Quatrième Parole de Jésus sur la Croix

LA QUATRIÈME  PAROLE durant les TROIS HEURES avant la mort de Jésus

Mon Dieu ! Mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous abandonné ?

Notre bienheureux Maître, dans la révélation qu’il fait du haut de la Croix, arrive par degrés à l’intérieur de cette révélation, à lui-même qui en est le centre. Il commence au cercle le plus extérieur avec les pécheurs ignorants.

Il s’occupe ensuite du seul de ces pécheurs qui ait cessé d’être ignorant, puis de ceux qui furent toujours le plus près de lui et maintenant enfin il révèle le plus profond secret de tout. C’est, dans tous les sens, la Parole centrale parmi les Sept qu’il a proférées. Il n’est pas besoin d’attirer l’attention sur le Paradoxe qu’elle exprime.

I. — Rappelons-nous donc premièrement le dogme révélé que Jésus-Christ est le Fils éternel du Père : qu’il demeura toujours dans son sein ; que lorsqu’il quitta le Ciel il ne quitta pas sa place à ses côtés ; qu’à Bethléem, à Nazareth, en Galilée, à Jérusalem, à Gethsémani et sur le Calvaire, il fut toujours le Verbe qui est en Dieu et le Verbe qui était Dieu.

Rappelons-nous encore que les yeux mêmes de sa sainte humanité contemplaient toujours et continuellement la Face de Dieu, puisque son union avec Dieu était entière et complète ; que lorsque dans sa crèche il leva les yeux vers le visage de sa Mère il vit derrière elle la Face de son Père.

Quand il cria à Gethsémani : « S’il est possible, » même dans sa Sainte Humanité il savait que cela ne pouvait être ; et que lorsqu’il gémissait sur le Calvaire que Dieu l’avait abandonné, il contemplait encore, sans un instant d’interruption, la gloire du Ciel et y voyait son Père.

Cependant, il est également vrai que son cri de déréliction fut incalculablement une réalité plus grande que lorsque ce cri fut poussé par David ou, depuis, par aucun pécheur désolé dans les ténèbres spirituelles les plus épaisses. Toutes les misères des âmes saintes et pécheresses, amassées ensemble ne peuvent approcher, même de loin, l’intolérable misère du Christ.

Car de son propre vouloir il refusa d’être consolé d’aucune sorte par cette Présence dont il ne pouvait jamais manquer, et de son propre vouloir il choisit d’être pénétré, saturé et torturé par cette tristesse qu’il n’avait jamais méritée. Il fit se refuser à la touche de consolation chaque puissance de son être divin et humain et simultanément les livra toutes et sans défense aux assauts de chaque douleur.

Et si la psychologie de cet état est tout à fait au-delà de notre pouvoir de comprendre, nous devons nous rappeler que c’est la psychologie du Verbe fait chair qui nous est présentée… Espérons-nous la comprendre?

II. – Il est une phrase, cependant, elle-même un paradoxe, correspondant pourtant à quelque chose que nous savons être vrai, qui jette comme un faible rayon de clarté sur cette obscurité impénétrable et semble étendre l’expérience du Christ sur la Croix jusqu’à un point qui touche à notre propre vie humaine. C’est une phrase qui décrit un état bien connu des personnes spirituelles : « Quitter Dieu pour Dieu. »

1) La forme la plus simple et la plus infime de cet état est celle où nous acquiesçons de tout notre vouloir au retrait de la consolation spirituelle ordinaire.

Il est certain que cet état est inexplicable, puisque les appuis ordinaires de notre volonté — notre intelligence et notre émotivité — ne lui sont tous deux, par sa nature même, d’aucun secours. Notre cœur se révolte contre cette déréliction et notre entendement ne réussit pas à en comprendre les motifs.

Nous acquiesçons néanmoins ou du moins nous percevons que nous devons le faire et, en le faisant, c’est-à-dire en cessant de saisir la Présence de Dieu, nous la trouvons comme jamais auparavant. Nous quittons Dieu pour Le trouver.

2) Le second état est celui dans lequel nous nous trouvons, quand non seulement toutes les consolations nous abandonnent, mais quand l’étreinte même de la foi intelligente s’en va elle aussi, quand les raisons elles-mêmes de la foi semblent disparaître. Et cependant ce n’est pas là encore le dernier sommet de la désolation humaine.

C’est une épreuve incalculable ment plus amère et bien des âmes, l’une après l’autre, la subissent et doivent être consolées de nouveau par Dieu qui les fait passer par des voies moins ardues sous peine de périr tout à fait.

3) Il est un troisième état dont les saints ne nous parlent qu’avec des mots et des images sans suite…

III. — Disons pour terminer, par une application à nous-mêmes, que la déréliction, sous une forme ou sous une autre, est une étape dans le progrès spirituel, de même que l’automne et l’hiver sont des saisons de l’année. Les commençants ont à souffrir un premier degré de cette déréliction, les illuminés un autre et ceux qui ont approché d’une union réelle avec Dieu un troisième.

Mais tous doivent la souffrir, et chacun dans son propre degré, sinon le progrès est impossible. Prenons donc courage et affrontons cette peine à la lumière de cette Parole. Car, de même que nous pouvons sanctifier la souffrance corporelle par le souvenir des plaies du Sauveur, nous pouvons aussi sanctifier la souffrance spirituelle par le souvenir de ses ténèbres.

Si Celui qui ne quitta jamais la droite de son Père peut supporter une telle souffrance, et cela d’une façon unique et suprême, à quel point devrons-nous être satisfaits de la supporter à un degré infiniment moindre, nous qui avons continuellement, depuis le jour où nous sommes entrés dans l’âge de raison, abandonné non seulement notre place à ses côtés mais sa Maison elle-même.

Robert Hugh BENSON – Paradoxes du Catholicisme – Les Sept  Paroles (1913)

Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse