Deuxième Parole de Jésus sur la Croix

LA SECONDE PAROLE des trois heures avant la mort

« Je te le dis en vérité, aujourd’hui lu seras avec Moi au Paradis. »

Notre Divin Maître, dans cette seconde Parole, applique immédiatement la première, l’illustre et donne la preuve de la leçon qu’elle comporte.

Il nous montre comment la pluie de miséricorde qui tombait du ciel en réponse à la prière qu’il venait de formuler, éclaire maintenant l’homme qui, plus que tous les autres présents sur le Calvaire, était dans l’ignorance la plus abjecte; l’homme qui placé au cœur même de la tragédie, la comprenait moins, probablement, que le plus petit enfant perdu dans les derniers rangs de la foule.

Sa vie n’avait été qu’un long défi aux lois de Dieu et de l’homme. Il avait fait partie de l’une de ces bandes formées par des rebuts de l’humanité et qui grouillaient autour de Jérusalem, pillant les maisons solitaires, attaquant les voyageurs isolés, coupable des péchés à la fois les plus sanglants et les plus grossiers, comparable seulement à ces criminels qui infestent les grandes villes.

Or, il avait enfin été saisi par la machine romaine, arrêté dans quelque sordide aventure, et haineux, furieux et méprisant, plein de bravade en même temps que de terreur, montrant les dents comme un fauve devant chaque visage entrevu, il grondait et crachait à la Face Divine elle-même qui le regardait du haut d’une croix pareille à la sienne ; et, n’ayant pas même une étincelle de l’honneur qui, subsiste encore, paraît-il, même « parmi les voleurs », reprochait à son « compagnon de crime » la folie de son « crime ».

« Si tu es le Christ, sauve-toi et sauve-nous. »

Le Paradoxe est donc encore ici assez clair. Un prêtre instruit, un timide disciple, un soldat fidèle à son devoir, avec un cœur encore accessible à la bonté, haïssant la besogne à laquelle il participait, un de ceux-là sera sans doute le premier objet du pardon du Christ ; l’un d’eux l’aurait été sûrement, si l’un de nous avait été là suspendu.

Mais quand Dieu pardonne, il pardonne au plus ignorant d’abord — c’est-à-dire au plus éloigné du pardon — et il fait non de Pierre ou de Caïphe ou du Centurion, mais de Dismas le voleur, les prémices de la Rédemption.

1. — Le premier effet de la miséricorde divine est l’illumination. Avant qu’ils appellent, je répondrai. Avant que le voleur ne sente la première angoisse de la douleur, la Grâce est à l’œuvre sur lui, et pour la première fois dans sa triste vie il commence à comprendre.

Une illumination extraordinaire emplit son âme. Car nul pénitent ayant l’expérience de plusieurs années de spiritualité, nul saint au cœur brisé de componction, n’aurait pu prier plus parfaitement que ce paria. Son intelligence, peut-être, ne saisit que peu de chose ou même rien des grandes forces qui agissaient autour de lui et en lui ; il ne sut, peut-être explicitement que peu ou rien de Celui qui était crucifié à côté de lui

Pourtant l’intuition de son âme perce au cœur même du mystère et s’exprime dans une prière qui combine à la fois un amour parfait, une humilité exquise, une entière confiance, une espérance résolue, une foi clairvoyante et une inexprimable patience ; son âme s’épanouit tout entière en un instant. Seigneur, souvenez-vous de moi quand vous serez dans votre royaume. I

Il vit la gloire derrière la honte, le Trône éternel derrière la Croix et l’avenir derrière le présent ; et il demanda seulement qu’on se souvînt de lui quand la gloire transfigurerait la honte et quand la Croix serait devenue un Trône; car il comprit ce que signifierait ce souvenir : « Souvenez-Vous, Seigneur, que j’ai souffert à vos côtés. »

II. — Si parfaites alors sont les dispositions, formées en lui par la grâce que d’un bond le dernier est le premier. Marie et Jean n’auront pas même l’immédiate récompense qui sera la sienne : pour eux il y a d’autres dons et les premiers sont ceux de la séparation et de l’exil.

Pour le moment cet homme s’avance ainsi à la première place et ceux qui ont été crucifiés côte à côte sur le Calvaire marcheront côte à côte à la rencontre de ces âmes qui attendent derrière le voile et qui accourront avec tant d’ardeur pour leur faire accueil. Aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis.

III. — Or ce Paradoxe, les derniers seront les premiers, est une ancienne doctrine du Christ, si déconcertante, et si bouleversante qu’il a été contraint de la répéter maintes et maintes fois. Il l’a enseignée au moins dans quatre paraboles : dans celles de la Pièce d’argent perdue, de la Brebis égarée, de l’Enfant prodigue et des Ouvriers dans la vigne.

Les Neufs Pièces gisent négligées sur la table, les Quatre-vingt-dix-neuf brebis sont exilées dans la bergerie, le Fils aîné se croit méconnu et méprisé, et les Ouvriers se plaignent de favoritisme. Cependant encore, même après tout cet enseignement, la plainte s’élève du sein des Chrétiens que Dieu est trop aimant pour être tout à fait juste.

Une convertie, peut-être, vient à l’Église dans son âge mûr et en quelques mois développe les grâces d’une sainte Thérèse et devient une de ses filles. Une insouciante canaille est condamnée à mort pour meurtre et trois semaines plus tard meurt sur l’échafaud de la mort d’un saint. Et la plainte semble assez naturelle. Tu les as faits égaux à nous qui avons supporté la chaleur et le poids du jour.

Cependant regardez encore, vous les Fils aînés. Vos vies religieuses, soigneuses, timides, ont-elles jamais manifesté, quelque chose qui ressemble à cette profondeur de mépris de soi-même à laquelle a atteint le Fils plus jeune ? Certainement vous avez été vertueux et consciencieux : après tout ce serait une honte si vous n’aviez pas été ainsi, considérant la richesse de grâce dont vous avez toujours joui.

Mais avez-vous même jamais travaillé sérieusement à acquérir l’unique qualité morale que le Christ montre dans sa propre personne comme devant être imitée : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur.

Il est certainement significatif qu’il ne dit pas expressément : Apprenez de moi à être pur, courageux ou fervent, mais apprenez à être humble parce qu’en cela, par-dessus tout, vous trouverez le repos de vos âmes.

N’avez-vous pas eu, au contraire, une sorte d’aimable orgueil de votre religion, ou de votre vertu, ou de votre dédain ? En un mot vous n’avez pas été un frère aîné aussi excellent que votre frère plus jeune. Vous n’avez pas correspondu à vos grâces comme il a correspondu à la sienne.

Vous n’avez jamais été capable d’un suffisant abaissement pour venir à la maison (ce qui est beaucoup plus dur que d’y rester) ou de suffisante humilité pour commencer, pour la première fois, à travailler seulement une heure avant que le soleil se couche.

Commencez donc au commencement, non à mi-chemin. Descendez à la porte de l’église et frappez votre poitrine et ne dites pas : Dieu me récompense moi qui ai tant fait pour Lui, mais que Dieu ait pitié de moi qui ai fait si peu. Quittez votre siège parmi les Pharisiens et tombez à genoux et pleurez aux pieds du Christ dans l’espoir qu’il puisse enfin vous dire : Mon ami, montez plus haut.

Robert Hugh BENSON, Paradoxes du Catholicisme – Les Sept Paroles (1913)

Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse