Archives de catégorie : Méditation

sur un aspect de spiritualité : Christ, Vierge Marie, Église dans le monde…

« Il descendit aux enfers »

« Il descendit aux enfers »

SAMEDI SAINT

Lève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera (Ep 5,14)

Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre, un grand silence et une grande solitude… Dieu est mort dans la chair, et les enfers ont tressailli. Dieu s’est endormi pour un peu de temps, et il a réveillé du sommeil ceux qui séjournaient dans les enfers…

Il va chercher Adam, notre premier père, la brebis per­due. Il veut aller visiter tous ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort (Le 1,79). Il va délivrer de leurs douleurs Adam dans ses liens, et Eve captive avec lui, lui qui est en même temps leur Dieu et leur fils…

Tenant les armes victorieuses de la croix, le Seigneur fait son entrée. Et lorsque le premier père, Adam, le vit, plein de stupeur, il se frappa la poitrine, et cria aux autres : « Mon Seigneur soit avec vous tous ! »

Et le Christ répon­dit à Adam : « Et avec ton esprit ». Et lui ayant saisi la main, il lui dit : « Tiens-toi debout, toi qui dormais, lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera (Ep 5,14). Je suis ton Dieu et, à cause de toi, je suis devenu ton fils…

« Lève-toi, toi qui dormais, car je ne t’ai pas créé pour que tu séjournes ici enchaîné dans l’enfer. Surgis d’entre les morts, je suis la Vie des morts. Lève-toi, toi l’œuvre de mes mains, toi, mon effigie, qui as été faite à mon image. Lève-toi, et partons d’ici, car tu es en moi, et je suis en toi, nous formons tous deux une personne unique et indivisible.

« A cause de toi, moi, ton Dieu, je suis devenu ton fils ; à cause de toi, moi, le Seigneur, j’ai pris la forme d’escla­ve ; à cause de toi, moi, qui demeure au-dessus des cieux, je suis descendu sur la terre, et sous la terre. Pour toi, homme, je me suis fait comme un homme sans protection, libre entre les morts (Ps 87,5-6). Pour toi, qui es sorti du jardin, j’ai été livré aux Juifs dans le jardin, et j’ai été crucifié dans le jardin.

« Regarde sur mon visage les crachats que j’ai reçus pour toi, afin de te replacer dans l’antique paradis. Regarde sur mes joues la trace des soufflets que j’ai subis pour rétablir en mon image ta beauté détruite.

« Regarde sur mon dos la trace de la flagellation que j’ai reçue, afin de te décharger du fardeau de tes péchés, qui avait été imposé sur ton dos. Regarde mes mains, qui ont été solidement clouées au bois, à cause de toi, qui autrefois as mal étendu tes mains vers le bois…

«Je me suis endormi sur la croix, et la lance a percé mon côté à cause de toi, qui t’es endormi au paradis et as fait sortir Eve de ton côté. Mon côté a guéri la douleur de ton côté. Et mon sommeil te fait sortir maintenant du som­meil de l’enfer.

« Lève-toi, et partons d’ici, de la mort à la vie, de la cor­ruption à l’immortalité, des ténèbres à la lumière éternelle. Levez-vous, partons d’ici, et allons de la douleur à la joie, de la prison à la Jérusalem céleste, des chaînes à la liberté, de la captivité aux délices du paradis, de la terre au ciel.

« Mon Père céleste attend la brebis perdue, un trône de ché­rubin est prêt, les porteurs sont debout et attendent, la salle des noces est préparée, les tentes et les demeures éternelles sont ornées, les trésors de tout bien sont ouverts, le Royaume des cieux qui existait avant tous les siècles vous attend. »

Anonyme oriental du IVe siècle Homélie pour le Samedi Saint : PG 43, 444 à 464. Traduction de Hans Urs von Balthasar dans Dieu et l’homme d’aujourd’hui, DDB, 1958, p. 258-262.

MOIS DE SAINT JOSEPH – XXXe JOUR

MOIS DE SAINT JOSEPH – XXXe JOUR

Prééminence de saint Joseph sur les justes et les saints.

Saint Joseph patron de l’Église universelle église Saint Joseph Angers 49
Saint Joseph patron de l’Église universelle église Saint Joseph Angers 49

« On peut appliquer à saint Joseph ces paroles de saint Paul, dit saint Alphonse de Liguori : « Il a été autant au-dessus des anges qu’il a reçu un nom plus excellent que le leur : celui de père du Sauveur et d’époux «ai de la Vierge. »

Car plus un être se rapproche de son principe , d’après la doctrine de saint Thomas, plus il participe à l’effet de ce principe. Or nul n’a plus approché que saint Joseph du Christ, source de la grâce, et de la Vierge, canal universel de la grâce : donc nul après la Vierge n’a eu plus de part à la grâce du Christ Rédempteur.

