Le Pape aux jeunes à Athènes: «En avant, tous ensemble!»

Le Pape aux jeunes à Athènes: «En avant, tous ensemble!»

Pour la dernière étape de son voyage en Grèce, le Saint-Père s’est rendu dans l’école Saint-Denys des sœurs ursulines à Maroussi, un quartier de la capitale grecque. Répondant à des témoignages de trois personnes, il a invité la jeunesse à ne pas se laisser paralyser par ses peurs et à prendre sa vie en main.

 

Après une chaleureuse cérémonie d’accueil, où les jeunes de l’école Saint-Denys ont notamment exécuté un ballet traditionnel, deux jeunes femmes grecques et un jeune lycéen originaire de Syrie ont livré au Pape François un témoignage de leur vie personnelle, auquel le Saint-Père a ensuite répondu dans son discours.

D’abord à Katerina, qui a confié ses moments de doutes, lorsqu’elle voit des personnes souffrir: «N’ayez pas peur des doutes, car ils ne sont pas des manques de foi. Au contraire, les doutes sont des « vitamines de la foi »: ils contribuent à l’affermir, à la rendre plus forte, c’est-à-dire plus consciente, plus libre, plus mature».

Car la foi est précisément «un cheminement quotidien avec Jésus qui nous tient par la main, nous accompagne, nous encourage et, quand nous tombons, nous relève.»

Durant un moment de doute, il faut se mettre «à l’écoute de votre grande culture classique», «Tout a commencé par une étincelle, une découverte, formulée par un mot magnifique: « thaumàzein ». C’est l’émerveillement, l’étonnement. C’est ainsi que la philosophie est née, de l’émerveillement devant les choses qui sont: notre existence, l’harmonie de la création, le mystère de la vie

L’étonnement est le début de la philosophie mais aussi de la foi. «Le cœur de la foi n’est pas une idée ni une morale, mais une réalité, une très belle réalité qui ne dépend pas de nous et qui nous laisse sans voix: nous sommes les enfants bien-aimés de Dieu! Enfants bien-aimés: nous avons un Père qui veille sur nous sans jamais cesser de nous aimer.»

Changer de perspective

«Si nous nous tenons devant un miroir, peut-être que nous ne nous verrons pas comme nous le voudrions, car nous risquons de nous fixer sur ce que nous n’aimons pas. Mais si nous nous plaçons devant Dieu, la perspective change. Nous ne pouvons que nous émerveiller d’être pour lui, malgré toutes nos faiblesses et tous nos péchés, des enfants aimés depuis toujours et pour toujours».

Au lieu de se placer devant un miroir, «pourquoi n’ouvres-tu pas la fenêtre de la chambre pour t’arrêter devant la beauté que tu voies? Et dis alors: “C’est pour moi, c’est un cadeau pour moi, mon Père! Comme tu m’aimes!”  Chers jeunes, pensez-y : si, à nos yeux, la création est belle, aux yeux de Dieu, chacun de vous est infiniment plus beau! Il a fait de nous, dit l’Écriture, « des choses merveilleuses »(cf. Ps 139, 14). Laisse-toi envahir par cet émerveillement. Laisse-toi aimer par celui qui croit toujours en toi, par celui qui t’aime plus que tu ne peux t’aimer toi-même.»

Le Pape François à l’école des sœurs ursulines à Maroussi à Athènes, le 6 décembre 2021..

Enfin, réagissant toujours au témoignage de Katarina, «la joie de l’Évangile, l’émerveillement de Jésus, font passer au second plan les renoncements et les fatigues. Alors, d’accord? Repartons de l’émerveillement! Où? Dans la création, dans l’amitié, dans le pardon de Dieu, dans le visage des autres.»

Les visages des autres

Puis le Pape a adressé une réponse au témoignage de Ioanna. «J’ai aimé le fait que, pour nous parler de ta vie, tu aies parlé des autres». La jeune femme a découvert la foi à travers sa mère et sa grand-mère. «Ainsi, Jésus t’est devenu familier. Comme il est heureux lorsque nous nous ouvrons à Lui! C’est ainsi que l’on connaît Dieu. Parce que pour le connaître, il ne suffit pas d’avoir des idées claires sur lui, il faut aller à lui avec sa vie

Jésus se transmet par des visages et personnes concrètes. «Dieu ne nous met pas entre les mains un catéchisme, mais il se rend présent à travers les histoires des personnes. Il passe à travers nous».

«Servir les autres est le moyen d’atteindre la joie.» «Se consacrer aux autres, ce n’est pas pour les perdants, c’est pour les gagnants; c’est le moyen de faire quelque chose de vraiment nouveau dans l’histoire».

En effet, le service est la nouveauté de Jésus. «Ne te contente pas de quelques posts ou tweets. Ne te contente pas de rencontres virtuelles, recherche les rencontres réelles, surtout avec ceux qui ont besoin de toi: ne cherche pas la visibilité, mais ce qui est invisible. C’est original, révolutionnaire.»

Beaucoup de personnes sont «très réseaux sociaux mais pas très sociables», «repliés sur eux-mêmes, prisonniers du téléphone portable qu’ils ont à la main. Mais, sur l’écran, il manque l’autre personne, ses yeux, son souffle, ses mains».

En Grèce, «il existe un dicton éclairant: « o filos ine állos eaftós », “l’ami est un autre moi”», car l’autre est le chemin pour se trouver soi-même. «Il est difficile de sortir de sa zone de confort, il est plus facile de s’asseoir sur le canapé devant la télévision. Mais c’est un vieux truc, ce n’est pas pour les jeunes. Les jeunes doivent réagir: lorsque l’on se sent seul, s’ouvrir; lorsque la tentation de se refermer sur soi-même vient, chercher les autres, s’entraîner à cette ‘gymnastique de l’âme’».

Odyssée des temps modernes

Enfin, le Saint-Père a répondu à Aboud, lycéen venu de Syrie avec sa famille, arrivé en Grèce sur un canot pneumatique. «Une véritable odyssée des temps modernes. Et il m’est venu à l’esprit que, dans l’Odyssée d’Homère, le premier héros qui apparaît n’est pas Ulysse, mais un jeune homme: Télémaque, son fils, qui vit une grande aventure.» Télémaque n’a pas connu son père, angoissé et découragé, il ne sait même pas s’il est vivant, mais trouve le courage de partir.

«Le sens de la vie ne consiste pas à s’asseoir sur la plage en attendant que le vent apporte quelque chose de nouveau. Le salut est au large, dans l’élan, dans la recherche, dans la poursuite des rêves, les vrais, ceux qui se font les yeux ouverts, qui impliquent fatigue, lutte, vents contraires, tempêtes inattendues. Mais ne vous laissez pas paralyser par vos peurs, rêvez en grand! Et rêvez ensemble!»

«Comme pour Télémaque, il y aura ceux qui essaieront de vous arrêter. Il y aura toujours ceux qui vous diront : “laisse tomber, ne prends pas de risque, c’est inutile”. Ce sont les assassins de rêves, les tueurs d’espérance, les nostalgiques incurables du passé.»

Aboud lui a eu le courage de l’espérance. «Choisir est un défi. C’est affronter la peur de l’inconnu, c’est sortir du marécage de la standardisation, c’est décider de prendre sa vie en main. Pour faire de bons choix, vous pouvez vous rappeler une chose : les bonnes décisions concernent toujours les autres, et pas seulement soi-même.»

Sous les applaudissements Saint-Père a conclu sa prise de parole avec une expression grecque : «Brostà, óli masí», «En avant, tous ensemble».

*

Puis il est allé à l’aéroport d’Athènes pour prendre l’avion qui l’a ramené à celui de Rome. Comme à son habitude, avant de retourner au Vatican, le pape François s’est arrêté dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, pour prier devant l’icône du Salus Populi Romani. Tournant ses pensées vers les nombreuses rencontres, les visages et les histoires douloureuses connues au fil des jours passés, il les a confiées à la Vierge Marie.


Extraits – Copyright © Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana

Dieu habite nos déserts existentiels

Dieu habite nos déserts existentiels

Après sa visite à Lesbos où il avait fait un aller-retour sur la matinée, le Pape François a célébré la messe de ce deuxième dimanche de l’Avent au Megaron Concert Hall, à Athènes, devant une assistance réduite à environ 2000 personnes, en raison des contraintes de distanciation induite par la pandémie de Covid-19. Dans son homélie, en commentant l’Évangile du jour, le Pape s’est arrêté sur deux dimensions: le désert et la conversion.

 

VOYAGE APOSTOLIQUE DE SA SAINTETÉ LE PAPE FRANÇOIS
À CHYPRE ET EN GRÈCE
(2-6 DÉCEMBRE 2021)

SAINTE MESSE

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

« Salle de concert Megaron » à Athènes
dimanche 5 décembre 2021

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En ce deuxième dimanche de l’Avent, la Parole de Dieu nous présente la figure de saint Jean-Baptiste. L’Évangile en souligne deux aspects : le lieu où il se trouve, le désert, et le contenu de son message, la conversion. Désert et conversion : l’Évangile d’aujourd’hui insiste là-dessus et tant d’insistance nous fait comprendre que ces paroles nous concernent directement. Accueillons-les tous les deux.

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Désert

Le désert. Luc l’évangéliste présente ce lieu d’une manière particulière. En fait, il parle de circonstances solennelles et de grandes personnalités de l’époque : il évoque la quinzième année de l’empereur Tibère César, le gouverneur Ponce Pilate, le roi Hérode et d’autres « chefs politiques » de l’époque ; puis il mentionne les religieuses, Anne et Caïphe, qui se trouvaient près du Temple de Jérusalem (cf. Lc 3, 1-2).

À ce stade, il déclare : « La parole de Dieu est tombée sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert » (Lc 3, 2). Mais comment? Nous nous serions attendus à ce que la Parole de Dieu s’adresse à l’un des grands qui viennent d’être énumérés.

Mais non. Une subtile ironie se dégage des lignes de l’Évangile : des étages supérieurs où vivent les détenteurs du pouvoir, on passe soudain au désert, à un homme inconnu et solitaire. Dieu surprend, ses choix surprennent : ils ne relèvent pas des prédictions humaines, ils ne suivent pas la puissance et la grandeur que l’homme lui associe habituellement.

Le Seigneur préfère la petitesse et l’humilité. La rédemption ne commence pas à Jérusalem, Athènes ou Rome, mais dans le désert. Cette stratégie paradoxale nous livre un très beau message : avoir de l’autorité, être cultivé et célèbre n’est pas une garantie de plaire à Dieu ; au contraire, cela pourrait conduire à l’orgueil et à le rejeter. Au lieu de cela, il faut être pauvre à l’intérieur, comme le désert est pauvre.

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Dieu nous visite dans des situations difficiles

Restons sur le paradoxe du désert. Le Précurseur prépare la venue du Christ dans ce lieu inaccessible et inhospitalier, plein de dangers. Maintenant, si quelqu’un veut faire une annonce importante, il se rend généralement dans de beaux endroits, où il y a beaucoup de monde, où il y a de la visibilité. Jean, au contraire, prêche dans le désert.

C’est précisément là, au lieu de l’aridité, dans cet espace vide qui s’étend à perte de vue et où il n’y a presque pas de vie, là se révèle la gloire du Seigneur, qui – comme l’Écriture le prophétise (cf. Is 40 : 3 -4) – change le désert en lac, la terre aride en sources d’eau (cf. Is 41,18). Voici un autre message réconfortant : Dieu, aujourd’hui comme alors, tourne son regard là où dominent la tristesse et la solitude.

Nous pouvons en faire l’expérience dans la vie : il ne parvient souvent pas à nous joindre alors que nous sommes au milieu des applaudissements et ne pensons qu’à nous-mêmes ; il réussit surtout les heures d’épreuves. Il nous visite dans des situations difficiles, dans nos vides qui lui laissent place, dans nos déserts existentiels. Là, le Seigneur nous visite.

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Dieu nous rejoint dans notre petitesse

Chers frères et sœurs, dans la vie d’une personne ou d’un peuple, les moments où l’on a l’impression d’être dans un désert ne manquent pas. Et ici, c’est précisément là que le Seigneur se rend présent, qui n’est souvent pas accueilli par ceux qui se sentent réussis, mais par ceux qui sentent qu’ils ne peuvent pas réussir.

Et il vient avec des paroles de proximité, de compassion et de tendresse : « N’aie pas peur, car je suis avec toi ; ne te perds pas, car je suis ton Dieu. Je te rends fort et je t’aide » (v. 10). Prêchant dans le désert, Jean nous assure que le Seigneur vient nous libérer et nous redonner vie dans des situations qui semblent irrémédiables, sans issue : il vient là. Il n’y a donc aucun endroit que Dieu ne veuille visiter.

Et aujourd’hui nous ne pouvons qu’éprouver de la joie à le voir choisir le désert, nous rejoindre dans notre petitesse qu’il aime et dans notre aridité qu’il veut étancher notre soif ! Alors, très chers, ne craignez pas la petitesse, car la question n’est pas d’être petit et peu nombreux, mais de s’ouvrir à Dieu et aux autres. Et ne craignez même pas la sécheresse, car Dieu ne les craint pas, qui viennent là nous visiter !

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Conversion

Passons au deuxième aspect, la conversion. Le Baptiste la prêchait avec acharnement et avec véhémence (cf. Lc 3, 7). C’est aussi un problème « inconfortable ». De même que le désert n’est pas le premier endroit où nous aimerions aller, de même l’invitation à la conversion n’est certainement pas la première proposition que nous aimerions entendre.

Parler de conversion peut éveiller la tristesse ; il semble difficile à concilier avec l’Évangile de la joie. Mais cela se produit lorsque la conversion se réduit à un effort moral, comme si elle n’était que le fruit de notre engagement.

Le problème est ici, de tout fonder sur notre force. C’est faux! Ici, la tristesse et la frustration spirituelles se cachent également : nous aimerions nous convertir, être meilleurs, surmonter nos défauts, changer, mais nous nous sentons incapables d’en être pleinement capables et, malgré la bonne volonté, nous reculons toujours.

Nous vivons la même expérience de saint Paul qui, précisément de ces terres, a écrit : « En moi il y a le désir du bien, mais pas la capacité de le mettre en œuvre ; en fait, je ne fais pas le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas » (Rm 7 : 18-19). Si donc, seuls, nous n’avons pas la capacité de faire le bien que nous voudrions, qu’est-ce que cela signifie que nous devons nous convertir ?

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Se convertir signifie aller au-delà de nos préjugés

Votre belle langue, le grec, peut nous aider avec l’étymologie du verbe évangélique « se convertir », metanoéin. Il est composé de la préposition metá, qui signifie ici au-delà, et du verbe noéin, qui signifie penser. Se convertir, c’est donc penser au-delà, c’est-à-dire dépasser la façon habituelle de penser, au-delà de nos schémas mentaux habituels.

Je pense précisément aux schémas qui réduisent tout à nous-mêmes, à notre prétention à l’autosuffisance. Ou à ceux fermés par la rigidité et la peur qui paralysent, par la tentation du « ça a toujours été fait ainsi, pourquoi changer ? », par l’idée que les déserts de la vie sont des lieux de mort et non de la présence de Dieu.

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Dieu est notre au-delà

En nous exhortant à la conversion, Jean nous invite à aller plus loin et à ne pas s’arrêter là ; aller au-delà de ce que nos instincts nous disent et de ce que nos pensées photographient, car la réalité est plus grande : elle est plus grande que nos instincts, nos pensées. La réalité est que Dieu est plus grand.

La conversion, alors, signifie ne pas écouter ce qui détruit l’espoir, ceux qui répètent que rien ne changera jamais dans la vie – les pessimistes de tous les temps. C’est refuser de croire que nous sommes destinés à sombrer dans les sables mouvants de la médiocrité.

Ce n’est pas se rendre aux fantômes intérieurs, qui apparaissent surtout dans les moments d’épreuve pour nous décourager et nous dire que nous n’y arriverons pas, que tout va mal et que devenir saint n’est pas pour nous. Ce n’est pas le cas, car Dieu est là, il faut lui faire confiance, car il est notre au-delà, notre force.

Tout change si la première place lui est laissée. Voici la conversion : notre porte ouverte suffit pour que le Seigneur entre et fasse des merveilles, tout comme un désert et les paroles de Jean suffisaient pour qu’il vienne au monde. Il n’en demande pas plus.

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Demandons la grâce de l’espérance

Nous demandons la grâce de croire qu’avec Dieu les choses changent, qu’Il guérit nos peurs, guérit nos blessures, transforme les lieux arides en sources d’eau. Nous demandons la grâce de l’espérance. Car c’est l’espérance qui ranime la foi et ravive la charité. Car il y a de l’espoir que les déserts du monde aient soif aujourd’hui.

Et tandis que cette rencontre qui est la nôtre nous renouvelle dans l’espérance et la joie de Jésus, et que je me réjouis d’être avec vous, nous demandons à notre Mère, la Très Sainte, de nous aider à être, comme elle, des témoins d’espérance, des semeurs de joie autour de nous – l’espoir, frères et sœurs, ne déçoit jamais, ne déçoit jamais -.

Non seulement quand nous sommes heureux et que nous sommes ensemble, mais chaque jour, dans les déserts que nous habitons. Car c’est là que, avec la grâce de Dieu, notre vie est appelée à se convertir. Là, dans les nombreux déserts de notre intérieur ou de l’environnement, la vie est appelée à s’épanouir. Que le Seigneur nous donne la grâce et le courage d’accueillir cette vérité.

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Salutation finale à la fin de la messe

Chers frères et sœurs,

Au terme de cette célébration, je voudrais exprimer ma gratitude pour l’accueil que j’ai reçu parmi vous. Merci de tout mon cœur! Efcharistó ! [Merci!].

De la langue grecque est venu ce mot qui résume le don du Christ pour toute l’Église : Eucharistie. Ainsi pour nous chrétiens, l’action de grâce est inscrite au cœur de la foi et de la vie. Que l’Esprit Saint fasse de tout notre être et agisse une Eucharistie, une action de grâce à Dieu et un don d’amour à nos frères et sœurs.

Dans ce contexte, je renouvelle ma profonde gratitude aux autorités civiles, à Madame la Présidente de la République, ici présente, et aux frères évêques, ainsi qu’à tous ceux qui, de diverses manières, ont collaboré à la préparation et à l’organisation de cette visite. Merci à tous! Et merci à la chorale qui nous a aidés à si bien prier.

Demain je quitterai la Grèce, mais je ne te quitterai pas ! Je vous porterai avec moi, en mémoire et en prière. Et vous aussi, s’il vous plaît, continuez à prier pour moi. Merci!


Copyright © Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana

l’indifférence, signe d’un «naufrage de civilisation»

l’indifférence, signe d’un «naufrage de civilisation»

De retour sur l’île grecque de Lesbos après sa première visite du 16 avril 2016, le Pape François a lancé, ce dimanche 5 décembre 2021, un ferme appel à la solidarité avec les migrants et réfugiés.

 

voyage du Pape à Chypre et en Grèce
voyage du Pape à Chypre et en Grèce

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
À CHYPRE ET EN GRÈCE
(2-6 DÉCEMBRE 2021)

VISITE AUX RÉFUGIÉS

DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Centre de réception et d’identification de Mytilène
Dimanche 5 décembre 2021

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Supplication contre l’indifférence

Chers frères et sœurs,

merci pour vos paroles. Je vous suis reconnaissant, Madame la Présidente, pour votre présence et vos paroles. Chères sœurs, chers frères, je suis de nouveau là pour vous rencontrer. Je suis venu vous dire que je suis proche de vous, et le dire du fond du cœur. Je suis là pour voir vos visages, pour vous regarder dans les yeux.

Des yeux remplis de peur et d’attente, des yeux qui ont vu la violence et la pauvreté, des yeux embués par trop de larmes. Il y a cinq ans sur cette île, le Patriarche œcuménique, mon cher frère Bartholomée, a dit une chose qui m’a frappé :

« Celui qui a peur de vous ne vous a pas regardés dans les yeux. Celui qui a peur n’a pas vu vos visages. Celui qui a peur n’a pas vu vos enfants. Il oublie que la dignité et la liberté dépassent la peur et la division. Il oublie que la question migratoire n’est pas un problème du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, de l’Europe et de la Grèce. Elle est un problème mondial » (Discours, 16 avril 2016).

*

Oui, c’est un problème mondial, une crise humanitaire qui nous concerne tous. La pandémie nous a touchés de manière globale, elle nous a fait réaliser que nous sommes tous dans la même barque, elle nous a fait éprouver ce que signifie avoir les mêmes peurs. Nous avons compris que les grandes questions doivent être abordées ensemble, car dans le monde d’aujourd’hui, les solutions partielles sont inadaptées.

Cependant, alors que les vaccinations progressent difficilement à l’échelle mondiale et que, malgré beaucoup de retards et d’incertitudes, quelque chose semble bouger dans la lutte contre le changement climatique, tout paraît terriblement bloqué lorsqu’il s’agit de la question migratoire. Pourtant, des personnes et des vies humaines, sont en jeu !

L’avenir de tout le monde est en jeu, il ne sera serein que s’il est intégré. Ce n’est qu’en étant réconcilié avec les plus faibles que l’avenir sera prospère. Parce que lorsque les pauvres sont rejetés, c’est la paix qui est rejetée. Le repli sur soi et les nationalismes – comme l’histoire nous l’enseigne – mènent à des conséquences désastreuses.

Comme l’a en effet rappelé le Concile Vatican II, « la ferme volonté de respecter les autres hommes et les autres peuples ainsi que leur dignité, et la pratique assidue de la fraternité sont absolument indispensables à la construction de la paix » (Gaudium et spes, n. 78). C’est une illusion de penser qu’il suffit de se préserver soi-même, en se défendant des plus faibles qui frappent à la porte.

L’avenir nous met de plus en plus en contact les uns avec les autres. Pour en faire un bien, ce sont les politiques de grande envergure qui sont utiles, et non les actions unilatérales. Je le répète : l’histoire nous l’enseigne, mais nous ne l’avons toujours pas retenu.

Ne tournons pas le dos à la réalité, cessons de renvoyer constamment les responsabilités, ne déléguons pas toujours la question migratoire aux autres, comme si elle ne comptait pour personne, et n’était qu’un fardeau inutile dont quelqu’un est bien obligé de se charger !

Chères sœurs, chers frères, vos visages, vos yeux nous demandent de ne pas nous détourner, de ne pas nier l’humanité qui nous unit, de faire nôtres vos histoires, et de ne pas oublier vos drames. Elie Wiesel, témoin de la plus grande tragédie du siècle dernier, a écrit :

« C’est parce que je me souviens de notre origine commune que je m’approche de mes frères, les hommes. C’est parce que je refuse d’oublier que leur avenir est aussi important que le mien (From the Kingdom of Memory, Reminiscenses, New York, 1990, 10).

En ce dimanche, je prie Dieu de nous réveiller de l’oubli de ceux qui souffrent, de nous secouer de l’individualisme qui exclut, de réveiller les cœurs sourds aux besoins des autres. Et je prie aussi l’homme, tous les hommes : surmontons la paralysie de la peur, l’indifférence qui tue, le désintérêt cynique qui, avec ses gants de velours, condamne à mort ceux qui sont en marge !

Luttons à la racine contre cette pensée dominante, cette pensée qui se concentre sur son propre moi, sur les égoïsmes personnels et nationaux qui deviennent la mesure et le critère de toute chose.

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Reconnaissance pour les efforts de la Grèce

Cinq années se sont écoulées depuis ma visite ici, avec mes chers frères Bartholomée et Jérôme. Après tout ce temps, nous constatons que peu de choses ont changé sur la question migratoire.

Certes, de nombreuses personnes se sont engagées dans l’accueil et l’intégration, et je tiens à remercier les nombreux bénévoles, ainsi que tous ceux qui, à tous les niveaux – institutionnel, social, caritatif, politique – ont déployé de grands efforts en s’occupant des personnes et de la question migratoire.

Je salue l’engagement à financer et à construire des structures d’accueil dignes, et je remercie de tout cœur la population locale pour tout le bien accompli et les nombreux sacrifices consentis. Et je voudrais remercier aussi les Autorités locales qui se sont employées à recevoir, protéger et faire avancer ces personnes qui vient chez nous. Merci ! Merci pour ce que vous faites !

Il faut admettre avec amertume que ce pays, comme d’autres, est encore en difficulté, et que certains en Europe persistent à traiter le problème comme une affaire qui ne les concerne pas. Et cela est tragique.

Je me souviens de vos dernières paroles [de la Présidente] : “Que l’Europe fasse la même chose”. Comme ces conditions sont indignes de l’homme ! Combien de hotspot où les migrants et les réfugiés vivent dans des conditions à la limite de l’acceptable, sans entrevoir de solutions !

Pourtant, ce respect des personnes et des droits humains, surtout sur le continent qui les promeut dans le monde, devrait toujours être sauvegardé, et la dignité de chacun passer avant tout ! Il est triste d’entendre proposer, comme solution, l’utilisation de fonds communs pour construire des murs, des fils de fer barbelés.

Nous sommes à l’époque des murs et des fils de fer barbelés. Bien sûr, les peurs et les insécurités, les difficultés et les dangers sont compréhensibles. La fatigue et la frustration se font sentir, exacerbées par les crises économique et pandémique, mais ce n’est pas en élevant des barrières que l’on résout les problèmes et que l’on améliore la vie en commun.

Au contraire, c’est en unissant nos forces pour prendre soin des autres, selon les possibilités réelles de chacun et dans le respect de la loi, en mettant toujours en avant la valeur irrépressible de la vie de tout homme, de toute femme de toute personne.

Elie Wiesel disait encore : « Lorsque des vies humaines sont en danger, lorsque la dignité humaine est en danger, les frontières nationales deviennent sans objet » (Discours d’acceptation du prix Nobel de la paix, 10 décembre 1986).

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Se concentrer sur la réalité

Dans diverses sociétés, on oppose de façon idéologique sécurité et solidarité, local et universel, tradition et ouverture. Plutôt que de prendre parti pour des idées, il peut être utile de partir de la réalité : s’arrêter, étendre son regard, l’immerger dans les problèmes de la plus grande partie de l’humanité, de tant de populations victimes d’urgences humanitaires qu’elles n’ont pas causées mais seulement subies, souvent suite à longues histoires d’exploitation qui durent encore.

Il est facile de mener l’opinion publique en diffusant la peur de l’autre. Pourquoi, au contraire, ne pas parler avec la même vigueur de l’exploitation des pauvres, des guerres oubliées et souvent largement financées, des accords économiques conclus aux dépens des populations, des manœuvres secrètes pour le trafic et le commerce des armes en provoquant leur prolifération ? Pourquoi on ne parle pas de cela ?

Il s’agit de s’attaquer aux causes profondes, et non aux pauvres personnes qui en paient les conséquences et qui sont même utilisées pour la propagande politique ! Pour éliminer les causes profondes, il ne suffit pas de camoufler les urgences. Il faut des actions concertées. Il faut aborder les changements d’époque avec une vision large. Parce qu’il n’y a pas de réponses faciles aux problèmes complexes.

Il est en revanche nécessaire d’accompagner les processus de l’intérieur pour surmonter les ghettoïsations et favoriser une intégration lente et indispensable, afin d’accueillir les cultures et les traditions des autres de manière fraternelle et responsable.

*

La mer Méditerranée devenue un gigantesque cimetière

Par-dessus tout, si nous voulons repartir, regardons le visage des enfants. Ayons le courage d’éprouver de la honte devant eux, qui sont innocents et représentent l’avenir. Ils interpellent nos consciences et nous interrogent : “Quel monde voulez-vous nous donner ?” Ne fuyons pas trop vite les images crues de leurs petits corps gisants sur les plages.

La Méditerranée, qui a uni pendant des millénaires des peuples différents et des terres éloignées, est en train de devenir un cimetière froid sans pierres tombales. Ce grand plan d’eau, berceau de tant de civilisations, est désormais comme un miroir de la mort.

Ne permettons pas que la mare nostrum se transforme en une désolante mare mortuum, que ce lieu de rencontre ne devienne pas le théâtre de conflits ! Ne laissons pas cette “mer des souvenirs” devenir la “mer de l’oubli”. Frères et sœurs, je vous en prie, arrêtons ce naufrage de civilisation !

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L’indifférence est une offense à Dieu

Sur les rives de cette mer, Dieu s’est fait homme. Sa Parole a fait écho, portant l’annonce de Dieu qui est « Père et guide de tous les hommes » (Saint Grégoire de Nazianze, Discours 7 pour son frère César, n. 24). Il nous aime comme ses enfants, et veut que nous soyons frères.

Et pourtant, c’est Dieu que l’on offense en méprisant l’homme créé à son image, en le laissant à la merci des vagues, dans le clapotis de l’indifférence, parfois même justifié au nom de prétendues valeurs chrétiennes.

La foi, au contraire, exige compassion et miséricorde – ne l’oublions pas que c’est le style de Dieu : proximité, compassion et tendresse. La foi exhorte à l’hospitalité, à cette filoxenia qui a imprégné la culture classique et qui a trouvé sa manifestation définitive en Jésus, notamment dans la parabole du Bon Samaritain (cf. Lc 10, 29-37) et dans les paroles du chapitre 25 de l’Évangile de Matthieu (cf. vv. 31-46).

Ce n’est pas de l’idéologie religieuse, ce sont les racines chrétiennes concrètes. Jésus affirme solennellement qu’il est là, dans l’étranger, dans le réfugié, dans celui qui est nu et affamé. Et le programme chrétien, c’est d’être là où est Jésus. Oui, parce que le programme chrétien, a écrit le Pape Benoît, c’« est un cœur qui voit » (Lettre encyclique Deus caritas est, n. 31).

Et je ne voudrais pas finir ce message sans remercier le peuple grec pour son accueil. Très souvent cet accueil devient un problème, car on ne trouve pas de voie de sortie pour les personnes, pour qu’elles aillent ailleurs. Merci, frères et sœurs grecs pour cette générosité.

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L’intercession de Marie

Prions maintenant la Vierge Marie pour qu’elle ouvre nos yeux sur les souffrances de nos frères. Elle qui, en hâte, s’est mise en route vers sa cousine Elizabeth qui était enceinte. Combien de mères enceintes ont trouvé la mort dans la précipitation du voyage alors qu’elles portaient la vie dans leur sein !

Que la Mère de Dieu nous aide à avoir un regard maternel qui voie dans les hommes des enfants de Dieu, des sœurs et des frères à accueillir, à protéger, à promouvoir et à intégrer. Et à aimer tendrement. Que la Mère Toute Sainte nous apprenne à mettre la réalité de l’homme avant les idées et les idéologies, et à nous hâter à la rencontre de ceux qui souffrent.

Et maintenant prions tous ensemble la Vierge Marie.

[Angelus]


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