La médaille miraculeuse et le credo III

La Croix douloureuse

Signe de souffrance, de mort et de descente aux enfers ; « Stabat Mater dolorosa »

La Croix et le M

Stabat mater dolorosa Médiathèque de Valence | DRNous célébrons la manifestation de la médaille miraculeuse, sa révélation du 27 novembre 1830 à Sœur Catherine Labouré. L’apparition comporte une face cachée, sur laquelle paraît la croix. Et au pied de la Croix douloureuse qui deviendra la Croix glorieuse, après le grand cri de Jésus qui a secoué toute la terre, au pied de la Croix se tient Marie. Elle pleure, mais elle est déjà la Femme forte et toute miséricordieuse qui console Jean, le fils confié ; et elle console trois femmes : sa propre sœur, Marie la femme de Cléophas, et Marie-Madeleine la pécheresse pardonnée.

Ôtez le soleil, que devient l’aurore ou le crépuscule ? Ôtez Dieu, Marie n’est plus. L’aurore en est-elle moins réellement une beauté ravissante ? De même, je demande si, pour tenir tout son être de la pure libéralité de Dieu, Marie en est moins grande, moins digne d’un culte n’ayant au-dessus de lui que l’adoration due au Maître Souverain ? Que respectez-vous, après Dieu, si vous n’honorez pas Marie ? Qui, après lui, invoquerez-vous ? quel pouvoir ? quel cœur aussi dévoué ? Folie de ceux qui ne comprennent pas le bienfait que la Providence nous a donné en Marie. Vérité, justice, bonheur de sa dévotion. Aimons, prions, imitons-la !

De l’incarnation à la croix

Si l’Incarnation a le sens d’une « descente » de Dieu, le Christ équivaut aussi à toute la création, et il la contient en quelque sorte ; il est une seconde création qui purifie et rachète la première. Tout péché se brise au pied de la croix. Manifestation à deux aspects, l’arbre et la croix : l’arbre joyeux qui supporte le serpent, et la croix douloureuse qui supporte le Verbe fait chair. Pour les impies, la vie est un monde de passions, que l’homme sanctionne par la philosophie « selon la chair » ; pour les disciples du Christ, elle est un monde d’épreuves, transpercé par la grâce.

Si la Trinité me fait connaître le vrai Dieu, l’Incarnation et la Croix me révèlent le vrai fond de Dieu à notre égard : la clémence, la miséricorde, le pardon, la bonté, l’amour poussés jusqu’à cet infini qui nous paraît de la folie. Pécheurs, malades, victimes de l’orgueil ou de la séduction, pourquoi demeurer dans votre incroyance ? Ne le sentez-vous pas, à la tristesse de votre cœur, de votre pensée ?

Un Dieu qui se fait enfant pour nous attirer, qui multiplie les preuves de sa souveraineté sur la nature pour nous convaincre, qui meurt sur la croix pour le plaisir d’attendrir notre cœur, mérite-t-il oui ou non ce cœur que vous livrez à des idoles de chair, à des docteurs d’ignorance ? à du métal, ou à des rubans ? Si donc vous ne voulez pas être des bénis, pourquoi ne seriez-vous pas des maudits ? Quel démon enchaîne votre esprit ? qui vous empêche de croire, d’espérer, d’aimer, au pied du crucifié ?… Pensez-y !… Non, sans plus réfléchir, tombez à genoux et vivez. Dieu a voulu se montrer à nous par des créatures hors pair et comme infinies. Un autre livre de Dieu non moins significatif a existé sous nos yeux, c’est le Calvaire avec sa croix et les horreurs qui précèdent la mort de Notre-Seigneur.

La rédemption dans le Symbole

Après avoir affirmé qui est Jésus, dans son rapport unique au Père, dans son origine tout entière de Dieu et sa destination pour nous, le Symbole nous rappelle sa destinée, ce qu’il a fait, et surtout subi, pour nous, en en déclarant le sens et le prix. Il nous propose de reconnaître et de confesser notre sauveur.

Le symbole des Apôtres qui nous résume la foi de l’Église primitive ne fait que recueillir et condenser un enseignement dispersé dans l’Ecriture et dans le Nouveau Testament en particulier, et il jouit par là de la même autorité que l’Écriture elle-même. S’adressant à de futurs baptisés, les catéchumènes, saint Augustin (354-430) leur dira, après leur avoir livré le symbole :

Ces paroles que vous venez d’entendre, elles sont éparses à travers les divines Écritures : on les en a extraites et on les a réunies en abrégé, pour éviter une fatigue excessive aux hommes dont la mémoire est lente, afin que chacun puisse dire et retenir ce qu’il croit.

Ainsi le symbole des Apôtres est essentiellement fondé sur cette foi du Nouveau Testament. Celui-ci possède des énoncés plus développés qui rappellent les faits fondateurs de la foi.

Le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures et il a été enseveli et il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures et il est apparu à Céphas, ensuite aux Douze… (1 Co 15, 3-4).

« …a souffert sous Ponce-Pilate, a été crucifié…»

Ce qui ressort d’abord de cette énumération, c’est que la foi ne porte pas seulement sur de belles et grandes idées. Elle est liée à des faits. Nous connaissons et reconnaissons notre Dieu à travers le passage de son Fils dans notre histoire. Il y a dans la foi chrétienne un élément de facto qui la distingue et la préserve de toute forme d’idéologie. Elle est accrochée à l’histoire, à une histoire concrète, datée. Telle est bien la fonction de cette mention assez étonnante de Ponce Pilate. L’article du Credo sur la Passion mentionne que cet événement a eu lieu « sous Ponce Pilate ». Par là est souligné le caractère historique de la Passion. Alors que les exploits supposés des dieux et des héros païens se situaient dans un passé reculé et fabuleux, l’œuvre salvatrice du Christ appartient à un moment historique précis et se place dans un milieu nettement déterminé.

La foi chrétienne comporte au moins un élément qui, de soi, ne relève pas de la foi, mais de ce que n’importe qui peut connaître : l’existence de ce Romain qui a laissé son nom dans les annales de l’histoire du temps. Si bien qu’un incroyant a pu dire qu’il y avait dans le Credo quelque chose qu’il faisait volontiers sien, précisément cette simple déclaration : « a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort, a été enseveli« .

Cependant le croyant ne voit pas là uniquement un épisode banal de l’histoire humaine, faite toujours, pour une bonne part, de violences. Car, pour lui, celui qui a en l’occurrence traversé la souffrance et la mort n’est autre que le Fils unique du Père, tout entier habité par son amour pour les hommes, dans leur condition douloureuse et mortelle, établie sous la « loi du péché » (Rom 7, 23), dont il a pris sur lui les effets désastreux pour qu’ils n’aient plus le dernier mot.

Dans ces quelques mots du Symbole on retrouve l’Évangile, cette mémoire vivante de l’homme Jésus et de sa mission sur notre terre, qui se condense dans le récit de sa passion et de sa mort et qui est porteuse du salut de Dieu.

…est mort et a été enseveli…

On notera la répétition de l’expression « pour nous » : la mort rédemptrice de Jésus Christ est source de pardon et de réconciliation non seulement pour l’humanité en général, mais pour chaque croyant en particulier : entre le Christ et chaque chrétien il y a une relation personnelle et c’est à chacun d’entre nous qu’est adressé cet appel :

Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et qu’il me suive (Mt 16,24).

C’est un dogme fondamental pour le christianisme qu’à l’humanité déchue la mort sur la Croix a apporté la rédemption et la réconciliation avec Dieu. Le péché originel fut le fruit amer de la liberté concédée à l’homme par son Créateur : Dieu a voulu être adoré et aimé par des créatures libres, car seule cette liberté donne un sens à l’amour. En optant pour le mal, l’homme a trahi sa vocation et s’est trouvé asservi au pouvoir de l’Ennemi, Dieu pourtant n’a pas laissé l’humanité aller à la dérive. L’œuvre de réconciliation s’est faite en Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme. En se livrant volontairement à la mort, il en a brisé irrémédiablement la puissance, puisque la mort n’a pu vaincre l’Homme-Dieu. Comme dit l’hymne latin Victimae paschali :

La mort et la vie ont engagé un stupéfiant combat ; l’Auteur de la vie, après être mort, vit et règne.

