La Médaille Miraculeuse et le Credo V

La Croix glorieuse, signe du retour du Christ :
« Il viendra juger les vivants et les morts »

LA CROIX GLORIEUSE

Notre-Dame de Paris tympan Jugement dernier | DRDans la symbolique chrétienne, la croix présente un double, voire un triple visage. Il convient de nous la représenter en regardant l’envers de la Médaille Miraculeuse.

Dans le contexte de la passion et de la mort violente de Jésus, les évangiles évoquent la croix en tant qu’instrument de torture et gibet d’infamie. Lorsque Jésus en fut chargé pour monter au calvaire, sa croix n’avait donc rien de glorieux, c’était l’instrument de supplice le plus avilissant.

Paul, comme citoyen romain (Ac 22,25), avait eu droit à la forme la plus élégante de mise à mort, l’épée. Mais Jésus n’était qu’un vulgaire condamné, livré a l’occupant romain. A cet égard, la croix ne mérite évidemment pas de devenir un objet de vénération, mais de notre compassion, à l’image de la compassion de la sainte mère du Christ.

Comment ce signe de malédiction qu’est la croix a-t-il pu devenir une source de bénédiction et de salut ? Comment la vie peut-elle jaillir de la mort ? La douceur de l’amertume? La joie de la souffrance ?

Autant de questions lancinantes qui parfois nous taraudent, quand nous ne préférons pas les oublier pour nous amarrer aux rives apparemment plus solides du quotidien. L’Évangile nous ouvre une piste. La Croix ne devient salutaire que par le poids d’amour qui s’y révèle et s’y vit. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.» (Jn 3,16-18)

L’amour vécu jusqu’au bout a pouvoir de sauver, réparer, investir de sens les réalités les plus âpres, illuminer les ténèbres les plus épaisses. Ce message, nous le savons, ne contredit pas le meilleur de nos expériences humaines mais les rejoint dans ce qu’elles ont de plus authentiques.

L’horizon cependant est exigeant, car il passe par la reconnaissance du mal, de la violence, de la mort à l’œuvre en nous et autour de nous. Il s’agit de «regarder» la Croix. Si le déni de notre misère, de notre péché nous évite un passage par la souffrance, il nous prive aussi de l’expérience du salut, du pardon à recevoir et à donner. Chemin vers la vie, la Croix n’en garde pas moins sa part de mystère à contempler dans la foi.

Pour sa part, l’évangile de saint Jean joue sur le double sens du verbe « élever » : élever sur la croix et élever dans la gloire. La référence à Moïse et au serpent d’airain sert ici de parabole prophétique. Dans un autre passage du quatrième évangile, Jésus déclare ; « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes », et l’évangéliste d’ajouter : « Par ces paroles, il indiquait de quelle mort il allait mourir » (12,32-33). En même temps qu’elle donne la mort, la crucifixion symbolise la victoire sur la mort.

Très tôt déjà, les chrétiens ont vu aussi dans la croix, plutôt qu’un accessoire meurtrier, l’image du sacrifice par lequel Jésus nous affranchit du péché et de la mort. L’apôtre Paul, déjà, écrit en conclusion de son épître aux Galates : « Pour moi, il n’y a pas d’autre titre de gloire que la croix de notre Seigneur Jésus Christ » (6.14).

Dans l’hymne au Christ qui ouvre l’épître aux Colossiens, on peut lire : « II a plu à Dieu de faire habiter (en son Fils) toute la plénitude et de tout réconcilier par lui et pour lui, sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang de sa croix » (1,20; cf. 2,13-15). En ce sens, la croix du Christ peut être dite « glorieuse ».

A la charnière de ces deux sens, la fois dernière, nous sommes partis de la croix vide, de la croix nue, restée plantée au moins juqu’au lendemain de la Pâque, signe intermédiaire, en creux comme le tombeau vide, de la résurrection du Seigneur. Et ce fut la grande prouesse de Dieu, que de transformer cet odieux instrument de supplice en croix glorieuse. Même la croix du bon larron devint glorieuse, car elle fut, elle aussi, porte d’entrée du paradis (Lc 23,43).

Les croix des premières églises étaient glorieuses, comme celle que l’empereur Constantin aperçut dans sa vision. C’était une croix de lumière, signe de résurrection. Plus tard, lorsqu’on représenta le Christ en croix, c’était d’abord comme ressuscité, ou dans l’habit du grand prêtre (He 4,14-15).

Au Moyen-Age, les misères des populations incitèrent à exprimer la solidarité de Jésus avec les souffrances humaines. De symbolique, l’image devint réaliste. Mais le temps est venu de nous représenter à nouveau le Christ ressuscité et glorieux.

JESUS-CHRIST REVIENDRA DANS LA GLOIRE

Nous sommes affectés de nos jours par de grands bouleversements économiques, financiers, politiques et écologiques nouveaux. Le visage de notre monde se transforme. L’histoire en s’accélérant singulièrement nous rapprocherait-elle de son ultime conclusion qui coïnciderait, selon l’Ecriture, avec un événement capital : l’irruption fulgurante de Dieu dans l’histoire de l’humanité, le retour de Jésus-Christ ? Un retour glorieux et, pour la plupart des hommes… inattendu ; et le ciel s’ouvrira et toute l’humanité le verra.

De nombreuses prophéties relatives à ce retour, faites par les prophètes de l’Ancien Testament et par Jésus-Christ se sont déjà déroulées tandis que d’autres sont en train de s’accomplir sous nos yeux. Le Nouveau Testament contient à lui seul plus de 300 textes en rapport avec le retour du Christ qui a dit lui-même : «Je reviendrai» (Jn 14.3). Chaque jour, dans le « Notre Père », des millions de Chrétiens récitent : «Que ton règne vienne».

Bien que cet événement soit une certitude, nous n’en connaissons pas le moment exact : «Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne le sait» (Mt 24.36). Mais le Christ a précisé aussi qu’il nous donnerait des signes précurseurs : «Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles.» (Lc 21,25). Et en attendant son retour, il nous a invités à veiller et à prier : « Prenez garde, veillez et priez, car vous ne savez pas quand ce temps viendra. » (Mc 13,33).

Ainsi, le Christ nous encourage à nous préparer à ce grand événement. De notre choix dépendra notre avenir : en croyant en Jésus-Christ, Fils de Dieu, mort et ressuscité pour sauver l’humanité, nous choisissons le bien et la vie éternelle mais si nous refusons de croire en lui et le rejetons, nous choisissons alors le mal et son maître, Satan qui nous mènera à la destruction définitive, à la mort éternelle. Jésus-Christ nous donne ce choix, il nous laisse entièrement libres mais nous conseille cependant de suivre le chemin qui mène à la vie (Mt 7.14).

En attendant son retour, choisissons donc la vie ! Pour sortir de son impasse, le monde a besoin de cette intervention divine en la personne de Jésus-Christ. Son retour mettra fin à la confusion, souffrance, misère, angoisse, guerre et mort qui sont le partage des humains. Sur notre terre renouvelée (Ap 21,1), cet événement introduira définitivement la justice, la paix, le bonheur et la joie et ceci dans le royaume de Dieu pour l’éternité.

Le retour du Christ est tout simplement l’espérance des croyants. Les premiers chrétiens aussi ne cessaient d’annoncer le « Seigneur qui vient ». Dans nos sociétés où nous pouvons nous passer de Dieu, avons-nous encore cette espérance ? Attention, le Christ n’oubliera pas sa promesse répétée par les derniers mots de la Bible : «Oui, je viens bientôt.» (Ap 22,20).

La Parousie pour le jugement

Les discours de Pierre l’annoncent dans les premiers chapitres des Actes (2, 22-36 ; 3, 15-26 ; 4, 10-12 5, 30-32 ; 10, 34-43). Iil faut y ajouter le message de Paul à la synagogue d’Antioche de Pisidie (13, 17-39).

Aux païens, Paul doit d’abord annoncer le Dieu unique (17, 22-31). C’est l’écho de cette prédication que l’on discerne à travers 1 Th 1, 9 : Vous vous êtes convertis à Dieu, en quittant vos idoles, pour servir le Dieu vivant et vrai, et attendre des cieux son Fils, qu’il a ressuscité des morts, Jésus, qui nous délivre de la colère qui vient.

L’unicité du Dieu Père, la résurrection du Fils et l’attente du jugement marqué par la venue nouvelle du Christ sont ici nettement affirmés. On retrouve le schéma des professions de foi : Dieu, la résurrection du Fils et sa venue future pour juger. En 2 Tm 4, 1, saint Paul parle du Christ « qui doit juger les vivants et les morts ».

« … IL VIENDRA JUGER LES VIVANTS ET LES MORTS… « 

« Dans le grand Credo de l’Église, la partie centrale, qui traite du mystère du Christ à partir de sa naissance éternelle du Père et de sa naissance temporelle de la Vierge Marie pour arriver par la croix et la résurrection jusqu’à son retour, se conclut par les paroles: « Il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts. Déjà dès les tout premiers temps, la perspective du Jugement a influencé les chrétiens jusque dans leur vie quotidienne en tant que critère permettant d’ordonner la vie présente, comme appel à leur conscience et, en même temps, comme espérance dans la justice de Dieu. » Benoit XVI, encyclique Spe Salvi facti sumus (41).

Ce qui s’est passé depuis la manifestation du Fils de Dieu sur la terre des hommes, et tout particulièrement ce qui s’est accompli aux jours de Pâques, la foi n’en fait mémoire que pour fonder l’attente de celui qui est toujours devant les siens et leur ouvre le chemin qui conduit au Père, pour fonder leur attente de sa venue nouvelle, à partir de son lieu de gloire.

Comment, chez les premiers chrétiens, est née la foi dans le retour du Christ ? L’attente du retour de Christ est la forme chrétienne que les disciples de Jésus, après sa mort, ont donnée à l’attente juive de la venue du Fils de l’homme. L’apocalyptique juive attendait le Fils de l’homme, juge et sauveur céleste envoyé par Dieu au tournant des siècles. Jésus et ses disciples ont partagé cette attente de la venue du Fils de l’homme. Après la mort de Jésus, les disciples ont retenu cette attente, mais ils ont identifié le Fils de l’homme à Jésus. Désormais ils croyaient que celui qui viendrait serait Jésus.

La foi, dit-on chez les théologiens, comporte cette dimension eschatologique, c’est à dire qu’elle est tendue vers l’avenir, vers un terme encore attendu et qui soutient son dynamisme. La nouvelle liturgie de la messe a fortement remis en valeur cette dimension eschatologique de la foi, et notamment de la foi sacramentelle. Dans l’acclamation qui suit la consécration, les fidèles ne proclament la présence réelle du Christ dans le sacrement que pour crier leur attente « jusqu’à ce qu’il vienne ».

« Maran atha »: « Viens, Seigneur. » Le Nouveau Testament nous a conservé, dans sa langue araméenne d’origine, cette prière des premiers chrétiens. Elle clôt le livre de l’Apocalypse, et avec lui l’ensemble de l’Écriture: « Viens, Seigneur Jésus !»

Les chrétiens connaissent en effet celui qu’ils attendent comme Juge. Ils savent qu’il ne veut pas sauver les hommes sans eux et qu’il entend sanctionner ce qu’ils ont voulu être. Mais ils savent aussi qu’il est venu, selon sa propre expression,  » sauver ce qui était perdu  » (Mt 18, 11), et que peuvent l’attendre sans crainte, et plutôt pleins d’espérance, tous ceux qui ont mis sérieusement en lui leur confiance.

Quelques paroles essentielles du NOUVEAU TESTAMENT

« A quoi sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme ? » Mt 16, 26

« Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent rien à l’âme. Craignez plutôt celui qui peut perdre l’âme et le corps dans la géhenne. » Mt10, 28

« Celui qui m’aura renié devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux. » Mt10, 33

Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites… Eviterez-vous d’être condamnés à la géhenne ? » Mt 23, 29 et 33.

« Jetez ce serviteur inutile dans les ténèbres extérieures, là où il y a des gémissements et des grincements de dents. » Mt 25,30

« Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel ! » Mt 25, 41

« Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la : mieux vaut pour toi entrer dans la géhenne, dans le feu inextinguible, là où le ver ne meurt pas, et où le feu ne s’éteint pas. » Mc 9, 42-43

On peut signaler aussi les textes eschatologiques, nombreux dans les Epîtres.

« Jésus apparaîtra du ciel avec les messagers de sa puissance, au milieu d’une flamme de feu, pour faire justice de ceux qui ne connaissent pas Dieu et de ceux qui n’obéissent pas à l’Evangile de Notre Seigneur Jésus. Ils subiront la peine d’une perdition éternelle, loin de la face du Seigneur et de l’éclat de sa puissance. » 2Th 1, 7-9

« Celui qui a violé la loi de Moïse meurt sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins ; de quel châtiment plus sévère pensez-vous que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour profane le sang de l’alliance par lequel il avait été sanctifié , et qui aura outragé l’Esprit de la grâce ? » Héb 10, 28-29

« Par l’endurcissement de ton cœur impénitent, tu amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres : la vie éternelle à ceux qui, par la persévérance dans le bien, cherchent la gloire, l’honneur et l’immortalité ; mais la colère et l’indignation aux âmes rebelles, indociles à la vérité, dociles à l’injustice. » Ro 2, 5-8

LA GLOIRE DE LA MISERICORDE

Faut-il une justice rigoureuse qui, en donnant à chacun son dû, remédie à tous les besoins sans qu’il faille quelqu’un pour « se pencher » avec compassion du haut de sa sécurité et de sa richesse afin de secourir la détresse d’autrui ?L’Ecriture nous dit que Dieu est miséricordieux et que, créatures et enfants de Dieu, nous vivons de son incompréhensible miséricorde.

Le message de l’Evangile proclame un amour qui se penche sur la pauvreté, un amour qui aime de façon miséricordieuse. Mais n’est capable de donner sans gracieuse condescendance que celui qui ne se considère pas comme la source de ce qu’il donne, mais comme un dépositaire, à charge pour lui de transmettre. De cela, nous avons le bel exemple de Marie. N’est vraiment miséricordieux sans se rendre odieux que celui qui se sait aimé d’un amour de miséricorde, évitant ainsi l’orgueil qui le guette dans l’exercice de la miséricorde.

Le Moyen-Âge a multiplié aux tympans de nos cathédrales les jugements derniers, pour inspirer l’effroi à un monde qui sortait de la barbarie. Mais aujourd’hui il n’en est plus de même. Rappelons que le dogme est remarquable de sobriété. Nous n’avons pas besoin d’imaginations débridées pour émouvoir les sensibilités. Ainsi on risque de manquer de respect à une réalité mystérieuse et sacrée. « Toutes les eschatologies qui violent le mystère sont hallucinantes », dit Berdiaeff (La destination de l’homme, p. 582). Le regard qui plonge dans l’abîme suscite facilement le vertige.

ET L’ENFER

L’enfer n’est pas la réalité centrale du christianisme à partir de quoi tout s’organiserait sur la terre dans la crainte et le tremblement. Il est un élément qui ne peut être compris que dans une synthèse d’ensemble dont l’amour de Dieu est le centre. Si Jésus a fait tant de fois allusion à l’existence d’un enfer éternel, ce n’est pas sans raison. « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés », nous dit saint Paul.

Mais par respect pour la grandeur de l’homme créé à son image, Dieu veut qu’il y ait ratification libre et volontaire de son dessein d’amour. Il est possible de le refuser et de persévérer dans une rupture consciente et librement choisie. C’est le mystère même de notre liberté.

La damnation est, pour chaque être du monde moral, une solution à envisager. Cela manifeste le caractère sacré, dramatique, de notre existence terrestre, même si Dieu ne cesse de multiplier les secours, allant jusqu’à se sacrifier en son Fils pour sauver l’homme. A certaines heures troubles, seule la crainte peut nous arrêter. Elle est au dire du psalmiste, le commencement de la sagesse. Pour saint Augustin, elle est le gardien de l’amour.

