LE MOIS DU SAINT NOM DE JÉSUS – XXVIe JOUR.

LE MOIS DU SAINT NOM DE JÉSUS  –  XXVIe JOUR.

PAROLES DE JÉSUS SUR LA CROIX.

Pater, dimitte illis, non enim sciunt quid faciunt.

Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. Luc. 23.

D’après LE MOIS DE JÉSUS – Malines 1839

Ier Point.

IHS extrait des armes du Pape François
IHS extrait des armes du Pape François

Ce n’était pas assez pour Jésus d’avoir supporté avec patience tous les ou­trages, toutes les calomnies dirigées contre lui ; ce n’était pas assez d’avoir enduré, sans se plaindre, les horribles tourments de la flagellation, du couronnement d’épines et du crucifiement ; enfin ce n’était pas assez d’avoir donné des consolations aux âmes sen­sibles qui s’attristaient de sa mort.

Iil faut que sa charité s’étende jusque sur ses bour­reaux, et ses premières paroles, après être monté sur l’autel du sacrifice, sont consa­crées à invoquer la clémence de son Père sur ceux qui viennent de rattacher à la croix : mon Père, pardonnez-leur.

 

Quand le Fils de Dieu n’aurait pas pro­noncé d’autres paroles pour faire connaître son innocence, ce témoignage aurait suffi pour dissiper tout autre aveuglement que celui des Juifs ; il y a dans ce peu de mots quelque chose de si auguste, de si divin, qu’il était impossible qu’un semblable lan­gage sortît d’une bouche coupable.

Lorsque Jésus manifesta sa gloire sur le Thabor, il opéra aux yeux de ses apôtres un prodige de puissance bien capable, sans doute, de porter dans leurs cœurs l’étonnement et l’admiration. Néanmoins il est vrai de dire qu’il opère en ce moment un prodige de charité encore plus admirable.

L’ignominie du Calvaire a quelque chose de plus merveilleux que la majesté du Thabor ; et le spectacle de Jésus crucifié et priant pour ses bourreaux, a plus de droit à notre reconnaissance, s’il est permis de s’exprimer ainsi, que le spectacle de Jésus resplendis­sant d’une lumière céleste et glorifié haute­ment par son Père.

Aussi le Fils de Dieu ne dévoila sa gloire sur le Thabor qu’à trois de ses apôtres, tandis que sur le Calvaire il s’offre en spectacle à l’univers entier, comme pour nous faire voir que le mystère de ses souffrances a besoin, pour captiver notre foi, d’un témoignage plus éclatant et plus universel que le mystère de sa gloire.

C’est en­core pour la même raison que Jésus ne de­meura transfiguré que pendant quelques moments, contre le vœu de ses apôtres, tandis qu’il reste attaché à la croix pendant plusieurs heures, quoique les Juifs l’invitent à en descendre.

En un mot, si nous méditons attentivement ce mystère, nous trouverons dans la soumission de Jésus la preuve la plus éclatante de sa divinité, et nous nous con­vaincrons que le spectacle d’un Dieu souf­frant par amour est infiniment plus admira­ble que celui d’un Dieu cessant de souffrir par sa puissance.

Mais revenons aux touchantes paroles que l’adorable victime vient de faire entendre : Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. O paroles d’une grande pa­tience, s’écrie saint Anselme, paroles d une grande douceur, d’un grand amour et d’une ineffable charité ! Déchiré par les coups de fouets, couronné d’épines, percé de clous, suspendu à la croix, rassasié d’opprobres,

Jésus oublie néanmoins tout cela : il est plus sensible à l’aveuglement de ses bourreaux qu’à ses propres souffrances; il prie pour eux dans le moment où ceux-ci vomissent contre lui les plus horribles blasphèmes ; et nous enseigne ainsi le premier à mettre en pratique ce précepte émané de sa bouche :

Faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent : pré­cepte dont le premier exemple, comme la première leçon, ne pouvait venir que d’un Dieu.

Cependant il ne faut pas croire que Jé­sus n’invoque en ce moment l’indulgence de son Père que sur ses bourreaux : il de­mande pardon pour tous les hommes, parce que tous les hommes contribuent à son supplice.

Aucun de nous ne peut dire ce que Daniel dit par rapport à la condam­nation de Suzanne : Je n’ai point de part au crime de ceux qui répandent son sang. C est pour nous tous que Jésus a été livré à la mort ; son Père a mis sur lui toutes les iniquités du monde.

Vainement aurions-nous sollicité nous-mêmes la clémence du Ciel : il fallait que la demande de notre par­don sortît d’une bouche infiniment pure ; et voilà que le Fils de Dieu se déclare lui-même notre médiateur! Que pourrait refuser le Père céleste à un si auguste suppliant ? Et nous, quelles affections présenterons-nous à notre Sauveur pour le récompenser de son amour ?

Mon Père, pardonnez – leur, car ils ne savent ce qu’ils font! Quoique Jésus sem­ble présenter, par ces paroles, l’ignorance des Juifs comme une excuse à leur crime, il ne laisse pas néanmoins, en sollicitant leur pardon, de faire voir que leur ignorance est coupable, puisque le pardon sup­pose toujours une action punissable. Au reste, cette ignorance avait été prédite dans le livre de la Sagesse :

C’est la malice de leur cœur, y est-il dit, qui les a jetés dans dé si profondes ténèbres, et qui leur a caché les mystères de la sagesse divine ; paroles qu’on pourrait appliquer à une infi­nité de chrétiens qui prétextent leur igno­rance pour s’affranchir des plus graves obli­gations, comme si l’ignorance des devoirs importants de la religion pouvait être excusable.

Il y a plus : le péché, de quel­que nature qu’il soit, renferme toujours en lui – même une sorte d’ignorance, sinon de la loi, du moins des droits et des      | perfections du législateur ; c’est ce qui a fait dire à saint Jean : Que celui qui com­met le péché, ne connaît point Dieu ni le Sauveur qu’il a envoyé.

IIe Point.

Jésus attaché à la croix n’é­tait pas seulement livré au mépris et aux insultes du peuple juif : la plupart de ceux qui étaient témoins de son supplice, unis­saient leurs blasphèmes à ceux des sol­dats ; et il n’y eut pas jusqu’à l’un des deux voleurs qu’on avait crucifiés avec lui, qui ne tînt le même langage.

Si vous êtes le Christ, disait-il à Jésus, sauvez-vous vous-même, et nous avec vous. Mais c’est ici, ô mon âme! que tu vas admirer un nouvel exemple de la charité et de la miséricorde du Fils de Dieu.

Sur le point de rendre les derniers soupirs, il va se for­mer encore un disciple, il va amollir par Fonction de sa grâce un cœur endurci par les passions les plus honteuses, et de ses mains défaillantes il va ouvrir les portes du Ciel pour un coupable que la justice humaine a condamné à disparaître de des­sus la terre.

Pendant que l’un des lar­rons crucifiés vomissait contre Jésus tou­tes sortes de blasphèmes, l’autre, déjà éclairé par les lumières de la foi, le re­prenait ouvertement, et lui disait : N’avez-vous donc point de crainte de Dieu, vous qui vous voyez condamné au même suppli­ce? encore pour nous, c’est avec justice que nous souffrons ; mais pour celui – ci, il n’a point fait de mal.

Il y a dans ce langage du larron péni­tent un fonds de sagesse et d’humilité que nous ne saurions méditer assez attentive­ment : et d’abord, en reprochant au mau­vais larron l’injustice de ses outrages con­tre le Sauveur, il ne lui dit point qu’on ne peut, sans inhumanité, insulter un homme affligé et mourant.

Mais il l’ac­cuse de manquer de crainte de Dieu, et par là il rend déjà témoignage à la divinité de Jésus – Christ, qu’on ne pouvait nier sans perdre cette crainte salutaire.

Dans un temps où tout son esprit devrait être occupé de ses douleurs, où son âme plon­gée dans l’amertume parait incapable d’au­cune réflexion, il devient le confesseur de Jésus-Christ, et il voit en lui ce que les yeux des autres n’y découvrent pas.

Il pu­blie sur la croix, dit saint Augustin, ce que Pierre avait appris de la bouche du Père cé­leste, mais ce que la voix d’une servante lui fit désavouer ; et il devient apôtre du­rant la désertion des apôtres.

Les paroles qu’il ajoute devraient se trou­ver continuellement sur les lèvres des per­sonnes affligées. Pour nous, dit-il, c’est avec justice que nous souffrons. Mais, hélas ! combien ce sentiment est méconnu aujour­d’hui ! A entendre la plupart des hommes, il semble que Dieu soit un maître dur et barbare qui se plaît à châtier ses enfants.

De tout côté s’élèvent des murmures contre la dispensation des biens et des maux en cette vie : on dirait que Dieu doive nous consulter avant de nous éprouver par la tribulation. Personne ne veut se reconnaître coupable ; personne ne dit avec le larron : C’est avec justice que je souffre.

Aussi, bien loin de retirer des souffrances le profit pour lequel Dieu nous les envoie, nous augmen­tons la mesure de nos infidélités, et nous transformons en un trésor de perdition et de colère, des moyens qui nous avaient été don­nés pour nous faire travailler plus efficace­ment à l’ouvrage de notre sanctification.

Après avoir confondu l’ignorance et la malice des blasphémateurs, le bon larron s’adressa à Jésus ; et de cette voix qui part d’un cœur profondément touché, il lui dit : Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez dans votre royaume. Voyez, s’écrie ici saint Jean Chrysostome, voyez de quels biens infinis la croix est le principe !

Mais, demande ensuite ce saint docteur, dites-moi, pieux larron qui parlez ici de royaume, que voyez-vous qui vous y con­duise ? vous n’avez devant les yeux qu’une croix et des clous. Et c’est cette croix même, me répond-il, qui est le symbole de la royauté ; et c’est parce que je vois Jésus crucifié, que je lui donne le titre de roi : car c’est le propre d’un roi de donner sa vie pour ses sujets.

Il a dit lui-même : Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Un bon roi doit donc aussi mourir pour ses sujets ; et puisque celui-ci meurt aujour­d’hui pour les siens, c’est avec justice que je lui donne le titre de roi.

O foi admirable ! foi digne d’un confesseur de Jésus-Christ 1 foi qui mérita au bon larron d’entendre sortir de la bouche de Jésus ces ineffables paroles : Vous serez aujour­d’hui avec moi dans le paradis.

Ainsi cet heureux coupable obtint plus qu’il n’avait demandé, plus qu’il n’aurait osé espérer : il avait prié Jésus de se souvenir de lui dans son royaume ; et par cette humble demande, il paraissait disposé à attendre les effets de sa miséricorde aussi longtemps qu’il lui plairait.

Mais ce Dieu infiniment bon ne veut pas retarder la ré­compense de sa foi et de sa docilité à la grâce ; il lui promet son royaume, non point dans un avenir éloigné, mais ce jour-là même, aujourd’hui, lui dit-il, vous serez avec moi dans ce royaume dont je vais reprendre possession.

Aujourd’hui vous serez réuni avec tous les saints dans un lieu de repos que ma présence va transformer en un paradis délicieux : je vous en donne la certitude, et vous savez que je suis la vérité même.

O mon âme ! quel sujet de confiance pour toi ! tu crains que tes prières ne soient pas agréables à Dieu, tu crains que le grand nombre de tes iniquités n’ait enfin tari les trésors de sa miséricorde. Eh bien ! jette les yeux sur le larron pénitent : comme toi il s’était livré à toutes sortes de désordres, et voilà qu’à sa mort Dieu se contente d’un soupir, d’une parole, pour lui pardonner !

Mais est-ce donc une raison pour renvoyer au moment de la mort l’époque de notre conversion, Non, non, nous dit ici un grand docteur : si l’Évangile nous fournit l’exemple d’un pécheur converti à la mort, c’est pour nous empêcher de tomber dans le déses­poir ; et afin que nous ne présumions pas de la miséricorde de Dieu, cet exemple est le seul qui nous soit proposé.

PRIÈRE.

0 Jésus ! ô mon divin modèle ! qui avez imploré sur la croix le pardon de vos bour­reaux, comment pourrais-je ne pas m’humilier profondément à la vue de votre charité, moi qui suis si sensible aux moin­dres affronts qu’on me fait ? Hélas ! si jamais l’injustice des hommes parut dans tout son éclat, n’est-ce pas surtout dans les souf­frances qu’ils vous font endurer ?

Cependant vous vous intéressez encore à leur sort ; vous demandez grâce pour eux ! O mon Dieu ! que je suis éloigné en ce point de l’imitation que je dois à vos exemples ! et qu’il s’en faut qu’on me reconnaisse à mes actions pour le disciple d’un maître qui a prié pour ses bourreaux !

Aussi ce que je vous demande aujourd’hui dans toute la sincérité de mon cœur, c’est que vous me remplissiez de cet esprit de charité dont vous m’offrez l’exemple : charité devenue si rare aujourd’hui qu’il semble que cette vertu se soit réfugiée dans le Ciel.

Donnez-moi aussi, mon Dieu, la foi et l’humilité du larron pénitent ; que je dise, comme lui, dans la tribulation : C’est avec justice que je souffre ; et que toutes mes pensées soient désormais tournées vers ce royaume éternel que vous préparez à vos serviteurs, afin qu’à l’heure de ma mort je puisse, comme le larron, m’entendre adresser ces paroles consolantes : Vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis.

RÉSOLUTIONS.

l.° Si je connais des personnes qui soient divisées, je vais tâcher aujourd’hui d’opérer leur réconciliation ; et si je n’y puis parve­nir, j’adresserai à Dieu de ferventes prières pour qu’il daigne établir dans tous les cœurs le règne de la charité.

2.° Lorsque je me verrai dans l’affliction, je me pénétrerai de cette vérité : Que Dieu ne nous punit jamais injustement : et je me rappellerai le souvenir de mes nom­breuses infidélités, pour m’exciter à la pa­tience.