Troisième Parole de Jésus sur la Croix

LA TROISIÈME PAROLE avant la mort de Jésus

« Femme, voici voire fils. Voici voire mère. »

Notre Divin Maître, laissant maintenant l’âme qui, d’un bond, s’est élancée au premier rang, se tourne vers les deux âmes qui ne désertèrent jamais cette place, et, avant tout, vers cette Mère dont l’âme ne tut jamais effleurée par l’haleine du péché, sur le sein de laquelle le Dieu incarné avait reposé aussi inviolable et tranquille que sur le cœur du Père éternel, cette Mère qui fut son Ciel sur la terre.

Debout près d’Elle est le seul être humain qui soit le moins indigne d’y être, maintenant que Joseph a été chercher sa récompense et que Jean le Baptiste est parti rejoindre les Prophètes — le disciple que Jésus aimait, qui avait reposé sur la poitrine de Jésus comme Jésus avait reposé sur la poitrine de Marie.

Notre Seigneur vient de montrer comment il en use avec ses pécheurs ; il montre maintenant comment il sera glorifié dans ses saints. Le Paradoxe de cette Parole est que la mort qui divise et sépare ceux qui sont séparés de Dieu, est le lien d’union entre ceux qui lui sont unis.

I. — La mort est l’inexorable ennemie de la société humaine constituée en dehors de Dieu. Un roi meurt et son royaume est aussitôt en danger de se diviser. Un enfant meurt et sa mère prie pour qu’elle puisse en porter un autre de peur que son père et elle ne s’éloignent l’un de l’autre.

La mort est donc la semeuse suprême de discorde et de désunion dans l’ordre naturel, puisqu’elle est la suprême ennemie de la vie naturelle. Elle est la terreur de midi du Riche insensé de la parabole et le cauchemar du Pauvre insensé, puisque ceux qui placent leur espoir dans cette vie voient que la mort est la fin de leur espoir. Pour ceux-là il n’est point d’appel au-delà de la tombe.

II. — Or, précisément, l’opposé de tout ceci est vrai dans l’ordre surnaturel, puisque la porte de la mort, vue du côté du surnaturel, est un début et non une fin, un commencement et non une conclusion.

Il en est de même dans une famille humaine unie en ce monde, dont les membres vivent la vie surnaturelle, car là où vit une telle famille dans l’amour de Dieu, la mort, quand elle vient, réunit et rapproche non seulement les survivants, mais ceux-là même qu’elle semble avoir séparés. Elle n’apporte pas la consternation, la terreur et la désunion, mais éveille l’espoir et la tendresse, aplanit les anciens différends, dissipe les vieilles mésintelligences.

Notre bienheureux Maître a déjà donné à entendre sur la tombe de Lazare qu’il en sera ainsi, aussitôt qu’il aura, en mourant lui-même, consacré la mort par sa propre mort. Celai qui croit en moi ne mourra pas, c’est-à-dire, celui qui est mort avec le Christ, dont le centre dorénavant est dans le surnaturel, ne trouve plus que la mort est ce que la croit la nature.

Elle ne travaille plus en effet pour la division mais pour l’union, elle ne met plus en péril et ne termine plus la vie et l’intérêt et la possession, mais les délivre du risque et de ce qu’ils avaient de mortel.

Ici donc le Seigneur délibérément et explicitement, agit d’après cette vérité. Il a fait jadis se lever d’entre les morts Lazare et la fille de Jaïre et le fils de la Veuve, car l’aiguillon de la mort ne pouvait alors être autrement arraché, mais maintenant qu’il goûte Lui-même la mort pour chaque homme, il accomplit un acte encore plus solennellement surnaturel et triomphe de la mort en s’y soumettant, non en lui commandant.

La vie a déjà uni, autant que la vie mortelle peut unir, ces deux âmes qui l’aimaient tant et qui s’aimaient tant l’une l’autre. Ces deux âmes, puisqu’elles le connaissaient si parfaitement, se connaissaient l’une l’autre aussi parfaitement que la connaissance et la sympathie peuvent unir des âmes en cette vie.

Mais maintenant l’ensemble doit être élevé à un degré plus haut. Elles ont déjà été unies sur la poitrine vivante de Jésus, maintenant, sur Son Cœur qui a cessé de battre, elles doivent connaître une unité plus parfaite.

Il est donc surprenant que nos imaginations puissent encore être si tourmentées et oppressées par la pensée de la mort ; que nous soyions encore sans intelligence, à ce point que nous tenions pour morbide d’être épris de la mort, car il est beaucoup plus morbide d’en avoir peur.

Ce n’est pas que notre raison et notre foi soient en faute ; c’est seulement que cette faculté la plus active et la plus indomptable que nous nommons imagination ne s’est pas encore assimilé la vérité acceptée par notre raison aussi bien que par notre foi, c’est-à-dire, que pour ceux-là qui sont dans l’amitié de Dieu la mort n’est plus ce qu’elle est pour les autres.

Elle ne met pas fin, comme il a été dit, à notre existence et à tout ce qui nous la fait aimer mais la délivre au contraire et lui donne sa perfection. Et tout cela elle le fait parce que Jésus-Christ s’est plongé lui-même dans l’abîme de la mort et en éteignit les feux.

Désormais nous sommes une famille en lui si nous faisons sa volonté : son frère et sa sœur et sa mère ; et Marie est notre Mère non par nature, ce qui est accidentel, mais par surnature, ce qui est essentiel.

Marie est ma mère et Jean est mon frère puisque, si je suis mort dans le Christ avec le Christ, ce n’est plus moi qui vis mais Jésus-Christ qui vit en moi. En un mot, c’est la Communion des saints qu’il inaugure par cette parole et qu’il scelle par sa mort.

Robert Hugh BENSON, Paradoxes catholiques – les sept Paroles (1913)

Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse