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l’Albanie, modèle interreligieux pour le Pape

21-09-2014 Radio Vatican

Sur son chemin de l’aéroport jusqu’au centre de Tirana, le Pape François a été acclamé par une foule en liesse. Cette joie mêlant toutes les générations était particulièrement émouvante sur le boulevard des vétérans de la nation, où les visages de 40 martyrs des persécutions de la dictature communiste (1946-1991) apparaissent sur des affiches.  Dans la foule se détachaient les robes blanches à liseré bleu des Missionnaires de la Charité, les sœurs de Mère Teresa, native du pays, et qui avait accompagné Jean-Paul II lors de son voyage d’avril 1993 à Tirana.

Le Pape François a ensuite été reçu au palais présidentiel par le président albanais Bujar Nishani. Après un entretien d’une vingtaine de minutes en privé, le Pape et le président albanais se sont exprimés devant la presse.

Dans son discours, le président Nishani a salué la bonne coexistence religieuse et la tradition de dialogue entre catholiques, orthodoxes, musulmans sunnites et bektashis (chiites de tradition soufie). « Aucune discrimination, aucune intolérance, aucun extrémisme » n’existe en Albanie, a affirmé le président,  en saluant la « résistance héroïque » des catholiques face à « la tyrannie et aux persécutions de l’époque communiste ». « L’Albanie a 24 années de liberté. Du pays le plus isolé d’Europe, d’un pays athée, nous sommes devenus le pays des libertés religieuses. »

Il a remercié très chaleureusement le Pape François pour sa visite.  « Vos paroles sont une grande réflexion spirituelle et éthique sur le respect que mérite chaque être humain, sur la foi et le droit de conserver la foi. Ce sont des leçons de foi et de culture, ce sont des sources d’inspiration pour la démocratie de l’Albanie mais aussi de toute l’humanité. C’est important de continuer les rapports avec le Saint-Siège, qui sont stratégiques, pas seulement pour la communauté catholique mais pour toute la nation. Je conclus en vous disant merci au nom de ma nation pour l’honneur que vous nous faites d’être avec nous aujourd’hui. »

L’hommage du Pape à la solidarité interreligieuse en Albanie

François a répondu a ce discours en expliquant les motivations de son 4e voyage apostolique, le premier en Europe :« Je suis très heureux d’être avec vous, sur la noble terre d’Albanie, terre des héros qui ont sacrifié leur vie pour l’indépendance du pays, et terre des martyrs qui ont témoigné de leur foi aux temps difficiles de la persécution. Je vous remercie de votre invitation à visiter votre patrie, appelée « terre des aigles », et pour votre accueil festif. »

Il a remarqué le chemin parcouru depuis la sortie officielle du communisme en 1991. « Près d’un quart de siècle s’est écoulé depuis que l’Albanie a retrouvé le chemin, rude mais passionnant, de la liberté. Celle-ci a permis à la société albanaise d’entreprendre un parcours de reconstruction matérielle et spirituelle, de susciter beaucoup d’énergies et d’initiatives, de s’ouvrir à la collaboration et aux échanges avec les pays voisins des Balkans et de la Méditerranée, de l’Europe et du monde entier. La liberté retrouvée vous a permis de regarder vers l’avenir avec confiance et espérance, de lancer des projets et de tisser à nouveau des relations d’amitié avec les nations voisines et lointaines. Le respect des droits humains, parmi lesquels se distingue la liberté religieuse et d’expression de la pensée, est, en effet, une condition préalable au développement même du pays qu’il soit social ou économique. Quand la dignité de l’homme est respectée et que ses droits sont reconnus et garantis, fleurissent aussi la créativité et l’esprit d’initiative, et la personnalité humaine peut déployer ses multiples initiatives en faveur du bien commun. »

Le Pape a rappelé à quel point l’Albanie apportait un exemple concret de tolérance et même de solidarité interreligieuse, face à un contexte mondial marqué par une progression de la tentation intégriste. « Je me réjouis particulièrement d’une heureuse caractéristique de l’Albanie, qui est préservée avec beaucoup de soin et d’attention : je fais référence à la cohabitation pacifique et à la collaboration entre ceux qui appartiennent à différentes religions. Le climat de respect et de confiance réciproque entre catholiques, orthodoxes et musulmans est un bien précieux pour le pays, et acquiert une importance spéciale à notre époque où le sens religieux authentique est travesti par des groupes extrémistes, et où les différences entre les diverses confessions sont déformées et instrumentalisées, en en faisant un dangereux facteur d’affrontement et de violence ; cela au lieu d’en faire une occasion de dialogue ouvert et respectueux, et de réflexion commune sur ce que signifie croire en Dieu et suivre sa loi.»

