« FEMME, VOICI VOTRE FILS »

« FEMME, VOICI VOTRE FILS »

Marie-au-pied-de-la-croix-de-Jesus
Marie-au-pied-de-la-croix-de-Jesus

Marie n’est pas seule auprès de la croix ; l’amour y a conduit de saintes femmes qui symbolisent et amorcent, en vue de l’avenir, le rôle insigne que doit jouer dans le monde la femme chrétienne. Mais une présence plus significative encore a été ici ménagée. Seul parmi les apôtres, Jean avoisine le gibet; Jésus a besoin de lui pour exprimer, conformément au plan éternel, ce que seront les rapports du genre humain, bénéficiaire de son testament, et Marie, sa Mère.

C’est la seconde des Sept Paroles, qui est consacrée à cette déclaration. Elle succède à l’appel miséricordieux : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font », et cette corrélation est bien émouvante. Pendant que les hommes le crucifient, Jésus songe à les pardonner, et aussitôt, parce que ce serait trop peu, à leur procurer une mère. Cette mère est la sienne.

Le jour où la terre commet son plus grand forfait, il veut lui offrir ce trésor. Marie ne pouvant plus veiller sur lui veillera sur ses bourreaux, ceux de maintenant et ceux de tous les âges. Car on ne peut trop souvent le répéter : les vrais bourreaux sont les pécheurs. C’est à cause d’eux que Jésus souffre. Les autres, des comparses, avons-nous dit, sauf en ceci qu’ils sont, ainsi que nous tous, des pécheurs.

Voilà donc la situation. Jésus part ; avant de quitter les siens, il établit son disciple en sa place auprès de sa Mère, et sa Mère en sa place auprès du disciple, étant convenu qu’en celui-ci sont inclus mystérieusement tous ses frères humains.

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A coup sûr, ce testament en deux articles : « Voilà votre fus, voilà votre Mère », a une portée immédiate. Il s’agit bien d’un legs personnel. Jésus associe, avant de mourir, ses deux plus grandes tendresses, et il entend les conforter l’une par l’autre. Mais sur la croix, le Rédempteur manie d’autres intérêts que ceux de sa maison, et son regard porte sur de plus vastes espaces.

L’union de Marie et de Jean, émouvante réalité, est surtout pour lui un symbole : elle figure la maternité universelle et l’universelle filiation qui feront de l’Église catholique une union de tous les hommes en Jésus, par Marie; une union de Jésus, par Marie, avec tous les hommes.

C’est un mystère qui n’est pas nouveau ; il remonte à l’éternité, et il a déjà été révélé au cours de la vie du Maître ; il sera manifesté encore, historiquement, dans le groupe apostolique, cette Église des premiers temps; mais en ce moment il revêt le caractère d’un testament en forme solennelle, d’un testament élargi, et qui s’égale au plan spirituel tout entier, en sa durée et en toutes ses phases.

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Jésus ne nous quitte que visiblement ; invisiblement il nous reste; son sacrifice est de portée perpétuelle et la messe nous le conserve, peut-on dire, en sa plus essentielle réalité ; « en agonie jusqu’à la fin du monde », ainsi que dit Pascal, toujours en Passion, il aura toujours aussi Marie en Compassion. La croix pourrait-elle bien se séparer du « glaive » ? et le coup de lance ne percera-t-il pas les deux cœurs ?

Jésus a besoin de Marie ; il a besoin d’elle toujours, et notamment aux deux extrémités de sa vie, parce que c’est là que commence et se consomme ce qu’il est venu entreprendre sur terre. Au début, elle le conçoit ; à la fin, c’est nous qu’elle conçoit, d’une conception non pas nouvelle, encore une fois, mais décisive.

Elle a vécu jusque-là toute pour lui : il la renvoie aux hommes au moment où lui-même les quitte, en donnant à ce renvoi une signification permanente, tellement que le fait passager et les paroles qui l’expriment deviennent l’attestation d’un plan qui domine, perpétue et universalise ce qu’ils ont de transitoire et d’individuel.