Ceux qui ont été favorisés d’un amour privilégié et qui ont mésusé à leur profit des dons, des talents, des pouvoirs que Dieu leur a départis, ceux-là risquent plus que d’autres d’aboutir à l’aveuglement de l’esprit et à l’endurcissement du cœur. Le sculpteur d’un portail de la cathédrale de Chartres l’a bien compris quand, dans le jugement dernier, il place au premier plan des damnés un évêque et un moine !

« A toutes les heures, souviens-toi de tes fins dernières, tu ne pécheras jamais », nous dit l’Ecclésiastique (7, 40). La tiédeur acceptée, le relâchement, le laisser-aller, sont autant de pentes glissantes qui peuvent insensiblement conduire à l’abîme. C’est d’autant plus grave que le Seigneur peut venir nous prendre « comme un voleur ». Il nous en a avertis. Le danger est toujours là d’hommes qui se raidissent dans leur péché, préfèrent leur égoïsme à ce Dieu qui les invite à se déprendre d’eux-mêmes.

Dans le « Livre de sa Vie », sainte Thérèse d’Avila termine sa vision de l’enfer en disant : « Ma terreur est telle qu’il me semble que mon sang se glace dans les veines, ici même où je me trouve… Cette vision m’a procuré une douleur immense de la perte de tant d’âmes… Elle m’a procuré aussi les désirs les plus ardents d’être utile aux âmes. »

Si la mort est solitude, l’enfer est une solitude où l’amour ne pourrait plus entrer. L’enfer est, selon Joseph Ratzinger, désormais Benoit XVI, (Foi chrétienne, hier et aujourd’hui, Paris, 1969, p. 207), la peur totale, la solitude absolue où aucune parole ne pourrait plus pénétrer pour la transformer. L’enfer réside au plus profond de notre être à tous : c’est la solitude privée d’amour, c’est l’existence exposée, menacée. C’est parce que le Christ est descendu aux Enfers qu’il nous est permis d’espérer que l’enfer (comme état et non comme lieu, rappelons-le) est vide : « Mort, où est ta victoire ? » (1 Co 15, 55).

Mais c’est aussi parce que l’enfer nous a été révélé par la descente du Christ, parce qu’il y a eu résurrection hors de la mort et de l’enfer, que nous sommes appelés à une insurrection contre tous les Enfers de cette terre (Hans KÜNG, Credo. La confession de foi des apôtres expliquée aux hommes d’aujourd’hui, Paris, 1996, chapitre VI). En effet, l’enfer du Nouveau Testament témoigne pour l’ici-bas du « sérieux inconditionnel de l’existence de Dieu et de l’urgence de la conversion. » (François Varillon, Joie de croire, joie de vivre, Paris, 1981).

C’est Dieu qui crée le paradis, mais c’est la créature révoltée qui crée l’enfer, horrible garantie de la liberté humaine. L’enfer est inconcevable hors de notre vocation à partager la vie divine. C’est ce sérieux inconditionnel de l’existence et de l’amour qui fonde finalement la possibilité de l’enfer, dont François Varillon affirme qu’il est la condition sine qua non de la grandeur de notre liberté : « L’enfer, c’est l’état de damnation qui est une éventualité réelle, mais je ne peux affirmer que c’est une réalité (…). C’est une souffrance d’abord pour Dieu (…). En dehors de notre vocation à partager la vie divine, l’enfer est inconcevable. »

C’est bien pour cela que le Christ est descendu aux Enfers : qui plus que lui a vocation à partager la vie divine de son Père et par là à partager notre condition de créatures divinisables ? C’est la descente aux Enfers, et non l’éventualité de l’enfer, qui appartient à notre profession de foi. En effet, « croire » (credere in) a le sens de croire que l’enfer est une possibilité et non croire en l’enfer. On croit en Dieu dont l’amour ne peut rien contre l’éventualité de l’enfer. Adhérons donc sans réticence à l’enseignement authentique de l’Eglise, dépositaire des moyens du salut.

TRIPLE CARACTÉRISTIQUE

Sans trop entrer dans les détails, notons les trois éléments qui caractérisent l’enfer selon l’enseignement traditionnel :

La peine du dam qui est la séparation d’avec Dieu. Le damné rejette volontairement celui vers lequel il ne peut s’empêcher de tendre de toutes les profondeurs de son être.

Maurice Blondel, dans l’Action, a essayé d’analyser la psychologie des âmes qui se perdent : « Se perdre, comprend-on la force de ce mot ? Se perdre, sans s’échapper à soi-même… être sans l’Être ; avoir son centre hors de soi ; sentir que toutes les puissances de l’homme se retournant contre l’homme, lui deviennent hostiles sans lui être étrangères, n’est-ce point la conséquence et la peine de l’orgueilleuse suffisance d’une volonté solitaire qui a placé son tout où il n’y arien pour la combler ? C’est une juste nécessité que l’homme, dont l’égoïsme a rompu avec la vie universelle et avec son principe, soit arraché du tronc commun. Et, jusqu’aux racines de sa substance, il périra sans fin parce que tout ce qu’il avait aimé sera en quelque sorte dévoré et anéanti par la grandeur de son désir. Qui a voulu le néant l’aura ; mais qui l’a voulu ne sera pas détruit pour cela. Et pourquoi pas l’anéantissement total de ceux qui se sont séparés de la vie ? Mais non ; ils ont vu la lumière de la raison, ils gardent leur volonté indélébile, ils ne sont hommes qu’en étant inexterminables, ils ont circulé dans la vie et agi dans l’être. C’est à jamais ! Rien en leur état, qui résulte d’une contrainte extérieure ; ils persévèrent dans la volonté propre qui est à la fois crime et châtiment. » (p. 370)

La peine du sens : les fidèles sont beaucoup plus impressionnés par les affirmations de l’Ecriture sur le feu de l’enfer que par les descriptions sur la peine du dam. La Tradition parle de la peine du sens et la compare à la peine du feu, car les souffrances chez les damnés sont comparables à la brûlure produite par le feu.« L’ultime fond de l’enfer, dit Dostoïevsky, c’est la souffrance de ne plus pouvoir aimer. » Le damné se la choisit, elle commande inexorablement sa vie dans l’au-delà. La mort cristallise à jamais dans la haine celui qui a refusé l’amour.

La peine éternelle : Jésus-Christ présente l’au-delà comme une alternative tragique : d’un côté la vie éternelle, de l’autre la mort éternelle. La parité est absolue entre la durée des châtiments et celle des récompenses. Ainsi se fixe le choix que l’on a fait en cette vie.

« La tragédie à l’état pur n’existe qu’en enfer. Là seulement le mal est parfaitement clos sur lui-même, la situation parfaitement sans issue. Plus une faille de prière ou d’abandon dans ce bloc éternel du désespoir. Mais le tragique infernal s’amorce déjà sur la terre. » (Gustave Thibon, L’Echelle de Jacob, p. 70)

ET LE PURGATOIRE

Prêtons l’oreille à Benoit XVI dans son encyclique sur l’espérance.

Le Purgatoire « consiste-t-il simplement à être purifié par le feu dans la rencontre avec le Seigneur, Juge et Sauveur, comment alors une tierce personne peut-elle intervenir, même si elle est particulièrement proche de l’autre? Quand nous posons une telle question, nous devrions nous rendre compte qu’aucun homme n’est une monade fermée sur elle-même. Nos existences sont en profonde communion entre elles, elles sont reliées l’une à l’autre au moyen de multiples interactions. Nul ne vit seul. Nul ne pèche seul. Nul n’est sauvé seul. »

« Continuellement la vie des autres entre dans ma vie: en ce que je pense, je dis, je fais, je réalise. Et vice-versa, ma vie entre dans celle des autres: dans le mal comme dans le bien. Ainsi mon intercession pour quelqu’un n’est pas du tout quelque chose qui lui est étranger, extérieur, pas même après la mort. Dans l’inter-relation de l’être, le remerciement que je lui adresse, ma prière pour lui peuvent signifier une petite étape de sa purification. » (48)

CONCLUSION

Pour terminer notre parcours, nous ne voulons pas éluder ce que Benoît XVI exprime dans son encyclique. Vers la fin il rappelle ce qu’on appelait autrefois la doctrine des fins dernières, qui trouve dans le Jugement dernier, la scène incontournable pour la révélation des cœurs et la destinée ultime de tous. C’est un acte de courage d’aborder ce domaine qui est trop peu traité de nos jours.