Contre l’instrumentalisation de Dieu à des fins politiques

Le Pape, comme il l’a fait à de nombreuses reprises, s’est exprimé contre les fondamentalismes. « Que personne ne pense pouvoir se faire de Dieu un bouclier lorsqu’il projette et accomplit des actes de violence et de mépris ! Que personne ne prenne prétexte de la religion pour accomplir ses propres actions contraires à la dignité de l’homme et à ses droits fondamentaux, en premier lieu celui à la vie et à la liberté religieuse de tous ! Ce qui se passe en Albanie démontre, au contraire, que la cohabitation pacifique et fructueuse entre personnes et communautés appartenant à des religions différentes est, non seulement souhaitable, mais concrètement possible et réalisable. En effet, la cohabitation pacifique entre les différentes communautés religieuses est un bien inestimable pour la paix et pour le développement harmonieux d’un peuple. C’est une valeur qui est gardée et qui s’accroît chaque jour par l’éducation au respect des différences et des identités spécifiques, ouvertes au dialogue et à la collaboration pour le bien de tous, et par l’exercice de la connaissance et de l’estime les uns des autres. C’est un don qui est toujours demandé au Seigneur dans la prière. Puisse l’Albanie continuer toujours sur cette route, devenant pour beaucoup de pays un exemple dont on s’inspire ! »

Pour un développement intégral, au service de l’homme

François a aussi évoqué la situation économique, restée fragile après la chute du communisme, mais qui s’est améliorée, alors que les années 1990 avaient été marquées par une forte émigration. « Après l’hiver de l’isolement et des persécutions, est venu enfin le printemps de la liberté. À travers des élections libres et de nouvelles formes institutionnelles, le pluralisme démocratique s’est consolidé et cela a favorisé la reprise des activités économiques. Beaucoup de personnes, surtout au début, poussées par la recherche d’un travail et de meilleures conditions de vie, ont pris le chemin de l’émigration et participent à leur manière au progrès de la société albanaise. Beaucoup d’autres ont redécouvert les raisons de rester dans le pays et de le construire de l’intérieur. Les peines et les sacrifices de tous ont contribué à l’amélioration des conditions générales. »

Et le Pape a rappelé que la communauté catholique a pris sa part dans la reconstruction d’une Albanie libre. « L’Église Catholique, de son côté, a pu reprendre une existence normale, reconstituant sa hiérarchie et renouant le fil d’une longue tradition. Des lieux de culte ont été construits ou reconstruits, parmi lesquels se distingue le sanctuaire de Notre Dame du Bon Conseil, à Scutari ; des écoles ont été fondées ainsi que d’importants centres éducatifs et d’assistance, à la disposition de tous les citoyens. La présence de l’Église et son action sont dès lors perçues à juste titre non seulement comme un service à la communauté catholique, mais aussi à la nation tout entière.»

Il a aussi salué une grande figure albanaise, Mère Teresa, dont de nombreux espaces publics à Tirana portent le nom aujourd’hui, à commencer par l’aéroport international. « La bienheureuse Mère Teresa, avec les martyrs qui ont héroïquement témoigné de leur foi – à eux va notre plus haute reconnaissance et notre prière – se réjouissent certainement au ciel de l’engagement des hommes et des femmes de bonne volonté pour faire refleurir la société et l’Église en Albanie. Mais maintenant de nouveaux défis se présentent auxquels il faut répondre. »

Il a appelé à un développement réellement inclusif, qui ne crée pas de nouveaux pauvres. « Dans un monde qui tend à la mondialisation économique et culturelle, il convient de faire tous les efforts pour que la croissance et le développement soient mis à la disposition de tous, et pas seulement d’une partie de la population. De plus, un tel développement ne sera pas authentique s’il n’est aussi durable et équitable, c’est à dire s’il ne se souvient pas des droits des pauvres et ne respecte pas l’environnement. À la mondialisation des marchés il est nécessaire que corresponde une mondialisation de la solidarité ; la croissance économique doit s’accompagner d’un plus grand respect de la création ; en même temps que les droits individuels, ceux des réalités intermédiaires entre l’individu et l’État doivent être protégés, et la première de toutes ces réalités c’est la famille. L’Albanie aujourd’hui peut affronter ces défis dans un cadre de liberté et de stabilité, qui sont consolidées et qui font bien espérer pour l’avenir. Je remercie cordialement chacun de vous pour l’accueil délicat et, comme le fit saint Jean Paul II en avril 1993, j’invoque sur l’Albanie la protection de Marie, Mère du Bon Conseil, lui confiant les espérances de tout le peuple albanais. Que Dieu répande sur l’Albanie sa grâce et sa bénédiction. »

Église d’Albanie, merci pour ta fidélité…

… à l’Évangile

21-09-2014 source : Radio Vatican

C’est sur la place qui porte le nom d’une fille illustre de ces terres, Mère Teresa, albanaise d’origine macédonienne, que le Pape François a célébré la messe dimanche matin, dans le centre de Tirana, la capitale albanaise. Des dizaines de milliers de personnes étaient massées sur la place, des catholiques, membres d’une Église martyre aujourd’hui en plein essor, mais aussi des musulmans, majoritaires dans ce pays qui a tant souffert et qui a réussi à instaurer la paix interreligieuse. Il y avait aussi des fidèles venus des pays voisins. Lors de son homélie, le Pape a aussi salué les nombreux jeunes présents, « Vous êtes un peuple jeune !» a-t-il lancé sous les applaudissements enthousiastes de la foule, alors que les pays des Balkans connaissent des difficultés démographiques.

