Archives de catégorie : Méditation

sur un aspect de spiritualité : Christ, Vierge Marie, Église dans le monde…

La grande ombre de la croix

La grande ombre de la croix

VENDREDI (4° semaine de Carême) Sg 2,1 a.12-22  – Jn 7,1 …30

Condamnons-le à une mort infâme, puisque, à l’enten­dre, le secours lui viendra (Sg 2,20)

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Tout le mystère du Christ est un mystère de résurrection, mais il est aussi un mystère de mort. L’un ne va point sans l’autre, et un même mot les exprime : la Pâque. Pâque, c’est passage. Alchimie de tout l’être, séparation totale d’avec soi, à laquelle nul ne peut se flatter d’échap­per. Négation de toutes les valeurs naturelles en leur être naturel, renoncement à cela même par quoi l’individu s’était dépassé.

Si authentique et si pure que soit la vision d’unité qui inspire et qui oriente l’activité de l’homme, elle doit donc, pour devenir réalité, d’abord s’éteindre. La grande ombre de la croix doit la recouvrir.

L’humanité ne se rassemblera qu’en renonçant à se prendre elle-même pour fin. L’hom­me, en effet, ne veut-il pas et n’aime-t-il pas, au fond, l’humanité du même mouvement naturel qu’il se veut et qu’il s’aime ?

Or Dieu est essentiellement celui qui n’admet point de partage ; celui qu’il faut aimer uniquement sous peine de ne point l’aimer. Et s’il est vrai qu’en fin de compte on n’aimera l’humanité pour elle-même, et non d’un amour encore égoïste, qu’en l’aimant en Dieu seul aimé, cette vérité n’apparaît pas d’abord en une telle évi­dence concrète, qu’elle supprime la réalité du sacrifice.

L’humanisme n’est pas spontanément chrétien. L’humanis­me chrétien doit être un humanisme converti. D’aucun amour naturel on ne passe de plain-pied à l’amour surnaturel. Il faut se perdre pour se trouver. Dialectique spiri­tuelle, dont la rigueur s’impose à l’humanité comme à l’individu, c’est-à-dire à mon amour de l’homme et des hommes aussi bien qu’à mon amour pour moi-même. Loi de l’exode, loi de l’extase.

Si nul ne doit s’évader de l’hu­manité, l’humanité tout entière doit mourir à elle-même en chacun de ses membres pour vivre, transfigurée, en Dieu. Il n’y a de fraternité définitive que dans une commune adoration.

« La gloire de Dieu c’est l’homme vivant », nous dit saint Irénée : Gloria Dei, vivens homo. Mais l’homme n’accède à la Vie, dans la seule société totale qui puisse être, que par le Soli Deo gloria. Telle est la Pâque universelle, qui prépare la Cité de Dieu.

Par le Christ mourant sur la croix, l’humanité qu’il por­tait toute en lui se renonce, et meurt. Mais ce mystère est plus profond encore. Celui qui portait en lui tous les hom­mes était délaissé de tous. L’Homme universel mourut seul. Plénitude de la kénose et perfection du sacrifice ! Il fallait cet abandon — et jusqu’à ce délaissement du Père — pour opérer la réunion.

Mystère de solitude et mystère de déchirement, seul signe efficace du rassemblement et de l’unité. Glaive sacré, allant jusqu’à séparer l’âme de l’es­prit, mais pour y faire pénétrer la Vie universelle : « Ô toi qui es seul entre les seuls, et qui es tout en tous ! »

« Par le bois de la croix, conclut saint Irénée, l’œuvre du Verbe de Dieu est devenue manifeste à tous : ses mains y sont étendues pour rassembler tous les hommes. Deux mains étendues, car il y a deux peuples dispersés sur toute la terre. Une seule tête au centre, car il y a un seul Dieu au-dessus de tous, au milieu de tous et en tous. »

Henri de Lubac Catholicisme, Le Cerf, 1941, p. 306-308.

MOIS DE SAINT JOSEPH – XVe JOUR

MOIS DE SAINT JOSEPH – XVe JOUR

Saint Joseph associé aux souffrances de Jésus-Christ
pendant la fuite en Égypte.

I

BOSSUET

La fuite en Égypte église saint Joseph Angers 49
La fuite en Égypte église saint Joseph Angers 49

« Voici encore un mystère plus excellent. Partout où entre Jésus, il entre avec ses croix et toutes les contradictions qui doivent l’accompagner. « Levez-vous, lui dit l’Ange, hâtez-vous de prendre l’Enfant et sa mère, et fuyez a en Égypte. » Pesez toutes les paroles, vous verrez que tout inspire de la frayeur.

« Levez-vous, ne tardez pas un moment ; il ne lui dit pas : Allez, mais fuyez. L’Ange paraît lui-même alarmé du péril de l’Enfant ; et il semble, disait un ancien Père, que la terreur ait saisi le ciel avant que de se répandre sur la terre. Pourquoi? si ce n’est pour mettre à l’épreuve l’amour et la fidélité de Joseph, qui ne pouvait pas n’être pas ému d’une manière fort vive, en voyant le péril d’une épouse si chère et d’un Fils si cher.

« Étrange état d’un pauvre artisan qui se voit banni tout à coup ; et pourquoi? parce qu’il est chargé de Jésus, et qu’il l’a en sa compagnie. Avant qu’il fût né, lui et sa sainte épouse vivaient pauvrement, mais tranquillement, dans leur ménage, gagnant doucement leur vie par le travail de leurs mains; mais aussitôt que Jésus leur est donné il n’y a point de repos pour eux.

« Cependant Joseph demeure soumis, et ne se plaint pas de cet Enfant incommode qui ne leur apporte que persécution. Il part, il va en Égypte, où il n’a aucune habitude, sans savoir quand il reviendra dans sa patrie, à sa boutique et à sa pauvre maison. L’on n’a pas Jésus pour rien; il faut prendre part à ses croix.

« Pères et mères chrétiens, apprenez que vos enfants vous seront des croix : n’épargnez « pas les soins nécessaires non-seulement pour leur conserver la vie, mais, ce qui est leur véritable conservation, pour les élever dans la vertu. Préparez-vous aux croix que Dieu vous prépare dans ces gages de votre amour mutuel ; et, après les avoir offerts à Dieu comme Joseph et Marie, attendez-vous, comme eux, à en recevoir, quoique peut-être d’une autre manière, plus de peines que de douceur. »

(Bossuet, Élévations sur les mystères, XIXe semaine.)

II

SAINT ALPHONSE DE LIGUORI

« Que dire des angoisses de saint Joseph durant ce voyage ? Il voyait souffrir sa sainte épouse, qui était peu faite à la marche, et avec elle le cher Enfant qu’elle et lui se passaient tour à tour pour le porter entre leurs bras. Et dans cette fuite précipitée, au milieu de l’hiver, par le froid et la neige, quelle appréhension constante de rencontrer à chaque pas les soldats d’Hérode!…

« De quoi pouvaient-ils se nourrir pendant le jour, si ce n’est du morceau de pain qu’ils avaient emporté avec eux ou qu’ils avaient reçu en aumône? Où pouvaient-ils se reposer pendant la nuit, si ce n’est dans quelque méchante hutte, sous l’abri de quelque arbre, et plus souvent encore en rase campagne et à découvert?

« Saint Joseph adorait les desseins du Père céleste, qui voulait que Jésus souffrît dès sa venue dans le monde pour expier les péchés des hommes. Mais le saint vieillard avait son cœur paternel déchiré quand il entendait le divin Enfant pleurer de froid et de fatigue, sans qu’il lui fût possible de soulager ses souffrances. »

(Bossuet, Élévations sur les mystères, XIXe semaine.)

III

FLÉCHIER

« Figurez-vous cet homme de la Providence de Dieu fuyant devant la face du tyran qui avait occupé le trône de ses pères, chargé de Jésus-Christ et du christianisme; portant les mystères de la religion et l’Église errante dans son origine; sur la tête duquel roulent le salut général du genre humain et la vie du Sauveur des hommes ; marchant à la faveur de la nuit, sans secours, sans guide, sans assistance ; cherchant, comme un criminel, dans une terre étrangère la sûreté que son innocence ne lui donnait pas dans la sienne ; et traînant le Dieu d’Israël, pour aller éprouver dans la cruelle et barbare Égypte l’ancienne captivité de son peuple.

« C’est là que, dans une solitude qui n’était interrompue que par les soins qu’il prenait pour Jésus-Christ et pour sa mère, il possédait un trésor encore fermé pour tout le reste du monde. C’est là que, conduisant le Fils de Dieu de désert en désert, pour lui faire consacrer par sa présence ces lieux qui devaient être un jour habités par tant de pénitents et de solitaires, il se rendait comme leur chef sous Jésus-Christ, et traçait à ses anges, revêtus d’un corps mortel, ces fameux asiles contre la corruption du monde, qui n’est pas moins irrité contre la vertu que ne l’était Hérode. »(Fléchier, loc. cit.)

