Joseph fait confiance, il accueille, il est disponible

« Joseph fait confiance, il accueille, il est disponible »

En ce quatrième dimanche de l’Avent, le Pape François, avant de réciter l’Angélus place Saint-Pierre,a parlé de la figure de Saint Joseph qui a su faire confiance à Dieu en s’ouvrant à ses projets. A l’image de Joseph, « il faut accueillir les surprises de la vie » a expliqué le Saint-Père.

 

LE PAPE François

ANGELUS

Place Saint-Pierre
dimanche 18 décembre 2022

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Chers sœurs et frères, bonjour!

Aujourd’hui, quatrième et dernier dimanche de l’Avent, la liturgie nous présente la figure de saint Joseph (cf. Mt 1, 18-24). C’est un homme juste qui est sur le point de se marier. Nous pouvons imaginer ce dont vous rêvez pour l’avenir : une belle famille, avec une femme affectueuse et beaucoup de bons enfants, et un travail décent : des rêves simples et bons, des rêves de gens simples et bons.

Mais soudain, ces rêves sont brisés par une découverte déconcertante : Marie, sa fiancée, attend un enfant et cet enfant n’est pas le sien ! Qu’a ressenti Joseph ? Perplexité, douleur, désarroi, peut-être même agacement et déception… Il a vécu le fait que le monde s’effondrait sur lui ! Et que peut-il faire ?

La Loi lui donne deux possibilités. La première est de dénoncer Marie et de lui faire payer le prix d’une prétendue infidélité. La seconde est d’annuler leurs fiançailles en secret, sans exposer Marie à un scandale et à de lourdes conséquences, mais en prenant sur elle le poids de la honte. Joseph choisit cette seconde voie, la voie de la miséricorde.

Et là, au cœur de la crise, alors qu’il réfléchit et évalue tout cela, Dieu allume une nouvelle lumière dans son cœur : en songe, il lui annonce que la maternité de Marie ne vient pas d’une trahison, mais est l’œuvre de le Saint-Esprit, et que l’enfant à naître est le Sauveur (cf. vv. 20-21);

Marie sera la mère du Messie et il sera son tuteur. Au réveil, Joseph comprend que le plus grand rêve de tout Israélite pieux – être le père du Messie – s’accomplit pour lui d’une manière absolument inattendue.

En effet, pour y parvenir, il ne lui suffira pas d’appartenir à la lignée de David et d’être un fidèle observateur de la loi, mais il devra faire confiance à Dieu au-delà de tout, accueillir Marie et son fils dans un tout autre façon qu’il ne s’y attendait, différente de la façon dont il a toujours fait.

Autrement dit, Joseoph devra renoncer à ses certitudes rassurantes, ses plans parfaits, ses attentes légitimes et s’ouvrir à un avenir à découvrir. Et face à Dieu, qui détruit les plans et demande qu’on lui fasse confiance, Joseph répond oui. Le courage de Joseph est héroïque et se réalise dans le silence : son courage est de faire confiance, il fait confiance, accueille, est disponible, ne demande pas de garanties supplémentaires.

Frères, sœurs, que nous dit Joseph aujourd’hui ? Nous aussi, nous avons nos rêves, et peut-être qu’à Noël, nous y pensons davantage, nous en parlons ensemble. Peut-être regrettons-nous certains rêves brisés et voyons-nous que les meilleures attentes doivent souvent faire face à des situations inattendues et déconcertantes.

Et lorsque cela se produit, Josephnous montre le chemin : nous ne devons pas céder aux sentiments négatifs, comme la colère et la fermeture, ce n’est pas le bon chemin !

Au contraire, il faut accueillir les surprises, les surprises de la vie, voire les crises, avec attention : que lorsqu’on est en crise il ne faut pas choisir à la va-vite selon l’instinct, mais se laisser tamiser, comme l’a fait Joseph, « considérer toutes choses » (cf. v. 20) et se baser sur le critère sous-jacent : la miséricorde de Dieu.

Quand on vit la crise sans céder à la fermeture, à la colère et à la peur, mais en gardant la porte ouverte à Dieu, Il peut intervenir. Il est expert dans la transformation des crises en rêves : oui, Dieu ouvre les crises à de nouvelles perspectives, que nous n’imaginions pas auparavant, peut-être pas comme nous l’attendions, mais comme Il le sait.

Et ce sont là, frères et sœurs, les horizons de Dieu : surprenants, mais infiniment plus vastes et plus beaux que les nôtres ! Que la Vierge Marie nous aide à vivre ouverts aux surprises de Dieu.

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Après l’angélus

Chers frères et sœurs !

Je suis préoccupé par la situation dans le corridor de Lachin dans le Caucase du Sud. Je suis particulièrement préoccupé par les conditions humanitaires précaires des populations, qui risquent de se détériorer davantage pendant la saison hivernale. Je demande à toutes les personnes impliquées de s’engager à trouver des solutions pacifiques pour le bien du peuple.

Nous prions également pour la paix au Pérou, pour que la violence dans le pays cesse et que la voie du dialogue soit engagée pour surmonter la crise politique et sociale qui afflige la population.

Je vous salue avec affection, vous tous qui êtes venus de Rome, d’Italie et de nombreuses parties du monde. En particulier, je salue les fidèles de Californie et ceux de Madrid ; ainsi que les groupes de Praia a mare, Catane, Caraglio et la paroisse romaine des Saints Protomartyrs

Demandons à la Vierge Marie, que la liturgie nous invite à contempler en ce quatrième dimanche de l’Avent, de toucher le cœur de ceux qui peuvent arrêter la guerre en Ukraine. N’oublions pas la souffrance de ces personnes, en particulier les enfants, les personnes âgées, les malades. Prions, prions !

Je souhaite à tous un bon dimanche et un bon voyage dans la dernière étape de l’Avent. S’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Bon déjeuner et au revoir.


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Texte traduit et présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

Anniversaire du Pape François

Anniversaire du Pape François

Le 17 décembre 1936 est le jour de la naissance à Buenos Aires, en Argentine, de Jorge Mario Bergoglio. Fils d’émigrés piémontais, il souhaitait devenir boucher et cultivait une passion pour le chant, avant d’obtenir son diplôme de technicien en chimie.

En 1958, il entra au séminaire et choisit d’effectuer le noviciat chez les pères jésuites. C’est à ce moment-là qu’une infirmière, Sœur Cornelia Caraglio, lui sauve la vie en persuadant un médecin d’administrer la bonne dose d’antibiotique pour traiter la pneumonie.

Premier jésuite Pape

Ordonné prêtre en 1969, puis élu provincial des jésuites d’Argentine quatre ans plus tard, le père Bergoglio, est nommé évêque auxiliaire de Buenos Aires en 1992 puis archevêque de la capitale argentine le 28 février 1998.

Lors du consistoire du 21 février 2001, saint Jean-Paul II le crée cardinal : «Ce matin, la « Rome catholique » embrasse chaleureusement les nouveaux cardinaux, sachant qu’une autre page significative de son histoire de deux mille ans est en train d’être écrite». C’est le prélude d’une autre page historique: celle qu’a écrite en 2013 le premier Pape des Amériques, le premier jésuite Pape.

Après la démission du Pape Benoît XVI, il se rend à Rome pour le conclave. Le 13 mars 2013, il est élu souverain pontife. Lors d’une visite dans une paroisse romaine, en 2017, un enfant lui a demandé pourquoi il était devenu pape: «Celui qui est élu, répond-il, n’est pas forcément le plus malin», «Mais c’est ce que Dieu veut pour ce moment dans l’Église.»

Comme Pape, il choisit le nom de François. Quelques jours après l’élection, devant les médias, il explique avoir pensé à Saint François d’Assise pour choisir son nom, «l’homme de la pauvreté, l’homme de la paix, l’homme qui aime et garde la création». Et c’est précisément dans ces directions, par des gestes et des écrits tels que l’encyclique Laudato si’, que le pontificat du Pape François s’est construit.


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Texte traduit et présenté par l’Association de  la Médaille Miraculeuse

LA PORTE DE LA CHARITÉ – Troisième prédication d’Avent 2022

LA PORTE DE LA CHARITÉ – Troisième prédication d’Avent 2022

Christ de Foi Espérance et Charité
Christ de Foi Espérance et Charité

Un Dieu à aimer ou un Dieu qui aime ? « Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles : qu’il entre, le roi de gloire ! » Saint Père, Révérend Pères, frères et sœurs, dans notre but d’ouvrir les portes au Christ qui vient, nous sommes arrivés à la porte la plus intime de notre « château intérieur », celui de la vertu théologale de charité.

Mais que signifie ouvrir la porte de l’amour au Christ ? Cela signifie-t-il peut-être que nous prenons l’initiative d’aimer Dieu ? C’est ainsi qu’auraient répondu les philosophes païens, à partir de la conception qu’ils se faisaient de l’amour de Dieu : « Dieu – disait Aristote – meut le monde dans la mesure où il est aimé ». Comme il est aimé, attention, pas comme il aime ! Cette vision philosophique a été complètement inversée dans le Nouveau Testament :
En cela réside l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais lui qui nous a aimés
et envoya son fils… Nous aimons parce qu’il nous a aimés le premier (1 Jn 4, 10. 19).

Henri de Lubac écrivait : « Le monde a besoin de le savoir : la révélation de l’Amour bouleverse tout ce qu’il avait conçu de la divinité ». A ce jour nous n’avons pas fini (et nous ne finirons jamais) de tirer toutes ses conséquences de la révolution évangélique sur Dieu comme amour. L’Esprit Saint – nous enseigne saint Irénée – rajeunit continuellement le trésor de la révélation, ainsi que le vase qui le contient, qui est la tradition de l’Église. Avec son aide, nous essayons de comprendre quelle est la conséquence de la vertu théologale de charité à découvrir et surtout à vivre.

Il existe d’innombrables traités sur le devoir et les degrés de l’amour de Dieu, c’est-à-dire sur le « Dieu à aimer », De diligendo Deo ; Je ne connais pas de traités sur le Dieu qui aime ! La Bible est elle-même un traité sur le Dieu qui aime ; mais, malgré cela, presque toujours, quand on parle de « l’amour de Dieu », Dieu est l’objet, non le sujet de la phrase.

Or il est bien vrai qu’aimer Dieu de toutes ses forces est « le premier et le plus grand commandement ». C’est certainement la première chose dans l’ordre des commandements ; mais l’ordre des commandements n’est pas le premier ordre, celui qui domine tout ! Avant l’ordre des commandements, il y a l’ordre de la grâce, c’est-à-dire de l’amour gratuit de Dieu : le commandement lui-même est fondé sur le don ; le devoir d’aimer Dieu repose sur le fait d’être aimé par Dieu : « Nous aimons parce qu’il nous a aimés le premier », vient de nous rappeler l’évangéliste Jean. C’est la nouveauté de la foi chrétienne par rapport à toute éthique fondée sur le « devoir », ou sur « l’impératif catégorique ». Il ne faut jamais le perdre de vue.

Nous avons cru en l’amour de Dieu

Ouvrir la porte de l’amour au Christ signifie donc une chose bien précise : accueillir l’amour de Dieu, croire en l’amour. « Nous avons reconnu et cru en l’amour que Dieu a pour nous », écrit Jean dans le même contexte (1 Jn 4, 16). Noël est la manifestation – littéralement, l’épiphanie – de la bonté et de l’amour de Dieu pour le monde : « La grâce salvifique de Dieu est apparue (epephane) », écrit saint Paul. Et encore : « La bonté de Dieu et son amour pour les hommes se sont manifestés » (Tt 2, 11 ; 3, 4).

La chose la plus importante à faire à Noël est de recevoir avec émerveillement le don infini de l’amour de Dieu.Quand on reçoit un cadeau, il n’est pas délicat de présenter son cadeau tout de suite, avec l’autre main, peut-être déjà préparée à l’avance. Forcément, on donne l’impression de vouloir rembourser tout de suite. Tout d’abord, nous devons honorer le cadeau que nous recevons et son donateur, avec étonnement et gratitude. Après – presque honteux et modestement – vous pourrez ouvrir votre cadeau, comme si ce n’était rien comparé à ce que vous avez reçu. (Pour Dieu, notre don est en fait moins que rien !).

Ce que nous devons faire, avant tout, à Noël, c’est croire en l’amour de Dieu pour nous. L’acte de charité traditionnel, du moins dans la récitation privée et personnelle, ne doit pas commencer par les mots : « Mon Dieu, je t’aime de tout mon cœur », mais « Mon Dieu, je crois de tout mon cœur que tu m’aimes » .

Cela semble être une chose facile. Au lieu de cela, c’est l’une des choses les plus difficiles au monde. L’homme est plus enclin à être actif que passif, à faire plutôt qu’à se laisser faire. Inconsciemment, nous ne voulons pas être des débiteurs, mais des créanciers ; oui, nous voulons l’amour de Dieu, mais comme une récompense plutôt que comme un don. Ainsi s’opère cependant insensiblement un déplacement et un renversement : en premier lieu, par-dessus tout, à la place du don, se place le devoir, à la place de la grâce, la loi, à la place de la foi, les œuvres.

« Nous avons cru à l’amour ! » : c’est un cri pour lequel nous devons rassembler toutes nos forces et nous forcer. Je l’appelle « la foi incrédule »: une foi qui ne peut pas comprendre ce qu’elle croit, même si elle le croit. Dieu – l’Éternel, l’Être, le Tout – m’aime et prend soin de moi, un petit rien perdu dans l’immensité de l’univers et de l’histoire ! « Il m’est doux de faire naufrage dans cette mer », faudrait-il s’exclamer avec le poète Leopardi.

Il faut devenir un enfant pour croire à l’amour. Les enfants croient en l’amour, mais pas sur la base du raisonnement. Par instinct, par nature. Ils naissent pleins de confiance dans l’amour de leurs parents. Ils demandent à leurs parents les choses dont ils ont besoin, peut-être même en trépignant du pied, mais l’hypothèse tacite n’est pas qu’ils l’ont mérité ; c’est qu’ils sont les enfants et qu’un jour ils seront les héritiers de tout. C’est surtout pour cette raison que Jésus recommande si souvent de devenir comme des enfants pour entrer dans son Royaume.

Mais ce n’est pas facile de redevenir un enfant. L’expérience, les amertumes, les déceptions de la vie nous rendent prudents, prudents, parfois cyniques. Nous ressemblons tous un peu à Nicodème. « Comment un homme – pensons-nous – peut-il renaître quand il est vieux ? (Jean 3, 4). Comment renaître, s’exciter à nouveau, s’émerveiller à Noël comme des enfants ? Mais que dit Jésus à Nicodème ? « En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu’un ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jn 3, 5).

Ce n’est pas le résultat de l’effort humain et de l’ambition, ou de l’excitation du cœur ; c’est l’œuvre du Saint-Esprit. Jésus ne parle pas ici seulement du baptême ; du moins pas seulement du baptême d’eau. Il s’agit d’une renaissance et d’un baptême « dans l’Esprit », ou « d’en haut » (Jn 3, 3), qui peut être renouvelé plusieurs fois dans la durée de la vie. C’est ce qu’ont vécu les apôtres et les disciples à la Pentecôte et ce que nous devons nous aussi désirer pour connaître en quelque sorte cette « nouvelle Pentecôte » que le pape saint Jean XXIII a demandé à Dieu pour toute l’Église en annonçant le Concile.

