LE MOIS DU SAINT NOM DE JÉSUS – XXe JOUR.

LE MOIS DU SAINT NOM DE JÉSUS – XXe JOUR.

JÉSUS EST RENIÉ PAR SAINT PIERRE.

Negavit coram omnibus, dicens : nescio quid dicis.

Pierre renia Jésus devant tout le monde, en disant : je ne sais ce que vous dites. Matthieu 26.

D’après LE MOIS DE JÉSUS – Malines  1839

1er Point.

IHS extrait des armes du Pape François
IHS extrait des armes du Pape François

Lorsque les disciples de Jésus vi­rent leur maître au pouvoir de ses enne­mis, ils l’abandonnèrent tous et s’enfuirent. Pierre lui-même qui avait protesté tant de fois de son attachement pour le*Sau­veur ; Pierre qui venait de jurer fidélité à son Maître jusqu’à la mort, se contenta de le suivre de loin, pour voir ce qui lui ar­riverait.

Apprends ici, ô mon âme î jusqu’où est capable de conduire une trop grande con­fiance en ses propres forces. Lorsque Pierre donnait au Fils de Dieu l’assurance qu’il ne l’abandonnerait jamais, il ne songeait pas qu’il n’était par lui-même que fragili­té, et que, pour ne se point montrer infi­dèle envers le Sauveur, il avait besoin que le Sauveur lui-même le soutînt et le fortifiât.

Aussi ne tarda-t-il pas à éprouver toute la faiblesse de sa nature : à peine vit-il son Maître entre les mains des soldats, qu’il se sépara de lui : il ne le suivit plus que de loin, selon la remarque de l’Évangile, sans doute pour être prêt à le rejoindre s’il s’a­percevait que son innocence fût proclamée par les juges.

Mais est-ce là la disposition d’un cœur qui aime sincèrement ? n’est-ce pas au contraire dans l’adversité que se font reconnaître les véritables amis? Jésus li­vré à une troupe de furieux et exposé à leurs insultes, ne devait-il pas s’attendre à trouver quelques cœurs sensibles à ses pei­nes ? Et de qui était-il plus, en droit d’es­pérer cette consolation que de ses disciples?

O Pierre ! comment pouvez-vous abandon­ner ainsi votre Maître ? vous qu’il a associé à ses travaux depuis le commencement de son ministère ; vous qu’il a choisi de­puis longtemps pour vous envoyer porter aux nations la lumière de l’Évangile ; vous qu’il a posé pour fondement à l’édifice de son Église ?

Ah ! si vous saviez combien vo­tre infidélité lui est sensible, à cet aimable Sauveur! Il tourne ses regards autour de lui, et il n’aperçoit que des ennemis bar­bares, que des tigres furieux qui deman­dent sa mort ; pas un seul disciple auquel il puisse adresser la parole, pas un seul cœur qui paraisse compatir à ses maux !

Lorsque Jésus fut entré chez Caïphe, Pierre qui l’avait suivi de loin entra dans la cour du palais de ce grand-prêtre où se trou­vaient rassemblées plusieurs personnes. C’est là qu’il eut le malheur de renier jusqu’à trois fois son divin Maître.

Et que fallut-il pour le rendre si honteusement infidèle? sans doute que la présence des juges et les menaces de la mort l’auront intimidé ? Non ; la voix d’une servante a suffi, il n’a osé s’avouer devant elle pour le disciple de Jésus-Christ ; et lorsqu’elle lui a demandé s’il ne composait pas aussi la suite de l’homme qu’on venait d’amener au grand-prêtre : non, a-t-il répondu, je ne lui appartiens point ; je ne sais ce que vous dites.

Il répéta les mêmes paroles, à la demande d’une autre servante ; et lorsqu’un officier vint pour la troisième fois lui dire qu’il l’avait vu avec Jésus dans le jardin des Olives, il répondit avec un serment accompagné d’imprécation : non, je n’ai jamais été le disciple de cet homme ; je ne le connais point : non novi hominem.

Quoi, disciple infidèle, vous ne le con­naissez pas, cet homme, ou plutôt ce Dieu pour lequel vous avez abandonné la profession que vous exerciez autrefois ! vous ne le connaissez pas, ce Dieu qui depuis trois années n’a cessé d’opérer sous vos yeux les plus étonnantes merveilles!

Vous ne le connaissez pas, ce Dieu que vous avez vu tout resplendissant de gloire sur le Thabor, et auquel vous avez dit : Sei­gneur, nous sommes bien ici ; dressons-y trois tentes ! Vous ne le connaissez pas en­fin, ce Dieu qui vient de vous laver les pieds, et de vous donner son corps à manger et son sang à boire ! Quoi, Judas lui-même, en trahissant le Sauveur, l’a appelé son maître ; et vous, vous rougissez de lui donner ce nom !