Homme sans péché, prémices d’une humanité nouvelle libérée, le Christ se présente au Père comme la victime pure, l’agneau sans tache. L’aspect sacrificiel de la mort de Jésus Christ est étroitement lié à l’Ancienne Alliance qui est accomplie et dépassée. Les oblations de l’ancienne Loi étaient appelées à attirer la faveur divine, afin que Dieu agrée l’expiation des fautes ; elles étaient l’annonce et la figure du sacrifice parfait du Christ, grand prêtre et victime, qui est celui qui offre et qui est offert. Le sacrifice du Christ n’est pas seulement le dernier des sacrifices, il est l’unique vrai sacrifice, ce qu’exprime si bien l’Épître aux Hébreux :

Tel est précisément le grand prêtre qu’il nous fallait, saint, innocent, immaculé, séparé désormais des pécheurs, élevé plus haut que les cieux, qui ne soit pas journellement dans la nécessité, comme les grands prêtres, d’offrir des victimes d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple, car ceci, il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant lui-même. La Loi, en effet, établit comme grands prêtres des hommes sujets à la faiblesse ; mais la parole du serment – postérieur à la Loi – établit le Fils rendu parfait pour l’éternité (Hé 7,26-28).

Après sa mort, le Seigneur a été enseveli et son corps est resté jusqu’au troisième jour dans le tombeau. Durant son ministère terrestre, Notre Seigneur avait fait allusion à son ensevelissement. Aux Juifs qui demandaient un signe, Jésus répond :

Génération mauvaise et adultère. Elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que celui du prophète Jonas (Mt 12,39), et encore : Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai (Jn 2,19).

«… est descendu aux enfers…»

Cette affirmation nous apparaît peut-être particulièrement énigmatique. Elle nous est livrée dans un langage qui demande explication. « les enfers » désignent tout ce monde mystérieux, obscur s’il en est, de la mort. C’est dans ce monde que Jésus, le Fils unique de Dieu, a dû et voulu pénétrer. Il ne l’a pas seulement touché, en le frôlant. Il est entré dedans. Il en a connu l’affreuse solitude, la désolation: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné« , s’écrie‑t-il sur la croix (Mt 27, 46). Il a connu la nuit glaciale du tombeau, les liens apposés par les bandelettes sur un corps vidé de toutes ses forces… Il a rejoint dans la mort, pour y porter le germe de résurrection, ceux qui semblaient voués à son définitif pouvoir.

C’est cette descente aux enfers que les chrétiens sont conviés à méditer dans le silence du Samedi-Saint. Par là une place est faite et maintenue au silence de Dieu et à ce qui peut être ressenti comme son absence : une place est faite et maintenue à ce qu’on se plaît à nommer de nos jours, non sans ambiguïté, la mort de Dieu.

La foi assure que, paradoxalement, Dieu, dans son Fils unique, s’est rendu présent et ne cesse de se rendre présent, amoureusement présent, à ce que nous éprouvons comme son effacement, comme son abandon, comme son absence… La descente aux enfers peut apparaître comme une affirmation particulièrement précieuse du Symbole en un siècle comme le nôtre.

Pénétrant dans l’Enfer en libérateur, brisant par sa propre mort le pouvoir de la mort que le péché avait introduit, le Christ est le nouvel Adam, prémices d’une race nouvelle qui peut, par son adhésion au Christ vainqueur, retrouver sa vraie vocation, celle de l’union avec Dieu.

Croix et souffrance

La mort sur la Croix ne peut être séparée de la Résurrection, mais il faudrait bien se garder d’une interprétation erronée qui masquerait l’aspect glorieux, propre à la Passion elle-même. Si la Résurrection du Seigneur a manifesté sa victoire, la mort sur la Croix a inexorablement déjà signifié la défaite des forces du mal. Les paroles de Jésus crucifié : « Eli, Eli, lama sabachtani » (Mt 27,46) sont tirées d’un psaume messianique qui exprime non seulement la souffrance dit juste, mais aussi sa confiance en Dieu (Ps 22) et doivent être mises en parallèle avec le chant du Serviteur de Yahvé (Isaïe 52,13-53,12), et le dernier mot de Jésus expirant est : « Tout est accompli » (Jn 19,30). Ce caractère glorieux de la Passion est universellement souligné dans la Tradition. Pourtant, il ne faudrait pas en déduire que l’Église arrête sa pensée sur l’immense et réelle souffrance de Jésus crucifié. Elle l’exprime, au contraire, avec un réalisme vibrant de douleur et d’amour :

« Chacune des parties de ta Chair sainte a souffert quelque déshonneur à cause de nous : ta tète, les épines ; ta face, les crachats ; ta bouche, le goût du vinaigre et du fiel ; tes oreilles, les blasphèmes injurieux ; tes épaules, la pourpre de dérision ; ton dos, la flagellation ; ta main, le roseau ; les tiraillements de tout ton Corps sur la croix ; tes membres, les clous, et ton côté, la lance. Toi qui as souffert pour nous et qui, en souffrant, nous a libérés, toi qui par amour envers les hommes t’es abaissé avec nous et qui nous as relevés, Sauveur, aie pitié de nous » (Office byzantin des saintes souffrances, 15e antienne).

L’œuvre de salut accomplie par le Christ a revêtu divers aspects. Jésus, au cours de sa vie terrestre, a surmonté la tentation. Il a guéri les âmes et les corps. Il a prêché le « royaume de Dieu » ; il appelait dans ce royaume les souffrants, les pauvres, les persécutés, les purs de cœur. Il enseignait que le « royaume » consiste dans la réalisation de ce double précepte :

Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée, et ton prochain comme toi-même (Lc 10,27).

Et il disait lui-même ce qu’aucun prophète n’avait dit auparavant :

Je suis la voie, la vérité et la vie (Jn 14,6).

En résistant à la tentation, en guérissant, en pardonnant, en annonçant la « bonne nouvelle », déjà le Christ nous sauvait. Mais il a voulu accomplir jusqu’aux suprêmes exigences de son amour pour nous :

Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime (Jn 15,13).

L’œuvre salvatrice de Jésus-Christ est un tout indissociable ; l’Incarnation, la Mort sur la Croix, la Résurrection ne sont que des moments successifs de cette même œuvre. Sa mort sur la croix nous a « rachetés », parce que l’acte intérieur d’amour et d’offrande dont le crucifiement était l’expression visible réparait, et bien au-delà, toute révolte des hommes contre le Père et provoquait dans nos cœurs une réponse de conversion. La croix, que Jésus a voulue pour lui-même, est devenue signe et condition nécessaire de toute vie chrétienne :

Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il prenne sa croix et me suive (Lc 9,23).

La vie des chrétiens mise sous le « Signe de la croix ».

« Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit », est la formule identitaire partagée par tous ceux et celles qui croient au Dieu révélé dans la Bible. Cette même formule est présente lors du baptême. Elle sert à ce moment à marquer le baptisé du sceau de sa nouvelle identité:

Je te baptise au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit.

Ces mots révèlent que la foi du chrétien a pour objet la Trinité c’est-à-dire un Dieu qui est tri-unique. Le signe de la croix nous amène à exprimer publiquement un résumé des grands mystères de la foi. Pensons-y bien ! D’abord, il y a la croix. Tout passe par la croix mais rien ne s’y arrête. Dans le signe de la croix nous évoquons la plus grande marque d’amour de Dieu pour les hommes. Son fils unique est mort sur la croix après avoir annoncé aux hommes la venue du royaume. Et pourtant tout continue. L’œuvre de Dieu ne s’arrête pas sur la croix. La résurrection manifeste de manière éclatante qu’une vie vécue sous le signe de l’amour ne peut que retourner vers Dieu. Les chrétiens n’invoquent pas un Jésus mort. Dans le signe de la croix, la personne du Fils est bien vivante. Mais, nous nous rappelons aussi combien son séjour historique sur terre a marqué notre histoire. Finalement, nous honorons l’Esprit parce qu’il anime le croyant d’une vie impérissable.

Le signe de la croix révèle les liens qui unissent les trois personnes de la Trinité aux hommes et femmes que nous sommes. Dieu dans sa grande sagesse a voulu faire connaître aux hommes de toutes origines et de toutes races la grandeur de son amour. Comment pouvait-il le faire ? C’est par le mystère de l’incarnation de son Fils que nous pouvons connaître jusqu’où va l’amour de Dieu. Cet amour s’est manifesté d’une manière particulière en Jésus. Ce même Jésus n’a pas cessé de se tourner vers ceux et celles qui souffraient dans leur corps comme dans leur âme. Ses paroles et ses gestes furent dénoncés et les autorités ont décidé « qu’il méritait la mort« .

La Bible a toujours enseigné que le juste trouve grâce aux yeux de Dieu. C’est pourquoi Jésus a été tiré du royaume de la mort par la puissance du Père. Finalement la suite de l’histoire du salut n’est possible qu’avec la venue de l’Esprit lors de la Pentecôte. L’Esprit est donné en vue de la proclamation de la Parole. Il a pour mission de conduire les croyants « dans la vérité toute entière » (Jn 16, 13). Il fallait que Jésus parte pour que le « Paraclet vienne » vers nous. Le signe de la croix nous amène donc vers le centre du mystère trinitaire. Désormais, les trois sont un ! Il ne nous reste qu’à dire Amen et à adorer pour que la puissance de l’Esprit prenne place en nous et que nous puissions vivre dans l’amour et la vérité. N’est-ce pas ce dont nous avons le plus besoin pour vivre ? Qui d’entre nous peut vivre sans amour ni vérité ?

La croix dans notre vie

La croix n’est pas la même pour tout le monde : pour les uns, la croix, c’est de vivre avec une personne handicapée ou malade ; pour d’autres, la croix, c’est de ne pas rétablir une relation avec un voisin ; pour d’autres encore, la croix, c’est de se retrouver avec un enfant qui ne se «case pas» … Mais, pour tout le monde, la croix veut dire la même chose : une souffrance, une douleur, un poids.

Chose certaine, il est assez difficile de penser que la croix soit une gloire. Comment voir une gloire dans une souffrance, une maladie, un chômage ? Peut-être pourrait-on dans une ancienne mentalité chrétienne, croire que l’épreuve était un signe de l’amour de Dieu, mais aujourd’hui, dans un monde où la souffrance est redoutée, refusée, repoussée, il n’en va plus ainsi. Aujourd’hui, comme les Juifs de l’exode, on ne veut plus souffrir, ni mourir ; on ne veut plus de la croix. Mais la croix reste là, malgré tout : chaque personne doit porter son poids de vie, vivre avec ses contrariétés, affronter les difficultés de la vie.

Alors où trouver la gloire dans cette croix que l’on porte ? Il faudrait être masochiste pour s’en glorifier. Personne n’a à se glorifier d’avoir mal ou de souffrir ; tous et toutes ont à déployer énergie et temps pour éloigner le mal de la vie et du monde. Toutefois, si la croix reste là malgré tous les efforts humains, il faut peut-être chercher à voir la vie qu’elle porte, la vie qu’elle cache. Pour qui croit, la croix est signe d’amour : Dieu a donné son Fils sur la croix pour nous montrer son amour, pour que nous trouvions la vie. Cette croix n’est pas un jugement, elle est signe de salut.

Si la croix est glorieuse, ce n’est pas pour la souffrance qu’elle génère, mais bien l’amour qu’elle signifie. Nous le verrons la prochaine fois.

Un mot sur le Stabat Mater

Le Stabat Mater enseigne que Marie fut transpercée d’un glaive en pleurant devant Jésus qui pendait sur la croix. Cela est traduit sur notre Médaille : « La croix, le M et les deux cœurs en disent assez ». Quelle est donc la nature de ce texte inspiré par la douleur d’une mère dont le fils se meurt ? Quel apôtre, quel témoin, a su retranscrire avec tant d’acuité la fin de la vie terrestre du messie ? Un apôtre ? Jacopone da Todi, auteur vraisemblable du texte, n’est pas un apôtre. Le plus fameux des textes de la liturgie de Notre Dame des sept douleurs n’est pas un texte canonique, un texte puisé dans le livre des psaumes, mais un texte liturgique à caractère privé, un texte d’inspiration religieuse, mais profane, élu par le chœur populaire, avec un attachement si fort qu’il empêcha sa totale éradication.