L’essence de la Pentecôte est contenue dans ces paroles du verset 4 du deuxième chapitre des Actes : « Ils furent tous remplis du Saint-Esprit ». Que signifie cette courte phrase que nous avons entendue des milliers de fois ? « Ils ont tous été remplis du Saint-Esprit » : d’accord : mais qu’est-ce que le Saint-Esprit ? C’est l’amour – dit la théologie – avec lequel le Père aime le Fils et avec lequel le Fils aime le Père. Plus librement nous disons : c’est la vie, la douceur, le feu, la béatitude qui coule dans la Trinité, car l’amour est toutes ces choses ensemble et à un degré infini.

Donc, dire que « tous ont été remplis du Saint-Esprit », c’est dire que tous ont été remplis de l’amour de Dieu. Ils ont eu une expérience bouleversante d’être aimés de Dieu. En mourant, Christ avait détruit le mur de séparation du péché et maintenant l’amour de Dieu pouvait enfin se déverser sur les apôtres et les disciples, les submergeant dans un océan de paix et de bonheur. En disant que « l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5), saint Paul ne fait que décrire – sous une forme synthétique plutôt que narrative – l’événement de la Pentecôte , actualisé, pour tous, dans le baptême.

L’amour de Dieu a un aspect objectif que nous appelons la grâce sanctifiante, ou charité infuse, mais il comporte aussi un élément subjectif, une répercussion existentielle, car c’est dans la nature même de l’amour. Ce n’était pas, comme on est amené à le penser, quelque chose de purement objectif ou ontologique, dont l’intéressé n’aurait pas conscience. Le don du « nouveau cœur » ne s’est pas fait sous anesthésie générale, comme les transplantations cardiaques normales ! Nous le voyons par le changement soudain qui s’opère en eux. Fini les peurs, les rivalités, la timidité ; des hommes nouveaux, prêts à se jeter dans les voies du monde et à donner leur vie pour le Christ.

« La charité se construit »

Le discours sur la vertu théologale de l’amour ne s’arrête certainement pas là. Ce serait un discours incomplet, comme une protase non suivie d’apodose. La protase est : « Si Dieu nous a tant aimés… » ; l’apodose, ou la conséquence, c’est : « nous aussi devons l’aimer et nous aimer ». Mais nous avons tellement d’occasions de parler de l’exercice de la charité que pour une fois nous pouvons laisser de côté le « devoir » pour ne nous occuper que du « don ». Je me borne à quelques brèves considérations sur l’aspect social et ecclésial de la vertu théologale de charité.

On dit d’elle qu’elle « édifie » : « la connaissance gonfle, la charité édifie » (1 Co 8, 2). Surtout, elle construit l’édifice de Dieu qu’est l’Église. « En vivant selon la vérité dans l’amour, cherchons à grandir en toutes choses vers celui qui est la Tête, le Christ, de qui tout le corps… reçoit la force de croître, afin de s’édifier dans l’amour » (Eph. 4:15-16).

Cependant, la charité ne construit pas seulement la société spirituelle qu’est l’Église, mais aussi la société civile. Dans l’ouvrage La Cité de Dieu, saint Augustin explique que deux cités coexistent dans l’histoire : la cité de Satan, symbolisée par Babylone, et la cité de Dieu, symbolisée par Jérusalem. Ce qui distingue les deux sociétés, c’est l’amour différent dont elles sont animées. Le premier a pour mobile l’amour de soi poussé jusqu’au mépris de Dieu (amor sui usque ad contemptum Dei), le second a pour mobile l’amour de Dieu poussé jusqu’au mépris de soi (amor Dei usque ad contemptum sui).

