Une riche protestante anglaise, très opposée au catholicisme, ayant trouvé un jour un chapelet, celui de la concierge, rassemble son mari, sa belle-sœur et tous les domestiques pour se moquer d’elle.
– Madame Feenan, vous avez perdu quelque chose.
– Je ne sais, en vérité : la pauvre Mary Feenan a bien peu de chose à perdre, Madame.
– Oh ! mais vous avez perdu quelque chose ; vous avez perdu votre Dieu.
– Perdu mon Dieu ? Le Bon Dieu Tout Puissant m’en préserve ! Mais que voulez-vous dire par là ?
– Ne vous fâchez pas, Madame Feenan. Vous avez perdu une idole, une de ces choses que les papistes adorent ; ceci en un mot !
Et je lui tendis le chapelet.

– Ah ! vous avez donc trouvé mon chapelet ? Eh ! Que le Bon Dieu vous récompense, Madame ; c’est tout ce que je puis dire, je vous suis grandement obligée.
– Attendez un moment, je vous prie. Ne savez-vous pas que c’est un crime d’adorer les idoles, chère Madame ?
– Mais je n’adore pas d’idoles ! et Madame Feenan se redressa de toute sa hauteur. C’est le père Mahoney, – que Dieu lui donne la lumière du ciel en ce jour ! – qul m’a appris le Rosaire, comme aussi ce qu’il veut dire.
Je souris de pitié :
– Vous devriez lire votre Bible, ma pauvre femme, lui dis-je, et ne pas vous laisser tyranniser et duper par vos prêtres !
Madame Feenan avait oublié sa timidité car elle se mit à rire :
– Pour sûr, je ne sais pas lire du tout, Madame ; mais j’en sais autant de ma religion que beaucoup d’autres.
Et elle faisait glisser dans ses doigts les grains noirs de son chapelet.
– Je m’aperçois très bien que vous vous moquez de moi, continua-t-elle. Eh bien, voici ce que le chapelet enseigne, voici ce que j’y lis.

Et l’œil brillant, d’une voix élevée, elle commença :
– Vous voyez ce crucifix ? Eh bien, quand je le regarde, je pense comment Jésus est mort pour moi sur le Calvaire ; je pense à toutes ses blessures et souffrances, et je dis: «Doux Jésus, préserve-moi de te faire de la peine !» Oh ! Madame, assurément, si vous aviez l’image de quelqu’un que vous auriez aimé, comme celle d’un enfant que vous auriez vu mourir, ne l’aimeriez-vous pas comme j’aime ceci ?
Et elle baisait la croix.
– Vous voyez maintenant ce gros grain et ces trois petits. Ils me disent qu’il n’y a qu’un seul Dieu, et en ce seul Dieu trois personnes. Puis voyez, il y a six gros grains en tout, et une médaille qui me rappelle un tabernacle, les grains de Pater et la médaille en forme de cœur qui relie les deux bouts du chapelet. Peut-être ne savez-vous pas ce qu’est un tabernacle ? c’est un endroit, dans nos églises, où l’on garde le Saint Sacrement. Eh bien, les six grains et la médaille me font souvenir qu’il y a sept sacrements et que l’un d’eux est plus grand que les autres : c’est la sainte Eucharistie.
Un profond silence s’était fait et Clara, ma belle-sœur, s’était approchée de la vieille femme.
– Et ces six gros grains me rappellent aussi qu’il y a six préceptes que je dois observer [les commandements de l’Église], outre les commandements de Dieu.
Et elle chanta, puis s’arrêta un instant pour reprendre haleine.
– Maintenant, le Rosaire lui-même consiste en quinze mystères en l’honneur de la Mère de Dieu : cinq joyeux et elle les récita, cinq douloureux et elle les récita aussi ; cinq glorieux et en énumérant ces derniers sa voix s’élevait. [Le Pape Jean-Paul II y a ajouté les mystères lumineux]. Quand je vais par les chemins pour essayer de gagner honnêtement ma vie, je dis les mystères joyeux et par un mauvais jour, quand je me demande comment j’aurai mon souper, je répète les mystères douloureux en disant. «Mary Feenan, pourquoi te faire de la peine pour si peu ? Sois certaine que ta misère finira un jour, et que Dieu te donnera la grâce de bien mourir.» Et quand j’ai ainsi bravement surmonté ma peine, c’est le moins que je puisse faire de réciter et de réciter encore les mystères glorieux en l’honneur de Celle qui est notre Mère à tous. Et ainsi, je passe mes journées.
Ceci n’était pas précisément ce que nous avions prévu. Mes domestiques écoutaient d’une attention respectueuse, et malgré moi je me sentais entraînée à suivre l’exemple de ma belle-sœur Clara, qui pleurait doucement.
– Allons, nous en avons assez, murmura mon mari, rendez à cette femme son chapelet et quelque argent et laissez-la partir.
Aucun de nous n’osa faire de commentaire sur ce que nous venions d’entendre ; moi, je me demandais si c’était là la religion que j’avais appris à mépriser. Depuis, je revis souvent Mary, et un jour que je l’en avais priée, elle me donna avec joie son rosaire chéri. Enfin, vint un jour où je demandai au père de m’instruire pour être reçue dans l’Église catholique.
Quand je fus reçue, je l’annonçai à mon mari. Il se fâcha comme jamais je ne l’avais vu. Mais j’attendis et priais, et après quelques semaines, il me dit :
– Allez à votre église, s’il le faut, les enfants et moi irons à la nôtre.
Le temps passa ainsi, quand un dimanche je luis dis :
-Harry, venez avec moi, aujourd’hui.
Et il céda, et avant la fin de cette année j’eus l’indicible bonheur de voir mes sept enfants et leur père reçus dans l’Église catholique.
Comme Mary Feenan, soyons fiers de notre chapelet, soyons les apôtres du chapelet.
D’après l’abbé Stéphane Grenon dans « le Messager de l’lmmaculée » de janvier 2020.