Sixième Parole de Jésus sur la Croix

SIXIÈME PAROLE durant les trois heures avant la mort de Jésus

« Tout est accompli. »

II a terminé les affaires de Son Père. Il s’est occupé de pécheurs et de saints et pour finir nous a révélé les secrets de son Âme et de son Corps qui sont l’espoir des pécheurs aussi bien que des saints. Et pour lui il ne reste plus rien à faire.

Une Ère entièrement nouvelle est donc proche, maintenant que le dernier Sabbat est venu — dernier Sabbat plus grand que le Premier, dans la mesure où la Rédemption est plus grande que la Création. Car la Création n’est qu’une introduction au Livre de Vie, l’arrangement de matériaux mis presque aussitôt en désordre par l’homme qui devait être la couronne et le maître de cette Création.

L’Ancien Testament est un mélange d’erreurs, de fragments, de promesses avortées, d’engagements rompus, dont le point culminant est l’Erreur capitale du Calvaire alors que les hommes ne surent pas ce qu’ils faisaient. Et Dieu Lui-même dans le Nouveau Testament, comme l’homme dans l’Ancien, est enveloppé dans la catastrophe et pend ici mutilé et brisé. La vie réelle, donc, va maintenant commencer.

Cependant, assez étrangement, il l’appelle une fin plutôt qu’un commencement. Tout est consommé.

I. – La seule et unique chose dans la vie humaine à laquelle Dieu désire mettre fin c’est le Péché. Il n’est pas une joie pure, une douce relation humaine, une ambition sans égoïsme ou une divine espérance qu’il ne désire continuée, couronnée et transfigurée au-delà de toute ambition et de tout espoir.

Il ne désire, au contraire, mettre lin qu’à cette seule chose qui détruit les rapports, gâche les joies et empoisonne les aspirations. Car, jusqu’à présent, il n’est pas une page de l’histoire qui n’ait sur elle cette tâche.

Dieu a eu à tolérer, faute de mieux, de si misérables spécimens d’humanité ! Jacob que j’ai aimé !… David, un homme selon mon cœur ; l’un un pauvre homme méprisable, un calculateur qui eut, toutefois, cette unique lueur de surnaturel qu’Esaü avec toute sa vigueur joyeuse n’eut pas ; l’autre un meurtrier adultère, qui pourtant reçut la grâce à un degré suffisant pour une contrition réelle.

Jusqu’ici il s’est contenté de si peu. Il a accepté le vinaigre faute de vin.

Puis, Dieu eut à tolérer et même à sanctionner — culte si indigne de lui — tout le sang du temple et les entrailles répandues et les horreurs sans nom. Et pourtant c’était tout ce à quoi les hommes pouvaient s’élever, car sans cela, ils n’auraient jamais appris les horreurs bien plus innommables du péché.

Enfin, pour adorateur il a dû se contenter d’un seul peuple au lieu d’avoir tous les peuples et nations de l’univers. Et quel peuple ! — celui que Moïse lui-même ne pouvait supporter pour sa traîtrise et son inconstance.

Et toute cette odieuse histoire finit au Crime du Calvaire, devant lequel on vit la terre elle-même se révolter et le soleil s’obscurcir de honte. Est-il étonnant que le Christ crie merci à Dieu que tout ceci soit terminé enfin !

II. – Au lieu de ce passé misérable, que va-t-il donc advenir ? Quel est ce vin nouveau dont il boira avec nous dans le Royaume de son Père ? D’abord : des saints de Dieu, réels et complets, vont prendre la place des saints fragmentaires de l’Ancienne Dispensation, saints à la tête d’or et aux pieds d’argile.

Des âmes vont naître de nouveau par le Baptême, non simplement marquées par la circoncision et qu’il faut purifier avant qu’elles puissent d’elles-mêmes contracter aucun péché réel. Et de ces âmes, beaucoup garderont leur innocence baptismale et iront, portant cette robe blanche, devant Dieu qui la leur a donnée.

D’autres la perdront mais la regagneront et, par le pouvoir du Précieux Sang, s’élèveront à des hauteurs dont ni Jacob ni David n’ont pu même rêver. S’éveiller à sa ressemblance fut la plus haute ambition de l’homme selon le cœur de Dieu, et non seulement être comme le Christ, mais ne faire qu’un avec lui est l’espoir du Chrétien.

Je vis, diront avec vérité les nouveaux saints, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi.

Puis, au lieu de l’ancien culte de sang et de souffrance, il y aura un Sacrifice non sanglant et une Offrande pure dans lesquels seront toute la puissance et la propitiation du Calvaire sans sa souffrance, toute la gloire sans l’abaissement.

Et enfin à la place d’Israël, jalousement isolé, il y aura une Église de toutes nations et langues, une vaste société avec tous les murs abattus et toute division supprimée, une Jérusalem venue d’en haut qui sera notre Mère à tous.

III. – C’est donc là ce que le Christ voulait dire quand il s’est écrié : Tout est consommé. Voici que toutes les choses anciennes ont passé ! Voici, Je fais toutes choses nouvelles !

Et maintenant voyons jusqu’à quel point cette parole s’est accomplie. Où est, en moi, le vin nouveau de l’Évangile ?

J’ai tout ce que Dieu peut me donner du haut de son trône sur le Calvaire. J’ai la vérité qu’il a proclamée et la grâce qu’il a délivrée. Pourtant y a-t-il en moi, jusqu’à présent, même une faible lueur de ce qu’on entend par sainteté? Suis-je même à une distance appréciable des saints qui n’ont pas connu le Christ? Ai-je jamais lutté comme Jacob ou pleuré comme David?

C’est-à-dire : ma religion m’a-t-elle inspiré au point de me faire passer des vulgaires élévations de la joie aux sommets augustes de la souffrance ? Est-il possible que chez moi l’ancien n’ait pas été rejeté, que le vieil homme ne soit pas encore mort et que le nouvel homme ne commence pas encore à naître ? Est-ce que ce Nouveau Sacrifice est la lumière de ma vie de chaque jour ?

Ai-je fait quelque chose sinon entraver la croissance de l’Église du Christ, sinon faire descendre ses modèles, dans la mesure où j’en suis capable, à la bassesse de mon propre niveau ? Y a-t-il une seule âme maintenant dans le monde qui doive, après Dieu, sa conversion à mes efforts.

Or, quand je regarde ma vie et la passe en revue en sa présence, il semblerait que je n’ai rien fait d’autre que de le désappointer tous les jours de ma vie ! Il a crié, diacre de son propre sacrifice : « Allez ! c’est fini ! lte missa est. Le sacrifice est terminé, partez avec sa force pour vivre la vie qu’il rend possible ! »

Qu’au moins je commence aujourd’hui, ayant rompu pour toujours avec mes vieux compromis, mes expédients et mes faux-fuyants, lte missa est !

« Tout est accompli. » En Jésus, tout devient chrétien : la création, le paradis terrestre, la chute, le déluge, les prophètes, la nouvelle Jérusalem, les fins dernières. L’épopée du salut d’un peuple devient l’épopée du salut du monde.

Robert Hugh Benson – Paradoxes du Catholicisme – Le Sept Paroles (1913)

Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse