La médaille miraculeuse et le credo I

I – La Terre et le Ciel

Vierge au globeLa médaille miraculeuse nous montre Marie sur la Terre environnée du Ciel : Présence du Père des Cieux, leur Créateur

« Je suis la Servante du Seigneur »

Vous connaissez la médaille, du moins dans son apparence. Vous connaissez son avers avec la Vierge Marie posant les pieds sur la Terre et tenant la tête du serpent hors de portée de nuire. Vous connaissez l’inscription qui l’entoure : «Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous !»

Nous verrons plus tard l’envers de la médaille miraculeuse. Pour aujourd’hui, nous fixons notre regard sur cette première face.

Quand nous réfléchissons à son sens, nous pouvons dire qu’il y a une allusion évidente aux premières pages de notre Bible. La Terre, présentée sous forme de boule sphérique, suppose un Ciel environnant, sans parler des étoiles dont on trouve trace sur l’envers de la Médaille. Et Marie représente notre Genre humain, qui trouve grâce près de Dieu: c’est tout le sens des rayons issus de ses mains.
Ces éléments nous renvoient donc d’abord à la Création de notre monde. Marie nous invite, en quelque sorte, à nous élever vers celui qui est l’Auteur de la Création, à nous élever vers notre Dieu qui nous donne vie et existence, comme grâce suprême qu’il nous communique.
Levons les yeux vers les symboles du Credo qui ne sont pas des propositions philosophiques à débattre, de ces pensées que l’on épuise, de ces idées qui ne font pas au ciel une étoile de plus, sur la terre un malheur de moins, mais des objets de contemplation inépuisables. Car ils réunissent en eux ce que la raison est habituée à disjoindre. Ils attirent l’esprit au-delà des faibles espérances que cet esprit tire de lui-même pour l’établir dans l’ordre de charité divine, cause et thème unique du discours de l’univers. Avec Marie alors, nous disons :
«je crois».
Elle nous fait comprendre que croire, c’est apprendre à penser comme Dieu. L’acte de foi est l’acte intrépide. Pour Marie, la suprême audace de l’âme donne congé à ses propres pensées, oublie ce qu’elle croit savoir, néglige les enseignements inutiles du doute, prend parti de s’exposer à l’invisible, à l’infini, et de consacrer sa virginité à la Lumière.
C’est le premier article de notre Credo dont il s’agit vraiment ici. Il convient donc de le relire ensemble dans la forme la plus simple que nous connaissons : le symbole des Apôtres.

«Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre».

