… vécue dans l’esprit évangélique
La liberté est une parole magique. Elle doit être étudiée avec une diligence sérieuse et sereine si on ne veut pas éteindre sa lumière et en faire une expression confuse, équivoque et dangereuse. Personne d’entre nous ne désire la confondre avec l’indifférence idéologique et religieuse, encore moins avec l’individualisme érigé en système, avec l’irresponsabilité, le caprice ou l’anarchie. Ce serait un cours bien long sur les distinctions et les réserves à faire à propos d’une parole à la mode, qui semble être très proche de la liberté: la révolution, avec certains de ses dérivés, aujourd’hui très répandus.
Mais considérée dans son concept humain et rationnel, comme autodétermination, comme libre arbitre, nous serons parmi les premiers à exalter la liberté, à en reconnaître l’existence, à en revendiquer la tradition dans la pensée catholique, qui a toujours reconnu cette prérogative essentielle de l’homme… L’homme est libre, parce que doué de raison, et comme tel, juge et maître de ses propres actions.
Contre les théories déterministes et fatalistes, aussi bien de caractère intérieur, psychologique, que de caractère externe, sociologique, l’Église a toujours soutenu que l’homme normal est libre, et donc responsable de ses propres actions. Elle tient cette vérité, non seulement des enseignements de la sagesse humaine, mais aussi et surtout de ceux de la révélation; elle a reconnu dans la liberté un des signes les plus fondamentaux de la ressemblance de l’homme à Dieu, se souvenant parmi tant d’autres de cette parole de la sainte Écriture: « Dieu au commencement a fait l’homme et il l’a laissé à son conseil » (Eccl 15, 14; Dt 30, 19).
On voit comment de cette prémisse dérive la notion de responsabilité, de mérite et de péché, et comment se relie à cette condition de l’homme le drame de sa chute et de sa rédemption réparatrice. Bien plus, l’Église a soutenu que l’abus que le premier homme fit de sa liberté, le péché originel, ne compromet pas de manière totale chez ses héritiers malheureux, la capacité de l’homme d’agir librement comme l’avait dit un moment la réforme protestante (cf. S. Augustin, De libero Arbitrio II).
De même l’Église a toujours défendu la thèse que « personne ne pouvait être obligé par force d’embrasser la foi » (Déclaration Dignitatis humanae, 12), et elle a aussi affirmé, durant sa longue histoire, au prix d’oppressions et de persécutions, la liberté pour chacun de professer sa propre religion; personne ne peut être empêché, ne peut être contraint, en ce qui concerne sa propre conscience religieuse (ib., 2).
[…] Liberté et loi de Dieu
Nous abordons donc une époque de la vie de l’Église, et par conséquent de chacun de ses enfants, où l’on trouvera une plus grande liberté, c’est-à-dire moins d’obligations légales et moins d’inhibitions intérieures. La discipline formelle sera réduite, l’intolérance arbitraire sera supprimée comme tout absolutisme; la loi positive sera simplifiée, l’exercice de l’autorité sera tempéré; on retrouvera le sens de cette liberté chrétienne, qui fut si chère à la première génération chrétienne, quand elle se sentit libérée de l’observance de la loi mosaïque et des prescriptions rituelles compliquées (cf. Ga 5, 1).
Nous devons cependant nous éduquer à l’usage sincère et complet de la liberté chrétienne, soustrait au pouvoir des passions (cf. Rm 8, 21) et de l’esclavage du péché (Jn 8, 34), intérieurement animés de l’impulsion joyeuse de l’Esprit Saint, parce que, comme disait saint Paul, « ceux qui sont guidés par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont enfants de Dieu » (Rm 8, 14).
Mais nous devons être en même temps conscients que notre liberté chrétienne ne nous soustrait pas à la loi de Dieu, à ses exigences suprêmes de sagesse humaine, de fidélité évangélique, d’ascèse pénitentielle, d’obéissance à l’ordre de la communauté, caractéristique de la société ecclésiale. La liberté chrétienne n’est pas charismatique dans le sens arbitraire que certains s’arrogent.
« Vous êtes libres, nous enseigne saint Pierre, sans faire de la liberté un voile à mettre sur votre malice, mais en serviteurs de Dieu » (1 Pt 2, 16); ce n’est pas un défi, un préjugé contre les normes en vigueur dans la société civile, dont l’autorité, c’est saint Paul qui parle, oblige en conscience (Rm 13, 1-7); ce n’est pas non plus un défi contre les normes en vigueur dans la société ecclésiastique, fondée sur la foi et la charité, gouvernée par une autorité revêtue de pouvoirs qui ne proviennent pas de la base, mais qui sont d’origine divine, par l’institution du Christ et par succession apostolique; ces pouvoirs, indiscutables (Lc 10, 16; 1 Jn 4, 6) et graves (1 Co 4, 21), sont nécessaires, même s’ils ont pour but, plus que la domination (cf. 2 Co 1, 23; 1 Co 13, 10), l’édification, c’est-à-dire la libération spirituelle des fidèles.
Résumons-nous donc: notre époque[…] réclame la liberté. Nous devons nous sentir heureux et conscients de cette chance historique. Où donc trouverons-nous la vraie liberté, sinon dans la vie chrétienne? Or la vie chrétienne exige une Communauté organisée, exige une Église, selon la pensée du Christ, exige un ordre, exige une obéissance libre mais sincère; elle exige donc une autorité, qui garde et enseigne la vérité révélée (2 Co 10, 5); cette vérité est donc la racine intime et profonde de la liberté, comme a dit Jésus: « La vérité vous fera libres » (Jn 8, 32).
PAUL VI extrait de l’AUDIENCE GÉNÉRALE mercredi 9 juillet 1969
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