Charles Péguy, chantre de Notre-Dame

PéguyVoici cent trois ans que Charles Péguy n’est plus de notre monde. Il est parti, mort debout, emporté d’une balle en pleine tête, le 5 septembre 1914, sous l’uniforme de lieutenant de réserve au début de la Grande Guerre près de Neufmontiers-lès-Meaux. Charles Péguy venait de recevoir les sacrements un mois avant sa mort, le 15 août 1914, à Loupmont. Poète et penseur engagé de son époque, auteur majeur du XXème siècle, pour lui les mots avaient un sens. Et il ne pouvait pas supporter le mensonge, la peur des préjugés, quel qu’en soit le prix à payer.

En 1912, touché par la maladie de son fils cadet Pierre atteint de typhoïde, puis de diphtérie, il part en pèlerinage à Chartres, du 14 au 17 juin, parcourant 144 km en trois jours ; Alain-Fournier l’accompagne sur une partie du chemin. Selon son ami Joseph Lotte, à son retour de Chartres, plein de confiance, Péguy a dit au sujet de ses enfants : « Mon gosse est sauvé, je les ai donnés tous les trois à Notre-Dame. Moi, je ne peux pas m’occuper de tout. » Il fait à nouveau ce pèlerinage en 1913, du 25 au 28 juillet. Il écrit : «… J’ai tant souffert et tant prié… Mais j’ai des trésors de grâce, une surabondance de grâce inconcevable… »

Les vers admirables de la ‘Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres’ parlent d’eux-mêmes : c’est de traversée qu’il s’agit. C’est le plus beau fruit de cette purification, de ce renouveau par la prière, l’évocation pleine de vie et de spontanéité que Péguy nous a laissée lui-même de son pèlerinage à Chartres. Avec les quatre poèmes initiaux de présentation sur Notre Dame de Paris et les cinq prières dans la cathédrale de Chartres, l’ensemble constitue la ‘Tapisserie de Notre-Dame’.

L’œuvre de Péguy célèbre avec flamme des valeurs qui pour lui sont les seules respectueuses de la noblesse naturelle de l’homme, de sa dignité et de sa liberté : d’abord, son humble travail, exécuté avec patience, sa terre, cultivée avec respect, sa famille. Ce sont là ses valeurs essentielles, liées à son patriotisme et à sa foi dans une République qui serait enfin forte, généreuse et ouverte. Et c’est précisément là, pour lui, que dans une action résolue, se rencontre Dieu. À ce titre Péguy peut apparaître comme un chantre des valeurs de la nature créée par un Dieu d’amour. D’où son attachement profond à Marie : selon le capitaine Claude Casimir-Périer, il a passé la nuit précédant sa mort à fleurir la statue de la Vierge dans la petite église du village où stationnait son unité, cantonnée dans un vieux couvent des bois de Saint Witz.

Voici le début de la ‘Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres’

Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l’océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape

Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos cœurs dépeuplés,
Voici le long de nous nos poings désassemblés
Et notre lassitude et notre force pleine.

Étoile du matin, inaccessible reine,
Voici que nous marchons vers votre illustre cour,
Et voici le plateau de notre pauvre amour,
Et voici l’océan de notre immense peine…

Nous ne demandons rien, refuge du pécheur,
Que la dernière place en votre Purgatoire,
Pour pleurer longuement notre tragique histoire,
Et contempler de loin votre jeune splendeur.