Que l’Europe retrouve ses racines chrétiennes

Que l’Europe  retrouve ses racines chrétiennes

Première étape du voyage apostolique en Slovaquie, une rencontre œcuménique avec les représentants des Églises du pays s’est tenue à la nonciature apostolique de Bratislava, la capitale, dimanche 12 septembre. Dans son discours, le Pape François a interpellé les chrétiens du Vieux continent, les invitant à renouer avec «l’ardeur de l’annonce et la prophétie du témoignage».

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VOYAGE APOSTOLIQUE DU SAINT-PÈRE
À BUDAPEST, À L’OCCASION DE LA MESSE DE CLÔTURE
DU 52e CONGRÈS EUCHARISTIQUE INTERNATIONAL, ET EN SLOVAQUIE
(12-15 SEPTEMBRE 2021)

RENCONTRE ŒCUMÉNIQUE

DISCOURS DU SAINT-PÈRE FRANÇOIS

Nonciature apostolique à Bratislava
Dimanche 12 septembre 2021

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Chers Membres du Conseil Œcuménique des Églises en République slovaque,

je vous salue cordialement et vous remercie d’avoir accepté l’invitation et d’être venus à ma rencontre: moi en tant que pèlerin en Slovaquie, vous comme hôtes bienvenus à la Nonciature ! Je suis content que la première rencontre soit avec vous : c’est un signe que la foi chrétienne est – et veut être –, dans ce pays, germe d’unité et levain de fraternité.

Merci Béatitude, Frère Rastislav, pour votre présence ; merci cher Monseigneur Ivan, Président du Conseil Œcuménique, pour les paroles que vous m’avez adressées et qui témoignent de la volonté de continuer à marcher ensemble pour passer du conflit à la communion. La marche de vos communautés a repris après les années de persécution athéiste, alors que la liberté religieuse était interdite ou mise à dure épreuve.

Enfin, elle est arrivée. Et maintenant vous avez en commun une partie du parcours sur lequel vous expérimentez combien il est beau, mais en même temps difficile, de vivre la foi comme des personnes libres. En effet il existe la tentation de redevenir esclaves, certes, non pas d’un régime, mais d’un esclavage encore pire, l’esclavage intérieur.

C’est ce contre quoi Dostoïevski mettait en garde dans un récit célèbre, la Légende du Grand Inquisiteur. Jésus est revenu sur la Terre et est emprisonné. L’inquisiteur prononce des paroles cinglantes : l’accusation qu’il porte est précisément celle d’avoir donné trop d’importance à la liberté des hommes.

Il lui dit : « Tu veux aller au monde les mains vides, en prêchant aux hommes une liberté que leur sottise et leur ignominie naturelles les empêchent de comprendre, une liberté qui leur fait peur, car il n’y a et il n’y a jamais rien eu de plus intolérable pour l’homme ! » (Les Frères Karamazov, Galimard 1994, p. 644).

Et il augmente la dose, en ajoutant que les hommes sont disposés à échanger volontiers leur liberté avec l’esclavage le plus confortable, celui qui consiste à se soumettre à quelqu’un qui décide pour eux, pour avoir du pain et une sécurité.

Et il en arrive ainsi à reprocher à Jésus de ne pas avoir voulu devenir César pour plier la conscience des hommes et établir la paix par la force. Au contraire, il continué à préférer pour l’homme la liberté, alors que l’humanité réclame “du pain et rien d’autre”.

Chers Frères, que cela ne nous arrive pas ; aidons-nous à ne pas tomber dans le piège de se contenter de pain et de rien d’autre. Car ce risque survient lorsque la situation se normalise, lorsque nous nous sommes établis et que nous nous installons dans le but de mener une vie tranquille.

Alors, ce que l’on vise n’est plus « la liberté que nous avons dans le Christ Jésus » (Ga 2, 4), sa vérité qui nous rend libres (cf. Jn 8, 32), mais l’obtention d’espaces et de droits qui, selon l’Évangile, sont “du pain et rien d’autre”. Ici, au cœur de l’Europe, on en vient à se demander : nous chrétiens, n’avons-nous pas un peu perdu l’ardeur de l’annonce et la prophétie du témoignage ?

Est-ce la Vérité de l’Évangile qui nous rend libres, ou bien nous sentons-nous libres lorsque nous nous dégageons des comfort zone qui nous permettent de nous gérer et d’avancer sereinement sans contrecoups particuliers ? Et encore, en nous contentant de pain et de sécurité, n’avons-nous pas perdu l’élan dans la recherche de l’unité implorée par Jésus ?

Unité qui exige certainement une liberté mûre de choix forts – renoncements et sacrifices – mais qui est la condition préalable pour que le monde croie. (cf. Jn 17, 21). Ne nous intéressons pas seulement à ce qui peut servir à nos différentes communautés. La liberté du frère et de la sœur est aussi notre liberté, parce que notre liberté n’est pas complète sans lui ou elle.

Ici l’évangélisation est née de manière fraternelle, en portant le sceau des saints frères de Thessalonique Cyrille et Méthode. Ceux-ci, témoins d’une chrétienté encore unie et enflammée par l’ardeur de l’annonce, nous aident à poursuivre le chemin en cultivant la communion fraternelle entre nous au nom de Jésus.

Par ailleurs, comment pouvons-nous souhaiter une Europe qui retrouve ses racines chrétiennes si nous sommes nous-mêmes les premiers déracinés de la pleine communion ? Comment pouvons-nous rêver d’une Europe libre d’idéologies si nous n’avons pas la liberté de faire passer la liberté de Jésus avant les nécessités des différents groupes de croyants ?

Il est difficile d’exiger une Europe davantage fécondée par l’Évangile sans se préoccuper du fait que nous sommes encore divisés entre nous sur le continent et sans prendre soin les uns des autres. Des calculs de convenance, des raisons historiques et des liens politiques ne peuvent pas être des obstacles inébranlables sur notre chemin.

Que les saints Cyrille et Méthode, « précurseurs de l’œcuménisme » (S. Jean-Paul II, Lett.enc. Slavorum Apostoli, n. 14), nous aident à nous prodiguer pour une réconciliation des diversités dans l’Esprit Saint ; pour une unité qui, sans être uniformité, soit un signe et un témoignage de la liberté du Christ, le Seigneur qui dénoue les nœuds du passé et nous guérit de nos peurs et de nos timidités.

A leur époque, Cyrille et Méthode ont permis que la Parole divine s’incarne sur ces terres (cf. Jn 1, 14). Je voudrais vous proposer deux suggestions dans cette perspective, des conseils fraternels pour répandre l’Évangile de la liberté et de l’unité aujourd’hui. Le premier conseil, la première suggestion concerne la contemplation.

Un caractère distinctif des peuples slaves, qu’il vous appartient ensemble de conserver, c’est le trait contemplatif, qui, à partir d’une foi expérimentale, va au-delà des conceptualisations philosophiques et même théologiques, et qui sait accueillir le mystère.

Aidez-vous à cultiver cette tradition spirituelle dont l’Europe a tant besoin : l’Occident religieux en particulier en a soif, pour retrouver la beauté de l’adoration de Dieu et l’importance de ne pas concevoir avant tout la communauté de foi sur la base d’une efficacité programmatique et fonctionnelle.

Le deuxième conseil concerne en revanche l’action. L’unité ne s’obtient pas tant avec de bonnes intentions ni par l’adhésion à quelques valeurs communes, mais en faisant quelque chose ensemble pour ceux qui nous rapprochent davantage du Seigneur. Qui sont-ils ? Ce sont les pauvres parce que Jésus est présent en eux (cf. Mt 25, 40). Partager la charité ouvre des horizons plus larges et aide à marcher plus vite, en surmontant les préjugés et les malentendus.

Et c’est aussi une caractéristique qui trouve un accueil véritable dans ce pays où on apprend par cœur à l’école une poésie qui contient, entre autres, un très beau passage : « Lorsque la main étrangère frappe à notre porte avec une confiance sincère : qui que ce soit, s’il vient d’à côté ou de loin, de jour ou de nuit, sur notre table il y aura le don de Dieu à l’attendre » (Samo Chalupka, Mor ho !, 1864).

Que le don de Dieu soit présent sur la table de chacun afin que, même si nous ne sommes pas encore capables de partager le même repas eucharistique, nous puissions accueillir ensemble Jésus en le servant dans les pauvres.

Ce sera un signe plus évocateur que de nombreuses paroles, et aidera la société civile à comprendre, spécialement en ce temps de souffrance, que c’est seulement en étant du côté des plus faibles que nous sortirons vraiment tous ensemble de la pandémie.

Chers frères, je vous remercie pour votre présence et pour votre cheminement : le caractère doux et accueillant, typique du peuple slovaque, la traditionnelle cohabitation pacifique entre vous et votre collaboration pour le bien du pays sont précieuses pour la fermentation de l’Évangile.

Je vous encourage à avancer sur le chemin œcuménique, trésor précieux et indispensable. Je vous assure de mon souvenir dans la prière et vous demande, s’il vous plaît, de prier pour moi. Merci.


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Promouvoir la fraternité

Promouvoir la fraternité

Ce matin, dans la salle de marbre du musée des Beaux-Arts de Budapest, le Saint-Père François a rencontré les représentants du Conseil œcuménique des Églises et de certaines communautés juives de Hongrie. Après les salutations d’un représentant de la communauté chrétienne et d’un représentant de la communauté juive, le Pape a prononcé son discours. À la fin, après la récitation du Psaume et la photo de groupe, le Pape François s’est rendu sur la Place des Héros pour la Sainte Messe à la fin du 52e Congrès eucharistique international.

VOYAGE APOSTOLIQUE DU SAINT-PÈRE
À BUDAPEST, À L’OCCASION DE LA MESSE DE CLÔTURE
DU 52e CONGRÈS EUCHARISTIQUE INTERNATIONAL, ET EN SLOVAQUIE
(12-15 SEPTEMBRE 2021)

RENCONTRE AVEC LES REPRÉSENTANTS DU CONSEIL ŒCUMÉNIQUE DES ÉGLISES
ET QUELQUES COMMUNAUTÉS JUIVES D’HONGRIE

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS

Musée des Beaux-Arts (Budapest)
Dimanche 12 septembre 2021

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Chers frères !

Je suis heureux de vous rencontrer. Vos paroles, pour lesquels je vous remercie, ainsi que votre présence l’un à côté de l’autre, expriment un grand désir d’unité. Elles disent un cheminement, parfois en montée, pénible par le passé, mais que vous affrontez avec courage et bonne volonté, en vous soutenant mutuellement sous le regard du Très-Haut qui bénit les frères vivant ensemble (cf. Ps 133, 1).

Je vous vois comme des frères dans la foi au Christ, et je bénis le parcours de communion que vous poursuivez. Les paroles du frère calviniste [évêque József Steinbach, Président du Conseil Œcuménique des Églises de Hongrie] m’ont touché, merci.

Je me rends par la pensée dans l’Abbaye de Pannonhalma, centre spirituel vivant de ce pays où vous vous êtes retrouvés, il y a trois mois, pour réfléchir et prier ensemble. Prier ensemble, les uns pour les autres, et œuvrer ensemble dans la charité, les uns avec les autres, pour ce monde que Dieu aime tant (cf. Jn 3, 16) : voilà la voie la plus concrète vers la pleine unité.

Je vous vois comme des frères dans la foi d’Abraham notre père, et merci à vous [rabbin Zoltán Radnóti], pour ces paroles si profondes qui m’ont touché le cœur. J’apprécie beaucoup l’engagement dont vous avez fait preuve afin d’abattre les murs de séparation du passé. Juifs et chrétiens, vous désirez voir dans l’autre non plus un étranger, mais un ami ; non plus un adversaire, mais un frère.

C’est le changement de regard béni par Dieu, la conversion qui ouvre de nouveaux départs, la purification qui renouvelle la vie. Les fêtes solennelles de Rosh Hashanah et du Yom Kippour, qui tombent justement en cette période-ci, et pour lesquelles je vous présente mes meilleurs vœux, sont des occasions de grâce pour renouveler l’adhésion à ces invitations spirituelles.

Le Dieu de nos pères ouvre toujours de nouvelles voies : de même qu’il a transformé le désert en une voie vers la Terre Promise, de même il désire nous conduire des déserts arides de la haine et de l’indifférence vers la patrie tant désirée de la communion.

Ce n’est pas un hasard si, dans l’Écriture, ceux qui sont appelés à suivre de manière spéciale le Seigneur doivent toujours sortir, marcher, rejoindre des terres inexplorées et des espaces inédits. Pensons à Abraham qui a laissé maison, parenté et patrie. Celui qui suit Dieu est appelé à quitter.

Il nous est demandé de laisser les incompréhensions du passé, les prétentions d’avoir raison et de donner tort aux autres, pour nous mettre en chemin vers sa promesse de paix, car Dieu a toujours des projets de paix, jamais de malheur. (cf. Jr 29, 11).

Je voudrais reprendre avec vous l’image évocatrice du Pont des Chaînes, qui relie les deux parties de cette ville : il ne fusionne pas celles-ci mais les maintient unies. C’est ainsi que doivent être les liens entre nous. Chaque fois qu’il y a eu la tentation d’absorber l’autre, on n’a pas construit mais on a détruit. De même lorsqu’on a voulu le mettre dans un ghetto, au lieu de l’intégrer. Que de fois c’est arrivé dans l’histoire !

Nous devons veiller, nous devons prier pour que ça ne se reproduise plus. Et nous engager à promouvoir ensemble une éducation à la fraternité, afin que les relents de la haine qui veulent la détruire ne prévalent pas. Je pense à la menace de l’antisémitisme qui circule encore en Europe et ailleurs. C’est une mèche qui doit être éteinte.

Mais le meilleur moyen de la désamorcer c’est de travailler ensemble de manière positive, c’est de promouvoir la fraternité. Le Pont nous instruit encore : il est soutenu par de grandes chaînes, formées de nombreux anneaux. Nous sommes ces anneaux et chaque anneau est fondamental : c’est pourquoi nous ne pouvons plus vivre dans la suspicion et dans l’ignorance, distants et discordants.

Un pont met ensemble deux parties. Dans ce sens, il fait appel au concept, fondamental dans l’Écriture, d’alliance. Le Dieu de l’alliance nous demande de ne pas céder aux logiques d’isolement et d’intérêts partisans. Il ne veut pas d’alliances avec l’un au détriment des autres, mais des personnes et des communautés qui soient des ponts de communion avec tout le monde.

Dans ce pays, vous qui représentez les religions majoritaires, vous avez le devoir de favoriser les conditions pour que la liberté religieuse soit respectée et promue par tous. Et vous avez un rôle exemplaire envers chacun : que personne ne puisse dire que des paroles qui divisent sortent de la bouche d’hommes de Dieu, mais seulement des messages d’ouverture et de paix.

Dans un monde déchiré par de nombreux conflits, c’est le meilleur témoignage que doivent offrir ceux qui ont reçu la grâce de connaître le Dieu de l’alliance et de la paix.

Le Pont des Chaînes, outre le fait d’être le plus célèbre, est aussi le plus ancien de cette ville. Plusieurs générations l’ont traversé. Il nous invite ainsi à faire mémoire du passé. Nous y trouverons souffrances et obscurités, incompréhensions et persécutions mais, en allant aux racines, nous découvrirons un plus grand patrimoine spirituel commun. C’est là le trésor qui nous permet de construire ensemble un avenir différent.

Je pense aussi avec émotion à de nombreuses figures d’amis de Dieu qui ont irradié sa lumière dans les nuits du monde. Je cite, entre autres, un grand poète de ce pays, Miklós Radnóti, dont la carrière brillante a été brisée par la haine aveugle de ceux qui, seulement parce qu’il était d’origine juive, lui ont d’abord interdit d’enseigner et l’ont ensuite enlevé à sa famille.

Enfermé dans un camp de concentration, l’abîme le plus obscure et dépravé de l’humanité, il a continué à écrire des poésies jusqu’à sa mort. Son Carnet de Bord est l’unique recueil poétique qui a survécu à la Shoah : il témoigne de la force de croire à la chaleur de l’amour dans le froid du lager et d’illuminer l’obscurité de la haine avec la lumière de la foi.

L’auteur, étouffé par les chaînes qui lui oppressaient l’âme, a trouvé dans une liberté supérieure le courage d’écrire : « Captif, de tout espoir j’ai appris la mesure » (Carnet de Bord, Lettre à sa femme). Et il a posé une question qui résonne encore pour nous aujourd’hui : « Et toi comment vis-tu ? Trouve-t-elle écho, ta voix, dans cette époque ? » (Carnet de Bord, Première Églogue).

Nos voix, chers frères, ne peuvent que se faire l’écho de cette Parole que le Ciel nous a donnée, écho d’espérance et de paix. Et même si nous ne sommes pas écoutés, ou si nous sommes incompris, ne démentons jamais par les faits la Révélation dont nous sommes témoins.

A la fin, dans la solitude désolée du camp de concentration, alors qu’il se rendait compte que sa s’en allait, Radnóti a écrit : « Moi-même je suis racine à présent… J’étais une fleur, je suis devenu racine » (Carnet de Bor, Racine). Nous sommes appelés, nous aussi, à devenir des racines. Nous cherchons souvent les fruits, les résultats, l’affirmation.

Mais celui qui fait fructifier sa Parole en terre, avec la même douceur que la pluie qui fait germer le champ (cf. Is 55, 10), nous rappelle que nos chemins de foi sont semences : des semences qui se transforment en racines souterraines, des racines qui alimentent la mémoire et font germer l’avenir.

C’est ce que nous demande le Dieu de nos pères, car – comme l’écrivait un autre poète – « Dieu attend ailleurs, il attend tapi au fond de toute chose. En bas. Enfoui profondément. Là où sont les racines » (R.M. Rilke, Wladmir, le peintre des nuages). On rejoint la hauteur seulement si l’on est enraciné en profondeur.

Enracinés dans l’écoute du Très-Haut et des autres, nous aiderons nos contemporains à s’accueillir et à s’aimer. C’est seulement lorsque nous serons des racines de paix et des germes d’unité que nous serons crédibles aux yeux du monde qui nous regarde, avec la nostalgie que fleurisse l’espérance. Merci et bon cheminement ensemble, merci ! Désolé si j’ai parlé assis, mais je n’ai pas 15 ans. Merci.


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La centralité de l’Eucharistie dans la vie de l’Église

La centralité de l’Eucharistie dans la vie de l’Église

VOYAGE APOSTOLIQUE DU SAINT-PÈRE
À BUDAPEST, À L’OCCASION DE LA MESSE DE CLÔTURE
DU 52e CONGRÈS EUCHARISTIQUE INTERNATIONAL, ET EN SLOVAQUIE
(12-15 SEPTEMBRE 2021)

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES 

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS

Musée des Beaux-Arts (Budapest)
Dimanche 12 septembre 2021

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Chers frères dans l’Épiscopat, bonjour !

Je suis très content de me trouver ici au milieu de vous à l’occasion de la conclusion du 52e Congrès Eucharistique International. Je suis reconnaissant à Mgr András Veres pour la bienvenue qu’il m’a souhaitée, ainsi que pour le cadeau qu’il m’a fait en votre nom à tous : très beau, très beau ! Merci. Et je vous salue tous, vous remerciant pour l’accueil et pour la promotion de cet évènement, qui rappelle la centralité de l’Eucharistie dans la vie de l’Église.

Je voudrais partager quelques réflexions en partant du geste eucharistique : dans le Pain et dans le Vin nous voyons le Christ qui offre son Corps et son Sang pour nous. L’Église en Hongrie, avec sa longue histoire – marquée par une foi inébranlable, par des persécutions et par le sang des martyrs – est associée de façon particulière au sacrifice du Christ.

Beaucoup de frères et sœurs, beaucoup d’évêques et de prêtres ont vécu ce qu’ils célébraient sur l’autel : ils ont été moulus comme des grains de blé afin que tous puissent être nourris par l’amour de Dieu ; ils ont été pressés comme des raisins pour que le sang du Christ devienne la lymphe d’une vie nouvelle ; ils ont été brisés, mais leur offrande d’amour a été une semence évangélique de renaissance plantée dans l’histoire de ce peuple.

En regardant cette histoire, une histoire passée, faite de martyre et de sang, nous pouvons marcher vers l’avenir avec le même désir des martyrs : vivre la charité et témoigner l’Évangile. Mais dans la vie de l’Église il faut toujours tenir ensemble ces deux réalités : veiller sur le passé et regarder vers l’avenir. Garder nos racines religieuses, garder l’histoire d’où nous venons, sans cependant regarder en arrière : regarder vers l’avenir, regarder devant et trouver de nouvelles voies pour annoncer l’Évangile.

Je conserve vivant dans le cœur le souvenir des Sœurs hongroises de la Société de Jésus (Englische Fräulein), qui, à cause de la persécution religieuse, ont dû laisser leur patrie. Avec le courage de leur personnalité et leur fidélité à leur vocation, elles ont fondé le Collège “Maria Ward” dans la ville de Plátanos, proche de la capitale Buenos Aires.

De leur force, leur courage, leur patience et leur amour de la patrie j’ai beaucoup appris ; pour moi elles ont été un témoignage. En me souvenant d’elles ici aujourd’hui, je rends aussi hommage à de nombreux hommes et femmes qui ont dû aller en exil mais encore à tous ceux qui ont donné la vie pour la patrie et pour la foi.

Comme Pasteurs, vous êtes d’abord appelés à rappeler ceci à votre peuple : la tradition chrétienne – comme affirmait Benoît XVI – « n’est pas une collection de choses, de mots, comme une boîte remplie de choses mortes ; la Tradition est le fleuve de la vie nouvelle qui vient des origines, du Christ jusqu’à nous, et qui nous fait participer à l’histoire de Dieu avec l’humanité » (Audience générale, 3 mai 2006).

Vous avez choisi comme thème du Congrès un verset du Psaume 88 : « En toi, toutes nos sources ». L’Église vient de la source qui est le Christ et est envoyée afin que l’Évangile, comme un fleuve d’eau vive, infiniment plus large et accueillant que votre grand Danube, atteigne l’aridité du monde et du cœur de l’homme, en le purifiant et en le désaltérant.

Le ministère épiscopal ne sert donc pas répéter une nouvelle du passé, mais il est la voix prophétique de l’actualité perpétuelle de l’Évangile dans la vie du Peuple saint de Dieu et dans l’histoire d’aujourd’hui.

Je voudrais vous suggérer quelques indications pour poursuivre votre mission.

La première : être annonciateurs de l’Évangile. N’oublions pas qu’au centre de la vie de l’Église il y a la rencontre avec le Christ. Parfois, spécialement lorsque la société qui nous entoure ne semble pas enthousiaste par notre proposition chrétienne, la tentation est celle de s’enfermer dans la défense des institutions et des structures. Votre pays aujourd’hui est traversé par de grands changements qui touchent en général toute l’Europe.

Après un long moment où il était interdit de professer la foi, avec l’avènement de la liberté de nouveaux défis à affronter se présentèrent, dans un contexte où le sécularisme grandit et la soif de Dieu s’affaiblit. Mais rappelons-nous : la source d’eau vive, qui coule toujours et désaltère, est le Christ. Les structures, les institutions, la présence de l’Église dans la société servent seulement à réveiller dans les personnes la soif de Dieu et à leur porter l’eau vive de l’Évangile.

C’est pourquoi il vous est demandé avant tout, à vous les évêques, ceci : non pas la bureaucratie administrative des structures, que d’autres fassent cela ; non pas la recherche des privilèges et avantages. S’il vous plaît, soyez des serviteurs. Des serviteurs, non pas des princes. Qu’est-ce que je vous demande ?

La passion ardente pour l’Évangile, tel qu’il est : l’Évangile. Fidélité et passion à l’Évangile. Être des témoins et des annonciateurs de la Bonne Nouvelle, diffuseurs de joie, proches des prêtres – proches des prêtres – et des religieux avec un cœur paternel, exerçant l’art de l’écoute.

Je me permets de sortir du texte et de vous rappeler les quatre proximités de l’évêque. La proximité à Dieu est la première. Moi, comme frère, je te demande : tu pries ? Ou vas-tu seulement dire le bréviaire ? Ton cœur prie-t-il ? Toi, prends-tu le temps pour prier ? “Mais, c’est que je suis trop occupé…” Mais dans ton activisme de chaque jour, mets aussi ceci : prier.

Deuxièmement : proximité entre vous. La fraternité épiscopale, la conférence épiscopale, est une grâce. Aucun de vous ne pense la même chose que l’autre : c’est une richesse. Mais cherchez à mettre aussi dans l’unité de l’épiscopat les différences et ne cherchez pas la voie des réseaux d’influence. Tous frères. Tu penses différemment de moi, mais tu es frère. Discutons ? Discutons. Crions ? Crions. Mais comme des frères, on ne touche pas à ceci : l’unité de la Conférence épiscopale. C’est une grâce : nous devons la demander. C’est garder le peuple de Dieu dans l’unité des évêques.

La troisième proximité est celle que j’ai citée : proximité aux prêtres. Le “prochain le plus proche” de l’évêque est le prêtre. Je vous dis une chose qui me fait tant de peine. J’ai trouvé, dans certains diocèses, que ce soit dans ma patrie, quand j’étais là-bas, dans le diocèse précédent, que ce soit maintenant à Rome où je suis, des prêtres qui se plaignent, difficiles : mais ils se plaignent parce qu’ils ont envie, ils ont besoin de parler avec l’évêque.

Ainsi disent-ils. Et plusieurs fois j’ai entendu ceci : “J’ai appelé et la secrétaire a dit qu’il est très occupé, qu’il a vu et elle m’a dit : ‘dans trois semaines, peut-être, il vous donnera une rendez-vous d’un quart d’heure’”. Et le prêtre dit : “Non, merci, je ne veux pas”, ou : “oui”. Mais ça ne va pas. Le prêtre sent son évêque loin, il ne le sent pas père.

Je vous conseille, comme frère : quand vous rentrerez à l’évêché après une mission, après une visite dans une paroisse, fatigués, et vous verrez l’appel d’un prêtre, appelez-le : le même jour ou au plus tard le jour suivant : pas plus. La proximité. Et ce prêtre, s’il est appelé immédiatement, saura qu’il a un père. C’est très important.

Proximité aux prêtres, et cela signifie aussi aux religieux. “Eh, mais vous savez, ce prêtre est difficile…” Mais, dis-moi, quel père n’a pas un enfant difficile ? Tous. Les enfants, on les aime tels qu’ils sont, non pas comme je voudrais qu’ils soient. Et puis, la quatrième proximité : proximité au saint peuple fidèle de Dieu.

S’il vous plaît, n’oubliez pas votre peuple, d’où le Seigneur vous a pris. “Je t’ai pris derrière le troupeau” : n’oublie pas le troupeau d’où tu as été enlevé. Paul, qu’est-ce qu’il recommandait à Timothée ? “Souviens-toi de ta maman et de ta grand-mère, ton peuple”. L’auteur de la Lettre aux Hébreux disait : “Souviens-toi de ceux qui t’ont initié à la foi”.

Combien d’humbles catéchistes, combien de grands-mères sont derrière nous. Que le cœur soit proche du peuple. C’est mauvais quand le cœur d’un évêque s’éloigne du peuple. Les quatre proximités. Faites un examen de conscience sur la façon dont elles vont : je crois qu’elles vont bien, mais j’aime le répéter.

Proximité à Dieu, proximité entre vous – “je vois certains avec une spéciale particularité historique, liturgique, et d’autres très différents : proximité à leur liturgie, à leur histoire, sans envie de les prendre, de les latiniser : non, s’il vous plaît, non. Proximité entre vous, proximité avec les prêtres et proximité au saint peuple fidèle de Dieu.

Pour être évêque aujourd’hui – toujours, mais je souligne, aujourd’hui – il faut exercer l’art de l’écoute. Et ce n’est pas facile.” N’ayez pas peur de mettre à l’honneur la Parole de Dieu et d’impliquer les laïcs : ils seront des canaux par lesquels le fleuve de la foi irriguera de nouveau la Hongrie.

Une deuxième indication : être témoins de fraternité. Votre pays est l’endroit où cohabitent depuis longtemps des personnes venant d’autres peuples. Différentes ethnies, minorités, confessions religieuses et migrants ont aussi transformé ce pays en un environnement multiculturel. Cette réalité est nouvelle et, au moins au début, faisait peur.

La diversité fait toujours un peu peur parce qu’elle met en péril les sécurités acquises et brave la stabilité atteinte. Cependant, elle est une grande opportunité pour ouvrir son cœur au message évangélique : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12).

Devant les diversités culturelles, ethniques, politiques et religieuses, nous pouvons avoir deux attitudes : nous enfermer dans une défense radicale de notre soi-disant identité ou nous ouvrir à la rencontre avec l’autre et cultiver ensemble le rêve d’une société fraternelle.

J’aime rappeler ici que dans cette capitale européenne, en 2017, vous vous êtes rencontrés avec les représentants d’autres Conférences Épiscopales de l’Europe centrale et orientale et vous avez alors réaffirmé que l’appartenance à son identité ne doit jamais devenir un motif d’hostilité et de mépris des autres, mais plutôt une aide pour dialoguer avec des cultures différentes. Dialoguer, sans négocier son appartenance.

Sur le grand fleuve qui traverse cette ville se dresse l’imposant Pont des Chaînes : il a remplacé un fragile pont de bois et a servi à unir Buda et Pest. Si nous voulons que le fleuve de l’Évangile atteigne la vie des personnes, en faisant germer aussi ici en Hongrie une société plus fraternelle et solidaire, nous avons besoin que l’Église construise de nouveaux ponts de dialogue.

Comme Évêques, je vous demande de montrer toujours, avec les prêtres et les collaborateurs pastoraux, le visage vrai de l’Église : elle est mère. Elle est mère ! Un visage accueillant envers tous, y compris ceux qui viennent de l’extérieur, un visage fraternel, ouvert au dialogue. Soyez des Pasteurs qui ont à cœur la fraternité. Non pas des patrons du troupeau, mais des pères et frères.

Que le style de la fraternité, que je vous demande de cultiver avec les prêtres et avec tout le Peuple de Dieu, devienne un signe lumineux pour la Hongrie. Ainsi prendra forme une Église où spécialement les laïcs, dans chaque domaine de leur vie quotidienne, familiale, sociale et professionnelle, deviendront le levain de fraternité évangélique. Que l’Église hongroise soit construite de ponts et promotrice de dialogue !

Enfin, la troisième chose, être constructeurs d’espérance. Si nous mettons l’Évangile au centre et le témoignons dans l’amour fraternel, nous pouvons regarder l’avenir avec espérance, même si aujourd’hui nous traversons de petites ou de grandes tempêtes.

C’est ce que l’Église est appelée à répandre dans la vie des personnes : la certitude rassurante que Dieu est miséricorde, qu’il nous aime à chaque instant de la vie et est toujours prêt à nous pardonner et à nous relever. N’oubliez pas le style de Dieu, qui est un style de proximité, compassion et tendresse. C’est le style de Dieu. Allons sur cette route, avec le même style.

La tentation de nous abattre et de nous décourager ne vient jamais de Dieu. Jamais. Elle vient de l’ennemi, mais elle s’alimente de nombreuses situations : derrière la façade du bien-être, derrière un vêtement de traditions religieuses peuvent se cacher de nombreux côtés obscurs.

L’Église en Hongrie a récemment eu l’occasion de réfléchir sur la façon dont le passage de l’ère de la dictature à celle d’une liberté retrouvée est une transition marquée par des contradictions : la dégradation de la vie morale, l’augmentation de la mafia, le commerce de la drogue, jusqu’à la plaie du trafic des organes et de nombreux faits d’enfants, assassinés pour cela.

Il y a des problèmes sociaux : les difficultés des familles, la pauvreté, les blessures qui frappent le monde des jeunes, dans un contexte où la démocratie a encore besoin de se consolider. L’Église ne peut qu’être protagoniste de proximité, dispensatrice d’attention et de consolation pour les personnes, afin qu’elles ne se laissent jamais voler la lumière de l’espérance.

L’annonce de l’Évangile revigore l’espérance parce qu’elle nous rappelle qu’en tout ce que nous vivons Dieu est présent, nous accompagne, nous donne courage, nous donne créativité pour commencer toujours une histoire nouvelle.

C’est émouvant de rappeler ce qu’affirmait le Vénérable Cardinal József Mindszenty, fils et père de cette Église et de cette terre, qui, à la fin d’une vie remplie de souffrances à cause de la persécution, a laissé ces paroles d’espérance : « Dieu est jeune. Le futur lui appartient. C’est lui qui évoque ce qui est nouveau, jeune et l’avenir des individus et des peuples. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous abandonner au désespoir » (Message au Président du Comité organisateur et aux Hongrois en exil, in J. Közi Horváth, Mindszenty bíboros, p. 111). Dieu est jeune.

Devant les crises, sociales ou ecclésiales, puissiez-vous toujours être des constructeurs d’espérance. Comme Evêques du pays, avoir toujours des paroles d’encouragement. Qu’on ne trouve pas sur vos lèvres des expressions qui marquent des distances et imposent des jugements, mais qui aident le Peuple de Dieu à regarder avec confiance l’avenir, aident les personnes à devenir des protagonistes libres et responsables de la vie qui est un don de grâce à accueillir, non pas un casse-tête à résoudre.

Le cube de votre valeureux et célèbre architecte Rubik demeure un jeu génial, mais non un modèle pour la vie ! Et rappelez-vous : pasteurs du troupeau. Le pasteur doit être au sein du troupeau : au début du troupeau pour indiquer le chemin, au milieu du troupeau pour en saisir l’odeur, derrière le troupeau pour aider ceux qui restent en arrière et pour laisser aussi que le troupeau aille un peu de l’avant, parce qu’il a un flair spécial pour indiquer où se trouvent les terrains bons, nourrissants.

Chers frères, même la Hongrie a besoin d’une annonce renouvelée de l’Evangile, d’une nouvelle fraternité sociale et religieuse, d’une espérance à construire jour après jour pour regarder l’avenir avec joie. Vous êtes des Pasteurs protagonistes de ce processus historique, de cette belle aventure.

Frères, que Dieu vous confirme dans la joie de la mission – la joie de la mission ! Je vous remercie pour tout ce que vous faites et vous bénis de cœur. Que la Vierge Marie vous protège et que saint Joseph vous garde. Et, si vous avez un peu de temps, priez pour le Pape. Merci.


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