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la vieillesse, un temps pour cultiver la sensibilité de l’âme

la vieillesse, un temps pour cultiver la sensibilité de l’âme

Le Pape a poursuivi son cycle de catéchèses sur la vieillesse lors de l’audience générale de ce mercredi 30 mars. Ce cinquième épisode est dédié à la «fidélité à la visite de Dieu pour la génération future», à partir des figures de Syméon et d’Anne, qui accueillent le Messie dans le Temple. Le Pape a invité les personnes âgées à affiner leurs sens spirituels, alors que l’esprit du monde tend à les étouffer.

 

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Salle Paul VI
Mercredi 30 mars 2022

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Catéchèse sur la vieillesse
– 5. Fidélité à la visite de Dieu pour la génération future

Résumé

Nous poursuivons notre catéchèse sur le thème de la vieillesse, en considérant ce matin les figures de Syméon et Anne qui, sûrs de leur espérance, attendent le Messie. Ces deux anciens, pleins de vitalité spirituelle, nous apprennent que la fidélité de l’attente affine les sens de l’âme. C’est ce que nous demandons encore à l’Esprit Saint dans l’hymne du Veni Creator.

Aujourd’hui, plus que jamais, dans l’étourdissement des sens corporels et l’illusion d’une éternelle jeunesse, nous nous trouvons face à une anesthésie, souvent inconsciente, des sens spirituels. La sensibilité de l’âme ne touche pas seulement la pensée de Dieu ou la religion, mais aussi la compassion et la pitié, la honte et le remord, la fidélité et le dévouement, la tendresse et notre responsabilité envers l’autre.

On entend bien cette rhétorique de l’inclusion des plus fragiles dans les discours politiquement corrects, mais dans la pratique, l’esprit de la fraternité humaine – qu’il m’a semblé nécessaire de relancer avec force – est comme un vêtement élimé, à admirer certes, mais… dans un musée !

Malgré le conformisme ambiant, nous pouvons observer le témoignage émouvant de tant de jeunes qui honorent pleinement cette fraternité et manifestent cet élan vital de tendresse sociale.

 

CATÉCHÈSE

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans notre itinéraire catéchétique sur le thème de la vieillesse, nous regardons aujourd’hui le tendre tableau peint par l’évangéliste saint Luc, qui met en scène deux personnages âgés, Siméon et Anne. Leur raison de vivre, avant de quitter ce monde, c’est d’attendre la visite de Dieu.

Ils ont attendu que Dieu vienne les visiter, c’est-à-dire Jésus. Siméon sait, par une prémonition du Saint-Esprit, qu’il ne mourra pas avant d’avoir vu le Messie. Anne va au temple tous les jours et se consacre à son service. Tous deux reconnaissent la présence du Seigneur dans l’enfant Jésus, qui comble de consolation leur longue attente et rassure leur adieu à la vie. C’est une scène de rencontre avec Jésus et d’adieu.

Que pouvons-nous apprendre de ces deux anciens pleins de vitalité spirituelle ?

En attendant, on apprend que la fidélité de l’attente affine les sens. Après tout, nous le savons, le Saint-Esprit fait exactement cela : il illumine les sens. Dans l’ancien hymne Veni Creator Spiritus, avec lequel nous invoquons encore aujourd’hui le Saint-Esprit, nous disons : « Accende lumen sensibus », allumez une lumière pour les sens, illuminez nos sens. L’Esprit en est capable : il aiguise les sens de l’âme, malgré les limitations et les blessures des sens du corps.

La vieillesse affaiblit, d’une manière ou d’une autre, la sensibilité du corps : on est plus aveugle, on est plus sourd… Or, une vieillesse qui s’est exercée en prévision de la visite de Dieu ne perdra pas son passage : en effet, elle sera encore plus prête à le saisir, elle aura plus de sensibilité pour accueillir le Seigneur quand il passera.

Nous nous souvenons que l’attitude du chrétien est d’être attentif aux visites du Seigneur, parce que le Seigneur passe dans notre vie avec des inspirations, avec l’invitation à être meilleur. Et saint Augustin dit : « J’ai peur de Dieu quand il passe » – « Mais pourquoi as-tu peur ? » – « Oui, j’ai peur de ne pas le remarquer et de le laisser passer ». C’est le Saint-Esprit qui prépare les sens à comprendre quand le Seigneur nous visite, comme il l’a fait avec Siméon et Anne.

Aujourd’hui, nous en avons plus que jamais besoin : nous avons besoin d’une vieillesse douée de sens spirituels vifs et capable de reconnaître les signes de Dieu, voire le Signe de Dieu, qui est Jésus. Un signe qui nous met en crise, toujours : Jésus nous met en crise car c’est un « signe de contradiction » (Lc 2, 34) – mais qui nous remplit de joie.

Parce que la crise ne t’apporte pas forcément de la tristesse, non : être en crise, rendre service au Seigneur, te donne souvent la paix et la joie. L’anesthésie des sens spirituels – et c’est mauvais – l’anesthésie des sens spirituels, dans l’excitation et l’engourdissement de ceux du corps, est un syndrome répandu dans une société qui cultive l’illusion de l’éternelle jeunesse, et c’est le plus dangereux trait réside dans le fait qu’il est le plus souvent inconscient.

Vous ne remarquez pas que vous êtes anesthésié. Et cela se produit : cela s’est toujours produit et cela se produit à notre époque. Les sens anesthésiés, sans comprendre ce qui se passe ; les sens intérieurs, les sens de l’esprit pour comprendre la présence de Dieu ou la présence du mal, anesthésiés, ne font pas la distinction.

Lorsque vous perdez la sensibilité du toucher ou du goût, vous le remarquez tout de suite. Au lieu de cela, celle de l’âme, cette sensibilité de l’âme que vous pouvez ignorer pendant longtemps, vivre sans vous rendre compte que vous avez perdu la sensibilité de l’âme. Il ne s’agit pas simplement de penser à Dieu ou à la religion.

L’insensibilité des sens spirituels concerne la compassion et la pitié, la honte et le remords, la fidélité et le dévouement, la tendresse et l’honneur, la propre responsabilité et la douleur de l’autre. C’est curieux : l’insensibilité ne vous fait pas comprendre la compassion, elle ne vous fait pas comprendre la pitié, elle ne vous fait pas ressentir de honte ou de remords d’avoir fait une mauvaise chose.

C’est ainsi : les sens spirituels anesthésiés confondent tout et on ne ressent pas, spirituellement, de telles choses. Et la vieillesse devient, pour ainsi dire, la première perte, la première victime de cette perte de sensibilité. Dans une société qui exerce principalement une sensibilité à la jouissance, l’attention aux fragiles ne peut qu’échouer et la compétition des vainqueurs peut prévaloir.

Et ainsi la sensibilité est perdue. Bien sûr, la rhétorique de l’inclusion est la formule rituelle de tout discours politiquement correct. Mais elle n’apporte toujours pas de réelle correction dans les pratiques de coexistence normale : une culture de la tendresse sociale peine à se développer.

Non : l’esprit de fraternité humaine – qu’il semblait nécessaire de raviver avec force – est comme un vêtement abandonné, à admirer, oui, mais… dans un musée. La sensibilité humaine est perdue, ces mouvements de l’esprit qui nous rendent humains sont perdus.

C’est vrai, dans la vraie vie on peut observer, avec une émouvante gratitude, beaucoup de jeunes capables d’honorer pleinement cette fraternité. Mais c’est bien là le problème : il y a un gouffre, un gouffre coupable, entre le témoignage de cette sève de la tendresse sociale et le conformisme qui oblige la jeunesse à se raconter d’une toute autre manière. Que pouvons-nous faire pour combler cet écart?

De l’histoire de Siméon et d’Anne, mais aussi d’autres récits bibliques de personnes âgées sensibles à l’Esprit, il y a un indice caché qui mérite d’être mis en évidence. En quoi consiste la révélation qui enflamme la sensibilité de Siméon et Anna ? Elle consiste à reconnaître dans un enfant, qu’ils n’ont pas engendré et qu’ils voient pour la première fois, le signe certain de la visite de Dieu.

Ils acceptent qu’ils ne sont pas des protagonistes, mais seulement des témoins. Et quand un individu accepte de ne pas être le protagoniste, mais s’implique comme témoin, tout va bien : cet homme ou cette femme mûrit bien. Mais s’il a toujours le désir d’être un protagoniste, ce voyage vers la plénitude de la vieillesse ne mûrira jamais.

La visite de Dieu ne s’incarne pas dans leur vie, de ceux qui veulent être protagonistes et jamais témoins, elle ne les met pas en scène comme sauveurs : Dieu ne prend pas chair dans leur génération, mais dans la génération à venir. Ils perdent leur esprit, ils perdent la volonté de vivre avec maturité et, comme on dit habituellement, ils vivent superficiellement.

C’est la grande génération des superficiels, qui ne se permet pas de ressentir les choses avec la sensibilité de l’esprit. Mais pourquoi ne s’autorisent-ils pas ? En partie par paresse, et en partie parce qu’ils ne le peuvent pas déjà : ils l’ont perdu. C’est mal quand une civilisation perd la sensibilité de l’esprit.

Au lieu de cela, c’est merveilleux quand nous trouvons des anciens comme Siméon et Anne qui préservent cette sensibilité de l’esprit et sont capables de comprendre les différentes situations, comme ces deux-là ont compris cette situation qui était devant eux qui était la manifestation du Messie. Aucun ressentiment et aucune récrimination, donc, quand je suis dans cet état d’immobilité.

Au lieu de cela, une grande émotion et une grande consolation lorsque les sens spirituels sont encore vivants. L’émotion et la consolation de pouvoir constater et annoncer que l’histoire de leur génération n’est pas perdue ou gaspillée, grâce à un événement qui prend chair et se manifeste dans la génération suivante. Et c’est ce que ressent une personne âgée quand ses petits-enfants vont lui parler : ils se sentent ravivés.

« Ah, ma vie est toujours là ». Il est si important d’aller vers les personnes âgées, il est si important de les écouter. C’est tellement important de leur parler, parce que cet échange de civilisations a lieu, cet échange de maturité entre jeunes et vieux. Et ainsi, notre civilisation avance d’une manière mature.

Seule la vieillesse spirituelle peut donner ce témoignage humble et éblouissant, le rendant autoritaire et exemplaire pour tous. La vieillesse qui a cultivé la sensibilité de l’âme éteint toute envie entre les générations, tout ressentiment, toute récrimination pour un avènement de Dieu dans la génération à venir, qui s’accompagne du rejet de la sienne.

Et c’est ce qui arrive à une personne âgée ouverte avec un jeune homme ouvert : il prend congé de la vie mais cède – entre guillemets – sa vie à la nouvelle génération. Et c’est cet adieu de Siméon et d’Anne : « Maintenant je peux partir en paix ». La sensibilité spirituelle des personnes âgées est capable de briser la concurrence et les conflits entre les générations de manière crédible et définitive.

Elle dépasse cette sensibilité : les personnes âgées, avec cette sensibilité, surmontent le conflit, vont au-delà, vont à l’unité, pas au conflit. C’est certes impossible pour les hommes, mais c’est possible pour Dieu. Et aujourd’hui nous en avons tant besoin, la sensibilité de l’esprit, la maturité de l’esprit, nous avons besoin de personnes âgées sages, mûres dans l’esprit qui nous donnent l’espérance de la vie !

*

APPEL

Chers frères et sœurs, samedi et dimanche prochains, j’irai à Malte. Dans cette terre lumineuse, je serai un pèlerin sur les traces de l’apôtre Paul, qui y fut accueilli avec une grande humanité après avoir fait naufrage en mer alors qu’il se rendait à Rome.

Ce Voyage Apostolique sera ainsi l’occasion d’aller aux sources de l’annonce de l’Évangile, de rencontrer personnellement une communauté chrétienne à l’histoire millénaire et vivante, de rencontrer les habitants d’un pays situé au centre de la Méditerranée et au sud du continent européen, aujourd’hui encore plus engagé pour accueillir de nombreux frères et sœurs en quête de refuge.

A partir de maintenant, je vous salue chaleureusement tous les Maltais : passez une bonne journée. Je remercie tous ceux qui ont travaillé dur pour préparer cette visite et je demande à tous de m’accompagner par la prière. Merci!

*

Je salue cordialement les pèlerins de langue française présents à cette audience. En reconnaissant l’Enfant qu’ils voient pour la première fois et qu’ils n’ont pas engendrés, Syméon et Anne acceptent de n’être pas des protagonistes mais des témoins discrets et fidèles de l’avènement du Messie. Seule la sensibilité spirituelle de la vieillesse peut donner ce témoignage humble et exemplaire et abattre les compétitions ou les conflits entre les générations. Que Dieu vous bénisse !

Un salut particulièrement affectueux va aux enfants ukrainiens, accueillis par la Fondation « Aidez-les à vivre », l’Association « Puer » et l’Ambassade d’Ukraine près le Saint-Siège. Et avec ce salut aux enfants, revenons nous aussi à penser à cette monstruosité de la guerre et renouvelons nos prières pour arrêter cette cruauté sauvage qu’est la guerre.

Enfin, comme d’habitude, mes pensées vont aux personnes âgées, aux malades, aux jeunes et aux jeunes mariés. Dans cette dernière partie du chemin du Carême, regardons la Croix du Christ, la plus haute expression de l’amour de Dieu, et efforçons-nous d’être toujours proches de ceux qui souffrent, de ceux qui sont seuls, des faibles qui subissent la violence et n’ont personne pour les défendre.


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Texte traduit et présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

Dieu, refuge et force de son peuple

Dieu, refuge et force de son peuple

Lecture du jour Ps 45, 2-3.5-6.10-11

Il est avec nous le Dieu de l'univers
Il est avec nous le Dieu de l’univers

R/ Il est avec nous, le Dieu de l’univers ;
citadelle pour nous, le Dieu de Jacob !
(45, 8)

Dieu est pour nous refuge et force,
secours dans la détresse, toujours offert.
Nous serons sans crainte si la terre est secouée,
si les montagnes s’effondrent au creux de la mer.

Le Fleuve, ses bras réjouissent la ville de Dieu,
la plus sainte des demeures du Très-Haut.
Dieu s’y tient : elle est inébranlable ;
quand renaît le matin, Dieu la secourt.

Il est avec nous, le Seigneur de l’univers ;
citadelle pour nous, le Dieu de Jacob !
Venez et voyez les actes du Seigneur,
il détruit la guerre jusqu’au bout du monde.

1. Nous venons d’entendre le premier des six hymnes à Sion qui sont contenus dans le Psautier (cf. Ps 47; 75; 83; 86; 121). Le Psaume 45, comme les autres compositions analogues, célèbre la ville sainte de Jérusalem, « la cité de Dieu, […] les demeures du Très-Haut » (v. 5), mais il exprime surtout une confiance inébranlable en Dieu, qui « est pour nous refuge et force, secours dans l’angoisse toujours offert » (v. 2; cf. v. 8 et 12).

Le Psaume évoque les bouleversements les plus terribles pour affirmer avec une force plus grande l’intervention victorieuse de Dieu, qui donne une pleine sécurité. En raison de la présence de Dieu en elle, Jérusalem « ne peut chanceler, Dieu la secourt » (v. 6).

La pensée se tourne vers l’oracle du prophète Sophonie, qui s’adresse à Jérusalem et lui dit:  « Pousse des cris de joie, fille de Sion! Une clameur d’allégresse, Israël! Réjouis-toi, triomphe de tout ton coeur, fille de Jérusalem […] Yahvé ton Dieu est au milieu de toi, héros sauveur! Il exultera pour toi de joie, il te renouvellera par son amour, il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête » (So 3, 14.17-18).

2. Le Psaume 45 est divisé en deux grandes parties par une sorte d’antienne, qui retentit dans les versets 8 et 12:  « Avec nous Yahvé Sabaot, citadelle pour nous, le Dieu de Jacob ». Le titre « Yahvé Sabaot » est typique du culte juif dans le temple de Sion et, malgré l’aspect martial, il est lié à l’arche de l’alliance; il renvoie à la domination de Dieu sur tout le cosmos et sur l’histoire.

Ce titre est donc une source de confiance, car le monde entier et tous les événements qui s’y produisent se trouvent sous le gouvernement suprême du Seigneur. Ce Seigneur est donc « avec nous », comme le dit encore cette antienne, avec une référence implicite à l’Emmanuel, le « Dieu-avec-nous » (cf. Is 7, 14; Mt 1, 23).

3. La première partie de l’hymne (cf. Ps 45, 2-7) est centrée sur le symbole de l’eau et présente une double signification opposée. D’un côté, en effet, se déchaînent les eaux tumultueuses qui, dans le langage biblique, sont le symbole des destructions, du chaos et du mal. Elles font frémir les structures de l’être et de l’univers, symbolisées par les montagnes, qui sont ébranlées par une sorte de déluge destructeur (cf. vv. 3-4).

De l’autre côté, cependant, voilà les eaux désaltérantes de Sion, une ville sise sur des montagnes arides, mais qu’égayent « un fleuve et ses bras » (v. 5). Le Psalmiste – bien que faisant allusion aux sources de Jérusalem, comme celle de Siloé (cf. Is 8, 6-7) – voit en eux un signe de la vie qui prospère dans la ville sainte, de sa fécondité spirituelle, de sa force régénérante.

C’est pourquoi, malgré les bouleversements de l’histoire qui font frémir les peuples et qui ébranlent les royaumes (cf. Ps 45, 7), le fidèle rencontre en Sion la paix et la sérénité dérivant de la communion avec Dieu.

