les murs enferment, les ponts font avancer

Le dialogue avec les musulmans et la déclaration sur Jérusalem comme un pas en avant fait par des frères, voilà ce que le Pape François a évoqué, en parlant avec les journalistes du vol papal à son retour du Maroc . Sur les migrants, il en appelle à la générosité de l’Europe.

Les relations avec l’Islam

Ainsi les premières posées sont sur les relations avec les musulmans. «On peut voir des fleurs, les fruits arriveront plus tard». Mais il est optimiste et revient sur la déclaration conjointe signée en février à Abou Dhabi comme un signe de paix et de fraternité. Au Maroc, cette fraternité était palpable. Cependant, il faudra poursuivre inlassablement le dialogue car il y aura certainement des obstacles sur le parcours.

Chaque religion a en son sein des groupes intégristes qui préfèrent construire des murs plutôt que des ponts. Or, celui qui construit un mur se condamne à l’isolement et à s’enfermer entre ses propres murs. Celui qui au contraire construit des ponts, parvient à avancer, à progresser. Cela demande de l’énergie, mais c’est essentiel pour la communication entre les hommes.

L’appel sur le libre accès à Jérusalem pour les trois grandes religions monothéistes, signé peu après son arrivée au Maroc samedi soir avec le roi Mohammed VI, est un pas en avant. Ce n’est pas un document signé par une autorité marocaine d’un côté et d’une autorité vaticane de l’autre.

C’est un document, signé par «des frères croyants qui souffrent de voir cette ville d’espérance manquer de l’universalité que tous réclament : juifs, musulmans et chrétiens». Le dialogue n’est pas «un laboratoire.» Bien au contraire, le dialogue est «humain».

Sur la liberté de conscience et de conversion dans les pays musulmans

«Je peux dire qu’au Maroc, il y a liberté de culte, il y a la liberté religieuse, il y a la liberté d’appartenance à une religion. Ensuite, la liberté se développe toujours, elle croît. Pensez à nous chrétiens, il y a 300 ans, s’il y avait cette liberté que nous avons aujourd’hui ? La foi croît dans la conscience, dans la capacité de se comprendre soi-même.»

Le Pape a cité le moine français Vincent de Lérins pour montrer comment croître dans la foi: «Croître dans l’explicitation de la foi et de la morale doit être… consolidée dans les années, élargie dans le temps, mais c’est la même foi, sublimée par les années.»

Les migrants : plus de générosité, moins de force

«Je n’arrive pas à accepter autant de cruauté et de noyades en méditerranée.» Certains pays se sont retrouvés avec «la patate chaude» tandis que les autres tournaient le dos. La solution doit être humaine. Elle ne peut être faite de fils barbelés, de centre de rétention plus ou moins officiels, de trafiquants qui revendent femmes et enfants et réduisent les hommes en esclaves.

«J’ai rencontré un dirigeant, un homme que je respecte» a dit le Pape. Il s’agit d’Alexis Tsipras, premier Ministre grec, qui lui faisait part des difficultés d’appliquer les accords pour freiner l’entrée des migrants. «Il m’a parlé avec son cœur». «Il m’a dit cette phrase : ‘les droits de l’homme passent avant les accords’. Et cette phrase mérite un prix Nobel». L’accueil, l’accompagnement et l’intégration restent les valeurs clés de la solution à élaborer.

Le Pape François a cité aussi Angela Merkel, la Chancelière allemande qui prône une politique d’investissements européens dans les pays d’émigration afin de relever le niveau d’éducation. Une façon de contrer par la générosité les phénomènes migratoires issus de la faim, de la soif et de la guerre.

Dossier Barbarin : pas de justice médiatique

Vient également une question sur le cardinal Philippe Barbarin, dont le procès en appel confirmera ou infirmera la condamnation en première instance pour non dénonciation d’abus sur mineurs. En attendant, le Pape insiste sur le fait que l’archevêque de Lyon doit être considéré innocent.