L’opposition, dans ce cas, est entre l’amour de Dieu et l’amour de soi. Dans un autre ouvrage, cependant, saint Augustin corrige partiellement ce contraste, ou du moins le rééquilibre. Le vrai contraste qui caractérise les deux villes n’est pas entre l’amour de Dieu et l’amour de soi. Ces deux amours, bien compris, peuvent – ​​voire doivent – ​​exister ensemble. Non, la véritable opposition est celle interne à l’amour-propre, et c’est la contradiction entre l’amour-propre exclusif – amor privatus, comme il l’appelle -, et l’amour du bien commun – amor socialis. C’est l’amour privé – c’est-à-dire l’égoïsme – qui crée la cité de Satan, Babylone, et c’est l’amour social qui crée la cité de Dieu où règnent l’harmonie et la paix.

Le sentiment social est né sur un sol arrosé par l’Évangile, et il est étrange qu’à l’époque moderne cet acquis ait servi d’argument à jeter à la face du christianisme. Aux premiers siècles et tout au long du Moyen Âge, le moyen par excellence d’agir en société et d’aider les pauvres était l’aumône. C’est une valeur biblique et elle conserve toujours sa pertinence. Cependant, il ne peut plus être proposé comme la manière ordinaire de pratiquer l’amour social, ou l’amour du bien commun, car il ne sauvegarde pas la dignité des pauvres et les maintient dans un état de dépendance.

Il appartient aux politiciens et aux économistes d’initier des processus structurels qui réduisent le fossé scandaleux entre un petit nombre de très riches et l’immense nombre de défavorisés dans le monde. Le moyen ordinaire pour les chrétiens est de créer les conditions dans le cœur humain pour que cela se produise. Pour les acteurs sociaux, il s’agit de promouvoir la soi-disant « doctrine sociale de l’Église ». Pour les entrepreneurs chrétiens, par exemple, cela signifie créer des emplois, comme le Saint-Père l’a rappelé lors de la rencontre d’Assise en septembre dernier, aux jeunes économistes qui s’inspirent de son enseignement

Seul l’amour peut nous sauver

Avant de conclure, je voudrais mentionner un autre effet bénéfique de la vertu théologale de charité sur la société dans laquelle nous vivons. La grâce, dit un célèbre axiome théologique, suppose la nature, ne la détruit pas, mais la perfectionne. Appliquée à la troisième vertu théologale, cela signifie que la charité présuppose la capacité et la prédisposition naturelle de l’être humain à aimer et à être aimé. Cette capacité peut nous sauver aujourd’hui d’une tendance persistante qui, si elle n’est pas corrigée, conduirait à une véritable « déshumanisation ».

J’ai participé à un débat public à Londres il y a quelques années. Le modérateur a posé une série de questions à un certain nombre de théologiens, dont un professeur de théologie à l’Université américaine de Yale, un évêque et théologien anglican, et moi-même. La question cruciale était la suivante. Après avoir remplacé les capacités opérationnelles de l’homme par des robots, la technologie est maintenant sur le point de remplacer également ses capacités mentales par l’intelligence artificielle. Que reste-t-il donc d’unique et d’exclusif à l’être humain ? Y a-t-il encore des raisons de le considérer à part dans l’univers ? Est-il encore indispensable, ou plutôt nocif, par nature ?

Quand ce fut mon tour de répondre, dans mon anglais pauvre et approximatif, j’ajoutai une simple réflexion. Nous travaillons, disais-je, sur un ordinateur qui pense : peut-on imaginer un ordinateur qui aime, qui s’émeut de nos peines et se réjouit de nos joies ? On peut concevoir l’intelligence artificielle : mais peut-on concevoir l’amour artificiel ? Peut-être est-ce alors précisément là qu’il faut situer la spécificité de l’humain et son attribut inaliénable. Pour un croyant biblique, il y a une raison à cela : c’est que nous avons été créés à l’image de Dieu, et « Dieu est amour » ! (1 Jean 4, 8).

Malgré toutes nos erreurs et méfaits, nous les êtres humains ne sommes pas – et ne serons jamais – de trop sur terre ! Au terme de ses réflexions philosophiques sur le danger de la technologie pour l’homme moderne, Martin Heidegger, jetant presque l’éponge, s’est exclamé : « Seul un dieu peut nous sauver ! On peut paraphraser : seul l’amour peut nous sauver ! L’amour de Dieu, cependant, certainement pas le nôtre.
« Un enfant est né pour nous »

Tournons maintenant nos pensées vers Noël qui approche à grands pas. Avec la venue du Christ, le grand fleuve de l’histoire a atteint une « écluse » et repart à un niveau supérieur. « Les choses anciennes sont passées, voici, des choses nouvelles sont nées » (2 Co 5, 17). Le grand « fossé » qui séparait Dieu de l’homme, le Créateur de la créature a été comblé. Ce n’est pas pour rien, dès lors, que l’histoire humaine se divise en « avant Christ » et « après Christ ».

Il y a des images de Noël naïves, mais avec une signification profonde. On y voit l’Enfant Jésus qui, pieds nus, la neige autour des pieds et une lanterne à la main, la nuit, après avoir frappé, attend devant une porte. Les païens imaginaient l’amour comme un petit garçon auquel ils donnaient le nom d’Eros. C’était une représentation symbolique, voire une véritable idole. Nous savons que l’amour est vraiment devenu un enfant ; qu’elle est désormais une réalité, un événement, voire une personne. « L’amour du Père s’est fait chair », ainsi paraphrasait le verset de Jean 1,14 un auteur du deuxième siècle. L’amour est vraiment devenu un enfant : l’enfant Jésus.

« Ici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un m’ouvre la porte, j’irai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi » (Ap 3, 20). Ouvrons la porte du cœur à cet Enfant qui frappe. La plus belle chose que nous puissions faire à Noël n’est pas, disais-je, d’offrir quelque chose à Dieu, mais d’accueillir avec émerveillement le don que Dieu le Père fait au monde de son propre Fils.

Une légende raconte que parmi les bergers qui sont allés rendre visite à l’Enfant la nuit de Noël, il y avait un jeune berger si pauvre qu’il n’avait vraiment rien à offrir à sa Mère, et il s’est tenu à l’écart de honte. Tout le monde a concouru pour offrir à Mary son cadeau. La Mère ne pouvait pas tous les tenir, devant tenir l’Enfant Jésus dans ses bras. Alors, voyant le jeune berger à côté de lui les mains vides, il prend l’Enfant et le place dans ses bras. Ne rien avoir était sa fortune. Faisons-en aussi le nôtre !
Joignons-nous à l’émerveillement et à la joie de la liturgie qui à Noël répète – comme un fait accompli et non plus une simple prophétie – les paroles d’Isaïe (9, 5) :
Un enfant nous est né;
et un Fils nous a été donné.
Sur ses épaules est le pouvoir
et son nom sera :
admirable conseiller,
Dieu puissant,
Père pour toujours,
Prince de la Paix.

Saint-Père, Vénérables Pères, frères et sœurs : JOYEUX NOËL !

Cardinal Raniero Cantalamessa

1.Aristote, Métaphysique, XII, 7, 1072b.
2.Henri de Lubac, Histoire et Esprit, Aubier, Paris 1950, chap. v.
3.Giacomo Leopardi, L’Infini.
4.Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains, salutation initiale.
5. Augustin, De civitate Dei, 14,28.
6. Augustin, De Genesi ad litteram, 11, 15, 20 (PL 32, 582).
7.Thomas d’Aquin, S.Th. Je, Q. 2. un. 2 ad 1 (gratia [praesupponit] naturam ») ; Je, Q. 1, un. 8, annonce 2 (gratia non tollit naturam, sed perficit).
8.Martin Heidegger, Répondre. Martin Heidegger im Gespräch, Gesamtausgabe, vol. 16, Francfort 1975.
9.Evangelium Veritatis, 23 (Les évangiles gnostiques, édité par L. Moraldi, Milan, Adelphi, 1984, p.33).

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