Le Pape François a consacré l’essentiel de l’audience générale de ce mercredi 5 juin 2019 à son récent voyage en Roumanie, accompli de vendredi à dimanche dernier.
PAPE FRANÇOIS
AUDIENCE GÉNÉRALE
Mercredi 5 juin 2019
Chers frères et sœurs, en fin de semaine dernière j’ai accompli un voyage apostolique en Roumanie. A travers les diverses rencontres, j’ai développé le thème de ce voyage, « marcher ensemble ».
En Roumanie, la plus grande partie des fidèles appartient à l’Église orthodoxe ; la communauté catholique quant à elle est vivante et active. L’union entre tous les chrétiens, encore incomplète, est fondée sur l’unique Baptême : elle est aussi scellée dans le sang et la souffrance subie ensemble dans les temps obscurs de la persécution.
Avec le Patriarche Daniel et le Saint Synode de l’Église Orthodoxe, nous avons eu une rencontre très cordiale, où j’ai répété la volonté de l’Église catholique de marcher ensemble vers la pleine unité.
L’importante dimension œcuménique du voyage a culminé dans la prière du Notre Père, patrimoine commun de tous les baptisés. Comme Communauté catholique, nous avons célébré trois Liturgies eucharistiques, à Bucarest, au sanctuaire de Sumuleu Ciuc, et à Blaj.
Dans ce centre de l’Eglise Gréco-Catholique en Roumanie, j’ai eu la joie de béatifier sept évêques martyrs, témoins de la liberté et de la miséricorde qui viennent de l’Évangile. La rencontre avec les jeunes et les familles, à Iasi, a été particulièrement intense et festive.
La dernière étape du voyage a été la visite à la Communauté Rom de Blaj, où j’ai renouvelé l’appel contre toute discrimination et pour le respect des personnes de toute ethnie, langue et religion.
Chers Frères et Sœurs, remercions Dieu pour ce voyage et demandons-lui, par l’intercession de la Vierge Marie, qu’il porte des fruits abondants pour la Roumanie et pour l’Église dans ce pays.
A quelques jours de la fête de la Pentecôte, je vous invite, vous aussi, à marcher ensemble sur les routes de la foi, et à accueillir la venue de l’Esprit Saint afin qu’il vous aide à être des témoins authentiques de l’amour du Seigneur pour tous. Que Dieu vous bénisse !
C’est le point d’orgue de ce 30e voyage apostolique du Pape François : au cours de la Divine Liturgie, le Saint-Père a proclamé bienheureux sept évêques gréco-catholiques, martyrs du communisme. À leur exemple, il a encouragé les Roumains à être témoins de liberté et de miséricorde et à s’élever contre les nouvelles idéologies aliénantes et mortifères.
VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS EN ROUMANIE
(31 MAI – 2 JUIN 2019)
DIVINE LITURGIE AVEC LA BÉATIFICATION DES 7 ÉVÊQUES GREC-CATHOLIQUES MARTYRS
HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE
Champ de la liberté (Blaj)
Dimanche 2 juin 2019
« Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » (Jn 9, 2). Cette question des disciples à Jésus enclenche une série de mouvements et d’actions qui se dérouleront dans tout le récit évangélique en révélant et en mettant en évidence ce qui aveugle réellement le cœur humain.
L’aveugle de naissance guéri
Jésus, comme ses disciples, voit l’aveugle de naissance ; il est capable de le reconnaître et de le mettre au centre. Au lieu d’expliquer que sa cécité n’était pas le fruit du péché, il mélange la poussière de la terre avec sa salive et la lui applique sur les yeux ; puis, il lui demande d’aller se laver dans la piscine de Siloé.
Après s’être lavé, l’aveugle retrouve la vue. Il est intéressant d’observer comment le miracle est raconté à peine en deux versets, tous les autres orientant l’attention non pas sur l’aveugle guéri mais sur les discussions qu’il suscite. Il semble que sa vie et surtout sa guérison deviennent banales, anecdotiques ou un élément de discussion, mais aussi d’irritation ou de colère.
Dans un premier temps, l’aveugle guéri est interrogé par la foule étonnée, puis par les pharisiens ; et ces derniers interrogent également ses parents. Ils mettent en doute l’identité de l’homme guéri ; puis ils nient l’action de Dieu, en prétextant que Dieu n’agit pas le jour du sabbat. Ils vont même jusqu’à douter que l’homme soit né aveugle.
La logique du Seigneur
Toute la scène et les discussions révèlent combien il est difficile de comprendre les actions et les priorités de Jésus, capable de mettre au centre celui qui était à la périphérie, surtout quand on pense que c’est le ‘‘sabbat’’ qui bénéficie du primat et non l’amour du Père qui cherche à sauver tous les hommes (cf.1Tm 2, 4).
L’aveugle devait coexister non seulement avec sa cécité mais aussi avec celle de ceux qui l’entouraient. Ainsi sont les résistances et les hostilités qui surgissent dans le cœur humain quand, au centre, au lieu des personnes, on met des intérêts particuliers, des étiquettes, des théories, des abstractions et des idéologies, qui ne font rien d’autre qu’aveugler tout et tous.
En revanche, la logique du Seigneur est différente : loin de se cacher dans l’inaction ou dans l’abstraction idéologique, il cherche la personne avec son visage, avec ses blessures et son histoire. Il va à sa rencontre et ne se laisse pas duper par les discours incapables d’accorder la priorité à ce qui est réellement important et de le mettre au centre.
Liberté et miséricorde
Ces terres connaissent bien la souffrance des gens lorsque le poids de l’idéologie ou d’un régime est plus fort que la vie et supplante même la vie et la foi des personnes comme norme ; lorsque la capacité de décision, la liberté et l’espace de créativité se voient réduits, voire éliminés (cf. Lettre Enc. Laudato si’, n. 108).
Chers frères et sœurs, vous avez souffert des discours et des actions fondés sur le mépris qui conduisent même à l’expulsion et à l’anéantissement de celui qui ne peut pas se défendre et font taire les voix discordantes. Pensons en particulier aux sept évêques gréco-catholiques que j’ai eu la joie de proclamer bienheureux ! Face à la féroce oppression du régime, ils ont fait preuve d’une foi et d’un amour exemplaires pour leur peuple.
Avec grand courage et force intérieure, ils ont accepté d’être soumis à la dure incarcération et à tout genre de mauvais traitements, pour ne pas renier leur appartenance à leur Église bien-aimée. Ces pasteurs, martyrs de la foi, ont recueilli et laissé au peuple roumain un précieux héritage que nous pouvons synthétiser en deux mots : liberté et miséricorde.
En pensant à la liberté, je ne peux pas ne pas observer que nous célébrons cette liturgie divine sur le ‘‘Champ de la liberté’’. Ce lieu significatif rappelle l’unité de votre peuple qui s’est réalisée dans la diversité des expressions religieuses : cela constitue un patrimoine spirituel qui enrichit et caractérise la culture et l’identité nationale roumaines.
Les nouveaux Bienheureux ont souffert et sacrifié leur vie, en s’opposant à un système idéologique totalitaire et coercitif en ce qui concerne les droits fondamentaux de la personne humaine.
Dans cette triste période, la vie de la communauté catholique était soumise à une rude épreuve par le régime dictatorial et athée : tous les évêques, et beaucoup de fidèles, de l’Église gréco-catholique et de l’Église catholique de rite latin ont été persécutés et emprisonnés.
L’autre aspect de l’héritage spirituel des nouveaux Bienheureux, est la miséricorde. Leur persévérance dans la profession de fidélité au Christ allait de pair avec la disposition au martyre sans aucune parole de haine envers leurs persécuteurs, pour lesquels ils ont eu une réelle douceur.
Ce qu’a déclaré durant son emprisonnement l’évêque Iuliu Hossu est éloquent : « Dieu nous a envoyés dans ces ténèbres de la souffrance pour accorder le pardon et prier pour la conversion de tous ». Ces paroles sont le symbole et la synthèse de l’attitude par laquelle ces Bienheureux, dans la période de l’épreuve, ont soutenu leur peuple en continuant à professer la foi sans faille et sans réserve.
Cette attitude de miséricorde envers les bourreaux est un message prophétique, car il se présente aujourd’hui comme une invitation pour tous à vaincre la rancœur par la charité et le pardon, en vivant avec cohérence et courage la foi chrétienne.
Mise en garde contre les nouvelles idéologies
Chers frères et sœurs, aujourd’hui également, réapparaissent de nouvelles idéologies qui, de manière subtile, cherchent à s’imposer et à déraciner nos peuples de leurs plus riches traditions culturelles et religieuses.
Des colonisations idéologiques qui déprécient la valeur de la personne, de la vie, du mariage et de la famille (cf. Exhort. ap. postsyn. Amoris laetitia, n. 40) et qui nuisent, par des propositions aliénantes, aussi athées que par le passé, surtout à nos jeunes et à nos enfants en les privant de racines pour grandir (cf. Exhort. Ap. Christus vivit, n. 78).
Et alors tout devient sans importance s’il ne sert pas à des intérêts personnels immédiats et pousse les personnes à profiter des autres et à les traiter comme de simples objets (cf. Lettre Enc. Laudato si’, nn. 123-124). Ce sont des voix qui, répandant la peur et la division, cherchent à éliminer et à enterrer le plus riche héritage que ces terres aient vu naître.
Je pense, en fait d’héritage, par exemple à l’Édit de Torda en 1568 qui sanctionnait toute sorte de radicalisme émettant – un des premiers cas en Europe – un acte de tolérance religieuse. Je voudrais vous encourager à porter la lumière de l’Évangile à nos contemporains et à continuer de lutter, comme ces Bienheureux contre ces nouvelles idéologies qui surgissent.
Maintenant, c’est à nous qu’il revient de lutter, comme ils ont eu à le faire en leurs temps. Puissiez-vous être des témoins de liberté et de miséricorde, en faisant prévaloir la fraternité et le dialogue sur les divisions, en renforçant la fraternité du sang, qui trouve son origine dans la période de souffrance où les chrétiens, divisés au cours de l’histoire, se sont découverts plus proches et solidaires !
Très chers frères et sœurs, que vous accompagnent dans votre cheminement la protection maternelle de la Vierge Marie, la Sainte Mère de Dieu, et l’intercession des nouveaux Bienheureux !
Lors du REGINA COELI, le Saint-Père a exprimé de nombreux remerciements au terme de la Divine Liturgie qu’il a présidée à Blaj ce dimanche. Il a également confié la Roumanie à la protection maternelle de la Vierge Marie.
«Je remercie le Seigneur qui m’a donné la possibilité de prier avec vous et d’encourager votre engagement d’évangélisation et de témoignage de la charité. Ici à Blaj, terre de martyre, de liberté et de miséricorde, je vous rends hommage, à vous fils de l’Église Greco-Catholique qui, depuis trois siècles, témoignez avec ardeur apostolique votre foi».
«Que la Vierge Marie étende sa protection maternelle sur tous les citoyens de la Roumanie qui, au cours de l’histoire, se sont toujours confiés à son intercession. Je vous confie tous à elle et je lui demande de vous conduire sur le chemin de la foi pour avancer vers un avenir d’authentique progrès et de paix et pour contribuer à la construction d’une patrie toujours plus juste, harmonieuse et fraternelle»
Qui étaient ces évêques martyrs ?
Ces sept évêques n’ont pas été directement assassinés, mais tous ont fait l’objet de mauvais traitements qui ont dégradé leur santé et, pour cinq d’entre eux, les ont mené à une mort précoce. Voici un résumé du parcours de chacun d’entre eux, dans l’ordre chronologique de leurs décès respectifs.
Vasile Aftenie (1899-1950)
Évêque auxiliaire de Blaj pour le Vicariat de Bucarest. Consacré évêque en juin 1940, il refusa la loi d’unification en 1948 et fut arrêté. A partir de mai 1949, il fut durant dix mois l’objet d’interrogatoires violents, sans rien concéder quant à son adhésion à la fois catholique. En mars 1950, il s’effondra dans sa cellule, atteint d’une paralysie partielle. Il mourut 45 jours plus tard.
Valeriu Traian Frentiu (1875-1952)
Évêque de Lugoj, d’Oradea et administrateur apostolique de Blaj. Doyen du groupe, évêque depuis 1912, il fut arrêté en 1948 à l’âge de 73 ans. Gravement malade, il s’éteindra en prison en 1952.
Ioan Suciu (1907-1953)
Évêque auxiliaire d’Oradea, administrateur apostolique de Blaj. Ordonné évêque en 1940 à seulement 33 ans, il fut un dynamique évangélisateur de la jeunesse, multipliant les parties de football, et montrant aussi une grande proximité avec la communauté Rom.
Fougueusement opposé à la dictature du Parti communiste, il fut arrêté en 1948 et fut soumis à des conditions de détention particulièrement dures. Il mourut de faim en 1953, entouré par les autres évêques dans leur cellule de la prison de Sighet. On sait qu’il fut enterré au cimetière des pauvres mais sa tombe n’a jamais pu être identifiée.
Tit Liviu Chinezu (1904-1955)
Évêque auxiliaire de Blaj. Son cas est particulier puisqu’il n’était que prêtre lors de son arrestation, mais fut ordonné évêque en cachette dans le camp de prisonniers du monastère orthodoxe de Caldarusani. Il ne put jamais exercer son ministère, mais partagea le chemin de Croix de ses frères évêques.
Quelques heures avant sa mort, il reçut le sacrement de la réconciliation des mains de Mgr Boros et Mgr Todea, deux évêques qui réussirent à entrer dans sa cellule en effectuant leur travail de balayeurs.
Ioan Balan (1880-1959)
Évêque de Lugoj. Ce brillant canoniste, membre de la commission vaticane pour la rédaction du droit canonique des Églises orientales, avait été ordonné évêque en 1936. Il fut détenu à partir de 1948, et fut ensuite placé à l’isolement au monastère orthodoxe de Ciorogarla, près de Bucarest, où il s’éteindra en 1959.
Alexandru Rusu (1884-1963)
Évêque de Maramures. Ordonné évêque en 1931, il fut alternativement placé en prison et à l’isolement dans des monastères orthodoxes. Considéré comme le plus “dangereux” des évêques, il fut le seul à être condamné par un tribunal et s’éteindra en 1963 à la prison de Gherla.
Cardinal Iuliu Hossu (1885-1970)
Évêque de Cluj-Gherla. Ordonné évêque en 1917, il fut chargé le 1er décembre 1918 de lire la Déclaration d’union de la Transylvanie à la Roumanie, lors de la Grande Assemblée Nationale d’Alba Iulia. A partir de 1948, il fut mis en détention, alternant des périodes en prison et en monastère.
Vers la fin de sa vie, dans un contexte de relative libéralisation du régime de Ceaucescu, quelques visites lui furent accordées. Il fut créé cardinal in pectore en 1969. Cette décision de Paul VI, qu’il avait en réalité refusé car il craignait d’être contraint à l’exil, ne fut révélée que trois ans après sa mort, en 1973.
Dans l’un de ses derniers écrits, rédigés à la façon d’un testament, le cardinal Hossu avait rédigé ces mots qui prennent un relief particulier aujourd’hui, alors que les sept évêques de l’Église gréco-catholique de Roumanie vivent leur ministère dans une filiation assumée avec ces sept martyrs :
«Reçois, Seigneur, le sacrifice qui t’a été offert par Tes serviteurs que Tu as fortifiés et éclairés, et place-le aux fondations de notre Église qui renait dans les douleurs de la grande épreuve ; fais, Seigneur, qu’une abondante récolte naisse de la semence enfouie par Tes serviteurs dans le sillon profond qu’ils tracèrent, aidés par Toi, afin que Ta gloire soit proclamée dans la renaissance de notre Église.»
L’Église gréco-catholique a retrouvé sa liberté en 1990, 20 ans après la mort du cardinal Hossu, et elle poursuit actuellement sa reconstruction, avec la participation active de nombreux témoins directs de ces années de Chemin de Croix. L’espérance pascale l’a emporté sur le projet de mort souhaité par Staline et ses complices en Roumanie.
Le rôle de Radio Vatican
Que ce soit en Roumanie, en République Tchèque, en Pologne ou en Hongrie, l’idéologie matérialiste athée portée par les régimes communistes condamna de nombreuses églises locales à la persécution ou à la clandestinité. Des milliers de prêtres et évêques furent pourchassés, arrêtés, torturés, déportés ou tués, laissant les fidèles démunis et privés de pasteurs, et donc, de la célébration des sacrements, dont l’Eucharistie.
En Roumanie, depuis la nuit du 28 au 29 novembre 1948, -qui vit l’arrestation de tous les évêques gréco-catholiques-, jusqu’au 25 décembre 1989, -qui marqua la fin du régime communiste-, l’unique Divine Liturgie que pouvaient suivre les fidèles était celle qui était alors retransmise sur les ondes de Radio Vatican.
Les bulletins d’information diffusés par la radio du Saint-Siège furent également presque les seuls à atteindre les pays situés de l’autre côté du rideau de fer. Écoutés à l’abri des oreilles indiscrètes, dans le secret des maisons, ils constituèrent pour beaucoup le seul lien avec le monde extérieur, et firent parvenir aux fidèles la sollicitude du Pape et de toute l’Église universelle.
À noter également, à propos de la liturgie de cette cérémonie: le calice et l’évangéliaire choisis ont été utilisés par Mgr Traian Frentiu, l’un des bienheureux évêques, le plus âgé au moment de l’arrestation des prélats gréco-catholiques roumains. Le siège de présidence a été réalisé avec du bois et des barres de fer venant respectivement des lits et des fenêtres des prisons dans lesquelles sont morts les nouveaux bienheureux.
Rencontre mariale avec des jeunes et des familles sur la place du palais de la culture à Iaşi, à l’est de la Roumanie, ce samedi 1er juin 2019. Le pape François invite chacun à rester enraciné dans sa propre histoire pour « briser » les « tranchées » et « ouvrir des routes qui lui rappellent son appartenance à des enfants et à des frères ». Il a rendu hommage «à la chaleur des familles», exhortant à s’épanouir dans l’amour, sans jamais oublier ses racines pour atteindre la félicité.
Tableau de Notre-Dame à Iasi
VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS EN ROUMANIE
(31 MAI – 2 JUIN 2019)
RENCONTRE MARIALE AVEC LES JEUNES ET LES FAMILLES
DISCOURS DU SAINT-PÈRE
Esplanade du Palais de la Culture (Iasi)
Samedi 1er juin 2019
Chers frères et sœurs, bonsoir !
Ici, avec vous, on sent la chaleur d’être en famille, entouré des petits et des grands. C’est facile, en vous voyant et en vous entendant, de se sentir chez soi. Le Pape parmi vous se sent chez lui. Merci pour votre accueil chaleureux et pour les témoignages que vous nous avez donnés.
Mgr Petru, comme un bon et fier père de famille, vous a tous pris dans ses bras avec ses paroles en vous présentant et tu l’as confirmé Eduard quand tu nous as dit que cette rencontre ne veut être ni seulement celle des jeunes, ni celle des adultes, ni celle des autres, mais que vous “avez désiré que nos parents et nos grands-parents soient avec nous ce soir”.
Le jour des enfants
Aujourd’hui sur ces terres, c’est la journée des enfants. Des applaudissements pour les enfants ! Je voudrais que la première chose que nous fassions soit de prier pour eux : demandons à la Vierge de les garder sous son manteau.
Jésus les a placés au milieu de ses apôtres, nous voulons nous aussi les placer au milieu et réaffirmer notre engagement à les aimer du même amour avec lequel le Seigneur les aime, en nous engageant à leur garantir le droit à un avenir. Voici un bel héritage : garantir aux enfants le droit à un avenir !
Je suis heureux de savoir que sur cette place, il y a le visage de la famille de Dieu qui embrasse des enfants, des jeunes, des couples mariés, des personnes consacrées, des anciens, roumains de diverses régions et traditions, ainsi que de la Moldavie, et même ceux qui sont venus de l’autre bord de la rivière Prut, les fidèles de langue csango, polonaise et russe.
L’Esprit Saint nous convoque tous et nous aide à découvrir la beauté d’être ensemble, de pouvoir nous rencontrer pour marcher ensemble. Chacun dans sa propre langue et sa propre tradition, mais heureux de se retrouver entre frères.
Avec cette joie que nous partageaient Elisabetta et Ioan, – tous deux sont à féliciter – avec leurs onze enfants, tous différents, arrivés de divers lieux, mais “ aujourd’hui ils sont tous réunis, tout comme il y a quelque temps, chaque dimanche matin, ils prenaient tous ensemble la route vers l’église”. La joie des parents de voir leurs enfants réunis. Je suis sûr qu’aujourd’hui, on fait la fête dans le ciel, en voyant tant d’enfants qui ont décidé d’être ensemble.
C’est l’expérience d’une nouvelle Pentecôte, comme nous l’avons entendu dans la lecture. Où l’Esprit embrasse nos différences et nous donne la force d’ouvrir des chemins d’espérance en tirant le meilleur de chacun; le même chemin que les apôtres ont commencé, il y a deux mille ans, et dont il nous appartient de prendre le relais aujourd’hui et de nous décider à semer. Nous ne pouvons pas attendre que d’autres le fassent, cela nous appartient. Nous sommes responsables ! Cela nous revient !
C’est difficile de marcher ensemble, n’est-ce pas ? C’est un don que nous devons demander, une œuvre artisanale que nous sommes appelés à construire et un beau don à transmettre. Mais par où commençons-nous à marcher ensemble ?
La «foi simple» des grands-mères
Je voudrais à nouveau “voler” les paroles de ces grands-parents, Elisabetta et Ioan. C’est beau de voir quand l’amour prend racine grâce au dévouement et à l’engagement, par le travail et la prière. L’amour a pris racine en vous et a donné beaucoup de fruit. Comme l’a dit Joël, quand jeunes et anciens se rencontrent, les grands-parents n’ont pas peur de rêver (cf. Jl 3,1).
Et cela a été votre rêve : “Nous rêvons qu’ils puissent se construire un avenir sans oublier d’où ils sont partis. Nous rêvons que tout notre peuple n’oublie pas ses racines”. Vous regardez vers l’avenir et vous ouvrez l’avenir pour vos enfants, pour vos petits-enfants, pour votre peuple, en offrant le meilleur de ce que vous avez appris sur votre chemin : qu’ils n’oublient pas d’où ils sont partis. Où qu’ils aillent, quoiqu’ils fassent, qu’ils n’oublient pas les racines.
C’est le même rêve, la même recommandation que Saint Paul a faite à Timothée : maintenir vivante la foi de sa mère et de sa grand-mère (Cf. 2 Tm 1, 5-7). Dans la mesure où tu grandis – dans tous les sens : fort, grand, et aussi en te faisant un nom – n’oublie pas la chose la plus belle et la plus précieuse que tu as apprise en famille.
C’est la sagesse que l’on reçoit avec les années : quand tu grandis, n’oublie pas ta mère et ta grand-mère et cette foi simple mais solide qui les caractérisait et qui leur donnait force et constance pour aller de l’avant et ne pas baisser les bras. C’est une invitation à rendre grâce et à réhabiliter la générosité, le courage, le désintéressement d’une foi “faite maison”, qui passe inaperçue mais qui construit peu à peu le Royaume de Dieu.
La foi entretient notre appartenance d’enfants
Certes, la foi qui “n’est pas cotée en bourse”, n’a rien à vendre, et comme nous le rappelait Eduard, elle peut sembler “ne servir à rien”. Mais la foi est un don qui maintient vivante une assurance profonde et belle : notre appartenance d’enfants, et d’enfants aimés de Dieu.
Dieu aime avec un amour de Père. Chaque vie, chacun de nous lui appartient. Et c’est une appartenance d’enfants, mais aussi de petits-enfants, d’époux, de grands-parents, d’amis, de voisins; une appartenance de frères.
La vie de chacun est amarrée à celle des autres
Le malin divise, disperse, sépare et crée la discorde, il sème la méfiance. Il veut que nous vivions “détachés” des autres et de nous-mêmes. L’Esprit, au contraire, nous rappelle que nous ne sommes pas des êtres anonymes, abstraits, des êtres sans visage, sans histoire, sans identité.
Nous ne sommes pas des êtres vides ni superficiels. Il existe un réseau spirituel très puissant qui nous unit, nous “connecte” et nous soutient et qui est plus puissant que tout autre type de connexion. Et ce réseau, ce sont les racines: savoir que nous nous appartenons les uns aux autres, que la vie de chacun est amarrée à la vie des autres. “Les jeunes s’épanouissent quand ils sont vraiment aimés”, disait Eduard.
Le bonheur personnel passe par celui des autres
Tous, nous nous épanouissons quand nous nous sentons aimés. Parce que l’amour prend racine et nous invite à les porter dans la vie des autres. Comme ces belles paroles de votre poète national qui souhaitait à sa douce Roumanie que “tes enfants vivent seulement dans la fraternité, comme les étoiles de la nuit” (M. EMINESCU, “Ce que je te souhaite, douce Roumanie”).
Eminescu était un adulte, il avait grandi, s’était senti mûr, mais en plus, il avait le sens de la fraternité, et pour cela il veut que la Roumanie, que tous les roumains soient frères ‘‘comme les étoiles de la nuit’’. Nous appartenons les uns aux autres et le bonheur personnel passe par le fait de rendre les autres heureux. Tout le reste, ce sont des fables.
Pour marcher ensemble là où tu es, n’oublie pas ce que tu as appris en famille. N’oublie pas tes racines !
Sans amour et sans Dieu, aucun homme ne peut vivre sur terre
Cela m’a rappelé la prophétie d’un saint ermite de ces terres. Un jour, le moine Galaction Ilie du Monastère Sihăstria, marchant avec les moutons sur la montagne, rencontra un saint ermite qu’il connaissait et lui demanda: “Dis-moi, père, quand sera la fin du monde ?”
Et le vénérable ermite, soupirant du fond du cœur, dit : “Père Galaction, sais-tu quand sera la fin du monde ? Quand il n’y aura plus de sentiers de voisin à voisin ! C’est-à-dire, quand il n’y aura plus d’amour chrétien et de compréhension entre frères, parents, chrétiens et entre peuples ! Quand les personnes n’aimeront plus, ce sera vraiment la fin du monde. Parce que sans amour et sans Dieu, aucun homme ne peut vivre sur la terre !
La vie commencera à s’éteindre et à flétrir, notre cœur cessera de battre et se dessèchera, les anciens ne rêveront plus et les jeunes ne prophétiseront plus, quand il n’y aura plus de sentiers de voisin à voisin… Parce que sans amour et sans Dieu, aucun homme ne peut vivre sur la terre.
Eduard nous a dit que lui, comme tant d’autres dans son pays, essaie de vivre la foi au milieu de nombreuses provocations. Il y a vraiment beaucoup de provocations qui peuvent nous décourager et nous fermer en nous-mêmes. Nous ne pouvons pas le nier, nous ne pouvons pas faire comme si de rien n’était. Les difficultés existent et elles sont évidentes.
Mais cela ne peut pas nous faire perdre de vue que la foi nous donne la plus grande des provocations : celle qui, loin de t’enfermer ou de t’isoler, fait germer le meilleur de chacun. Le Seigneur est le premier à nous provoquer et à nous dire que le pire vient “quand il n’y aura plus de sentiers de voisin à voisin”, quand nous voyons plus de tranchées que de chemins.
Le Seigneur est celui qui nous offre un chant plus fort que celui de toutes les sirènes qui veulent paralyser notre marche. Et il le fait de la même manière : en entonnant un chant plus beau et plus attirant.
Le Seigneur nous donne à tous une vocation qui est une provocation pour nous faire découvrir les talents et les capacités que nous possédons et pour que nous les mettions au service des autres. Il nous demande d’user de notre liberté comme liberté de choix, de dire “oui” à un projet d’amour, à un visage, à un regard.
C’est une liberté bien plus grande que de pouvoir consommer et acheter des choses. Une vocation qui nous met en mouvement, qui nous fait supprimer des tranchées et ouvrir des chemins qui nous rappellent notre appartenance d’enfants et de frères.
Dans cette capitale historique et culturelle du Pays, on partait ensemble – au Moyen-Âge – comme pèlerins par la Via Transilvana, pour Saint Jacques de Compostelle. Aujourd’hui, vivent ici de nombreux étudiants de diverses parties du monde.
Je me souviens d’une rencontre virtuelle que nous avons eue, en mars, avec Scholas Occurentes, dans laquelle on me disait aussi que cette ville, durant cette année, est la capitale nationale de la jeunesse. Est-ce vrai ? Est-ce vrai que cette ville, cette année, est la capitale nationale de la jeunesse ? [Les jeunes répondent : ‘‘Oui !’’]. Vivent les jeunes !
Deux très bons éléments : une ville qui historiquement sait ouvrir et initier des processus – comme le chemin de Compostelle – ; une ville qui sait accueillir des jeunes provenant de diverses parties du monde comme actuellement.
Deux caractéristiques qui rappellent les potentialités et la grande mission que vous pouvez développer : ouvrir des chemins pour marcher ensemble et réaliser ce rêve des grands-parents qui est une prophétie : sans amour et sans Dieu, aucun homme ne peut vivre sur la terre.
D’ici, aujourd’hui, peuvent partir de nouvelles voies d’avenir vers l’Europe et vers tant d’autres lieux du monde. Jeunes, vous êtes des pèlerins du XXIe siècle, capables d’imaginer de manière nouvelle les liens qui nous unissent.
La Roumanie, jardin de la Mère de Dieu
Mais il ne s’agit pas de créer de grands programmes ni de grands projets, mais de laisser grandir la foi, de permettre aux racines de nous apporter la sève. Comme je vous le disais au début: la foi ne se transmet pas seulement avec les paroles, mais par des gestes, des regards, des caresses comme celles de nos mères, de nos grands-mères; avec la saveur des choses que nous avons apprises à la maison, de manière simple et authentique.
Là où il y a beaucoup de bruit, que nous sachions écouter;
là où il y a de la confusion, que nous inspirions de l’harmonie;
là où tout se revêt d’ambiguïté, que nous puissions mettre de la clarté;
là où il y a de l’exclusion, que nous apportions du partage;
au milieu du sensationnalisme, des messages et des nouvelles rapides, que nous prenions soin de l’intégrité des autres;
au milieu de l’agressivité, que nous donnions la priorité à la paix;
au milieu du mensonge, que nous apportions la vérité;
qu’en tout, en tout nous privilégions l’ouverture de chemins pour sentir cette appartenance d’enfants et de frères (cf. Message pour la 52ème Journée mondiale des Communications Sociales 2018).
Ces dernières paroles que j’ai prononcées portent la marque de la ‘‘musique’’ de François d’Assise. Vous savez ce que conseillait saint François d’Assise à ses frères pour transmettre la foi ? Il disait ceci : ‘‘Allez, prêchez l’Évangile et, si nécessaire, également par les paroles’’. [Applaudissements]. Ces applaudissements sont pour saint François d’Assise !
Je suis sur le point de finir, il reste un paragraphe, mais je ne peux m’empêcher de faire part d’une expérience que j’ai vécue lors de mon entrée sur la place. Il y avait une femme âgée, d’un certain âge, une grand-mère. Elle portait dans ses bras son petit-fils d’environ deux mois, pas plus. Quand je suis passé, elle me l’a fait voir.
Elle souriait, et elle arborait un sourire de complicité, comme pour me dire : ‘‘Regarde, à présent, je peux rêver’’. Sur le champ, j’ai été pris d’émotion et je n’ai pas eu le courage d’aller la chercher pour la conduire ici devant. C’est pourquoi j’en parle. Les grands-parents nourrissent des rêves quand leurs petits-fils progressent et les petits-fils ont du courage lorsqu’ils prennent racines des grands-parents.
La Roumanie est le “jardin de la Mère de Dieu” et dans cette rencontre, j’ai pu m’en rendre compte, parce qu’elle est une Mère qui cultive les rêves de ses enfants, qui en garde les espérances, qui apporte la joie dans la maison. C’est une Mère tendre et concrète qui prend soin de nous.
Vous êtes la communauté vivante et florissante, pleine d’espérance que nous pouvons offrir à notre Mère. A elle, à la Mère, nous consacrons l’avenir des jeunes, l’avenir des familles et de l’Église. Mulțumesc! [Merci!]