Quarante jours après la naissance du Sauveur, la Vierge se rend à Jérusalem pour obéir au précepte du Lévitique, qui prescrivait la purification des mères et le rachat des premiers-nés. Sans doute, cette loi n’obligeait point Marie, car qu’y avait-il de commun entre la souillure, et la chaste épouse du Saint-Esprit ? Mais Marie, malgré sa haute intelligence, ne discute pas les lois de Moïse, elle les observe. Bien loin de manifester au monde le prodige étonnant de sa maternité virginale, elle le couvre d’un triple voile, et veut se perdre humblement dans la foule ; elle se souvient de ses devoirs comme fille de Sion, et néglige pour les remplir ses prérogatives de mère céleste. « La Grâce, dit Saint-Augustin, a élevé Marie au-dessus de la loi ; mais l’humilité l’assujettit à la loi. »
Au moment où Joseph et Marie pénètrent dans l’enceinte sacrée avec les sicles d’argent du rachat et les colombes du sacrifice, un saint vieillard nommé Siméon, auquel il a été divinement révélé qu’il ne mourrait pas qu’auparavant il n’ait vu le Christ, entre dans le parvis par un mouvement de l’esprit de Dieu. A la vue de la sainte Famille, l’œil de l’homme juste devient inspiré ; devinant le Roi Messie sous les pauvres langes de l’enfant du peuple, il le prend dans les bras de sa mère, l’élève à la hauteur de son visage, et se met à le contempler avec saisissement, tandis que des larmes de joie roulent sur ses joues vénérables. « C’est maintenant, Seigneur, s’écrie le pieux vieillard en levant son regard vers le ciel, c’est maintenant que tu laisseras mourir en paix ton serviteur selon ta parole, puisque mes yeux ont vu le Sauveur que tu nous donnes et que tu destines pour être exposé à la vue de tous les peuples, comme la lumière des nations et la gloire d’Israël. » En achevant ces mots, Siméon bénit solennellement les époux, et s’adressant ensuite à Marie après un silence triste et grave, il ajoute que cet enfant, né pour la perte et pour le salut de plusieurs, sera en butte à la perversité des hommes, et que la douleur descendra dans l’âme de sa mère comme la pointe acérée d’un glaive.
A cette lueur inattendue qui jette une clarté sombre sur la grande destinée du Christ, les ignominies, les souffrances et les agonies de la Croix se révèlent tout-à-coup à la Vierge Sainte. Les paroles sinistres de Siméon lui font courber la tête comme un vent d’orage, et son cœur, où se passe une scène muette de martyre, éprouve quelque chose de semblable au contact d’un fer rouge enfoncé lentement dans des chairs vives et saignantes. Mais Marie sait accepter sans murmure tout ce qui lui vient de Dieu et dit ensuite avec douceur en dévorant ses larmes : Seigneur, que ta volonté soit faite !
« Si elle l’avait pu, dit saint Bonaventure, elle eût accepté pour elle-même les tourments et la mort du Christ ; mais pour obéir à Dieu, elle lui fit la grande offrande de la vie de son Fils adoré, dominant, mais avec une souveraine douleur, la tendresse extrême qu’elle lui portait. » En ce moment, il survient une prophétesse nommée Anne, fille de Phanuel de la tribu d’Aser; cette chaste veuve se tenait continuellement dans le temple, servant Dieu nuit et jour, dans le jeûne et dans l’oraison. A la vue de l’Enfant divin, elle se met hautement à louer le Seigneur et à parler de lui à tous ceux qui attendent la Rédemption d’Israël.
« Non-seulement, dit à ce propos saint Ambroise, les anges, les prophètes et les bergers publient la naissance du Sauveur, mais les justes et les anciens d’Israël font éclater cette vérité. L’un et l’autre sexe, jeunes et vieux, autorisent cette croyance que tant de miracles confirment. Une Vierge engendre, une femme stérile enfante, un muet parle, Élisabeth prophétise, le Mage adore, un enfant, même avant de naître, fait sentir sa joie, une veuve confesse cet événement merveilleux, et le juste l’attend. »
Comme la dernière cour du temple est interdite à Marie, et que l’Enfant, à raison de son sexe, doit y être offert au Seigneur, Joseph le porte lui-même dans la salle des premiers-nés, en se demandant si les scènes qui viennent de se passer à l’entrée de Jésus dans la maison sainte se renouvelleront dans le parvis des pontifes hébreux. Mais rien ne décèle l’Enfant-Dieu dans cette partie privilégiée du temple, tout y reste morne sous le rayon naissant du jeune soleil de justice. Un sacrificateur inconnu à Joseph reçoit distraitement des mains calleuses de l’homme du peuple les oiseaux ordonnés par la Loi. Il prend les colombes de Joseph, monte la rampe douce de l’autel des holocaustes, et offre au Seigneur ce simple et pauvre sacrifice.
« Après que Joseph et Marie eurent accompli ce qui était ordonné par la loi du Seigneur, dit saint Luc, ils s’en retournèrent en Galilée, à Nazareth leur ville. »
D’après Matthieu Orsini