LE MOIS DU SAINT NOM DE JÉSUS – XIXe JOUR.

LE MOIS DU SAINT NOM DE JÉSUS – XIXe JOUR.

PRISE DE JÉSUS-CHRIST.

Tunc accesserunt, et manus injecerunt in Jesum, et tenuerunt eum.

Alors ils s’avancèrent, et mettant la main sur Jésus, Ils se saisirent de lui. Matthieu 26.

D’après LE MOIS DE JÉSUS – Malines 1839

Ier Point.

IHS extrait des armes du Pape François
IHS extrait des armes du Pape François

Pendant que Jésus éprouvait au jardin des Olives toutes les angoisses de la mort, un de ses disciples qu’il avait élevé à la dignité d’apôtre, ourdissait contre lui les plus exécrables complots.

Judas, l’in­fâme Judas, que son Maître avait comblé de faveurs ; qui avait vu naguère Jésus s’a­baisser devant lui jusqu’à lui laver les pieds; qui avait participé à cette cène mystérieuse où le Sauveur des hommes s’était donné lui-même en nourriture : ce même Judas avait déjà trahi son divin bienfaiteur, et se dis­posait à le livrer entre les mains de ses ennemis.

Ce malheureux s’était séparé de Jésus immédiatement après avoir été nourri de sa divine substance ; et les lèvres encore teintes du sang de son Maître, il était allé se concerter avec les princes des prêtres, les scribes et les pharisiens, sur le prix de sa trahison et sur les moyens de l’exé­cuter.

Après être convenu qu’il recevrait trente pièces d’argent pour récompense de son crime, il se mit à la tête d’une troupe de soldat» qui avaient ordre de se saisir de Jésus, et les conduisit au jardin où se trou­vait son Maître, parce qu’il y était souvent allé avec lui pendant qu’il était au nombre de ses disciples.

Jésus connaissant tous les complots qui se tramaient contre lui, et sachant que son perfide apôtre ne devait pas tarder à le rejoindre, sortit du jardin de Gethsémani pour la troisième fois ; et trouvant ses disci­ples endormis, il les réveilla en leur disant : Levez-vous, allons ; celui qui doit me tra­hir est près d’ici.

Sans doute f6 mon âme! tu te demandes ici comment il se fait que Jésus paraisse maintenant si calme et si assuré, lui qui tout-à-l’heure était comme abîmé dans un océan d’amertume.

Ah ! comprends, si tu le peux, toute l’immensité de son amour. Lorsque tu l’as vu, cet adorable Sauveur, réduit à une tristesse mortelle et agonisant au jardin des Olives, c’était l’infirmité de la chair qui se révoltait contre la nature divine, et la volonté de l’homme qui lut­tait avec la volonté de Dieu ; mais à ce mo­ment, ce combat douloureux est terminé, et la charité de Jésus-Christ en est sortie victorieuse.

Aussi, quoiqu’il sache que Judas est sur le point d’arriver avec sa troupe, il ne cherche point à éviter sa rencontre : il sait que l’heure est venue où la puissance des ténèbres doit triompher pour quelque temps ; et bien loin de se soustraire par la fuite aux poursuites de ses ennemis, il s’avance au-devant d’eux comme s’il igno­rait tout ce qui doit lui arriver.

Il s’entretenait encore avec ses disciples lorsque Judas parut à la tête d’une troupe de gens envoyés par les ennemis du Sau­veur pour se saisir de lui. Ils étaient armés d’épées et de bâtons, et portaient des flam­beaux et des lanternes, car il était nuit.

Aussitôt que Judas eut aperçu le Fils de Dieu, il se jeta à son cou, comme si le repentir venait de s’emparer de son âme, et l’em­brassa affectueusement, en lui disant : Je vous salue, mon Maître. Admire ici, ô mon âme! la douceur et la charité de Jésus à l’égard de son perfide disciple.

Il voit tout ce qui se passe dans son cœur : il sait qu’il ne vient à lui que pour mettre à exécution les détestables projets que le démon lui a inspirés, et cependant avec quelle bonté il lui adresse la parole î II pouvait, cet aimable Sauveur, reprocher à Judas sa per­fidie et son ingratitude.

Il pouvait lui rap­peler toutes les faveurs, tous les privilèges qu’il lui avait accordés, et lui témoigner son indignation de ce que tant de bienfaits étaient payés par la plus criminelle conduite ;. mais aucune de ces considérations n’est capable d’affaiblir la charité de Jésus-Christ.

Il arrête sur Judas des regards pleins de tendresse et de douceur, et ses lèvres ne s’ouvrent que pour faire entendre ces touchantes paroles : Mon ami, à quel dessein êtes-vous venu ici ?

Quoi, c’est par un baiser que vous trahissez le Fils de l’homme ! comme s’il eût dit : Apôtre infidèle, vous connaissez toute l’étendue de mon amour pour vous ; si vous venez reprendre votre place parmi mes dis­ciples, je suis prêt à vous recevoir, je suis prêt à vous rendre toutes les prérogatives que vous avez méconnues.

Venez, mon cœur vous est ouvert ; vous n’avez cessé d’y oc­cuper une place, alors même que vous agissiez contre moi : dès ce moment, j’ou­blie toutes vos infidélités, je ne vous les reprocherai jamais si vous vous attachez à moi de nouveau.

O mon âme ! ne te semble-t-il pas que ce langage aurait dû émouvoir le cœur le plus insensible ? Cependant Judas persiste dans son crime : il avait promis aux soldats de leur faire connaître Jésus en lui donnant un baiser ; c’en est fait, il vient de con­sommer son épouvantable trahison : il a appliqué ses lèvres déicides sur la face auguste du Fils de Dieu !

O mon âme ! tu t’indignes sans doute à ce spectacle : tu ap­pelles sur le perfide Judas toutes les malédictions, tontes les foudres célestes. Hélas ! tourne plutôt, tourne contre toi-même cette violente indignation qui te transporte. Com­bien de fois n’as-tu pas résisté aux tendres sollicitations de cet aimable Sauveur! Com­bien de fois ne l’as-tu pas trahi honteuse­ment après l’avoir reçu dans la communion!

Ce Judas dont tu détestes avec raison l’abo­minable conduite, n’a trahi qu’une fois son divin Maître; et toi, tu renouvelles si souvent tes outrages contre le Fils de Dieu ! II semble que tu prennes plaisir à l’offenser, parce que tu connais la tendresse de son cœur et la facilité avec laquelle il accorde le pardon.

Vit-on jamais ingratitude plus noire ? Et ne peut-on pas dire que les imitateurs de la perfidie de Judas surpassent souvent leur horrible modèle?

IIe Point.

Les soldats que Judas avait ame­nés avec lui n’osaient, en quelque sorte, se saisir de Jésus, malgré le signal de leur chef : ils semblaient avoir horreur d’une si lâche trahison, et paraissaient incertains sur ce qu’ils devaient faire.

C’est pourquoi Jésus s’approchant d’eux, leur demanda qui ils cherchaient : Jésus de Nazareth, répondirent-ils. Alors Jésus se fit connaître et leur dit : C’est moi. Mais ce peu de paroles produisit sur cette troupe un effet si mer­veilleux, qu’ils furent tous renversés par terre.

Ce prodige aurait dû sans doute ouvrir leurs yeux, et leur faire comprendre que tous leurs efforts seraient inutiles si Jésus ne se livrait volontairement à eux; mais l’aveu­glement de leur esprit et l’endurcissement de leur cœur les rendaient incapables de faire à ce sujet la moindre réflexion : ils se relevèrent et s’approchèrent de nouveau de Jésus, qui leur dit une seconde fois qu’il était celui qu’ils cherchaient. Alors ils se jetèrent sur lui et le prirent.

Voilà, ô mon âme! la triste image du pécheur qui méconnaît la voix de son Dieu, et qui refuse avec obstination de céder aux instances de la grâce. A mesure qu’il endurcit son cœur, Dieu diminue ses dons sacrés et ses ineffables lumières : il l’abandonne à son sens réprouvé, et permet que les prodiges les plus éclatants se dévoilent à ses yeux sans qu’il en soit ému.

Oh! qui pourrait dépeindre le malheur d’une âme livrée à ee déplorable état! Accablée de la disgrâce de Dieu, elle cherche à s’éloigner de sa pré­sence ; elle se dessaisit de toutes les réalités pour embrasser les plus grossières illusions ; elle est environnée de ténèbres, et se croyant au sein de la lumière, elle s’avance hardiment dans une voie semée d’écueils, comme si elle tenait encore les routes de l’innocence.

Elle se croit libre, et le honteux esclavage des passions pèse sur elle ; elle se dit heureuse, et elle a perdu ses plus belles espérances, puisqu’elle s’est déclarée contre l’auteur de la souveraine béatitude; enfin elle se croit calme et paisible, elle s’applau­dit du bon état de ses facultés, et ses yeux sont déjà fermés par le sommeil de la mort.

O le funeste état ! que deviendra-t-elle cette âme infortunée, si Dieu ne lui découvre enfin la fausseté de ses voies? 0 qu’il est bien vrai que le Ciel nous fait éprouver toute la rigueur de sa colère lorsqu’il nous laisse agir à notre gré ! Mon peuple n’a point entendu ma voix. dit le Seigneur par son Prophète : Israël n’a pas voulu m’écouter ; c’est pourquoi je les ai abandonnés aux désirs de leurs cœurs, et je les ai laissés vivre selon leurs desseins. (Ps. 80.)

Jésus s’étant livré à la puissance de ses ennemis, fut aussitôt lié et conduit à Jérusalem pour être présenté aux autorités judaïques. Oh ! combien ce trajet dut être pénible pour lui ! Il me semble le voir, cet adorable Sauveur, assailli par une popu­lace sacrilège, à son entrée dans Jérusalem, obligé de parcourir les rues de cette ville au milieu des injures et des blasphèmes qu’on vomit contre lui, et traité de la ma­nière la plus rude par les soldats qui l’en­vironnent.

Est-ce qu’il ne pourrait pas bri­ser tous les liens qui le retiennent, et dis­perser d’un seul regard cette foule impie et homicide qui s’acharne contre lui ? Ah ! oui sans doute, ô mon âme ! Jésus pourrait se soustraire en un moment à tant de fu­reurs 5 mais ne vois-tu pas qu’il est retenu par des liens tout différents de ceux dont les soldats se sont servis pour le prendre ?

Et quels sont donc ces liens ? Ce sont ceux de l’amour qu’il nous porte : amour si ar­dent, qu’il le rend insensible à tous les mauvais traitements qu’on lui fait subir. Il sait que notre élévation est attachée à son abaissement, et notre liberté à ses chaînes ; aussi semble-t-il se plaire dans ses humilia­tions ; il réprimande fortement un de ses apôtres qui se sert de l’épée pour le défen­dre.

Et voulant faire connaître à ses ennemis qu’ils n’ont sur sa personne d’autre pouvoir que celui qu’il leur donne lui-même, il leur adresse ces paroles : « Vous êtes venus ici  armés d’épées et de bâtons pour vous saisir de moi, comme si j’étais un voleur : j’étais tous les jours assis au milieu de vous, et j’enseignais dans le temple, sans que vous m’ayez pris ; mais c’est ici votre heure et la puissance des ténèbres, et il faut que les Écritures s’accomplissent. »

Les soldats conduisirent d’abord le Sau­veur chez Anne, beau-père de Caïphe, et Anne le renvoya chez son gendre, qui était grand – prêtre cette année – là. C’est pen­dant qu’il subissait chez Caïphe son premier interrogatoire, qu’un officier osa lui donner un soufflet.

O quel frémissement d’horreur dut produire dans la cour céleste un pareil outrage! Anges du Seigneur, armez-vous du glaive, venez venger l’affront sanglant dont le Fils de l’Éternel est en ce moment l’objet. Doit-il encore souiller la terre, le monstre qui a frappé la figure du Saint des saints ?

O mon âme ! ce n’est encore là que le commen­cement des souffrances de Jésus: la justice de son Père lui réserve bien d’autres humi­liations ; et l’outrage qui vient de lui être fait n’est pour lui qu’une occasion de mani­fester sa douceur et sa patience, a Si j’ai » mal parlé, dit-il à cet officier, faites voir » le mal que j’ai dit ; mais si j’ai bien parlé, »> pourquoi me frappez-vous ? »

Après avoir essayé de produire plusieurs témoins contre Jésus, le grand-prêtre l’in­terrogea en lui disant : Ne répondez-vous rien à toutes les dépositions qu’on fait con­tre vous?

Mais Jésus garda le silence, et pour nous- apprendre que nous ne devons jamais rougir de rendre témoignage à la vérité malgré toutes les menaces, il répon­dit à la seconde question du grand-prêtre qui lui demandait s’il était le Fils de Dieu : Oui, répliqua-t-il, vous l’avez dit : je le suis.

Cette réponse si sage et si vraie ne fit qu’augmenter la colère du grand-prêtre et du conseil qui était présent à cet in­terrogatoire. Nous n’avons plus besoin de témoins, s’écrièrent-ils ; il a blasphémé ; il mérite la mort ! Dès ce moment on ne songea plus qu’à conduire Jésus chez le gouverneur romain pour le faire condamner ; mais comme il était nuit, il fallut attendre que le jour vint.

Alors le Fils de Dieu fut remis entre les mains des soldats, et abandonné à leur brutalité pendant tout le reste de la nuit. Ils lui crachèrent au visage, le frappèrent en se moquant de lui, lui bandèrent les yeux, et lui don­nèrent des coups de poing et des soufflets, en lui disant : Christ, prophétise-nous qui t’a frappé.

Ils ajoutèrent à ces insultes beau­coup d’injures et de blasphèmes ; et quoi­que l’Évangile nous en retrace le tableau, saint Jérôme ne craint pas de dire que toutes les horreurs qui se sont commises sur le Sauveur dans cette nuit cruelle, ne seront connues qu’au jour du jugement.

Nuit de douleur et de crimes ! nuit d’op­probres et d’expiations ! que de forfaits ont été enveloppés dans tes sombres voiles ! que de sacrilèges ont été commis à l’aide de ton obscurité ! Mais hélas ! quelle pen­sée déchirante vient s’offrir à mon âme! ô combien de chrétiens les renouvellent ces opprobres et ces insultes contre le Sauveur !

Toutes ces nuits passées dans des assemblées criminelles, dans les excès de l’intempérance, ou dans la jouissance des plaisirs infâmes de la volupté, ne sont-elles pas aussi douloureuses pour le Fils de Dieu que celle qui fait le sujet de nos méditations ?

PRIÈRE.

Mon doux Jésus ! quel étrange specta­cle s’offre en ce moment à mes yeux! je vous vois chargé de chaînes, vous qui n’êtes venu sur la terre que pour briser les liens du péché, qui nous retenaient captifs ; je vous vois environné d’une troupe de scélérats, vous dont les intelligences cé­lestes osent à peine approcher.

J’entends vomir toutes sortes de blasphèmes contre vous, dont le nom est célébré par les concerts des anges et les immortels cantiques des chérubins ; j’aperçois des malheureux déchargeant de rudes soufflets sur cette face auguste dont la contemplation fait le bonheur des saints dans le Ciel ; au milieu de ces cruels traitements, je vous vois calme et paisible ; je vous entends proférer des paroles pleines de bonté et de douceur !

O mon divin Rédempteur! jusqu’où va donc votre amour pour les hommes ? était-il né­cessaire que vous vous soumissiez à tant d’infamies ? Ah ! du moins, mon Dieu, je veux profiter des exemples de patience et de résignation que vous me donnez.

Je veux apprendre de vous à endurer sans me plaindre les injustices qui pourront être commises envers moi, et en détestant la trahison du perfide disciple qui vous livra à vos ennemis, je veux me pénétrer d’une sainte horreur pour le péché qui renouvelle sur votre personne les sanglants outrages dont les Juifs se rendirent cou­pables.

RÉSOLUTIONS.

l.° Lorsque je m’apercevrai que des amis sur lesquels je comptais m’ont été infidè­les et ont trahi mes intérêts, je me rappel­lerai la perfidie de Judas, et je me propo­serai pour exemple la conduite du Sau­veur à son égard.

2.° Je prendrai quelquefois des moments sur l’heure de mon sommeil pour vaquer à la prière, afin de réparer autant qu’il est en moi les excès et les infamies qui se com­mettent trop souvent durant les ténèbres.