pain et rien d’autre”. Ici, au cœur de l’Europe, on en vient à se demander : nous chrétiens, n’avons-nous pas un peu perdu l’ardeur de l’annonce et la prophétie du témoignage ?

Est-ce la Vérité de l’Évangile qui nous rend libres, ou bien nous sentons-nous libres lorsque nous nous dégageons des comfort zone qui nous permettent de nous gérer et d’avancer sereinement sans contrecoups particuliers ? Et encore, en nous contentant de pain et de sécurité, n’avons-nous pas perdu l’élan dans la recherche de l’unité implorée par Jésus ?

Unité qui exige certainement une liberté mûre de choix forts – renoncements et sacrifices – mais qui est la condition préalable pour que le monde croie. (cf. Jn 17, 21). Ne nous intéressons pas seulement à ce qui peut servir à nos différentes communautés. La liberté du frère et de la sœur est aussi notre liberté, parce que notre liberté n’est pas complète sans lui ou elle.

Ici l’évangélisation est née de manière fraternelle, en portant le sceau des saints frères de Thessalonique Cyrille et Méthode. Ceux-ci, témoins d’une chrétienté encore unie et enflammée par l’ardeur de l’annonce, nous aident à poursuivre le chemin en cultivant la communion fraternelle entre nous au nom de Jésus.

Par ailleurs, comment pouvons-nous souhaiter une Europe qui retrouve ses racines chrétiennes si nous sommes nous-mêmes les premiers déracinés de la pleine communion ? Comment pouvons-nous rêver d’une Europe libre d’idéologies si nous n’avons pas la liberté de faire passer la liberté de Jésus avant les nécessités des différents groupes de croyants ?

Il est difficile d’exiger une Europe davantage fécondée par l’Évangile sans se préoccuper du fait que nous sommes encore divisés entre nous sur le continent et sans prendre soin les uns des autres. Des calculs de convenance, des raisons historiques et des liens politiques ne peuvent pas être des obstacles inébranlables sur notre chemin.

Que les saints Cyrille et Méthode, « précurseurs de l’œcuménisme » (S. Jean-Paul II, Lett.enc. Slavorum Apostoli, n. 14), nous aident à nous prodiguer pour une réconciliation des diversités dans l’Esprit Saint ; pour une unité qui, sans être uniformité, soit un signe et un témoignage de la liberté du Christ, le Seigneur qui dénoue les nœuds du passé et nous guérit de nos peurs et de nos timidités.

A leur époque, Cyrille et Méthode ont permis que la Parole divine s’incarne sur ces terres (cf. Jn 1, 14). Je voudrais vous proposer deux suggestions dans cette perspective, des conseils fraternels pour répandre l’Évangile de la liberté et de l’unité aujourd’hui. Le premier conseil, la première suggestion concerne la contemplation.

Un caractère distinctif des peuples slaves, qu’il vous appartient ensemble de conserver, c’est le trait contemplatif, qui, à partir d’une foi expérimentale, va au-delà des conceptualisations philosophiques et même théologiques, et qui sait accueillir le mystère.

Aidez-vous à cultiver cette tradition spirituelle dont l’Europe a tant besoin : l’Occident religieux en particulier en a soif, pour retrouver la beauté de l’adoration de Dieu et l’importance de ne pas concevoir avant tout la communauté de foi sur la base d’une efficacité programmatique et fonctionnelle.

Le deuxième conseil concerne en revanche l’action. L’unité ne s’obtient pas tant avec de bonnes intentions ni par l’adhésion à quelques valeurs communes, mais en faisant quelque chose ensemble pour ceux qui nous rapprochent davantage du Seigneur. Qui sont-ils ? Ce sont les pauvres parce que Jésus est présent en eux (cf. Mt 25, 40). Partager la charité ouvre des horizons plus larges et aide à marcher plus vite, en surmontant les préjugés et les malentendus.

Et c’est aussi une caractéristique qui trouve un accueil véritable dans ce pays où on apprend par cœur à l’école une poésie qui contient, entre autres, un très beau passage : « Lorsque la main étrangère frappe à notre porte avec une confiance sincère : qui que ce soit, s’il vient d’à côté ou de loin, de jour ou de nuit, sur notre table il y aura le don de Dieu à l’attendre » (Samo Chalupka, Mor ho !, 1864).

Que le don de Dieu soit présent sur la table de chacun afin que, même si nous ne sommes pas encore capables de partager le même repas eucharistique, nous puissions accueillir ensemble Jésus en le servant dans les pauvres.

Ce sera un signe plus évocateur que de nombreuses paroles, et aidera la société civile à comprendre, spécialement en ce temps de souffrance, que c’est seulement en étant du côté des plus faibles que nous sortirons vraiment tous ensemble de la pandémie.

Chers frères, je vous remercie pour votre présence et pour votre cheminement : le caractère doux et accueillant, typique du peuple slovaque, la traditionnelle cohabitation pacifique entre vous et votre collaboration pour le bien du pays sont précieuses pour la fermentation de l’Évangile.

Je vous encourage à avancer sur le chemin œcuménique, trésor précieux et indispensable. Je vous assure de mon souvenir dans la prière et vous demande, s’il vous plaît, de prier pour moi. Merci.


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Promouvoir la fraternité

Promouvoir la fraternité

Ce matin, dans la salle de marbre du musée des Beaux-Arts de Budapest, le Saint-Père François a rencontré les représentants du Conseil œcuménique des Églises et de certaines communautés juives de Hongrie. Après les salutations d’un représentant de la communauté chrétienne et d’un représentant de la communauté juive, le Pape a prononcé son discours. À la fin, après la récitation du Psaume et la photo de groupe, le Pape François s’est rendu sur la Place des Héros pour la Sainte Messe à la fin du 52e Congrès eucharistique international.

VOYAGE APOSTOLIQUE DU SAINT-PÈRE
À BUDAPEST, À L’OCCASION DE LA MESSE DE CLÔTURE
DU 52e CONGRÈS EUCHARISTIQUE INTERNATIONAL, ET EN SLOVAQUIE
(12-15 SEPTEMBRE 2021)

RENCONTRE AVEC LES REPRÉSENTANTS DU CONSEIL ŒCUMÉNIQUE DES ÉGLISES
ET QUELQUES COMMUNAUTÉS JUIVES D’HONGRIE

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS

Musée des Beaux-Arts (Budapest)
Dimanche 12 septembre 2021

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Chers frères !

Je suis heureux de vous rencontrer. Vos paroles, pour lesquels je vous remercie, ainsi que votre présence l’un à côté de l’autre, expriment un grand désir d’unité. Elles disent un cheminement, parfois en montée, pénible par le passé, mais que vous affrontez avec courage et bonne volonté, en vous soutenant mutuellement sous le regard du Très-Haut qui bénit les frères vivant ensemble (cf. Ps 133, 1).

Je vous vois comme des frères dans la foi au Christ, et je bénis le parcours de communion que vous poursuivez. Les paroles du frère calviniste [évêque József Steinbach, Président du Conseil Œcuménique des Églises de Hongrie] m’ont touché, merci.

Je me rends par la pensée dans l’Abbaye de Pannonhalma, centre spirituel vivant de ce pays où vous vous êtes retrouvés, il y a trois mois, pour réfléchir et prier ensemble. Prier ensemble, les uns pour les autres, et œuvrer ensemble dans la charité, les uns avec les autres, pour ce monde que Dieu aime tant (cf. Jn 3, 16) : voilà la voie la plus concrète vers la pleine unité.

Je vous vois comme des frères dans la foi d’Abraham notre père, et merci à vous [rabbin Zoltán Radnóti], pour ces paroles si profondes qui m’ont touché le cœur. J’apprécie beaucoup l’engagement dont vous avez fait preuve afin d’abattre les murs de séparation du passé. Juifs et chrétiens, vous désirez voir dans l’autre non plus un étranger, mais un ami ; non plus un adversaire, mais un frère.

C’est le changement de regard béni par Dieu, la conversion qui ouvre de nouveaux départs, la purification qui renouvelle la vie. Les fêtes solennelles de Rosh Hashanah et du Yom Kippour, qui tombent justement en cette période-ci, et pour lesquelles je vous présente mes meilleurs vœux, sont des occasions de grâce pour renouveler l’adhésion à ces invitations spirituelles.

Le Dieu de nos pères ouvre toujours de nouvelles voies : de même qu’il a transformé le désert en une voie vers la Terre Promise, de même il désire nous conduire des déserts arides de la haine et de l’indifférence vers la patrie tant désirée de la communion.

Ce n’est pas un hasard si, dans l’Écriture, ceux qui sont appelés à suivre de manière spéciale le Seigneur doivent toujours sortir, marcher, rejoindre des terres inexplorées et des espaces inédits. Pensons à Abraham qui a laissé maison, parenté et patrie. Celui qui suit Dieu est appelé à quitter.

Il nous est demandé de laisser les incompréhensions du passé, les prétentions d’avoir raison et de donner tort aux autres, pour nous mettre en chemin vers sa promesse de paix, car Dieu a toujours des projets de paix, jamais de malheur. (cf. Jr 29, 11).

Je voudrais reprendre avec vous l’image évocatrice du Pont des Chaînes, qui relie les deux parties de cette ville : il ne fusionne pas celles-ci mais les maintient unies. C’est ainsi que doivent être les liens entre nous. Chaque fois qu’il y a eu la tentation d’absorber l’autre, on n’a pas construit mais on a détruit. De même lorsqu’on a voulu le mettre dans un ghetto, au lieu de l’intégrer. Que de fois c’est arrivé dans l’histoire !

Nous devons veiller, nous devons prier pour que ça ne se reproduise plus. Et nous engager à promouvoir ensemble une éducation à la fraternité, afin que les relents de la haine qui veulent la détruire ne prévalent pas. Je pense à la menace de l’antisémitisme qui circule encore en Europe et ailleurs. C’est une mèche qui doit être éteinte.