«Peut-être qu’il ne l’est pas… Lorsque la sentence du procès en appel arrivera, on verra.» Pour l’instant, les médias sont invités à réfléchir à deux fois avant de condamner «superficiellement», le cardinal «a pris un congé volontaire» en attendant la conclusion de l’appel.

la culture de la miséricorde

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS AU MAROC
30-31 MARS 2019

MESSE

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Complexe sportif Prince Moulay Abdellah (Rabat)
Dimanche 31 mars 2019


« Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers » (Lc 15, 20).

C’est de cette manière que l’Évangile nous place au cœur de la parabole qui montre l’attitude du père en voyant son fils revenir : touché au plus profond, il ne le laisse pas arriver à la maison, alors qu’il le surprend en courant à sa rencontre. Un enfant regretté et attendu. Un père ému lorsqu’il le voit revenir. Mais cela n’a pas été le seul moment où le père a couru. Sa joie serait incomplète sans la présence de son autre fils.

C’est pourquoi il sort aussi à sa rencontre pour l’inviter à participer à la fête (cf. v. 28). Mais, il semble que le fils aîné n’ait pas apprécié les festivités de bienvenue, que cela lui ait coûté de supporter la joie du père ; il ne salue pas le retour de son frère et dit : « ton fils que voilà » (v. 30). Pour lui, son frère demeure perdu, parce qu’il l’a déjà oublié dans son cœur.

Dans son incapacité à participer à la fête, non seulement il ne reconnaît pas son frère, mais il ne reconnaît pas non plus son père. Il préfère la situation d’orphelin à la fraternité, l’isolement à la rencontre, l’amertume à la fête.

Non seulement il lui est difficile de comprendre et de pardonner à son frère, mais il ne peut pas non plus accepter d’avoir un père capable de pardonner, prêt à attendre et à veiller afin que personne ne reste dehors ; en définitive, un père capable de ressentir de la compassion.

Sur le seuil de cette maison le mystère de notre humanité semble se manifester: d’un côté, il y a la fête pour le fils retrouvé, et, de l’autre, un certain sentiment de trahison et d’indignation provoqué par la fête de son retour.

D’un côté l’hospitalité pour celui qui a fait l’expérience de la misère et de la souffrance, et qui en était même arrivé à sentir et à vouloir se nourrir de ce que mangeaient les porcs ; de l’autre, l’irritation et la colère pour le fait d’avoir donné une telle accolade à qui n’en était pas digne ni le méritait. Ainsi, une fois de plus, est mise en lumière la tension vécue dans nos peuples et nos communautés, et aussi en nous-mêmes.

Une tension qui depuis Caïn et Abel nous habite et que nous sommes invités à regarder en face : qui a le droit de rester parmi nous, d’avoir une place à nos tables et dans nos assemblées, dans nos préoccupations et nos occupations, sur nos places et dans nos villes ? Cette question fratricide semble continuer à résonner : Est-ce que je suis le gardien de mon frère ? (cf. Gn 4, 9).

Sur le seuil de cette maison apparaissent les divisions et les affrontements, l’agressivité et les conflits qui frappent toujours aux portes de nos grands désirs, de nos luttes pour la fraternité et pour que toute personne puisse faire l’expérience dès maintenant de sa condition et de sa dignité de fils.

Mais dans le même temps, sur le seuil de cette maison brillera en toute clarté le désir du Père, sans élucubrations ni excuses qui lui enlèvent de la force : le désir que tous ses enfants prennent part à sa joie ; que personne ne vive dans des conditions inhumaines, comme le jeune fils, ni en orphelin, dans l’isolement ou l’amertume comme le fils aîné. Son cœur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité (cf. 1 Tm 2, 4).

Certes, les circonstances qui peuvent nourrir la division et la confrontation sont nombreuses ; les situations qui peuvent nous conduire à nous affronter et à nous diviser sont indiscutables. Nous ne pouvons pas le nier. La tentation de croire en la haine et en la vengeance comme moyens légitimes d’assurer la justice de manière rapide et efficace, nous menace toujours.

