«La charité ne m’étonne pas. Ça n’est pas étonnant. Ces pauvres créatures sont si malheureuses qu’à moins d’avoir un cœur de pierre, comment n’auraient-elles point charité les unes des autres», selon un célèbre passage du Porche de la deuxième vertu de Charles Péguy. Mais en réalité, la miséricorde n’est pas tellement aimée.
En 1980, dans la deuxième encyclique de son long pontificat, Dives in misericordia, Jean-Paul II observait déjà : « Plus peut-être que celle de l’homme d’autrefois, la mentalité contemporaine semble s’opposer au Dieu de miséricorde, et elle tend à éliminer de la vie et à ôter du cœur humain la notion même de miséricorde. Le mot et l’idée de miséricorde semblent mettre mal à l’aise l’homme qui, grâce à un développement scientifique et technique inconnu jusqu’ici, est devenu maître de la terre qu’il a soumise et dominée».
Il est utile de rappeler que l’amour de Dieu pour l’homme mystérieux, inexplicable, inlassable, «excessif» dirions-nous, en nous arrêtant à nos catégories de pensée limitées — ce n’est pas un accessoire, une décoration superflue, mais l’architrave de la vie de l’Église, comme le Pape François l’a réaffirmé dans de nombreux passages de la Bulle d’indiction de l’année jubilaire. C’est un principe fondateur, présent, placé à la racine même de la création.
Il y en a qui disent plus ou moins ce qui suit : tout vient du big bang et Dieu ne sert à rien. Des discours entendus, peut-être mal compris, peut-être simplifiés de manière erronée. Je ne sais pas. Mais un monde qui commence par hasard, sans cœur et sans âme, est tout simplement absurde ; il est sans logique et sans parfum, sans sens et sans beauté ». Dans un monde structurellement absurde, l’amour n’a pas droit de cité et encore moins le pardon. « Il est triste — lit-on dans la bulle d’indiction du Pape François — de voir combien l’expérience du pardon est toujours plus rare dans notre culture. Même le mot semble parfois disparaître. On ne peut repartir que de l’expérience concrète : celui qui a été pardonné sait bien que la gratuité existe.
extraits de l’article de Silvia Guidi – L’OSSERVATORE ROMANO, jeudi 10 mars 2016, p. 16