
En ce vendredi Saint, jour où l’amour de Dieu va à l’extrême, cet extrait du philosophe Louis Lavelle nous permet d’entrevoir en filigrane le lien profond entre le Père, Dieu créateur, et le Fils, Dieu incarné, qui va en ce jour jusqu’à l’abandon de soi sur la croix par amour du Père et de ceux qu’il est venu aimer et sauver.
Il est vrai à la fois que l’amour nous arrache à nous-même et qu’il nous engendre à nous-même. L’âme n’habite pas dans le corps qu’elle anime, mais dans le lieu de son amour ; seulement ce lieu, l’âme ne le trouve qu’au plus profond d’elle-même. C’est pour cela que l’être que nous aimons tourne d’abord vers le centre de notre propre vie secrète toutes nos puissances d’attention et de désir.
Mais il faut bien aussi qu’en nous-même ce ne soit plus nous que nous recherchions, si l’amour est un abandon de soi…, si enfin l’être que nous aimons est toujours pour nous le guide prédestiné qui nous introduit dans un monde surnaturel.
Dieu embrasse tous les êtres. C’est lui qui leur donne le mouvement et la vie et c’est pourquoi on dit qu’il les aime. Il n’y a pas de différence pour lui entre les aimer et les créer. Mais l’amour des créatures vient de lui et doit remonter jusqu’à lui. Il suppose entre elles une séparation qu’il abolit.
Or, cette séparation et l’amour qu’elle rend possible n’ont lieu qu’entre des êtres de chair et c’est pour cela que l’amour du Dieu créateur ne parvient à se consommer que dans l’amour d’un Dieu incarné.
Louis Lavelle – La conscience de soi, pages 213-214.