« Toutes les souffrances de ce voyage durèrent longtemps, remarque saint Bonaventure ; il fallait traverser le grand désert, où les Hébreux avaient passé quarante ans avant d’arriver à la terre promise ; et ce trajet, qui était de douze à quinze jours pour les courriers, dut être pour la sainte famille de plus de deux mois.» (Saint Bonaventure, Vie de Jésus-Christ, ch. XII)

Pèlerinage aux saintes Écritures

Pèlerinage aux saintes Écritures

JEUDI (4e semaine de Carême) Ex 32,7-14 Jn 5,31-47

Ce sont les Écritures qui me rendent témoignage (Jn 5,39)

Vous scrutez les Écritures parce que vous pensez y trouver la vie éternelle
Vous scrutez les Écritures parce que vous pensez y trouver la vie éternelle Jn 5 39

Si, lentement instruits par l’Église, pénétrés de son souf­fle vivifiant, nous entrons avec un cœur docile dans le monument même de la vérité tel que Dieu l’a construit (et qui est l’Écriture), nous rencontrerons bien des ombres dans les profondeurs, des passages où il faudra courber la tête, des sublimités où notre intelligence sera sur le point de faillir.

Mais, soutenus par l’Église elle-même, notre compagne inviolable, nous marcherons de clartés en clartés sous le firmament de la sainte parole, nous jouant avec elle dans les plans découverts de l’éternité, admirant de proche en proche Jésus Christ qui s’avance, l’attendant avec les patriarches, le regardant venir avec les prophètes, le saluant sur la harpe des psaumes, jusqu’à ce qu’enfin, au seuil du second temple, il nous apparaisse tout chargé de sa gloire et de sa mort, victime prédestinée de la réconci­liation des âmes, et souveraine explication de tout ce qui est par tout ce qui fut.

Cette vision de Jésus Christ ne remplit pas seule le long tissu des saints livres ; elle s’y entrelace aux grands événe­ments du monde. Le chrétien les y voit sous la main de la Providence, conduits par des lois de justice et de bonté.

Il démêle à cette lumière la succession des empires, l’avène­ment et la chute des races fameuses. Il comprend que le hasard n’est rien, ni la fatalité non plus, mais que tout marche sous la double impulsion de la liberté de l’homme et de la sagesse de Dieu.

Cette vue de l’histoire dans la vérité de ses causes le ravit. Il y puise un entendement de la vie qu’aucune expérience ne lui donnerait, parce que l’expérience ne révèle que l’homme, tandis que l’Écriture révèle à la fois Dieu dans l’homme et l’homme en Dieu.

Cette révélation ne se fait pas seulement sentir aux grands moments de la Bible ; elle est partout. Dieu ne s’absente jamais de son œuvre. Il est au champ de Booz, derrière la fille de Noémi, comme il est à Babylone au festin de Balthazar. Il s’assied sous la tente d’Abraham, voyageur fatigué du chemin, comme il se repose au som­met du Sinaï dans les foudres qui annoncent sa présence.

Il assiste Joseph dans sa prison, comme il couronne Daniel dans la captivité. Les moindres détails de la famille ou du désert, les noms, les lieux, les choses, tout est plein de lui, et c’est dans une route de quarante siècles, de l’Éden au Calvaire, de la justice perdue à la justice recouvrée, qu’on suit de la sorte et pas1 à pas tous les mouvements de sa tendresse et tous ceux de sa force.

Qui pourrait revenir insensible d’un si profond pèleri­nage ? Qui pourrait, conduit par la foi sur de telles traces, ne pas rentrer meilleur au foyer de sa propre vie ? La Bible est tout à la fois le drame de nos destinées, l’histoire primi­tive du genre humain, la philosophie des saints, la légis­lation d’un peuple élu et gouverné par Dieu.

Elle est dans une providence de quatre mille ans la préparation et le germe de tout l’avenir de l’humanité ; elle est le dépôt des vérités qui lui sont nécessaires, la charte de ses droits, le trésor de ses espérances, l’abîme de ses consolations, la bouche de Dieu sur son cœur ; elle est enfin le Christ Fils de Dieu, qui l’a sauvé.

Lacordaire Deuxième lettre à Emmanuel, dans Lacordaire et la Parole de Dieu, La Pensée catholique, Bruxelles 1962, p. 66-67.