Prendre au sérieux l’amour du Christ… à partir des derniers

Le point de départ de Dilexi te est l’amour de Dieu pour une communauté faible, «exposée à la violence et au mépris» (1). Le pape rappelle qu’au-delà des définitions de la pauvreté, «les pauvres ne sont pas là par hasard ni en raison d’un destin aveugle et amer» (14). Ce sont des «structures de péchés qui créent pauvreté et inégalités extrêmes» (90-98).
Notre attention doit aller à ces personnes «plus faibles, plus misérables et plus souffrantes» (2) et en particulier les femmes, parfois «doublement pauvres» (12). Il ne s’agit pas seulement de combattre les causes structurelles de la pauvreté, mais aussi de rejoindre concrètement celles et ceux qui sont souvent loin de notre attention, pour vivre «avec eux et comme eux» (101).
Il faut être réaliste: «Nous nous sentons plus à l’aise sans les pauvres» (114). Ils bousculent nos habitudes, nous confrontent à des limites humaines que nous préférons ignorer. Le pape invite à déplacer notre regard. Les pauvres ne sont pas seulement un problème. Ils «sont une “question de famille”; ils sont “des nôtres”» (104), «des frères et sœurs à accueillir» (56) parce que Dieu lui-même les choisit le premier.
«C’est d’abord à eux que s’adresse la parole d’espérance et de libération du Seigneur» (21). Ce choix privilégié de Dieu peut nous mettre mal à l’aise. Nous préférerions un Dieu impartial. Certes le salut est pour tous. Mais il ne nous advient pas hors de relations concrètes (52). Là où nos logiques mondaines construisent à partir des forts et rejettent ceux qui ne peuvent participer, la logique de Dieu part de l’exclu, de la «pierre rejetée» (Ps117,22) pour faire advenir son Royaume.
L’engagement envers les pauvres n’est donc pas seulement une conséquence de notre foi. Il est une épiphanie, «un acte quasi liturgique» (61) car «on ne peut séparer le culte de Dieu de l’attention aux pauvres» (40).
«Dans cet appel à le reconnaître dans les pauvres et les souffrants, se révèle le cœur même du Christ» (3). «L’amour des pauvres (…) est la garantie évangélique d’une Église fidèle au cœur de Dieu» (103) et une communauté qui prétendrait «rester tranquille sans se préoccuper de manière créative» des pauvres est vouée à perdre sa vigueur évangélique (113).
Dilexi te rappelle la nécessité de s’engager pour les pauvres, de donner aux pauvres, en particulier à travers l’aumône (115-119). Mais il insiste pour que nous apprenions à agir avec eux. L’accélération des problèmes contemporains «n’a pas seulement été subie mais aussi affrontée et pensée par les pauvres» (82).
Il faut insister sur ce terme: les pauvres ont une pensée. C’est-à-dire que ceux-ci peuvent être acteurs et pas seulement «objets de notre compassion» (79) ou de nos politiques, qu’ils peuvent nous aider à analyser les problèmes et surtout qu’ils sont porteurs de vraies solutions.
Nous déplacer pour comprendre à partir d’eux est donc une nécessité car «la réalité se voit mieux à partir des marges et que les pauvres sont dotés d’une intelligence particulière, indispensable à l’Église et à l’humanité» (82). Apprendre de cette intelligence nous permet de mieux percevoir les logiques mondaines à l’œuvre dans la société, dans l’Église.
C’est à partir de cette intelligence que Dilexi te dénonce une politique ou une économie dominée par une «minorité heureuse» (92) qui accaparent les richesses et imposent «des sacrifices au peuple pour atteindre certains objectifs qui concernent les puissants» (93).
En résumé, Dilexi te articule une théologie de la révélation qui jaillit de la miséricorde engagée auprès des plus pauvres, une ecclésiologie de la diaconie comme critère de vérité, et une éthique sociale qui joint la main tendue au combat pour la justice.
Les derniers mots sont programmatiques d’une Église «qui ne met pas de limites à l’amour, qui ne connait pas d’ennemis à combattre mais seulement des hommes et des femmes à aimer» (120). Chaque personne précaire devrait pouvoir entendre pour elle: «Je t’ai aimé».
Voilà la promesse et notre boussole pour suivre et «imiter le Christ pauvre, nu et méprisé» (64), pour construire une société et une Église où «personne ne doit plus se sentir abandonné» (21).
Fr. Frédéric-Marie Le Méhauté, Provincial des Frères Mineurs de France/Belgique, docteur in théologie
lors de la conférence de presse de présentation de l’exhortation apostolique « Dilexi te » du Pape Léon XIV
Texte présenté par l’Association de la médaille Miraculeuse