« Il pouvait faire envie aux anges et défier le ciel tout ensemble, s’écrie saint François de Sales ; car qu’y a-t-il entre les anges de comparable à la Reine des anges, ou en Dieu de plus que Dieu ? » (S. François de Sales, Lettre à une veuve)

Aussi ce double titre de père du Sauveur et d’époux de la Vierge, qui, d’après saint Thomas, élève saint Joseph au-dessus de toute la hiérarchie des esprits bienheureux, lui fait en outre une place à part au milieu des justes de l’ancienne loi et des saints de la loi nouvelle.

I

Et d’abord, pour le comparer aux justes de l’ancienne loi, il réunit en sa seule personne tous les privilèges qui ont été séparément départis aux plus illustres d’entre eux, et il les possède à un degré plus éminent qu’aucun de ces hommes si favorisés de Dieu. En lui se continue la dignité des patriarches et des prophètes, en lui se termine la série des ancêtres du Christ, représentée par l’échelle mystique qui apparut à Jacob durant son sommeil.

Mais, plus heureux que les prophètes, saint Joseph a été le témoin et le coadjuteur de la rédemption qu’ils ont prédite, et, plus favorisé que les patriarches, il a vu naître, et il a appelé son fils, le Sauveur, dont ils avaient reçu la promesse, et qui devait être le fruit béni de leur postérité. Saint Joseph a été le père d’une race nouvelle, comme Abraham, puisqu’il a été le père de Celui qui venait apporter le salut du monde.

Il a été un homme selon le cœur de Dieu, comme David, et il a pénétré plus avant que le roi d’Israël dans le secret des conseils célestes : David n’a vu l’Homme-Dieu qu’à travers le voile des temps, saint Joseph l’a vu face à face.

II

La prééminence de saint Joseph sur les saints de la loi nouvelle, et même sur les plus illustres de tous, qui sont les apôtres, ne paraît pas moins évidente, lorsqu’on considère l’excellence du ministère et l’étendue des prérogatives de ce grand saint.

1° L’excellence de son ministère.

Les apôtres qui marchent en tête de l’Église sont les serviteurs du Christ, et les dispensateurs de ses mystères ; ils sont même, dans un certain sens mystique, appelés les pères du Christ, puisqu’ils l’engendrent dans le cœur des fidèles.

Mais saint Joseph n’est pas seulement le père de Notre-Seigneur en vertu de cette paternité spirituelle et allégorique; il l’est d’abord en vertu de son mariage, qui le rend {à l’époque] le maître et le supérieur de Marie, et, par conséquent, qui le rend participant et même possesseur de tous les biens accordés à cette créature privilégiée , sans en excepter le plus insigne de tous : son fils, Jésus-Christ.

Jésus-Christ appartient à saint Joseph, comme une gerbe qui s’est élevée dans son champ, et l’autorité de saint Joseph sur Marie s’étend jusqu’à l’Homme-Dieu, en tant que fils de cette bienheureuse Vierge.

Jésus-Christ appartient aussi à saint Joseph, en vertu des droits d’adoption, « Or, par l’adoption, dit saint Augustin, l’homme devient le fils de celui dont il n’est pas né, et dont les droits l’emportent désormais sur celui de son véritable père. Telle est la force du lien d’amour établi entre eux. A ce titre, saint Joseph fut donc le père de Notre-Seigneur; que dis-je, il le fut dans le sens le plus parfait. »

Saint Joseph n’a pas seulement le titre de père de Notre-Seigneur, il en a l’autorité, et il en exerce tous les droits. Il en a aussi l’affection, les soins, la sollicitude; et, par un juste retour, Jésus-Christ l’aime et l’honore comme son père. Tous ses travaux, toutes ses actions, il les accomplit auprès de Jésus. Il nourrit Jésus, il le réchauffe, il le garde, il lui enseigne l’état de charpentier.

Il vit toujours avec Jésus et ne vit que pour Jésus. Saint Jean-Baptiste et les apôtres ont, à la vérité, un ministère très-élevé, mais qui les place sous la dépendance du Christ. Saint Joseph, au contraire, par son ministère, est, en un certain sens, le supérieur du Christ, il lui impose son nom, il le conduit et le protège, comme chef de la sainte famille.

Le ministère des apôtres regarde directement l’ordre de la grâce ; celui de saint Joseph regarde directement l’ordre de l’union hypostatique, qui est plus parfait en son genre, dit Suarez. Les apôtres portent dans le monde entier le nom, la doctrine, la grâce du Christ. Joseph porte la personne même du Christ à Jérusalem et en Égypte, ces deux centres qui représentent le peuple de la promesse et la gentilité païenne, c’est-à-dire, tous les peuples de l’univers.

2° L’étendue de ses privilèges.

Aucun saint n’a jamais été revêtu de prérogatives semblables à celles que d’illustres docteurs s’accordent à reconnaître dans saint Joseph. « Dieu, dit saint Thomas, choisit et prépare ceux qu’il destine à remplir de grandes missions. »

Avec quel soin ne disposa-t-il pas de l’âme de ce Joseph, auquel il voulait confier la plus sublime de toutes! Il le prévint de grâces si éminentes que, selon l’opinion de plusieurs Pères de l’Église, il le sanctifia dès le sein de sa mère, lui accorda l’esprit de prophétie, et le confirma en grâce.

Mais en dehors de ces prérogatives spéciales, et dont on a pu contester l’existence, puisque l’Église n’en a rien affirmé, comment mettre en doute les grâces insignes dont saint Joseph a été comblé, en tant que père de Jésus-Christ et époux de Marie?

Aucun autre saint a-t- il reçu des faveurs aussi rares que celui qui, pendant trente ans, a joui de la présence, de la sagesse et des exemples de Notre-Seigneur; qui, pendant trente ans, a été uni à la plus parfaite des créatures ; qui a été le protecteur, le témoin de sa vie et l’imitateur de ses vertus?

Et comme rien ne surpasse l’amour d’une épouse pour son époux, celui d’un fils pour son père, aucune créature n’a possédé au même degré que saint Joseph l’amour de Jésus et de Marie, n’a pénétré plus avant dans les secrets de l’Homme-Dieu, et n’a imité plus parfaitement les vertus de sa bienheureuse Mère.

Aussi saint Joseph, marqué du sceau de cette mission privilégiée, ministre du Père éternel dans l’œuvre de la rédemption, son représentant et son image auprès de Jésus-Christ ; saint Joseph, époux de la plus pure des vierges, et correspondant à toutes ses grâces par une constante fidélité, a-t-il surpassé en mérites et en gloire les justes et les saints de tous les siècles.

« Bien loin que cette opinion soit téméraire, dit Suarez, je la crois selon la vérité et la piété » ; et l’on peut répéter, sur le père adoptif de Notre-Seigneur, la belle parole de saint Grégoire de Nazianze : « Dieu a réuni en saint Joseph, comme en un soleil, tout ce que les autres saints ont ensemble de splendeur. »

( Tiré de Francisco Suarez ( 1548-1617) et de Christophorus de Vega (1510-1573)

 

AU PIED DE LA CROIX

AU PIED DE LA CROIX

Marie est debout contre la croix comme pour l’étayer de son martyre.

au pied de la croix
au pied de la croix

Debout, là, cette Mère incomparable, autel vivant pour le sacrifice de son Fils : quelle vision ! Sans elle, combien plus faible et moins profond serait en nous le culte de la Vierge ! A part l’Ecce Homo, on se demande quel tableau pourrait fournir à l’amour une expression plus intime à la fois et plus éclatante.

L’amour rayonne ici dans l’âme douloureuse comme la blancheur du corps supplicié dans la nuit du Calvaire. Rembrandt a vu cela; toute sensibilité pieuse le comprend.

Mais comprenons aussi que, dans de telles extrémités de sentiment, tout doit être recueillement et silence. Ne troublons pas la Reine des Martyrs ; ne demandons rien à sa détresse que ce courage qui la tient debout, pleinement consentante, ne refusant pas sa poitrine au glaive, active par sa Compassion comme Jésus par sa Passion et sauvant avec lui le monde.

*

Il y a longtemps que son sacrifice est fait. Dès le début de sa mission maternelle, il lui a été demandé. La Passion devait s’engager aussitôt dans ce cœur, comme dans le corps et dans l’âme du divin Maître. Dieu a fait de Marie, en somme, le sacrificateur de son Fils. Que sont les bourreaux? De pauvres comparses, instruments insignifiants d’un plan éternel.

Angélico, avec son âme de saint, les voit enveloppés d’une surnaturelle atmosphère, animés de piété, pressant avec une religieuse tendresse les mains qu’ils doivent clouer, parce que ces mains, c’est le Christ qui les leur tend, c’est Marie qui les donne, et parce que l’amour est ici la seule chose qui compte, celle dont l’effet sort du temps et détermine l’éternel.

*

Toute la douleur du monde et tout l’amour du monde palpitent en ce moment dans la Mère du Verbe; elle est vraiment la Mère des douleurs et la Mère du pur amour; sa chair saigne sur cette croix; son cœur vibre au rythme ineffable issu de l’Amour vivant, son Époux éternel, et communiqué au Fils qui lui est en quelque sorte identique. « Venez et voyez s’il est une douleur pareille à ma douleur », mais aussi une pareille tendresse.

Ce n’est pas assez d’éprouver les affres; il faut en épuiser le sens. Marie y est préparée par tout ce qu’elle a « médité dans son cœur ». Contre cette poutre que l’amour dresse, elle rumine les considérants de l’entreprise rédemptrice, les pensées éternelles qui expliquent cette heure du temps, les lois sacrées qui exigent ce sacrifice et qui mesurent ce poids qu’à deux il faut porter.

*

Marie a enfanté Jésus à la vie de ce monde précisément pour l’enfanter aujourd’hui à la mort. « Presque morte avec lui », dit le Pape Benoît XV, elle nous le donne et se donne mille fois elle-même pour racheter l’insuffisance d’une simple créature. Elle se remémore les étapes et les explications que son Fils lui en a fournies.

Elle revit ces échappées successives qui le lui ont arraché en personne ou en ces grandioses propos qui étaient comme un glaive de séparation. C’étaient là, pour sa maternité charnelle, des anticipations de l’heure fatale, de l’heure insupportable à la chair. Mais l’esprit a le dessus; Marie donne son Fils; elle le donne et se soumet à ce pour quoi elle le donne.

Elle donne son Fils et prend nos péchés, comme Jésus les a pris lui-même. Ce sont nos péchés qui la crucifient, elle aussi. Le glaive de Siméon, c’est leur pointe. Dans les crevasses de la chair pantelante, plus sienne que la sienne même, elle les voit, pleins de virulence et d’horreur. Elle les voit, et elle nous aime. Elle les voit, et elle voit à côté, pour y penser uniquement, nos pauvres douleurs.

Jésus ne les a-t-il pas fraternellement assumées ? Elle s’unit à sa générosité de toute sa force d’âme et de toute sa miséricorde. Grâce à cette peine d’amour qu’elle nous offre, elle espère nous consoler, nous inviter à la confiance, se montrer, quand nous l’invoquerons, « notre vie, notre douceur et notre espérance », comme le chantera sa fille magnifique et douloureuse aussi, la sainte Église.

Du haut de la croix, une compassion en retour répond à la compassion de la Vierge. Rédempteur et Mère souffrent l’un de l’autre, et souffrent l’un par l’autre. Ils échangent pour ainsi dire leurs douleurs, les multiplient par reflets successifs, par échos qui se répètent et qui s’éternisent.

*

Les grands cris qu’on appelle les Sept Paroles secouent sans doute terriblement la Mère humainement si impuissante. Il a soif, Celui que son sein jadis désaltérait. Il se plaint de l’abandon divin avec un fragment d’hymne davidique qu’on récitait chaque jour, ensemble, autrefois, à Nazareth.

Quand il appelle le pardon sur l’inconscience des bourreaux et de ceux qui leur ressemblent, elle l’appelle avec lui. Quand il ouvre le ciel au larron — pauvre fils de Marie qui ne savait pas avoir une telle Mère ! — elle l’accueille. Le verset par lequel il va remettre son esprit aux mains de son Père, c’est elle qui le lui apprit en joignant ses petits doigts avec un pieux sourire.

Ne lui a-t-elle pas appris de même la grande prosternation de Gethsémani, et l’extension des bras, le soir, sous les étoiles, et l’agenouillement, et la lecture rythmée du Saint Livre, et tout ce qui remonte de religieux souvenirs dans sa mémoire fonctionnant à rebours, comme chez les mourants?

Tout à l’heure, la lance ne pourra plus torturer Jésus ; mais elle saura atteindre sa Mère. Son âme à elle, dans cette chair morte, devra survivre à celle de son Fils.

Dans ce corps d’homme qui ne sera plus vraiment un corps humain, n’ayant plus d’âme, mais qui sera toujours un corps divin, elle ancrera son adoration avec une détresse qui fera d’elle la Niobé chrétienne, la Pietà de marbre et de tendre chair qui défie la représentation, fût-ce dans ses chefs-d’œuvre.

*

Comme on comprend tout ce que cette Mère dolente ne dit pas, du moins on le soupçonne. Elle est debout ; elle agit silencieusement ; elle joue tous ses rôles ; ses privilèges sont jusqu’au bout justifiés; elle met en œuvre tout ce qu’elle est. Ainsi fera-t-elle dans les siècles des siècles.

Le Calvaire est le centre de cette action de Marie, l’aboutissement de sa vie, le départ de sa survie. Sa foi, qui prophétise en deux sens, lui commente le berceau où elle posa Jésus et le ciel où elle le députe. Elle le voit dans ce double gîte, Celui qui devait passer par son cœur deux fois, pour naître et pour partir.

C’est maintenant l’heure intermédiaire. C’est le second enfantement qui va s’accomplir. Entre eux deux, en union avec le Père et l’Esprit, se traite et s’organise la consommation.

P. Sertillanges