Par le lavement des pieds et l’institution de l’Eucharistie, Jésus manifeste l’amour motivant le don de sa vie comme Serviteur pour le salut des hommes. En face, le « disciple bien-aimé » et Judas représentent deux réponses.
Le premier vit en intimité toute particulière, proche du cœur de Jésus comme Jésus est lui-même caché dans le cœur du Père. Il est tout accueil au don du Seigneur et a compris que son cœur en est la source, ce cœur qui sera transpercé et duquel jailliront l’eau qui purifie et le sang qui donne la vie, ce cœur qui est la porte ouverte vers une relation restaurée et renouvelée avec notre Père du ciel.
Si Jésus lui confie qui va le livrer c’est sans doute parce qu’il sait que chez lui cela ne suscitera aucune haine mais au contraire une compassion à l’image de celle qui habite son propre cœur.
Le cas de Judas est troublant. Était-il prédestiné à cela ? Et s’il n’avait pas trahi, y aurait-il eu un autre apôtre pour le faire ? La seule chose que nous pouvons affirmer de façon sûre est qu’il est hors de question que les acteurs du drame de l’arrestation, du procès et de la mort de notre Seigneur aient été de simples marionnettes. La Passion est un tout auquel ont concouru un ensemble de libertés : Pilate, les juifs qui lui livrèrent le Seigneur, Judas aussi.
C’est librement que Judas a trahi Jésus. Sa réaction au geste du Seigneur à son égard le dit bien. En effet, offrir une bouchée de pain après l’avoir trempée dans le plat était le geste que le Maître de maison se réservait pour honorer tout particulièrement un hôte de marque. Et Judas a bien perçu l’intention du Seigneur puisque saint Jean nous précise que c’est quand il «eut pris la bouchée, que Satan entra en lui».
Au moment où Jésus invite une dernière fois Judas à accueillir le don de son amour, lui qui avait été choisi comme tous les autres apôtres pour «être avec lui», ce dernier décide de s’en couper définitivement. Dès lors, il ne peut que s’éloigner dans la ténèbre : «quand il eut pris la bouchée, il sortit aussitôt ; il faisait nuit», nous dit saint Jean.
Pierre trahira lui aussi Jésus mais il ne se dérobera pas à son regard miséricordieux après que le coq aura chanté trois fois : «Se retournant, Jésus posa son regard sur Pierre ; et Pierre se rappela la parole que le Seigneur lui avait dite. Il sortit et pleura amèrement» (Lc 22, 61-62).
Seigneur, s’il nous arrivait de te trahir, fais-nous la grâce de savoir reconnaître notre faute en confessant ton infinie miséricorde toujours disponible.
Aujourd’hui, je voudrais m’arrêter un peu sur la Semaine Sainte. Avec le Dimanche des Rameaux, nous avons commencé cette Semaine — cœur de toute l’Année liturgique — dans laquelle nous accompagnons Jésus dans sa Passion, sa Mort et sa Résurrection.
Détail de vitrail de la cathédrale S-Corentin – Quimper
Mais que peut vouloir dire pour nous vivre la Semaine Sainte ? Que signifie suivre Jésus dans son chemin sur le Calvaire vers la Croix et la Résurrection ? Dans sa mission terrestre, Jésus a parcouru les routes de la Terre Sainte ; il a appelé douze personnes simples afin qu’elles demeurent avec Lui, qu’elles partagent son chemin et poursuivent sa mission ; il les a choisies parmi le peuple plein de foi dans les promesses de Dieu.
Il a parlé à tous, sans distinction, aux grands et aux humbles, au jeune homme riche et à la veuve pauvre ; aux puissants et aux faibles ; il a apporté la miséricorde et le pardon de Dieu ; il a guéri, réconforté, compris ; il a donné l’espérance ; il a porté à tous la présence de Dieu qui s’intéresse à tout homme et toute femme, comme le fait un bon père et une bonne mère à l’égard de chacun de ses enfants.
Dieu n’a pas attendu que nous allions à Lui, mais c’est Lui qui est venu à nous, sans calculs, sans mesures. Dieu est ainsi : Il fait toujours le premier pas, Il vient vers nous. Jésus a vécu les réalités quotidiennes des personnes les plus communes : il s’est ému devant la foule qui semblait un troupeau sans pasteur ; il a pleuré devant les souffrances de Marthe et Marie pour la mort de leur frère Lazare ; il a appelé un publicain à être son disciple ; il a également subi la trahison d’un ami.
En Lui, Dieu nous donné la certitude qu’il est avec nous, parmi nous. « Les renards — a-t-Il dit — les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l’homme, lui, n’a pas où reposer la tête » (Mt 8, 20). Jésus n’a pas de maison car sa maison, ce sont les personnes, c’est nous, sa mission est d’ouvrir à tous les portes de Dieu, être la présence d’amour de Dieu.
Dans la Semaine Sainte, nous vivons le sommet de ce chemin, de ce dessein d’amour qui parcourt toute l’histoire des relations entre Dieu et l’humanité. Jésus entre à Jérusalem pour accomplir le dernier pas, dans lequel se résume toute son existence : il se donne totalement, il ne garde rien pour lui, pas même la vie. Au cours de la Dernière Cène, avec ses amis, il partage le pain et distribue la coupe « pour nous ».
Le Fils de Dieu s’offre à nous, il remet entre nos mains son Corps et son Sang pour être toujours avec nous, pour habiter parmi nous. Et au Jardin des Oliviers, comme dans le procès devant Pilate, il n’oppose aucune résistance, il se donne ; c’est le Serviteur souffrant annoncé par Isaïe qui se dépouille lui-même jusqu’à la mort (cf. Is 53, 12).
Jésus ne vit pas cet amour qui conduit au sacrifice de façon passive ou comme un destin fatal ; certes, il ne cache pas son profond tourment humain face à la mort violente, mais il se remet avec une pleine confiance au Père.
Jésus s’est livré volontairement à la mort pour répondre à l’amour de Dieu le Père, en union parfaite avec sa volonté, pour démontrer son amour pour nous. Sur la Croix, Jésus « m’a aimé et s’est livré pour moi » (Ga 2, 20). Chacun de nous peut dire : Il m’a aimé et s’est livré pour moi. Chacun peut dire ce « pour moi ».
Que signifie tout cela pour nous ? Cela signifie que c’est également mon chemin, ton chemin, notre chemin.
Vivre la Semaine Sainte en suivant Jésus non seulement avec l’émotion du cœur ; vivre la Semaine Sainte en suivant Jésus signifie apprendre à sortir de nous-mêmes pour aller à la rencontre des autres, pour aller vers les périphéries de l’existence, faire le premier pas vers nos frères et nos sœurs, en particulier ceux qui sont le plus éloignés, ceux qui sont oubliés, ceux qui ont le plus besoin de compréhension, de réconfort, d’aide. Il y a tant besoin d’apporter la présence vivante de Jésus miséricordieux et riche d’amour !
Vivre la Semaine Sainte, c’est entrer toujours davantage dans la logique de Dieu, dans la logique de la Croix, qui n’est pas avant tout celle de la douleur et de la mort, mais celle de l’amour et du don de soi qui apporte la vie. C’est entrer dans la logique de l’Évangile. Suivre, accompagner le Christ, demeurer avec Lui exige de « sortir », sortir. Sortir de soi-même, d’une manière de vivre la foi lasse et routinière, de la tentation de s’enfermer dans nos propres schémas qui finissent par refermer l’horizon de l’action créative de Dieu.
Dieu est sorti de lui-même pour venir au milieu de nous, il a planté sa tente parmi nous pour nous apporter sa miséricorde qui sauve et donne espérance. Nous aussi, si nous voulons le suivre et rester avec Lui, nous ne devons pas nous contenter de rester dans l’enclos des quatre-vingt-dix-neuf brebis, nous devons « sortir », chercher avec Lui la brebis égarée, la plus éloignée. Souvenez-vous bien : sortir de nous-mêmes, comme Jésus, comme Dieu est sorti de lui-même en Jésus et Jésus est sorti de lui-même pour nous tous.
Quelqu’un pourrait me dire : « Mais, mon père, je n’ai pas le temps », « j’ai beaucoup de choses à faire », « c’est difficile », « que puis-je faire moi avec mon peu de forces, avec mon péché aussi, avec tant de choses ».
Souvent, nous nous contentons de quelques prières, d’une Messe dominicale distraite et pas régulière, de quelques gestes de charité, mais nous n’avons pas ce courage de « sortir » pour apporter le Christ.
Nous sommes un peu comme saint Pierre. À peine Jésus parle-t-il de la passion, de la mort et de la résurrection, de don de soi, d’amour pour tous, l’Apôtre le prend à part et le blâme. Ce que dit Jésus bouleverse ses plans, apparaît inacceptable, met en difficulté les sécurités qu’il s’était construites, son idée de Messie.
Et Jésus regarde les disciples et adresse à Pierre peut-être l’une des paroles les plus dures des Évangiles : « Passe derrière moi, Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mc 8, 33).
Dieu pense toujours avec miséricorde : n’oubliez pas ceci. Dieu pense toujours avec miséricorde : il est le Père miséricordieux ! Dieu pense comme le père qui attend le retour de son fils et va à sa rencontre, le voit venir lorsqu’il est encore loin…
Qu’est-ce que cela signifie ? Que tous les jours il allait voir si son fils rentrait à la maison : tel est notre Père miséricordieux. C’est le signe qu’il l’attendait de tout cœur depuis la terrasse de chez lui.
Dieu pense comme le samaritain qui ne passe pas près du malheureux en le plaignant ou en regardant ailleurs, mais en le secourant sans rien demander en échange ; sans demander s’il était juif, s’il était païen, s’il était samaritain, s’il était riche, s’il était pauvre : il ne demande rien. Il ne demande pas ces choses-là, il ne demande rien. Il lui vient en aide : Dieu est ainsi. Dieu pense comme le pasteur qui donne sa vie pour défendre et sauver les brebis.
La Semaine Sainte est un temps de grâce que le Seigneur nous donne pour ouvrir les portes de notre cœur, de notre vie, de nos paroisses — quelle peine toutes ces paroisses fermées ! —, des mouvements, des associations, et « sortir » à la rencontre des autres, nous faire proches pour apporter la lumière et la joie de notre foi.
Sortir toujours ! Et cela avec amour et avec la tendresse de Dieu, dans le respect et dans la patience, en sachant que c’est nous qui mettons nos mains, nos pieds, notre cœur, mais c’est ensuite Dieu qui les guide et rend fécondes chacune de nos actions.
Je souhaite à tous de bien vivre ces jours en suivant le Seigneur avec courage, en apportant en nous-mêmes un rayon de son amour à ceux que nous rencontrons.
Notre monde a besoin de la présence vive de Jésus miséricordieux et riche d’amour. Je vous invite tous à bien vivre cette Semaine Sainte en suivant le Seigneur avec courage et en portant un rayon de son amour à ceux que vous rencontrerez. Bonne fête de Pâques !
PAPE FRANÇOIS AUDIENCE GÉNÉRALE – Place Saint-Pierre à Rome – mercredi 27 mars 2013
Le Pape François ce dimanche 9 avril a célébré, sur la place Saint-Pierre, la messe des Rameaux, qui ouvre la Semaine Sainte . Il a appelé à apprendre à voir Jésus en celui qui souffre aujourd’hui, comme Jésus a souffert sur la Croix, en cette célébration à la fois «joyeuse et douloureuse». Une célébration qui coïncide aussi avec la journée mondiale de la jeunesse. Voici son homélie :
Giotto la fête des Rameaux
Cette célébration a comme une double saveur, douce et amère ; elle est joyeuse et douloureuse, car nous y célébrons le Seigneur qui entre dans Jérusalem et qui est acclamé par ses disciples en tant que roi. Et en même temps, le récit évangélique de sa passion est solennellement proclamé.
