Tous les articles par P. Jean-Daniel Planchot

Un autre regard

«La charité ne m’étonne pas. Ça n’est pas étonnant. Ces pauvres créatures sont si malheureuses qu’à moins d’avoir un cœur de pierre, comment n’auraient-elles point charité les unes des autres», selon un célèbre passage du Porche de la deuxième vertu de Charles Péguy. Mais en réalité, la miséricorde n’est pas tellement aimée.

 En 1980, dans la deuxième encyclique de son long pontificat, Dives in misericordia, Jean-Paul II observait déjà : « Plus peut-être que celle de l’homme d’autrefois, la mentalité contemporaine semble s’opposer au Dieu de miséricorde, et elle tend à éliminer de la vie et à ôter du cœur humain la notion même de miséricorde. Le mot et l’idée de miséricorde semblent mettre mal à l’aise l’homme qui, grâce à un développement scientifique et technique inconnu jusqu’ici, est devenu maître de la terre qu’il a soumise et dominée».

Il est utile de rappeler que l’amour de Dieu pour l’homme mystérieux, inexplicable, inlassable, «excessif» dirions-nous, en nous arrêtant à nos catégories de pensée limitées — ce n’est pas un accessoire, une décoration superflue, mais l’architrave de la vie de l’Église, comme le Pape François l’a réaffirmé dans de nombreux passages de la Bulle d’indiction de l’année jubilaire. C’est un principe fondateur, présent, placé à la racine même de la création.

Il y en a qui disent plus ou moins ce qui suit : tout vient du big bang et Dieu ne sert à rien. Des discours entendus, peut-être mal compris, peut-être simplifiés de manière erronée. Je ne sais pas. Mais un monde qui commence par hasard, sans cœur et sans âme, est tout simplement absurde ; il est sans logique et sans parfum, sans sens et sans beauté ». Dans un monde structurellement absurde, l’amour n’a pas droit de cité et encore moins le pardon. « Il est triste — lit-on dans la bulle d’indiction du Pape François — de voir combien l’expérience du pardon est toujours plus rare dans notre culture. Même le mot semble parfois disparaître. On ne peut repartir que de l’expérience concrète : celui qui a été pardonné sait bien que la gratuité existe.

extraits de l’article de Silvia Guidi – L’OSSERVATORE ROMANO, jeudi 10 mars 2016, p. 16

recréer le pont entre les femmes et l’Église

L’émancipation féminine, qui a ébranlé le monde occidental, constitue seulement le point culminant d’un changement d’époque, mûri dans les profondeurs de l’âme de tant de générations de femmes, en ce sens que le message chrétien a promu la femme depuis deux mille ans, sur la base de son texte fondateur, les Évangiles, qui sont le document le plus révolutionnaire et féministe du monde. En effet, le féminisme s’est affirmé dans des pays de racine chrétienne et peine beaucoup à imprégner les autres cultures. La révélation évangélique produit un dynamisme qui fait irruption dans l’histoire pour libérer, mais croît lentement au fil des siècles. Naturellement, le caractère revanchard et l’excès de la première saison ont été nécessaires pour briser les formes mentales pétrifiées perçues au niveau collectif comme étant congénitales.

A présent, les temps attendent que l’autorité féminine, capable de compenser le déséquilibre dû à la suprématie d’une partie de l’humanité sur l’autre (pas si différente de la prédominance des riches sur les pauvres), émerge des profondeurs où elle s’est silencieusement déposée au fil des millénaires. La nouveauté que l’on attend est à la fois très ancienne. Dans la tradition biblique, on ne projette pas sur Dieu les éléments anthropiques, mais l’inverse est vrai. Les caractéristiques de Dieu sont projetées sur l’homme. Le Dieu d’Israël combine ainsi toutes les caractéristiques des divinités masculines et féminines, l’homme et la femme en étant l’image et l’analogie. Cette complémentarité entre homme et femme, annoncée dans la Genèse, trouve néanmoins de grands obstacles à sa réalisation dans l’histoire. De la même façon, les qualités féminine et maternelle de Dieu demeurent complètement dans l’ombre par rapport aux prédominantes qualités masculine et paternelle.

On peut se demande à juste titre où est passée la Sagesse qui, d’après une certaine interprétation théologique, est vue comme la personnification féminine de l’être de Dieu et, étant associée à l’Esprit Saint, comme un élément maternel du Dieu trinitaire. Et c’est précisément la sagesse qui anime les grandes figures féminines de la Bible, des matriarches jusqu’à Marie. Cette Marie qui sait. Qui croit. Elle croit en la résurrection et le dimanche, elle ne se rend pas avec les femmes au sépulcre. Connaissance et foi se conjuguent admirablement dans ce troisième savoir du cœur, typique de l’âme féminine, qui sait voir l’invisible. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que la parité de genre est concrétisée uniquement par Jésus à travers la relation qu’il tisse avec les femmes et, s’il est vrai que le sens du christianisme réside dans la résurrection, le fait que le Christ ait choisi de se révéler sous sa forme nouvelle à une femme possède une très haute portée…

La connaissance féminine, comme fleuve souterrain, s’est transmise de génération en génération, avant de subir un arrêt. Notre monde déraciné manque du maternel, qui signifie soin. A l’égard de ceux qui naissent, de ceux qui sont malades, de ceux qui se rapprochent de la mort. Au fils des millénaires, les femmes ont constitué cette base silencieuse et cachée qui a soutenu la vie dans toutes ses formes. C’est la conscience d’être des instruments d’un profond processus de libération universel qui peut leur donner la force, pas tant du rachat que d’un authentique témoignage d’amour. Redécouvrir le mystère, l’attente patiente, car la maturation spirituelle en mesure de promouvoir le changement dans la société tout entière et ainsi également parmi les hommes, se produit lentement, en profondeur. L’Église, qui s’est toujours définie mère, ne peut renoncer à être une partie active de ce très important processus en développement.

 Antonella Lumini, extraits,  Osservatore Romano du 10 mars 2016, p.11 éd. française

Jésus et le statut des femmes

A l’époque de Jésus, parmi les pauvres, personne n’est plus pauvre qu’une veuve, une femme sans homme, donc sans droits ni protection. Le monde et la société dans laquelle Jésus vit et évolue sont fondamentalement structurés sur un modèle patriarcal ; les femmes sont socialement invisibles, d’une invisibilité typique d’une condition juridique de minorité, et même d’exclusion.

L’originalité du comportement du Christ doit être insérée dans cette vérité historique. De fait, Jésus voit, regarde, observe et conjugue sa vie avec celle des femmes qui le suivent, l’aiment et l’accompagnent jusqu’à la mort. Tandis que le regard de Simon le Pharisien (cf. Luc 7, 36) voit et juge, scrute et condamne en excluant, celui du Christ redresse, identifie et reconnaît. Ainsi, il invite tout le monde, femmes et hommes, au discernement, à se poser des questions et à la communion.

Dans cette optique, une vue panoramique sur l’histoire du christianisme conduit à considérer ces figures féminines, prophétiques et charismatiques qui, par leur autorité personnelle, durant des siècles agités, ont contribué à évangéliser un monde encore païen ou une Église hostile et divisée: les saintes Geneviève, Clotilde, Jeanne d’Arc, Hildegarde de Bingen, Catherine de Sienne, [sans parler bien sûr de Marie, la propre mère de Jésus, de la Samaritaine ou de la première à avoir vu le Ressuscité, Marie Madeleine]…

Tous ceux et celles qui ont eu cette rencontre à cœur ouvert avec Jésus ne peuvent s’empêcher d’aller le dire, de l’annoncer, de le proclamer, car c’est lui, le Christ, qui fait de tous les hommes et de toutes les femmes rencontrés le long de son chemin des témoins, des messagers et des apôtres. Il s’agit donc de vivre l’Église comme une communauté ouverte, intéressée par l’écoute de la différence, et de l’imaginer encore plus vivante et attrayante.

Extrait d’un article de Catherine Aubin, Osservatore Romano du 3 mars 2016, p. 15