«Je crois» : c’est l’attitude du croyant qui exprime personnellement sa foi. C’est l’exemple de la Vierge Marie sur la Médaille. Sans sa foi, tout le mystère du salut que nous connaissons ne se serait pas déroulé de la façon que nous connaissons. Marie est la croyante par excellence. Elle fait confiance à son Créateur et, face à lui, s’exprime comme «la Servante du Seigneur». Aussi ne lui demandez pas s’il faut croire. Il le faut. Rien n’est plus nécessaire. Aux ruines morales qui nous environnent, aux crimes qui se commettent contre l’humanité, aux fils barbelés comme une couronne d’épines autour de la terre, nous voyons bien que la raison déraisonne et ne sait bâtir que des prisons quand sa force contraignante n’est pas adoucie par la grâce de l’humilité. Nous voyons bien que l’homme n’a jamais eu de vraie sagesse que lorsqu’il a cru et que loin de l’égarer ou de l’asservir, la foi sauve la raison. Quand elle dit «Tout-puissant» la foi n’évoque pas l’arsenal d’un despotisme, mais la lueur et l’éclat d’une inimaginable humilité.
Et tous les attributs que nous décernons à Dieu ne sont que les retombées visibles de son intime charité. La puissance, qui chez les hommes est faite de nos abdications, n’est en Dieu que l’effet de la sienne. La foi, qui est en nous comme le souvenir d’un autre monde, nous rappelle qu’en celui-ci l’ordre des choses est à l’inverse du nôtre, et qu’en lui la grandeur est un attribut de l’effacement.
Nous avons fait assez l’expérience de la haine pour savoir que la vérité ne vient pas du monde. Oui, l’être humain ne peut parfaitement être lui-même que lorsqu’il reconnaît sur lui-même les droits souverains de son Dieu Créateur. L’homme n’est pas maître unique de lui-même. La Vierge Marie sur la médaille nous ramène à Celui qui est notre source et notre fin.
Le Seigneur Dieu attache de l’importance à la révélation de son mystère et au premier commandement qu’est l’adoration, par où, comme Marie, nous reconnaissons notre dépendance totale à l’égard de notre Dieu. Comme elle, nous pouvons entrer en relation personnelle avec notre Créateur et Père, nous présenter à lui et connaître par expérience la grandeur souveraine de notre Dieu. Marie nous invite, sur la médaille, à nous ordonner vers Dieu, pour le connaître et l’aimer, pour acquérir, comme elle, des mœurs divines.
Notre vraie grandeur n’est pas tant d’aller vers un Dieu lointain, hypothétique, voire imaginaire que de tendre la main, les mains, à ses semblables en les aimant, en les aidant, en s’oubliant vraiment pour eux. Marie nous suggère que la vraie religion n’est pas tant de se rapporter à un Dieu inconnu qu’on ignore, une sorte de grand horloger, cher à Voltaire et à certains philosophes, que de se livrer à ses frères pour les sauver, d’unir les hommes entre eux, au nom de son Fils et comme il l’a fait. Et ainsi de découvrir le visage du Père des Cieux.

La foi en Dieu Père

Il ne s’agit pas d’abolir l’acte d’adoration pour une pure entraide humaine. Car Dieu se sert de l’adoration la plus silencieuse, la plus spirituelle, voire la plus cachée pour unir les hommes avec les liens d’amour les plus forts, ceux qui unissent la mère et le fils, celle qui doit se réaliser dans les membres du Christ. Nous sommes sûrs qu’il n’est pas d’homme de bonne volonté qui ne puisse connaître la joie et l’émerveillement de rencontrer le Dieu vivant :
« Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob,
non des philosophes et des savants.
Certitude, certitude, joie, paix.
[Telle] est la vie éternelle :
qu’ils te connaissent seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé,
Jésus-Christ
. »
Extrait de la page que Pascal a écrite dans sa nuit d’extase, le 23 novembre 1654, et qu’il portait toujours sur lui, citant l’Évangile de saint Jean 17,3.

Je crois et, par la foi, c’est en Jésus-Christ que nous découvrons Dieu. Ce Dieu révélé offre à l’homme des profondeurs infinies que la seule raison ne soupçonne pas.
Avoir foi en quelqu’un, c’est se fier à lui, c’est admettre comme vrai tout ce qu’il nous dit, à cause de la confiance que nous avons en lui. L’enfant croit ce que lui dit sa mère. Le disciple admet comme vrai ce qu’enseigne un maître en qui il a foi.
Ce que la raison ne peut nous dire de Dieu, nous le demandons à des témoins de Dieu et au témoin par excellence : Jésus-Christ, le Fils de Marie. Nous ne pouvons donc connaître Dieu que s’il veut bien se faire connaître à nous, se révéler, nous parler. Nous avons foi en Dieu qui nous a parlé et continue de nous parler.
Comment Dieu nous parle-t-il ? Ou pouvons-nous entendre cette Parole ? Dans la Bible bien sûr. Et sa parole est efficace en ce qu’elle réalise ce qu’elle dit. Dieu nous parle donc par des actes, par des faits, par des événements. La création est la première parole de Dieu, une parole éternelle de Dieu. Le monde est un signe par lequel Dieu nous fait signe. A travers l’univers, Dieu même se révèle et transparaît. Mais surtout Dieu nous a parlé dans l’histoire humaine, notamment celle d’Israël, jusqu’au jour où la Parole même de Dieu a pris chair en Jésus de Nazareth, qui va naître de la Vierge Marie, et où nous avons entendu, vu et touché la Parole de vie.

