Dieu premier servi

Dieu premier servi

JEUDI (2P semaine de Pâques) Ac 5,27-33 Jn 3,31-36

Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes (Ac 5,29)

Saint Thomas More
Saint Thomas More

Sous Henry VIII, roi d’Angleterre, le chancelier Thomas More, au dire d’Érasme, « luttait aussi farouchement pour s’éloigner de la Cour que la plupart des hommes pour y parvenir ». Il n’était pas corrompu dans le plus corrompu des temps.

Il n’était pas ambitieux dans une époque de lutte et d’ambition. Il pouvait encore faire la différence entre la volonté du roi et la loi morale, alors que la majo­rité en avait perdu le pouvoir. Pourquoi ? Il n’y a pas de secret.

More, depuis son adolescence, était un homme de prière. Étudiant à Lincoln’s Inn, il menait avec les Chartreux une vie de parfaite austérité, travaillant et priant dix-neuf heures par jour, dormant sur une plan­che avec une bûche pour oreiller. Quand il trouva sa voca­tion dans le mariage, il maintint ses prières et son austé­rité.

Il se levait à deux heures du matin, travaillait et priait jusqu’à sept heures. Il porta toute sa vie un cilice et se donnait la discipline. Était-ce habituel, à cette rude épo­que ? Au contraire ! Sa femme en fut tellement horrifiée qu’elle essaya de persuader le confesseur de son mari de lui faire retirer son cilice… Il était aussi peu courant de vivre dans une telle austérité à la Cour voluptueuse d’Henry VIII qu’il le serait de nos jours.

Voilà l’origine de la lucidité de More. L’ambition, la soif des richesses et du pouvoir ne signifiaient rien pour un homme dont la vie était imprégnée de prière et d’austé­rité et qui avait pour idéal la simplicité et la vie en com­mun des Franciscains et des Chartreux.

La puissance et la gloire que pouvaient lui offrir Henry — et il lui en pro­posa beaucoup — étaient impuissantes à corrompre un homme qui suivait son divin Maître dans la voie de la souffrance.

Il ne fléchit pas davantage devant la mort. Son martyre était inévitable. More croyait connaître sa faiblesse — il n’y eut jamais âme plus humble. Il vit de bons ecclésiastiques, comme le docteur Wilson et l’évêque Tunstall, hésiter devant la menace de la mort.

Il craignait de chanceler en face de la torture ou de l’éventration, châti­ment des traîtres. Aussi, dans sa prison, se tourna-t-il vers Celui qui, devant l’agonie et la mort, eut une sueur de sang et pria pour que ce calice lui fût épargné…

Voilà la citadelle intérieure de saint Thomas More. Au cours d’une existence vécue dans le tumulte des lois et du service public, parmi les tentations de la Cour et des prin­ces, au milieu d’hommes qui recherchaient sans cesse de nouveaux honneurs et de nouvelles richesses, il marcha avec Dieu. Sa mission terrestre témoignait de la vision et de la connaissance des choses éternelles.

Il demeure hors du temps parce qu’il vécut hors de son temps dans la prière. Il servit la loi morale et les intérêts de la paix, de l’unité, de l’amour et de la compassion, parce qu’il les vécut dans son âme. Et, sa vie entière étant centrée sur Dieu, il put discerner ce qui appartenait à Dieu et ce qui appartenait à César, et mourir finalement sur l’échafaud,… bon serviteur du roi, mais Dieu premier servi.

Barbara Ward Les Saints que nous aimons Amiot-Dumont, 1954, p. 151-153.