la Vierge Marie à la mort d’Augustin

Novembre est le mois où nous pensons à nos morts, à cette mort qui viendra. Voici la fin du roman de Joseph Malègue « Augustin ou le Maître est là » avec la douce et discrète présence de celle qui peut nous accompagner dans ce passage, la Sainte Mère de Jésus, Marie.

***

Vers quatre heures, Christine assise à toucher son lit, vit qu’il la cherchait. Elle se déplaça pour qu’il n’eût pas à tourner la tête. Il la maintenait sous son regard, plein d’épuisement, de possession de soi et de paix.

Elle eut l’intuition qu’il désirait une union de prières, peut-être celles des agonisants. Mais, sans doute, il se lasserait à les suivre. Elle entreprit le chapelet.

Il maintint sur sa soeur ce même sourire sans effort, qui persista bien qu’il fermât les yeux.

De douces petites inconsciences commençaient de l’engloutir, dont il remontait pour retrouver une pensée liquide, lumineuse, un peu vide, sur un immanoeuvrable corps de plomb. Il aurait peut-être remué les doigts, s’il l’eût voulu très fort.

Des « Je vous salue Marie, pleine de grâce », d’une matité limpide, ceux de Christine, en appelaient d’autres, ceux d’autrefois (sur des routes, dans des bois montants). Sa mère, très jeune, comme dans le temps de ces Ave Maria, dit : « Quand je serai morte, je comprendrai. » Le passé, le présent, fusionnaient. Il n’y avait plus de durée. Bien sûr, s’il eût voulu très fort, il aurait aussi séparé ces moments qui s’agglutinaient.

Il respirait à petites bouchées, sorties d’une poitrine dense, indolore, hors d’usage.

Une courte inconscience de nouveau le reposa.

Il en revint sur les mots : « Maintenant » et « à l’heure de la mort » de l’Ave Maria. De même sens, désormais, ils se confondaient. Il sut qu’ils se confondaient. Il n’avait jamais pensé qu’ils pussent se confondre. Ce lui fut surprise, élargissement, repos dans la clarté, comme la fin des bois montants.

Il repensa : « … in extremis ». Il sentait qu’un autre mot précédait ces deux mots. Mais il ne put se rappeler lequel.

Il eût souhaité faire une certaine chose dans cette douce clarté tendre. Il ne pouvait, à cause de sa faiblesse. Et même cette tentative le fatiguait, ajoutait à sa sueur. Une transpiration profuse et continue le gênait, lui refroidissait le dos. On n’aurait pas le temps de lui essuyer ce dos. Il savait qu’on n’aurait pas le temps, qu’il ne pouvait plus le demander, qu’on ne devinerait pas. Rien de ce qui exigeait un effort, il ne le pouvait plus.

Mais voici que cette chose qu’il eût souhaitée s’accomplit toute seule : d’elle-même, dans son autonomie de pensée flottante, cette faiblesse eut l’idée de « s’offrir à Dieu », comme lui-même avait appris à le faire de ses peines, autrefois. Il sentit que c’était cela, précisément cela, qu’il avait voulu.

Cette « offrande à Dieu » et la sueur froide de son dos, se mêlaient un peu, confusément.

Et de nouveau, la brume l’engloutit.

Dit avec lenteur et attention, de cette voix sourde et nette, propre à ne pas fatiguer un malade, où s’éteignait toute sonorité, le chapelet de Christine devait bien prendre une demi-heure, avec les commentaires qui séparaient les dizaines.

Quand il fut achevé, elle s’aperçut à une indéfinissable inertie de la figure, à l’inconscience mécanique et hachée de la respiration, à la fixité d’ouverture des paupières, que son frère ne devait plus rien suivre.

À ce moment, l’infirmière entra, posa le thé de cinq heures, dut prendre cette immobilité pour du sommeil et se retira en évitant tout bruit de porte.

Ce fut ainsi, vers six heures du soir, qu’il entra dans la douce et miséricordieuse mort.