Il a vraiment souffert
TOUS les mécanismes impassibles du monde, rien n’est plus facile que d’en croire Dieu absent. Ils ont cependant été supportés par lui, en fait, à une certaine heure du temps humain, historiquement, devant des yeux de gens qui ont vu, sous des poings qui ont frappé, et des bouches qui ont craché.
Dieu s’est infligé, dans leurs inadaptations et leurs injustices, tous les déterminismes de la Terre, la passion, la souffrance, la mort, avant de nous les imposer…
Il a bronché. Il est tombé comme un autre. La pesanteur joue sur lui. Pour lui aussi, les pierres sont dures et les madriers lourds. Il a sué en travaillant.
Il a sué du sang d’homme à Gethsémani, émis des exsudats humains sous le coup de lance du Calvaire. Le microscope ne s’y tromperait pas. Il a souffert avec des nerfs d’homme tous les détails d’une mort d’homme, la soif des hémorragies, l’immobilité terrible de la Croix. Ses poumons ont jeté le dernier soupir, comme pour tous les morts.
Il a souffert avec son âme d’homme, l’amertume des œuvres humainement brisées, l’accablement des grandes défaites, les rires des gens, les branlements de tête, le ridicule sur ses dernières heures, tout ce qu’il goûtait déjà dans la lie du calice, à un jet de pierre des dormeurs… Sa mère lui pleurait sur les pieds.
Il a subi le délaissement de son Père, l’abandon de Dieu, la sécheresse et le désert des dérélictions absolues : cette croix sur la Croix, cette mort dans la mort.
C’est tout cela accepter la terre. Il s’est fait passible, mortel, très lentement connu.
Jamais je ne contemplerai assez l’abîme de la Sainte Humanité de mon Dieu.
Joseph MALÈGUE