C’est pourquoi notre cœur sent le contraste poignant et éprouve dans une moindre mesure ce qu’a dû sentir Jésus dans son cœur en ce jour, jour où il s’est réjoui avec ses amis et a pleuré sur Jérusalem.
Depuis 32 ans, la dimension joyeuse de ce dimanche a été enrichie par la fête des jeunes : les Journées Mondiales de la Jeunesse, qui sont célébrées cette année au niveau diocésain, mais qui sur cette Place connaîtront sous peu un moment toujours émouvant, d’horizons ouverts, avec le remise de la Croix par les jeunes de Cracovie à ceux du Panama.
L’Évangile proclamé avant la procession (cf. Mt 21, 1-11) décrit Jésus qui descend du mont des Oliviers monté sur un ânon, sur lequel personne n’est jamais monté. Cet Évangile met en exergue l’enthousiasme des disciples, qui accompagnent le Maître par de joyeuses acclamations et on peut vraisemblablement imaginer comment cet enthousiasme a gagné les enfants et les jeunes de la ville, qui se sont unis au cortège par leurs cris.
Jésus lui-même reconnaît dans cet accueil joyeux une force imparable voulue par Dieu, et il répond aux pharisiens scandalisés : « Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40).
Mais ce Jésus, qui selon les Écritures, entre justement ainsi dans la ville sainte, n’est pas un naïf qui sème des illusions, un prophète ‘‘new age’’, un vendeur d’illusions, loin de là : il est un Messie bien déterminé, avec la physionomie concrète du serviteur, le serviteur de Dieu et de l’homme qui va vers la passion ; c’est le grand Patient de la douleur humaine.
Donc, tandis que nous aussi, nous fêtons notre Roi, pensons aux souffrances qu’il devra subir au cours de cette Semaine. Pensons aux calomnies, aux outrages, aux pièges, aux trahisons, à l’abandon, à la justice inique, aux parcours, aux flagellations, à la couronne d’épines…, et enfin à la via crucis jusqu’à la crucifixion.
Il l’avait clairement dit à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive « (Mt 16, 24). Il n’a jamais promis honneurs et succès. Les Évangiles sont clairs. Il a toujours prévenu ses amis que sa route était celle-là, et que la victoire finale passerait par la passion et la croix. Et cela vaut pour nous également.
Pour suivre fidèlement Jésus, demandons la grâce de le faire non pas par les paroles mais dans les faits, et d’avoir la patience de supporter notre croix : de ne pas la rejeter, de ne pas la jeter, mais en regardant Jésus, de l’accepter et de la porter, jour après jour.
Et ce Jésus, qui accepte d’être ovationné tout en sachant bien que le ‘‘crucifie-[le]’’ l’attend, ne nous demande pas de le contempler uniquement dans les tableaux ou sur les photographies, ou bien dans les vidéos qui circulent sur le réseau. Non ! Il est présent dans beaucoup de nos frères et sœurs qui aujourd’hui, aujourd’hui connaissent les souffrances comme lui : ils souffrent du travail d’esclaves, ils souffrent de drames familiaux, de maladies…
Ils souffrent à cause des guerres et du terrorisme, à cause des intérêts qui font mouvoir les armes et qui les font frapper. Hommes et femmes trompés, violés dans leur dignité, rejetés… Jésus est en eux, en chacun d’eux, et avec ce visage défiguré, avec cette voix cassée, il demande à être regardé, à être reconnu, à être aimé.
Ce n’est pas un autre Jésus : c’est le même qui est entré à Jérusalem au milieu des rameaux de palmiers et d’oliviers agités. C’est le même qui a été cloué à la croix et est mort entre deux malfaiteurs. Nous n’avons pas un autre Seigneur en dehors de lui : Jésus, humble Roi de justice, de miséricorde et de paix. »