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Le rôle perpétuel de Marie est ainsi fixé. Son droit n’est pas créé ; il est confirmé à l’heure de toutes la plus opportune, celle où se réalisent le plus pleinement et le plus magnifiquement ses titres. Le point culminant de la Rédemption n’est-il pas la croix ? La croix est donc bien choisie pour être aussi le point culminant, le centre de manifestation de la maternité mariale.

Depuis toujours Jésus appartient à l’humanité; depuis trois ans, il s’est de plus en plus transféré en elle, si l’on peut ainsi dire ; il s’est comme mué en elle ; cessant d’être lui-même par un sacrifice total, il est devenu nous, et c’était comme un temps de gestation de l’humanité religieuse.

Maintenant, c’est notre naissance. Auprès de Marie, nous allons, spirituellement, prendre sa place, et puisque aussi bien « le Christ ressuscité ne meurt plus », Marie aura deux fils : Jésus et le genre humain, Jésus et chaque âme, qui pour le Rédempteur vaut un univers.

Les mots qui tombent de la croix expriment ces choses. « Voilà votre fils ; voilà votre Mère », c’est une Annonciation que prononce l’Ange de la Nouvelle Alliance, avec toute l’efficacité qui s’attache à sa parole, à son sacerdoce, comme lorsqu’il dit, observe saint Pierre Damien : « Ceci est mon corps ; ceci est mon sang. » C’est un Fiat spirituel, une création mystique, établissant des rapports qui auront effet, autant que nous le voudrons, jusqu’à la vie éternelle.

Après tout, la Mère de Jésus n’a été élue Mère de Dieu que pour cela. Si elle est Mère du Rédempteur au titre même de Rédempteur, comme le suppose le plan spirituel tant de fois exposé, elle est Mère de la Rédemption et Mère des rachetés, en union avec Celui qui rachète. A ses yeux, Lui et nous tous, nous sommes inséparables ; elle se sent notre Mère de droit, et elle ne peut s’étonner de la parole qui le déclare.

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Éprouve-t-elle dans son cœur le sentiment que lui prête saint Bernard, quand il la suppose déçue d’une telle substitution : à la place du Fils divin, l’homme; à la place du Maître qui est sien, le serviteur ; à la place de l’Innocent de qui elle tient sa propre innocence, le pécheur et, ce qui est la même chose, le bourreau ?

Il se peut que Marie goûte, sensiblement, l’amertume de ce contraste; tout ce qui est humain a place dans le cœur humain de la Vierge ainsi que de Jésus. Mais ce qui n’est pas exclu a licence d’être surmonté. Ce que ressent le cœur le chair ne détermine pas le libre choix de l’âme.

Comme Jésus ne veut, même dans l’agonie, que la seule volonté de son Père : ainsi Marie ne veut et n’aime que la seule volonté et l’amour de son Fils. Ils n’eurent, un temps, qu’un même cœur, et c’était un symbole. Si ce cœur s’est dédoublé, les deux parts ne se sont pas disjointes ; leur battement est toujours un et leurs objets ne se distinguent pas.

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Aussi Jésus ne craint-il point de n’être pas compris. Il ne dit point, remarque Origène : Celui-ci est aussi votre fils, ou désormais votre fils ; mais simplement et absolument : votre fils, voulant marquer et sachant qu’elle entend : celui-ci est votre, et tous les miens sont vôtres au nom même de votre maternité à mon égard; car ils ne sont pas d’autres que moi; ils sont mon corps même, mon corps spirituel, et vous, ma mère selon l’esprit comme selon la chair, vous êtes donc leur mère.

Heureuse déclaration ! plus heureuse réalité, qui associe pour le salut de l’homme Celui qui est sa force et celle qui est sa douceur, la douceur étant une force elle-même, en cette vie où l’âpreté du devoir est parfois plus à craindre que ses périls.