Quelles sont tes pensées, ô mon âme ! en voyant cette conduite de saint Pierre ? Sans doute tu es révolté, et tu ne vois rien qui puisse excuser la lâcheté de cet apôtre. Mais as-tu fait attention à la cause qui a amené une chute aussi déplorable ?

As-tu remarqué que saint Pierre a succombé, dans cette occasion, aux attaques du res­pect humain ? de ce respect humain, qui fait aujourd’hui tant d’apostats, qui peut-être a été pour toi le sujet des plus honteux désordres? de ce respect humain que le Sauveur a si fortement réprouvé, lorsqu’il a dit qu’il rougirait devant son Père de tous ceux qui auront rougi de lui sur la terre ?

En effet, quoi de plus honteux pour un chrétien, que de reconnaître intérieu­rement Jésus-Christ pour Dieu, et de dés­avouer sa foi devant le monde ? quoi de plus déraisonnable que de confesser qu’il n’y a de salut à espérer que dans la re­ligion, et de rougir d’en professer les actes en présence des hommes ?

Que dirions-nous d’un soldat qui, arrivé sur le champ de bataille en présence de l’ennemi, aurait honte de combattre sous les étendards de son prince, et abandonnerait lâchement son poste pour aller grossir les rangs op­posés ? Or c’est là précisément le tableau de notre conduite, toutes les fois que nous nous abstenons d’accomplir nos devoirs spi­rituels par la crainte du monde.

Depuis que les eaux de la régénération ont été versées sur notre tête, nous sommes tous les soldats de Jésus-Christ, nous marchons tous sous les drapeaux de la croix contre l’ennemi de notre salut. Cet ennemi, mal­heureusement infatigable, nous livre les assauts les plus terribles ; comment donc soutiendrons-nous l’honneur de nos ensei­gnes, si nous rougissons de combattre pour les conserver ?

Nous nous plaignons quel­quefois de ce que l’impiété se montre par­tout avec audace : mais ne peut-on pas dire que ce scandale ne se répète souvent que parce que la vertu ne se montre pas assez ?

Sans doute la véritable vertu est celle qui a l’humilité pour fondement : mais il est des occasions où elle doit se manifester avec éclat; et la vertu qui se cache lors­qu’elle devrait se montrer, ne mérite plus le nom de vertu : c’est une faiblesse, c’est une lâcheté indigne d’un véritable chrétien.

IIe Point.

Lorsque saint Pierre eut con­sommé son infidélité, il se rappela que le Sauveur la lui avait prédite dans son dis­cours après la cène, et ce souvenir com­mença à le faire rentrer en lui-même. Le texte sacré ajoute que Jésus regarda son disciple ; ce qui acheva de le pénétrer de douleur.

Saint Augustin remarque à ce sujet, que Jésus était en haut lié et entre les mains de ses ennemis, en sorte qu’il ne pouvait pas voir des yeux du corps son disciple qui «tait en bas dans la cour ; et qu’ainsi ce re­gard dont parle f évangéliste était un regard de miséricorde et un mouvement secret de la grâce, qui ouvrit les yeux de Pierre pour lui faire reconnaître sa faute, et qui amollit son cœur pour la lui faire expier par ses larmes.

Aussi la chute de cet apôtre fut-elle immédiatement suivie de sa pénitence : il sortit dehors pour donner un libre épanche-ment à sa douleur ; et, s’étant retiré à l’é­cart, il pleura amèrement. Heureuses larmes, s’écrie saint Léon . qui, pour effacer le péché que saint Pierre, avait commis en renonçant son Maî­tre, eurent la vertu d’un sacré baptême!

En effet, la douleur la plus sincère est celle qui part du cœur, et lorsque c’est le cœur qui la produit, elle s’exprime moins par des paroles que par des larmes. Saint Maxime fait à ce sujet des réflexions pleines de sa­gesse et de vérité :

« Saint Pierre fondit en larmes après son péché, dit ce Père, sans prononcer une parole pour demander son pardon : je trouve qu’il a pleuré, je ne trouve point qu’il ait rien dit : je lis ses larmes, je ne lis point sa prière. Pierre a eu raison de verser des larmes, et de garder le silence ; car ce qu’on a coutume de pleurer, on ne l’excuse point ordinairement, et ce qui ne peut se justifier par les paroles, peut être effacé par les pleurs.

Les larmes, poursuit saint Maxime, la­» vent le péché que la bouche a honte de confesser : elles ménagent la pudeur et procurent en même temps le salut ; elles demandent sans rougir et obtiennent tout ce qu’elles demandent.

Les larmes, dis-je, sont des prières tacites ; ou plutôt, elles ne demandent pas le pardon à proprement parler, mais elles le méritent ; elles ne plaident pas la cause des pécheurs, mais elles leur attirent leur grâce. La prière des larmes est plus utile et plus efficace que celle des paroles; parce que les discours dans les prières peuvent tromper, et que les larmes ne trompent ja­mais.

En parlant, on ne dit pas quelquefois tout ce qu’on pense, ni tout ce qu’on sent : en pleurant, on exprime tout ce qu’on a dans l’esprit et dans le cœur; et de là vient que Pierre ne se sert plus de la parole par laquelle il avait trompé, il avait péché, il avait perdu la foi, de peur qu’en confessant Jésus-Christ, il ne soit pas cru par la voix dont il s’était servi pour le renoncer.

Je trouve encore une autre raison pour laquelle Pierre ne parle point : c’est de  crainte qu’en demandant sitôt pardon de son crime ; sa demande n’eût un air d’impudence, qui offensât plus son Maître qu’elle ne l’apaisât. » (Homil. 3. de pœnit. Pétri. )

O combien de chrétiens qui, après avoir renoncé leur Maître comme saint Pierre, n’ont point pleuré amèrement leur infidé­lité ! Moi-même, hélas ! combien de fois n’ai-je pas outragé mon Sauveur, sans songer | à m’humilier devant lui et à réparer mon crime par la pénitence et par les larmes ! Cependant est-il rien qui mérite davantage d’être pleuré que le péché ?

Si Dieu nous en découvrait toute la laideur, pourrions-nous en soutenir la vue ? Quelle honte pour nous de confesser que le péché est le plus grand de tous les maux, et de le commettre avec tant de facilité ; de savoir qu’une vie entière de pénitence n’est pas capable de le réparer dignement, et de vivre tran­quilles et joyeux lorsque nous nous en reconnaissons coupables!

Le premier bonheur de l’homme, dit saint Jean Chrysostome, est de ne point pécher ; le second est de sentir et de pleurer son péché. L’insensi­bilité des pécheurs, ajoute-t-il, ce manque de regret et de pénitence après avoir péché, irrite plus Dieu que le péché même. Il en est de Dieu à l’égard des hommes, comme d’un père à l’égard de ses enfants.

Lorsque ceux-ci ont eu le malheur d’offenser l’auteur de leurs jours, ils sont assurés d’obtenir leur pardon, s’ils vont pleins de repentir lui faire l’aveu de leur faute, et solliciter son indulgence.

Mais si ce père ne découvre dans ses enfants aucune marque de douleur, s’il les voit, au contraire, pleins de joie après leur infidélité, et disposés à l’offenser de nouveau, montrera-t-il la même con­descendance à leur égard, et pourra-t-il leur accorder le pardon, quelle que soit sa tendresse pour eux ?

PRIÈRE.

Que vous dirai-je en ce jour, ô mon Dieu ? pourrai-je vous parler sans être couvert de confusion ? Hélas ! il n’est que trop vrai que j’ai souvent imité votre apôtre dans son in­fidélité ; il n’est que trop vrai que je vous ai renoncé plus d’une fois, ô le meilleur des maîtres!

Du moins si j’avais imité saint Pierre dans sa pénitence ! si j’avais pleuré amère­ment les fautes qui m’ont rendu abominable à vos yeux, je pourrais aujourd’hui me pré­senter devant vous avec confiance. Mais que j’ai sujet de trembler lorsque je con­sidère, d’un côté, mon indifférence pour le péché, et de l’autre, la rigueur avec laquelle vous traitez ceux qui ne l’expient pas sur la terre !

Permettez cependant que je vous parle, ô mon Dieu ! quelque in­digne que j’en sois : permettez que je vous demande encore une fois pardon. C’est maintenant que je sens combien il est amer de vous voir abandonné.

Ah ! maudit soit à jamais le jour où je vous ai méconnu, où je vous ai offensé, ô Dieu souveraine­ment aimable! c’en est fait, je veux vous aimer à quelque prix que ce soit : je com­mence bien tard, il est vrai, mais je ne serai plus infidèle. O feu qui brûlez con­tinuellement sans jamais vous éteindre ! ô amour qui êtes toujours ardent sans vous refroidir î brûlez-moi, et que je sois tout consumé d’amour !

O ma seule espérance ! ô Tunique objet de tous mes désirs et le seul bien que je souhaite ! Oh ! si j’étais digne de vous aimer! Mon Dieu, vous êtes ma force et mon refuge ; faites que je pé­risse plutôt que de jamais cesser de vous aimer.

RÉSOLUTIONS.

1,° Je vais faire une revue sur ma vie passée, et rappeler dans mon esprit les principales chutes que j’ai faites depuis l’âge de raison, afin que ce souvenir hu­miliant détruise pour toujours en moi cette dangereuse confiance que j’ai trop souvent en mes propres forces.

2.° Aussitôt que je me reconnaîtrai cou­pable d’une nouvelle infidélité à la grâce, je m’exciterai à la contrition ; et, si je le puis, je me transporterai dans une église pour y déplorer le malheur que j’aurai eu d’offenser mon Sauveur.