L’exigence de justice absolue réclame le Jugement dernier pour que « la souffrance du monde soit anéantie » mais aussi pour que soit « révoqué ce qui est irrévocablement passé » (42). Pas de justice sans résurrection des morts et convocation du passé humain dans tout ce qu’il a de bon et de terrible. Le Jugement intervient, comme le contraire d’une force d’oubli, car il est impossible au regard de Dieu que les méchants siègent indistinctement à la table des victimes, comme si de rien n’était.

L’admission de l’enfer et de la damnation n’est pas un dogme révocable. « Il peut y avoir des personnes qui ont détruit totalement en elles le désir de la vérité et la disponibilité à l’amour. Des personnes en qui tout est devenu mensonge, des personnes qui ont vécu pour la haine et qui, en elles-mêmes ont piétiné l’amour… » (45)

A ceux-là s’opposent ceux qui se sont laissés pénétrer totalement par Dieu sans oublier le prochain et dont le fait d’aller vers Dieu conduit à l’accomplissement de ce qu’ils sont désormais. Il s’agit des saints s’orientant vers le Ciel.

Entre les deux, il y a les pauvres pécheurs qui demandent miséricorde et purification et dont l’espérance est d’avoir été sauvés dans la Passion du Christ. « Le Jugement de Dieu est espérance, aussi bien parce qu’il est juste que parce qu’il est grâce. C’est pourquoi la grâce nous permet à tous d’espérer et d’aller pleins de confiance à la rencontre du Juge que nous connaissons comme notre avocat. » (47)

Nous avons tous à veiller et à prier pour ne pas succomber à la tentation. Le meilleur antidote à la présomption, c’est l’humilité qui prend appui sur la grâce de Dieu. Durant la messe, avant de recevoir le Corps du Christ, par une prière très humble, le prêtre supplie son Seigneur de le préserver de la damnation : « Seigneur Jésus-Christ, que cette communion à ton corps et à ton sang n’entraîne pour moi ni jugement ni condamnation, mais qu’elle soutienne mon esprit et mon corps et me donne la guérison. »

En disant : « Touchez et voyez si Je ne suis pas toujours le même! », le Christ nous apprend que nous n’avons aucune raison de douter qu’au sein de la gloire, il porte dans son âme le même amour qu’il avait durant sa vie mortelle. Pour Jésus, l’amour de la Croix, l’inclination de son amour vers la Croix ignore le changement. Jésus est revêtu au ciel des cicatrices qui Lui sont demeurées de la terre. Jésus, naissant et mourant, me fait voir la grandeur de l’amour qu’il m’a porté depuis qu’il est Dieu. Mais ses divines plaies qu’il garde après sa Résurrection, dans sa gloire, m’apprennent l’amour qu’il a pour moi, pour nous tous, qu’il conservera éternellement. Il est né afin de mourir sur la Croix pour notre Sa1ut ; il est ressuscité portant sur Lui les cicatrices de la Croix pour faire succéder la Vie à la mort !

Car toute vie se dirige vers Dieu et son Christ. Le temps nous emporte avec une trompeuse rapidité, même quand la souffrance et l’uniformité semblent persuader du contraire. Toutes les actions de la vie sont réparables, excepté la dernière, qu’aucun procédé même surnaturel ne peut réparer. En plus, ce dernier acte détermine tous les autres, et leur donne leur signification définitive. Cette fin est la même pour tous, quelque variée et aventureuse qu’ait été l’existence. Tels les aspects de la vie, tels les aspects de la mort. La première imprime son cachet à l’autre, et réciproquement celle-ci est l’interprète de la vie. A nous donc de nous y préparer en toute connaissance de cause.

A cet effet, demandons à Notre-Dame, étoile de l’espérance, sa précieuse intercession pour nous tenir les uns et les autres sur le chemin qui mène à son Fils, siégeant près du Père des cieux pour juger les vivants et les morts.