Dieu habite nos déserts existentiels

Dieu habite nos déserts existentiels

Après sa visite à Lesbos où il avait fait un aller-retour sur la matinée, le Pape François a célébré la messe de ce deuxième dimanche de l’Avent au Megaron Concert Hall, à Athènes, devant une assistance réduite à environ 2000 personnes, en raison des contraintes de distanciation induite par la pandémie de Covid-19. Dans son homélie, en commentant l’Évangile du jour, le Pape s’est arrêté sur deux dimensions: le désert et la conversion.

 

VOYAGE APOSTOLIQUE DE SA SAINTETÉ LE PAPE FRANÇOIS
À CHYPRE ET EN GRÈCE
(2-6 DÉCEMBRE 2021)

SAINTE MESSE

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

« Salle de concert Megaron » à Athènes
dimanche 5 décembre 2021

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En ce deuxième dimanche de l’Avent, la Parole de Dieu nous présente la figure de saint Jean-Baptiste. L’Évangile en souligne deux aspects : le lieu où il se trouve, le désert, et le contenu de son message, la conversion. Désert et conversion : l’Évangile d’aujourd’hui insiste là-dessus et tant d’insistance nous fait comprendre que ces paroles nous concernent directement. Accueillons-les tous les deux.

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Désert

Le désert. Luc l’évangéliste présente ce lieu d’une manière particulière. En fait, il parle de circonstances solennelles et de grandes personnalités de l’époque : il évoque la quinzième année de l’empereur Tibère César, le gouverneur Ponce Pilate, le roi Hérode et d’autres « chefs politiques » de l’époque ; puis il mentionne les religieuses, Anne et Caïphe, qui se trouvaient près du Temple de Jérusalem (cf. Lc 3, 1-2).

À ce stade, il déclare : « La parole de Dieu est tombée sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert » (Lc 3, 2). Mais comment? Nous nous serions attendus à ce que la Parole de Dieu s’adresse à l’un des grands qui viennent d’être énumérés.

Mais non. Une subtile ironie se dégage des lignes de l’Évangile : des étages supérieurs où vivent les détenteurs du pouvoir, on passe soudain au désert, à un homme inconnu et solitaire. Dieu surprend, ses choix surprennent : ils ne relèvent pas des prédictions humaines, ils ne suivent pas la puissance et la grandeur que l’homme lui associe habituellement.

Le Seigneur préfère la petitesse et l’humilité. La rédemption ne commence pas à Jérusalem, Athènes ou Rome, mais dans le désert. Cette stratégie paradoxale nous livre un très beau message : avoir de l’autorité, être cultivé et célèbre n’est pas une garantie de plaire à Dieu ; au contraire, cela pourrait conduire à l’orgueil et à le rejeter. Au lieu de cela, il faut être pauvre à l’intérieur, comme le désert est pauvre.

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Dieu nous visite dans des situations difficiles

Restons sur le paradoxe du désert. Le Précurseur prépare la venue du Christ dans ce lieu inaccessible et inhospitalier, plein de dangers. Maintenant, si quelqu’un veut faire une annonce importante, il se rend généralement dans de beaux endroits, où il y a beaucoup de monde, où il y a de la visibilité. Jean, au contraire, prêche dans le désert.

C’est précisément là, au lieu de l’aridité, dans cet espace vide qui s’étend à perte de vue et où il n’y a presque pas de vie, là se révèle la gloire du Seigneur, qui – comme l’Écriture le prophétise (cf. Is 40 : 3 -4) – change le désert en lac, la terre aride en sources d’eau (cf. Is 41,18). Voici un autre message réconfortant : Dieu, aujourd’hui comme alors, tourne son regard là où dominent la tristesse et la solitude.

Nous pouvons en faire l’expérience dans la vie : il ne parvient souvent pas à nous joindre alors que nous sommes au milieu des applaudissements et ne pensons qu’à nous-mêmes ; il réussit surtout les heures d’épreuves. Il nous visite dans des situations difficiles, dans nos vides qui lui laissent place, dans nos déserts existentiels. Là, le Seigneur nous visite.

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Dieu nous rejoint dans notre petitesse

Chers frères et sœurs, dans la vie d’une personne ou d’un peuple, les moments où l’on a l’impression d’être dans un désert ne manquent pas. Et ici, c’est précisément là que le Seigneur se rend présent, qui n’est souvent pas accueilli par ceux qui se sentent réussis, mais par ceux qui sentent qu’ils ne peuvent pas réussir.

Et il vient avec des paroles de proximité, de compassion et de tendresse : « N’aie pas peur, car je suis avec toi ; ne te perds pas, car je suis ton Dieu. Je te rends fort et je t’aide » (v. 10). Prêchant dans le désert, Jean nous assure que le Seigneur vient nous libérer et nous redonner vie dans des situations qui semblent irrémédiables, sans issue : il vient là. Il n’y a donc aucun endroit que Dieu ne veuille visiter.

Et aujourd’hui nous ne pouvons qu’éprouver de la joie à le voir choisir le désert, nous rejoindre dans notre petitesse qu’il aime et dans notre aridité qu’il veut étancher notre soif ! Alors, très chers, ne craignez pas la petitesse, car la question n’est pas d’être petit et peu nombreux, mais de s’ouvrir à Dieu et aux autres. Et ne craignez même pas la sécheresse, car Dieu ne les craint pas, qui viennent là nous visiter !

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Conversion

Passons au deuxième aspect, la conversion. Le Baptiste la prêchait avec acharnement et avec véhémence (cf. Lc 3, 7). C’est aussi un problème « inconfortable ». De même que le désert n’est pas le premier endroit où nous aimerions aller, de même l’invitation à la conversion n’est certainement pas la première proposition que nous aimerions entendre.

Parler de conversion peut éveiller la tristesse ; il semble difficile à concilier avec l’Évangile de la joie. Mais cela se produit lorsque la conversion se réduit à un effort moral, comme si elle n’était que le fruit de notre engagement.

Le problème est ici, de tout fonder sur notre force. C’est faux! Ici, la tristesse et la frustration spirituelles se cachent également : nous aimerions nous convertir, être meilleurs, surmonter nos défauts, changer, mais nous nous sentons incapables d’en être pleinement capables et, malgré la bonne volonté, nous reculons toujours.

Nous vivons la même expérience de saint Paul qui, précisément de ces terres, a écrit : « En moi il y a le désir du bien, mais pas la capacité de le mettre en œuvre ; en fait, je ne fais pas le bien que je veux, mais le mal que je ne veux pas » (Rm 7 : 18-19). Si donc, seuls, nous n’avons pas la capacité de faire le bien que nous voudrions, qu’est-ce que cela signifie que nous devons nous convertir ?

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Se convertir signifie aller au-delà de nos préjugés

Votre belle langue, le grec, peut nous aider avec l’étymologie du verbe évangélique « se convertir », metanoéin. Il est composé de la préposition metá, qui signifie ici au-delà, et du verbe noéin, qui signifie penser. Se convertir, c’est donc penser au-delà, c’est-à-dire dépasser la façon habituelle de penser, au-delà de nos schémas mentaux habituels.

Je pense précisément aux schémas qui réduisent tout à nous-mêmes, à notre prétention à l’autosuffisance. Ou à ceux fermés par la rigidité et la peur qui paralysent, par la tentation du « ça a toujours été fait ainsi, pourquoi changer ? », par l’idée que les déserts de la vie sont des lieux de mort et non de la présence de Dieu.

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Dieu est notre au-delà

En nous exhortant à la conversion, Jean nous invite à aller plus loin et à ne pas s’arrêter là ; aller au-delà de ce que nos instincts nous disent et de ce que nos pensées photographient, car la réalité est plus grande : elle est plus grande que nos instincts, nos pensées. La réalité est que Dieu est plus grand.

La conversion, alors, signifie ne pas écouter ce qui détruit l’espoir, ceux qui répètent que rien ne changera jamais dans la vie – les pessimistes de tous les temps. C’est refuser de croire que nous sommes destinés à sombrer dans les sables mouvants de la médiocrité.

Ce n’est pas se rendre aux fantômes intérieurs, qui apparaissent surtout dans les moments d’épreuve pour nous décourager et nous dire que nous n’y arriverons pas, que tout va mal et que devenir saint n’est pas pour nous. Ce n’est pas le cas, car Dieu est là, il faut lui faire confiance, car il est notre au-delà, notre force.

Tout change si la première place lui est laissée. Voici la conversion : notre porte ouverte suffit pour que le Seigneur entre et fasse des merveilles, tout comme un désert et les paroles de Jean suffisaient pour qu’il vienne au monde. Il n’en demande pas plus.

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Demandons la grâce de l’espérance

Nous demandons la grâce de croire qu’avec Dieu les choses changent, qu’Il guérit nos peurs, guérit nos blessures, transforme les lieux arides en sources d’eau. Nous demandons la grâce de l’espérance. Car c’est l’espérance qui ranime la foi et ravive la charité. Car il y a de l’espoir que les déserts du monde aient soif aujourd’hui.

Et tandis que cette rencontre qui est la nôtre nous renouvelle dans l’espérance et la joie de Jésus, et que je me réjouis d’être avec vous, nous demandons à notre Mère, la Très Sainte, de nous aider à être, comme elle, des témoins d’espérance, des semeurs de joie autour de nous – l’espoir, frères et sœurs, ne déçoit jamais, ne déçoit jamais -.

Non seulement quand nous sommes heureux et que nous sommes ensemble, mais chaque jour, dans les déserts que nous habitons. Car c’est là que, avec la grâce de Dieu, notre vie est appelée à se convertir. Là, dans les nombreux déserts de notre intérieur ou de l’environnement, la vie est appelée à s’épanouir. Que le Seigneur nous donne la grâce et le courage d’accueillir cette vérité.

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Salutation finale à la fin de la messe

Chers frères et sœurs,

Au terme de cette célébration, je voudrais exprimer ma gratitude pour l’accueil que j’ai reçu parmi vous. Merci de tout mon cœur! Efcharistó ! [Merci!].

De la langue grecque est venu ce mot qui résume le don du Christ pour toute l’Église : Eucharistie. Ainsi pour nous chrétiens, l’action de grâce est inscrite au cœur de la foi et de la vie. Que l’Esprit Saint fasse de tout notre être et agisse une Eucharistie, une action de grâce à Dieu et un don d’amour à nos frères et sœurs.

Dans ce contexte, je renouvelle ma profonde gratitude aux autorités civiles, à Madame la Présidente de la République, ici présente, et aux frères évêques, ainsi qu’à tous ceux qui, de diverses manières, ont collaboré à la préparation et à l’organisation de cette visite. Merci à tous! Et merci à la chorale qui nous a aidés à si bien prier.

Demain je quitterai la Grèce, mais je ne te quitterai pas ! Je vous porterai avec moi, en mémoire et en prière. Et vous aussi, s’il vous plaît, continuez à prier pour moi. Merci!


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