4. La deuxième partie du Psaume (cf. vv. 9-11) peut ainsi décrire un monde transfiguré. Le Seigneur lui-même, de son trône de Sion, intervient avec une extrême vigueur contre les guerres et établit la paix à laquelle tous aspirent. Lorsque nous lisons le v. 10 de notre hymne:  « Il met fin aux guerres jusqu’au bout de la terre; l’arc, il l’a rompu, la lance, il l’a brisée, il a brûlé les boucliers au feu », la pensée se tourne spontanément vers Isaïe.

Le prophète a lui aussi chanté la fin de  la  course  aux  armements  et  la transformation des instruments de guerre et de mort en moyen de développement pour les peuples:  « Ils briseront leurs épées pour en faire des socs et leurs lances pour en faire des serpes. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à faire la guerre » (Is 2, 4).

5. Avec ce Psaume, la tradition chrétienne a élevé des hymnes au Christ « notre paix » (cf. Ep 2, 14) et notre libérateur du mal à travers sa mort et sa résurrection. Saint Ambroise a proposé un commentaire christologique suggestif du v. 6 du Psaume 45, qui décrit le « secours » offert à la ville par le Seigneur « au tournant du matin ». Le célèbre Père de l’Église y voit une allusion prophétique à la résurrection.

En effet – explique-t-il – « la résurrection du matin nous procure le soutien de l’aide céleste; ayant repoussé la nuit, elle nous a rapporté le jour, comme le dit l’Écriture:  « Réveille-toi et lève-toi et relève-toi d’entre les morts! Et la lumière du Christ resplendira pour toi ». Observe ce sens mystique! Au crépuscule s’est accomplie la passion du Christ… A l’aube la résurrection… Il est tué au crépuscule, lorsque la lumière meurt désormais, car ce monde gisait entièrement dans les ténèbres et aurait été plongé dans l’horreur de ténèbres encore plus noires, si le Christ n’était pas venu du ciel, lumière d’éternité, pour ramener l’âge de l’innocence au genre humain. Jésus Christ a donc souffert et, grâce à son sang, nos péchés ont été rachetés, la lumière a resplendi d’une conscience plus limpide et le jour d’une grâce spirituelle a brillé » (Commento a dodici Salmi:  SAEMO, VII, Milan-Rome 1980, p. 213)

SAINT JEAN-PAUL II – AUDIENCE GÉNÉRALE  – mercredi 16 juin 2004


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Action de grâce pour la libération de la mort

Action de grâce pour la libération de la mort

Lecture:  Psaume 29

1. Une intense et douce action de grâce s’élève vers Dieu du cœur de l’orant, une fois dissipé en lui le cauchemar de la mort. Tel est le sentiment qui ressort avec force du Psaume 29, qui vient de retentir non seulement à nos oreilles, mais sans aucun doute également dans nos coeurs.

Cet hymne de gratitude possède une grande finesse littéraire et repose sur une série de contrastes qui expriment de façon symbolique la libération obtenue du Seigneur.

Ainsi, à la phrase « tu as tiré mon âme du shéol » s’oppose « me ranimant d’entre ceux qui descendent à la fosse » (v. 4); la « colère d’un instant », manifestée par Dieu, est suivie de « sa faveur pour la vie » (v. 6); aux « pleurs » du soir suit la « joie » du matin (ibid.); la « danse » succède au « deuil », le vêtement d' »allégresse » au « sac » revêtu en signe de deuil (v. 12).

Une fois passée la nuit de la mort, naît donc l’aube d’un jour nouveau. C’est pourquoi la tradition chrétienne a lu ce Psaume comme un chant pascal. C’est ce qu’atteste la citation d’ouverture, que l’édition du texte liturgique des Vêpres reprend d’un grand auteur monastique du IV siècle, Jean Cassien:  « Le Christ rend grâce au Père pour sa résurrection glorieuse ».

2. L’orant s’adresse à plusieurs reprises au « Seigneur » – pas moins de huit fois -, que ce soit pour annoncer qu’il le louera (cf. vv. 2 et 13), ou pour rappeler le cri lancé vers Lui au moment de l’épreuve (cf. vv. 3 et 9) et son intervention libératrice (cf. vv. 2.3.4.8.12), ou encore pour invoquer à nouveau sa miséricorde (cf. v. 11). Dans un autre passage, l’orant invite les fidèles à chanter des hymnes au Seigneur pour Lui rendre grâce (cf. v. 5).

Les sensations oscillent constamment entre le souvenir terrible du cauchemar traversé et la joie de la libération. Certes, le danger auquel il a échappé est grave et réussit encore à faire frissonner; le souvenir de la souffrance passée est encore net et vif; les larmes n’ont été séchées des yeux que depuis peu. Mais désormais pointe l’aube d’un jour nouveau; la mort a laissé place à la perspective de la vie qui continue.

3. Le Psaume démontre ainsi que nous ne devons jamais nous laisser entraîner dans l’enchevêtrement obscur du désespoir, lorsqu’il semble que tout est désormais perdu. Bien sûr, il ne faut pas non plus tomber dans l’illusion que l’on peut se sauver tout seul, par ses propres moyens. En effet, le Psalmiste est tenté par l’orgueil et l’idée de se suffire à lui-même:  « Moi, j’ai dit dans mon bonheur:  Rien à jamais ne m’ébranlera! » (v. 7).

Les Pères de l’Église se sont eux aussi arrêtés sur cette tentation qui s’insinue dans les moments de bien-être, et ils ont vu dans l’épreuve un rappel divin à l’humilité.

C’est par exemple le cas de Fulgence, Evêque de Ruspe (467-532), dans son Epistola 3, adressée à la religieuse Proba, où il commente le passage du Psaume par ces mots:  « Le Psalmiste confessait que parfois il s’enorgueillissait d’être sain, comme s’il s’agissait d’une de ses vertus, et qu’en cela il avait compris que se trouvait le danger d’une très grave maladie. Il dit en effet:  … »Moi,  j’ ai dit dans mon bonheur:  Rien à jamais ne m’ébranlera! »

Mais puisqu’en disant cela, il avait été abandonné par le soutien de la grâce divine et, troublé, était tombé dans la maladie, il poursuit en disant:  « Yahvé, ta faveur m’a fixé sur de fortes montagnes; tu caches ta face, je suis bouleversé ». En outre, pour montrer que l’aide de la grâce divine, bien qu’on la possède déjà, doit toutefois être invoquée humblement sans interruption,  il  ajoute encore:  « Vers toi, Yahvé, j’appelle, à mon Dieu je demande pitié ».

Par ailleurs, personne n’élève sa prière et n’avance des requêtes sans reconnaître avoir commis des fautes, et personne ne considère pouvoir conserver ce qu’il possède en ne comptant que sur sa propre vertu » (Fulgence de Ruspe, Les lettres, Rome 1999, p. 113).

4. Après avoir confessé la tentation de l’orgueil qu’il a éprouvée au temps de sa prospérité, le Psalmiste rappelle l’épreuve qui a suivi, en disant au Seigneur:  « Tu caches ta face, je suis bouleversé » (v. 8).

L’orant rappelle alors de quelle manière il a imploré le Seigneur (cf. vv. 9-11):  il a crié, demandé de l’aide, supplié d’être préservé de la mort, en donnant comme raison que la mort n’apporte aucun avantage à Dieu, car les morts ne sont plus en mesure de louer Dieu et n’ont plus aucun motif de proclamer la fidélité à Dieu, ayant été abandonnés par lui.

Nous retrouvons la même argumentation dans le Psaume 87, dans lequel l’orant, proche de la mort, demande à Dieu:  « Parle-t-on de ton amour dans la tombe, de ta vérité au lieu de perdition? » (Ps 87, 12). De même, le roi Ézéchias, gravement malade puis guéri, disait à Dieu:  « Ce n’est pas le shéol qui te loue, ni la mort qui te célèbre… Le vivant, le vivant lui seul te loue » (Is 38, 18-19).

C’est ainsi que l’Ancien Testament exprimait l’intense désir humain d’une victoire de Dieu sur la mort et rapportait de nombreux cas dans lesquels cette victoire avait été obtenue:  des personnes menacées de mourir de faim dans le désert, des prisonniers ayant échappé à la peine de mort, des malades guéris, des marins sauvés du naufrage (cf. Ps 106, 4-32).

Il s’agissait cependant de victoires qui n’étaient pas définitives. Tôt ou tard, la mort réussissait toujours à l’emporter.

Malgré tout, l’aspiration à la victoire a toujours été conservée et est devenue, à la fin, une espérance de résurrection. La satisfaction de cette puissante aspiration a été pleinement assurée à travers la résurrection du Christ, pour laquelle nous n’aurons jamais fini de rendre grâce à Dieu.

Saint JEAN-PAUL II – AUDIENCE GÉNÉRALE Mercredi 12 mai 2004


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