Mais l’expérience nous dit que la seule chose qu’apportent la haine, la division et la vengeance, c’est de tuer l’âme de nos peuples, d’empoisonner l’espérance de nos enfants, de détruire et d’emporter avec elles tout ce que nous aimons. C’est pourquoi Jésus nous invite à regarder et à contempler le cœur du Père. C’est seulement à partir de là que nous pourrons, chaque jour, nous redécouvrir frères.

C’est seulement à partir de ce vaste horizon, capable de nous aider à dépasser nos logiques à courte vue qui divisent, que nous serons en mesure de parvenir à un regard qui ne prétend pas clore ni abandonner nos différences en cherchant éventuellement une unité forcée ou la marginalisation silencieuse.

C’est seulement si, chaque jour, nous sommes capables de lever les yeux vers le ciel et de dire Notre Père, que nous pourrons entrer dans une dynamique qui nous permet de nous regarder et de prendre le risque de vivre, non pas comme des ennemis, mais comme des frères.

Le père dit à son fils aîné : « Tout ce qui est à moi est à toi » (Lc 15, 31). Et il ne se réfère pas seulement aux biens matériels mais au fait de participer aussi à son amour même et à sa propre compassion. C’est l’héritage et la richesse les plus grands du chrétien.

Pour que, plutôt que de nous évaluer et de nous classifier à partir de notre condition morale, sociale, ethnique ou religieuse, nous puissions reconnaître qu’il existe une autre condition, que personne ne pourra supprimer ni détruire puisqu’elle est pur don : la condition d’enfants aimés, attendus et célébrés par le Père.

« Tout ce qui est à moi est à toi », également ma capacité de compassion, nous dit le Père. Ne tombons pas dans la tentation de réduire notre appartenance de fils à une question de lois et d’interdictions, de devoirs et de conformités.

Notre appartenance et notre mission ne naîtront pas de volontarismes, de légalismes, de relativismes ou d’intégrismes mais de personnes croyantes qui supplieront tous les jours, avec humilité et constance : que ton Règne vienne sur nous.

La parabole évangélique présente une fin ouverte. Nous voyons le père prier son fils aîné d’entrer et de participer à la fête de la miséricorde. L’Évangéliste ne dit rien sur la décision que celui-ci a prise. Se sera-t-il joint à la fête ?

Nous pouvons penser que cette fin ouverte a été écrite pour que chaque communauté, chacun de nous, puisse l’écrire avec sa vie, avec son regard et son attitude envers les autres. Le chrétien sait que dans la maison du Père, il y a beaucoup de demeures, seuls restent dehors ceux qui ne veulent pas prendre part à sa joie.

Chers frères, chères sœurs, je veux vous remercier pour la manière dont vous rendez témoignage de l’Évangile de la miséricorde en ces lieux. Merci pour les efforts réalisés afin que vos communautés soient des oasis de miséricorde.

Je vous encourage à continuer en faisant grandir la culture de la miséricorde, une culture dans laquelle personne ne regarde l’autre avec indifférence ni ne détourne le regard quand il voit sa souffrance (cf. Lettre apostolique  Misericordia et misera, n. 20). Continuez auprès des petits et des pauvres, de ceux qui sont exclus, abandonnés et ignorés, continuez à être des signes de l’accolade et du cœur du Père.

Que le Miséricordieux et le Clément – comme l’invoquent si souvent nos frères et sœurs musulmans – vous fortifie et rende fécondes les œuvres de son amour.


© Copyright – Libreria Editrice Vaticana

les chemins de la mission passent par une rencontre avec le Christ

Lors d’une rencontre avec le clergé, les religieux et religieuses vivant au Maroc, le Pape a rappelé que le chrétien n’était pas le fruit d’un prosélytisme mais d’une rencontre avec le Christ. L’Église est appelée à entrer dans le dialogue de salut et de d’amitié que Dieu a ouvert avec le monde.