Mais quel est donc le secret de son succès ? La Foi ! Seulement la foi, celle du peuple, celle de la rue, la foi transcendantale, cette foi qui dresse la volonté populaire contre laquelle il est hasardeux de se risquer, et qui sauvera de l’oubli ce texte médiéval. Le secret : un texte porté par une ferveur religieuse populaire jamais démentie. Quel auteur contemporain ne rêverait pas d’écrire un texte aussi universel ? Imaginez les droits d’auteur ! C’est peut-être là que réside son succès, ce texte n’appartient à personne, il a même changé de forme, de sens en fonction du temps et des prières du moment. C’est peut être ça la spécificité du Stabat Mater : une prière universelle modulable à souhait, loin de la statique des prières officielles et qui a tant inspiré de compositeurs. Mais c’est avant tout le récit d’un drame universel et intemporel, la disparition d’un fils aimé, la rupture du lien de la vie entre une mère et son enfant.

En conclusion, un extrait du Sermon 215 Ad Competentes de saint Augustin :

Ce sermon a été composé pour être prononcé huit jours avant Pâques, pour les catéchumènes, durant l’explication de la « reddition du Symbole», avant la transmission du «Pater Noster » (Notre Père), prière des Baptisés.

5. Semblera-t-il peu de chose que pour des hommes, pour des pécheurs, pour des coupables, pour des captifs et pour des esclaves, Dieu même, le Juste, l’Innocent, le Roi suprême, le Maître souverain, soit venu parmi nous revêtu d’un corps humain, Se soit montré sur la terre et ait vécu parmi les mortels ? Mais, de plus, Il a été crucifié, Il est mort et a été enseveli. Ne le crois-tu pas ? Demandes-tu à quelle époque ? Le voici : c’est sous Ponce-Pilate. Pour écarter de toi tout doute, au sujet même de l’époque, on a eu soin de te faire connaître dans ce Symbole le nom propre du juge. Crois donc bien que sous Ponce-Pilate : le Fils de Dieu a été crucifié et enseveli.

« Il n’y a point, dit-Il, de charité plus grande que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15,13).

Est-ce absolument vrai ? Ne peut-on rien de plus ? Non, Jésus-Christ l’a dit. Toutefois, interrogeons l’Apôtre, il ne dédaignera pas de nous répondre à son tour.

« Le Christ, dit-il, est mort pour les impies. » Il ajoute : « Que nous étions Ses ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de Son Fils. »

N’est-ce point dans le Christ une charité plus grande, attendu qu’Il a donné Sa vie, non pour des amis, mais pour Ses ennemis ? Quel n’est donc pas l’amour, quel n’est pas l’attachement de Dieu pour les hommes, puisqu’Il affectionne les pécheurs jusqu’à mourir pour eux !

« Ce qui montre Sa charité envers nous, dit aussi l’Apôtre, c’est que dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous » (Rom. 5,6; 10; 8).

Crois-le aussi; toi, et pour assurer ton Salut, ne rougis pas de Le confesser :

« car on croit de cœur pour être justifié, et on confesse de bouche pour être sauvé » (Rom. 10,10).

Aussi, pour éloigner de toi l’hésitation et la confusion, dès que tu as commencé à croire, tu as reçu le Signe de la Croix sur le front, comme sur le siège de la pudeur. Pense à ton front, pour n’avoir pas peur de la langue d’autrui.

« Celui qui aura rougi de Moi devant les hommes, dit le Seigneur Lui-même, le Fils de l’homme rougira de lui devant les Anges de Dieu » (Marc 8,38).

N’aie donc pas honte de l’ignominie de cette croix dont Dieu même n’a pas hésité de Se charger pour toi, et dis avec l’Apôtre :

« Loin de moi la pensée de me glorifier, sinon dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (Gal. 6,14).

Le même Apôtre te répondra encore :

« J’ai estimé ne savoir parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » (1 Cor. 2,2).

Ah ! Celui qu’un peuple a attaché à la croix est maintenant fixé au cœur de tous les peuples.

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