Mais le meilleur moyen de la désamorcer c’est de travailler ensemble de manière positive, c’est de promouvoir la fraternité. Le Pont nous instruit encore : il est soutenu par de grandes chaînes, formées de nombreux anneaux. Nous sommes ces anneaux et chaque anneau est fondamental : c’est pourquoi nous ne pouvons plus vivre dans la suspicion et dans l’ignorance, distants et discordants.

Un pont met ensemble deux parties. Dans ce sens, il fait appel au concept, fondamental dans l’Écriture, d’alliance. Le Dieu de l’alliance nous demande de ne pas céder aux logiques d’isolement et d’intérêts partisans. Il ne veut pas d’alliances avec l’un au détriment des autres, mais des personnes et des communautés qui soient des ponts de communion avec tout le monde.

Dans ce pays, vous qui représentez les religions majoritaires, vous avez le devoir de favoriser les conditions pour que la liberté religieuse soit respectée et promue par tous. Et vous avez un rôle exemplaire envers chacun : que personne ne puisse dire que des paroles qui divisent sortent de la bouche d’hommes de Dieu, mais seulement des messages d’ouverture et de paix.

Dans un monde déchiré par de nombreux conflits, c’est le meilleur témoignage que doivent offrir ceux qui ont reçu la grâce de connaître le Dieu de l’alliance et de la paix.

Le Pont des Chaînes, outre le fait d’être le plus célèbre, est aussi le plus ancien de cette ville. Plusieurs générations l’ont traversé. Il nous invite ainsi à faire mémoire du passé. Nous y trouverons souffrances et obscurités, incompréhensions et persécutions mais, en allant aux racines, nous découvrirons un plus grand patrimoine spirituel commun. C’est là le trésor qui nous permet de construire ensemble un avenir différent.

Je pense aussi avec émotion à de nombreuses figures d’amis de Dieu qui ont irradié sa lumière dans les nuits du monde. Je cite, entre autres, un grand poète de ce pays, Miklós Radnóti, dont la carrière brillante a été brisée par la haine aveugle de ceux qui, seulement parce qu’il était d’origine juive, lui ont d’abord interdit d’enseigner et l’ont ensuite enlevé à sa famille.

Enfermé dans un camp de concentration, l’abîme le plus obscure et dépravé de l’humanité, il a continué à écrire des poésies jusqu’à sa mort. Son Carnet de Bord est l’unique recueil poétique qui a survécu à la Shoah : il témoigne de la force de croire à la chaleur de l’amour dans le froid du lager et d’illuminer l’obscurité de la haine avec la lumière de la foi.

L’auteur, étouffé par les chaînes qui lui oppressaient l’âme, a trouvé dans une liberté supérieure le courage d’écrire : « Captif, de tout espoir j’ai appris la mesure » (Carnet de Bord, Lettre à sa femme). Et il a posé une question qui résonne encore pour nous aujourd’hui : « Et toi comment vis-tu ? Trouve-t-elle écho, ta voix, dans cette époque ? » (Carnet de Bord, Première Églogue).

Nos voix, chers frères, ne peuvent que se faire l’écho de cette Parole que le Ciel nous a donnée, écho d’espérance et de paix. Et même si nous ne sommes pas écoutés, ou si nous sommes incompris, ne démentons jamais par les faits la Révélation dont nous sommes témoins.

A la fin, dans la solitude désolée du camp de concentration, alors qu’il se rendait compte que sa s’en allait, Radnóti a écrit : « Moi-même je suis racine à présent… J’étais une fleur, je suis devenu racine » (Carnet de Bor, Racine). Nous sommes appelés, nous aussi, à devenir des racines. Nous cherchons souvent les fruits, les résultats, l’affirmation.

Mais celui qui fait fructifier sa Parole en terre, avec la même douceur que la pluie qui fait germer le champ (cf. Is 55, 10), nous rappelle que nos chemins de foi sont semences : des semences qui se transforment en racines souterraines, des racines qui alimentent la mémoire et font germer l’avenir.

C’est ce que nous demande le Dieu de nos pères, car – comme l’écrivait un autre poète – « Dieu attend ailleurs, il attend tapi au fond de toute chose. En bas. Enfoui profondément. Là où sont les racines » (R.M. Rilke, Wladmir, le peintre des nuages). On rejoint la hauteur seulement si l’on est enraciné en profondeur.

Enracinés dans l’écoute du Très-Haut et des autres, nous aiderons nos contemporains à s’accueillir et à s’aimer. C’est seulement lorsque nous serons des racines de paix et des germes d’unité que nous serons crédibles aux yeux du monde qui nous regarde, avec la nostalgie que fleurisse l’espérance. Merci et bon cheminement ensemble, merci ! Désolé si j’ai parlé assis, mais je n’ai pas 15 ans. Merci.


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