La petite cathédrale de Rabat a accueilli l’un des temps forts de cette deuxième et dernière journée du Pape au Maroc: la rencontre avec les prêtres, les consacré(e)s, -religieux et religieuses,  ainsi les membres du Conseil œcuménique des Églises qui réunit les 5 églises présentes dans le pays (catholique, anglicane, évangélique, grecque-orthodoxe et russe-orthodoxe). Également présents, plusieurs évêques de la CERNA (Conférence des évêques de la région Nord de l’Afrique).

La mission ne passe pas par le prosélytisme

Dans son discours, le Pape est longuement revenu sur la dimension très minoritaire de la présence chrétienne dans le royaume chérifien. «Cette réalité n’est pas un problème.» «Notre mission de baptisés, de prêtres, de consacrés, n’est pas déterminée particulièrement par le nombre ou par l’espace que nous occupons, mais par la capacité que l’on a de produire et de susciter changement, étonnement et compassion».

Il  s’agit d’être «signifiants». Être chrétien, «ce n’est pas adhérer à une doctrine, ni à un lieu de culte, ni à un groupe ethnique. Être chrétien, c’est une rencontre, (…) c’est se savoir pardonnés». Le chemin de la mission ne passe donc pas par le prosélytisme, citant son prédécesseur Benoît XVI: «l’Église ne grandit pas par prosélytisme, mais par attraction.»

Entrer en dialogue

Reprenant les mots de Saint Paul VI dans son encyclique Ecclesiam suam, le Pape François a assuré que l’Église, par fidélité à son Seigneur, devait entrer dans un «dialogue de salut et d’amitié» avec l’humanité, avec douceur et humilité, «sans calculs et sans limites, dans le respect de la liberté des personnes».

Le Pape a cité l’exemple de ces «frères ainés» qui ont emprunté ce chemin: saint François d’Assise et le Bienheureux Charles de Foucault. Ce faisant, l’Église «participe à l’avènement de la fraternité, qui a sa source profonde non pas en nous, mais dans la Paternité de Dieu».

Ce dialogue doit se vivre comme une intercession, «une prière qui ne fait pas de distinction, ne sépare pas et ne marginalise pas, mais qui se fait l’écho de la vie du prochain ; prière d’intercession qui est capable de dire au Père: ‘Que ton Règne vienne’. Non pas par la violence, non pas par la haine, ni par la suprématie ethnique, religieuse, économique, mais par la force de la compassion répandue sur la Croix pour tous les hommes.»

Le Pape a salué le travail accompli par ces prêtres, religieux et religieuses au Maroc : «ainsi vous démasquez et réussissez à mettre en évidence toutes les tentatives d’utiliser les différences et l’ignorance pour semer la peur, la haine et le conflit. Parce que nous savons que la peur et la haine, nourries et manipulées, déstabilisent et laissent spirituellement sans défense nos communautés».

La charité active est «chemin de dialogue et de coopération, la meilleure opportunité pour continuer à travailler en faveur d’une culture de la rencontre».

Une grande histoire à construire

«Merci pour votre présence humble et discrète. «Vous êtes des témoins d’une histoire qui est glorieuse parce qu’elle est une histoire de sacrifices, d’espérance, de lutte quotidienne, de vie consumée dans le service, de constance dans  le travail fatigant, parce que tout travail est à la sueur du front» C’est «une grande histoire à construire.»

Au début de la rencontre, -qui s’est terminée par la prière de l’Angélus-, le Pape a chaleureusement salué le frère Jean-Pierre Schumacher, le dernier survivant de la communauté des moines de Tibhirine (Algérie). Les deux se sont embrassé la main, sous les applaudissements émus de l’assistance. Le moine trappiste, aujourd’hui âgé de 94 ans, vit au monastère Notre-Dame de l’Atlas, à Midelt, au Maroc. Le Saint-Père a également rendu hommage sœur Ersilia, 97 ans, et franciscaine depuis… 80 ans.

site officiel en France