Tu vis, ô mon Église, d’une exigence et d’une promesse

Tu vis, ô mon Église, d’une exigence et d’une promesse

SAMEDI (5° semaine de Carême) Ez 37,21-28  – Jn 11,45-56

Jésus devait mourir non seulement pour la nation, mais encore pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés (Jn 11,52)

cathédrale de Reims-vitraux Imi-Knoebel
cathédrale de Reims-vitraux Imi-Knoebel

Ainsi tu es là, mon épouse, vraiment un signe que l’on se montre du doigt parmi les peuples : très connue, mais très peu aimée. Ton échec retombe sur moi-même, car, à cause de toi, mon nom aussi est blasphémé parmi les païens. Beaucoup qui m’ont cherché d’un cœur sincère se sont arrêtés sur le chemin, saisis d’effroi, lorsqu’ils t’ont aperçue soudain — et ils sont revenus sur leurs pas.

Et beaucoup qui virent combien tes fidèles ont une vie mé­diocre, combien ils ont peu l’air rachetés, avec quelle piteuse facilité l’ardeur de leurs cœurs a été étouffée sous la cendre, avec quelle sévérité ils portent des jugements sur le monde, eux qui sont secrètement pleins du monde, sont retournés résolument à l’innocence païenne.

Ce qui constitue un scandale à leurs yeux, ce n’est pas ton amour vainqueur du monde — pareil scandale tu aurais dû le donner — mais ta tiédeur et ton irréparable manque d’amour. Tu aurais dû être pour les hommes le symbole de l’unité entre moi et le Père, c’est pour cela que je t’ai envoyé notre Saint-Esprit, le lien de l’amour unifiant, et que je t’ai fondée sur l’unité qui enveloppe tout…

Ta nature même est l’unité, et chacune des marques aux­quelles on te reconnaît et grâce auxquelles tu peux faire la preuve de ta vérité est toujours encore l’unité. Et comme j’ai moi-même déposé en toi cette unité et t’ai marquée de ce sceau ineffaçable, comme je suis entré en toi avec mon esprit et que je te meus du dedans vers l’unité, moi, ton unique cœur, tu ne réussiras pas à t’évader de cette unité…

Vous êtes tous des membres, et comme membres vous deviez vous compléter mutuellement en servant chacun à votre place, reconnaissants à la pensée que vos frères pos­sèdent ce que vous-mêmes n’avez pas. Dans l’amour qui ne cherche pas à garder ce qui lui appartient, vous posséde­riez alors le tout. Car c’est moi qui suis le Tout, moi qui suis la tête du corps et l’âme qui unifie.

Mais, vous dispu­tant à travers tous les siècles pour les meilleures places, vous déchirez et vous déchiquetez en tout temps mon corps… Chacun tient son programme limité pour le meil­leur, le seul vrai, et ainsi les membres se détachent les uns des autres, et mon sang porteur d’une vie sacrée ne coule plus à travers tout l’organisme…

Fais ce que tu veux, (mon épouse,) tu resteras prise dans l’amour… Je veux te mettre dans le cœur un tel souci du monde et de mes brebis perdues que le troupeau assoupi flairera le berger et accourra vers toi presque malgré lui…

Tu vis, ô mon Église, d’une exigence et d’une promesse. Ne vis pas de toi-même, vis uniquement en moi et de moi, oublie celle que tu étais, ne connais plus ton cœur, mais accepte que te suffise mon cœur seul (que je t’ai enfoncé au milieu du corps), ainsi tu seras pour moi mon épouse et mon corps, et c’est en toi, exclusivement en toi, que je veux racheter le monde entier.

Sois pour le monde mon obéissance incarnée, présentée visiblement à travers tous les temps, si obéissante que, parler d’Église soit parler d’obéissance ; car, dans l’obéissance est la rédemption, et qui m’exprime doit reproduire en lui mon obéissance jus­qu’à la mort de la croix : ainsi je veux t’élever comme reine du monde, et tous les peuples, tous les siècles, devront se courber devant toi.

Hans Urs von Balthasar Le cœur du monde, DDB, 1956, p. 208 à 215.