Le Toucher de Dieu et celui de l’homme

Ce toucher s’exprime par les mains, par les doigts de Marie sur la médaille, comme les mains du potier au début de la création.
Selon Paul Claudel, il y a le toucher de Dieu sur l’âme et il y a le toucher de l’âme à Dieu. Le toucher est par excellence l’instrument de notre volonté, et cette volonté s’attache à l’exploration et à la connaissance, – car nous disons que nous ne connaissons rien si nous ne l’avons vu et touché, si nous ne l’avons vérifié et éprouvé au contact de notre propre identité – ou à une modification dirigée par le raisonnement et par l’effort. A l’extrémité de nos deux bras, la main est une réduction de nous-mêmes, sous la forme d’étoile à cinq rayons. Et nous l’appliquons à l’expérience ou à l’œuvre dont les circonstances ont placé la réalisation à notre portée.
Ce n’est pas sans raison que la Bible à chaque page nous parle de la main de Dieu ou des doigts de Dieu, en qui toute connaissance est action. A Florence, dans une cellule du couvent dominicain de San Marco, Fra Angelico a dessiné des mains pour exprimer la création de Dieu, la bénédiction et les guérisons de Jésus, voire les mains qui l’ont tenu ou frappé. Plus tard, sur le plafond de la Chapelle Sixtine, Michel-Ange représentera le Créateur tendant encore sa main vers celle d’Adam qu’il vient de créer. Le Créateur possède toute sa Création avec Lui, chaque être à son ordre en Lui et à son mode.
Dans l’immense corps des êtres, il y a pourtant une unité qui s’est soustraite au contact, à la communication et à l’obéissance. Dieu tout à coup s’aperçoit que son enfant n’est plus là. Il l’appelle, Il le cherche, Il le redemande à tous les arbres du Paradis : « Adam, où es-tu ? » Mais Adam se cache. Il s’est rendu compte de sa peau, de sa limite, de sa forme, de sa propre personnalité frémissante. Il essaye de dérober à Dieu ce pouvoir en lui d’origine dont il a été fait dépositaire, il voit qu’il est nu et, à ce vêtement de grâce et de lumière dont Dieu se préparait à l’envelopper, il préfère pour s’y réfugier comme le serpent un abri de feuilles. Maintenant c’est fait. Adam est parti comme l’Enfant Prodigue. Le Bon Pasteur aura à se donner du mal pour retrouver cet égaré.
La main de Dieu à l’œuvre ! l’Évangile nous la montre. Ce n’est plus seulement sur la pierre du Sinaï qu’elle trace ses commandements, c’est sur la chair vivante et frémissante de ses créatures qu’elle inscrit les propositions de l’amour. Lui qui d’un peu d’argile entre Ses paumes a fait l’homme. Le voilà qui le retouche.
Il nous touche – et l’Église répète humblement quelque chose de ces gestes, à la veille de notre seconde naissance – le front, voire naguère les yeux, les oreilles, la langue. Il nous prend par la main. Il nous enveloppe tout entiers de l’accent de Sa parole irrésistible. La mort même ne Lui oppose pas de résistance.
Et il y a toujours un endroit pour L’accueillir qui ne Lui fera pas défaut et où la plupart des gens n’auront pas l’idée de le chercher, c’est notre propre cœur.
A cette action de la main Divine, la prise en nous ne fait pas défaut. La vie, les infirmités, ont déterminé en nous toutes sortes de reliefs, à quoi la Providence trouve son compte. « Il a introduit, dit le Cantique des Cantiques, Sa main par la fissure et tout ce qui m’est intérieur est entré en émoi » (5, 4). « La main de Dieu m’a touché ! » dit Job, et après lui tous les torturés de l’Ancien et du Nouveau Testaments.
L’homme à son Créateur peut refuser son intelligence, il ne peut pas Lui refuser ses poumons. A peine a-t-il achevé contre Lui de proférer ses dénégations et ses blasphèmes qu’il est obligé sous peine de mort de lui redemander ce souffle qui l’a créé et de l’introduire jusqu’aux fondements mêmes de son identité. C’est ainsi que Dieu touche l’homme.
Mais examinons maintenant comment l’homme à son tour va s’y prendre pour toucher Dieu. C’est à quoi a pourvu le mystère de la Présentation. A ce mystère joyeux, qui sert de thème à la quatrième dizaine de notre chapelet, le Vieillard Siméon, à qui la vieille Anne sert d’écho, au nom de toute l’ancienne Loi, au nom de tout ce qui depuis le temps de Moïse est l’attente d’Israël, le Vieillard Siméon tend ses mains pour recevoir de celles de la Vierge Immaculée, de cette longue attente, la rançon d’Eve, ce petit enfant, pour le prendre et le serrer contre son cœur, lui qui est le Dieu fait chair. Et de ce groupe s’exprime un chant de triomphe dont les échos vont rouler d’âge en âge à travers toutes les églises chrétiennes : « Ce que nos yeux ont vu, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie !» (Jn. 1,1).
Ainsi l’incrédulité de Thomas est confondue, puisqu’il ne lui suffit pas de voir et qu’il veut toucher ! « Mets tes doigts dans les trous de mes mains et dans ceux de mes pieds et dans cette blessure de mon côté! » Cette blessure, c’est à notre tour de la constater. Ce ne sont plus les cieux seulement qui sont rompus, c’est Dieu même qui S’ouvre et qui guide la main jusqu’aux jointures de Son opération et jusqu’aux battements de Son Cœur. Mais je désire terminer par deux images : celle de Samson aveugle qui cherche d’un côté et de l’autre les colonnes destinées à servir de point d’appui à sa force reconquise pour la destruction des ennemis de la foi ; et celle de Marie-Madeleine dont les lèvres cherchent ces pieds préparés au froid de la mort.

L’Alliance dans l’Histoire

Oui, la création est bien une entreprise de Dieu pour s’adjoindre des êtres dignes de son amour, et pour se les adjoindre dans l’intimité d’une alliance. Cette alliance manifeste la générosité libre et gratuite de Dieu. Elle est «grâce». En face l’homme est libre de consentir. Sa confiance, sa foi est nécessaire, elle est attendue de Dieu.
Toute perception de Dieu est en même temps une mission. Cette alliance que Dieu a promise à Abraham pour toute sa descendance, comme le dit Marie dans son Magnificat, il va la réaliser concrètement et l’organiser avec Moïse. Abraham avait compris que Dieu était « le Dieu au-dessus, le Très-Haut qui créa ciel et terre » et qui intervient dans l’histoire. A Moïse est révélé le Nom au-dessus de tout nom : « Je suis celui qui suis », celui qui fait être, celui qui dirige et anime tout, au point d’être Sauveur qui libère, le Dieu pascal. Au Sinaï, il est le Dieu saint, le Transcendant, mais aussi Dieu avec nous, Dieu habitant parmi nous, Dieu communiquant sa sainteté parmi les hommes.
« Dieu le fidèle, le miséricordieux », les prophètes nous le diront, au milieu d’infidélités, de châtiments et de pardons. Le roi David en fait partie, lui qui rassemble les douze tribus autour de la cité sainte de Jérusalem, figure du Règne de Dieu qui doit venir avec « Jésus, fils de David, fils d’Abraham », comme nous le présente le début de l’évangile de Matthieu.
Amos nous aura révélé la justice et la crainte du Dieu saint. Osée mettra l’accent sur l’amour, la tendresse trahie du Dieu qui pardonne. Isaïe insistera sur la sainteté de Dieu manifestée par la lumière resplendissante de sa «gloire». Elle est exigence et source de perfection morale. Dans son Temple, elle demande un culte en esprit et en vérité. Au delà du Temple, Jérémie nous révélera le Dieu du cœur de l’homme qui connaît chacun par son nom, avec tout ce qu’il sent et souffre.
De nombreux psaumes, avec le Magnificat, nous font découvrir le Dieu des petits et des humbles, les préférés de Dieu. Ainsi se prépare le sermon de Jésus sur la montagne, qui commencera par ces paroles :
« Bienheureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le royaume des cieux est à eux. »

La Rencontre

« Quant à nous, nous croyons à la grande charité que Dieu a eue pour nous… Il y a une voix qui est dans mon coeur et qui est mon coeur même, qui est en moi et qui est moi-même, et cette voix me dit : Si tu veux connaître le vrai Dieu, vois qui t’aime jusqu’à devenir fou pour toi ; et qui t’invite, qui t’aide à l’aimer jusqu’à devenir fou pour lui ; celui-là est le vrai Dieu. En Dieu est le bonheur, et avoir le bonheur, c’est aimer, c’est être ravi, transporté d’amour, et demeurer éternellement dans ce ravissement et dans cette extase. Ne m’appelez point si vous ne m’aimez pas ; je ne pourrais répondre à cet appel. Mais si la voix que j’entends est une voix d’amour : «Me voici», répondrai-je aussitôt, et je suivrai mon bien-aimé, sans lui demander ni où il va, ni où il entend me conduire. Où qu’il aille, où qu’il me conduise, nous y serons, lui et moi, et notre amour ; et notre amour, lui et moi, c’est le ciel. »
Donoso Cortès, Essai sur le Catholicisme, le Libéralisme et le Socialisme, p. 151, ch. VII, fin. Ibid., ch. IX, p. 497.
N’y voyons-nous pas en filigrane le Fiat de Marie, de celle qui se dit : «servante du Seigneur» ?

L’unique nécessaire dont parle l’Évangile, c’est la recherche de Dieu qui s’accomplit dans sa rencontre, c’est-à-dire en prière. « Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur. » Cette rencontre est donc essentiellement de caractère affectif, personnel, sans que soit exclue la prière ensemble, notamment celle des Heures ou de l’office divin, et par dessus tout l’eucharistie.
Mais observons la relation que Jésus entretient avec celui qui est au cœur de ses pensées, le Père. Jésus est un homme qui prie. Chez lui, il y a toute une gamme de prières par lesquelles l’homme essaie d’entrer en contact avec Dieu. Il accomplissait avec ses disciples les prescriptions de la liturgie juive (Mat. 26, 30). Et quand il prenait part à un culte dans la synagogue, il s’unissait aux psaumes et aux prières. C’est en union avec son peuple qu’il trouvait le Père.
Mais le Christ qui est l’authenticité même parle surtout avec ses propres mots. Cette originalité dans la prière est la forme la plus caractéristique chez lui. La fraîcheur de ses paraboles nous fait déjà soupçonner à quel point cette prière sera directe et simple. C’est en effet avec un naturel absolu qu’il s’adresse au Père (voir par exemple Luc 10, 21). Il priait sans doute ainsi les nuits où il se retirait dans la solitude : « Il s’en alla dans la montagne pour prier » (Luc 6, 12).
Ainsi la vie active de Jésus est tout imprégnée de prière. Une fois les évangiles montrent, dans une explosion de gloire, l’éclat de ses rapports avec le Père. Alors qu’il prie sur une montagne, une voix se fait entendre, une nuée lumineuse apparaît, son visage et ses vêtements rayonnent d’une lumière fulgurante. Ces symboles nous rendent visible l’invisible, le Père présent au Fils dans l’Esprit. Le Fils vit son baptême, son appel : ils sont transfigurés par cette présence. Visible un instant, tout un monde de chaleur et d’amour se révèle, l’amour qui unit le Père et le Fils.
Mais à l’instant même où le ciel se manifeste, la tâche terrestre est là, très proche : Avec Moïse et Elie, deux prophètes qui ont peiné avant lui, Jésus s’entretient de son « départ« , c’est-à-dire de sa mort, « qu’il allait accomplir à Jérusalem » (Luc 9, 31).
La prière de Jésus n’est donc pas une fuite hors de la vie, loin de sa tâche, mais en constitue une partie intégrante. Mais la prière la plus émouvante est son cri au Jardin des Oliviers : « Abba, Père! Tout t’est possible : éloigne de moi cette coupe; cependant, pas ce que je veux, mais ce que tu veux ! » (Marc 14, 36). Il a accompli sa route avec le Père, lui, le premier du peuple nouveau.

« Abba »

Parmi les mots qu’emploie Jésus, il en est un qui résume tout, le mot «Abba». C’est ainsi que Jésus nomme Dieu. Abba signifie : Père. Ce mot humain révèle l’abîme insondable d’amour qui unit le Fils au Père. Et parce que Dieu est simplicité, c’est un abîme de familiarité, de simplicité. Car le mot «Abba» indique, à vrai dire, une plus grande intimité encore que  » Père « .
C’est un mot familier. Et c’est ainsi que Jésus appelle Dieu. Il nous a appris, à nous aussi, à dire «Abba». Il l’a fait au cours de sa vie, mais il continue à nous l’enseigner par son Esprit après sa résurrection.
« …Car nous ne savons que demander pour prier comme il faut; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables… Vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père! ‘ L’Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu » (Rom. 8, 26. 15-16).
Appeler Dieu «Père», et si familièrement ! C’est l’Esprit de Jésus qui y poussait les chrétiens, du temps de saint Paul. C’est l’Esprit de Jésus qui nous y pousse, aujourd’hui encore, dans l’Église.
Dans l’Ancien Testament aussi, quelques textes nomment Dieu «Père», d’un ton solennel. Père du peuple, du roi qu’il s’est choisi, des hommes pieux. Mais la révélation que le Christ nous apporte du Père est nouvelle et proche. Il parle de Dieu à son point de vue, celui du Fils. Comme le Fils, avec le Fils, ainsi avons-nous reçu le privilège de le faire. Être enfants de Dieu, c’est pour nous un événement qui nous survient par Jésus. Cet événement est la venue du royaume des cieux.
Cette attente active et vivante de la venue de Dieu se trouve aussi enserrée dans la prière : « Que ton Nom soit sanctifié ! » Il ne faut pas nous faire une idée trop timide de cette prière. Nous demandons par-là que Dieu se manifeste dans notre monde et dans notre vie. C’est encore ce que nous demandons quand nous prions : « Que ton règne vienne ! »
Pour savoir exactement comment Jésus conçoit pour nous le terme «Père», cherchons l’endroit où il l’explique : la parabole du père miséricordieux avec l’enfant prodigue. Dans cette parabole, Jésus décrit Dieu, à l’intention de tous ceux qui veulent bien comprendre (Luc 15, 11-32).
« J’ai reçu un esprit de fils adoptif qui me fait m’écrier : Abba, Père ! » (cf Rm 8, 15).
Alors la prière personnelle peut-elle être une saisie de l’âme par Dieu, une irruption de la grâce qui se saisit de l’âme. C’est la faveur qu’a eue la Vierge Marie.
La prière est le don de Dieu par excellence : l’expérience privilégiée que nous pouvons faire de sa grâce, de sa présence en nous qui prend possession de nous-mêmes et nous restitue dans le projet primitif de notre création à son image et à sa ressemblance. Alors nous expérimentons que c’est Dieu qui crée en nous le vouloir et le faire. A la limite, nous y atteignons ce que saint Paul appelle connaître « le Christ en nous, l’espérance de la gloire. »
La prière ainsi comprise est en germe dans l’acte de foi. Aussi longtemps que nous sommes en chemin vers la patrie céleste, vers le Royaume, notre prière ne saurait être ni plus ni mieux qu’un pressentiment, qu’un avant-goût. Cependant c’est là le stimulant le plus efficace de nos efforts pour aller à la rencontre définitive du Père sans oublier ni Fils ni l’Esprit Saint dont nous parlerons par la suite.

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