C’est en voiture découverte, comme d’habitude, que le Saint-Père a circulé dans la foule en liesse. Dans son homélie, le Souverain Pontife n’a pas manqué d’évoquer « le passé douloureux de l’Albanaise, un passé récent où la porte de ce pays a été bloquée par le verrou des interdictions et des prescriptions d’un système qui niait Dieu et empêchait la liberté religieuse, un système qui avait peur de la vérité et de la liberté ; des décennies d’atroces souffrances et de très dures persécutions contre les catholiques, les orthodoxes et les musulmans. »

L’Albanie terre de martyrs

« Nous pouvons dire que l’Albanie a été une terre de martyrs », a lancé le Pape François rendant un hommage appuyé au courage et à la cohérence de ceux qui ne se sont pas pliés devant les menaces, qui ont souffert pour le Christ, y compris jusqu’au sacrifice de leur vie. L’évêque de Rome a choisi de limiter sa courte visite à Tirana, la capitale, mais il a dit les mots que les catholiques albanais attendaient en disant se rendre spirituellement au mur du cimetière de Scutari, lieu-symbole du martyre des catholiques.

« Avec émotion, je dépose la fleur de la prière et du souvenir reconnaissant et impérissable. Aujourd’hui les portes de l’Albanie se sont rouvertes et le temps d’un nouvel engagement missionnaire pour tous les membres du peuple de Dieu est en train de mûrir. Et le Saint-Père a encouragé les membres de la communauté catholique à donner un élan à l’action pastorale et à continuer la recherche de nouvelles formes de présence de l’Église dans la société. Tant d’hommes et de femmes attendent la lumière de l’Évangile et la grâce des Sacrements ! »

Non à l’idolâtrie de l’argent et à la fausse liberté individualiste

A la fin de la messe, célébrée en latin et en albanais, et avant la prière de l’Angélus, le Pape François a exhorté les jeunes à « construire leur existence sur Jésus Christ, à dire non à l’idolâtrie de l’argent, non à la fausse liberté individualiste, non aux dépendances et à la violence ; et au contraire à dire oui à la culture de la rencontre et de la solidarité, oui à la beauté inséparable du bien et du vrai ; oui à la vie dépensée avec grandeur d’âme et fidélité dans les petites choses. Ainsi vous construirez une Albanie meilleure et un monde meilleur. » Avant la célébration eucharistique, le maire de Tirana avait remis au Pape François les clefs de la ville.

invités à une conversion missionnaire

20-09-2014 source : Radio Vatican

« Soyez des signes de la bonté, de la miséricorde de Dieu », dans un monde traversé par la souffrance, la pauvreté et la solitude : c’est en substance le message du Pape aux quelque 2000 participants à la rencontre internationale portant sur « le projet pastoral d’Evangelii Gaudium – La Joie de l’Évangile », l’exhortation apostolique de François, parue fin 2013. Un texte présenté par le Pape lui-même comme le programme de son pontificat, et qui invite à une conversion pastorale et missionnaire.

Aux personnes réunis Salle Paul VI au Vatican, le Pape a tenu à rappeler l’essence de la mission évangélisatrice de l’Église, et ce qu’elle exige de chaque missionnaire.

De combien de solitudes et de pauvretés sommes-nous les témoins ? Combien de personnes, perdues dans les périphéries existentielles de notre temps, voyons-nous désemparées et abattues ? Comment faire pour les rejoindre ? Comment partager avec elles l’expérience de la Foi, de l’amour du Christ ? L’Église doit percevoir ces signes des Temps, et y répondre. Et, pour le Pape, c’est maintenant le temps de l’engagement concret, car les personnes souffrantes demandent à l’Église d’être proches d’eux, d’être signes d’espérance et de l’amour de Dieu. Et cet engagement incombe à tous, à l’évêque dans son diocèse, au curé de paroisse, aux catéchistes.

Les exigences pastorales sont telles que nous courons le risque de nous effrayer, de nous replier derrière la tentation du cléricalisme, de la suffisance. Pire encore, de vouloir codifier la Foi en un ensemble de règles et de prescriptions, comme les Pharisiens, au temps de Jésus. « Nous aurons alors tout clarifié, observe le Pape, mais le peuple de Dieu continuera à avoir faim et soif de Dieu ».

Attention également à ne pas se perdre dans l’activisme. Attention de réduire la pastorale à un ensemble d’initiatives et de perdre de vue l’essence même de l’évangélisation. Une pastorale sans prière et sans contemplation ne pourra jamais rejoindre le cœur des personnes. Et ultime conseil aux agents pastoraux : ayez patience et persévérance ! Nous n’avons pas de baguette magique, mais nous avons la confiance du Seigneur qui nous accompagne. Faisons le Bien, semons et témoignons : voilà le début de l’évangélisation qui touche et transforme les cœurs.