Première Parole de Jésus sur la Croix

LA PREMIÈRE PAROLE des trois heures avant la  mort

Mon Père, pardonnez-leur car ils ne savent ce qu’ils font.

Nous avons étudié dans les considérations précédentes la vie du Christ dans son corps mystique d’un point de vue où les étranges et innombrables paradoxes, qui abondent dans toutes les formes de vie à une certaine profondeur, deviennent visibles. Et nous avons vu comment des paradoxes existent dans ces régions où la divinité et l’humanité se rencontrent.

Le Christ est Dieu et Dieu ne peut pas mourir ; le Christ est donc devenu homme afin d’être capable de mourir. L’Église est divine et par conséquent toute sainte, mais elle habite un corps d’humanité pécheresse et ne regarde pas moins comme ses enfants et ses membres ses pécheurs que ses saints.

Nous continuerons à regarder du même angle le Crucifiement de Jésus-Christ et les Paroles qu’il prononça du haut de la Croix et cela pour trouver, par conséquent, dans tout ce que nous voyons les mêmes paradoxes caractéristiques et les mêmes mystères. Dans la première Parole nous rencontrons le Paradoxe du Pardon Divin.

I. – Le pardon humain ordinaire n’est pas plus qu’une vertu naturelle, résultant d’un sens naturel de justice et si un homme est normal, son pardon sera une partie naturelle et inévitable du mode de réconciliation aussitôt qu’un certain genre de réparation aura été fait. Par exemple, un ami pèche contre moi ; il nuit, peut-être, à ma réputation et mon premier sentiment est celui de la rancune, peut-être l’idée d’une véritable vengeance.

Mais ce que je ressens surtout c’est la stupidité de mon ami et son ignorance de mon véritable caractère. « Je suis irrité, dis-je avec une sincérité parfaite, non pas tant pour ce qu’il a dit de moi, que pour la preuve ainsi donnée de son incapacité de me comprendre.

Je croyais qu’il était mon ami, qu’il était en sympathie avec mon caractère ou, du moins, qu’il le comprenait suffisamment pour me rendre justice. Mais maintenant, de ce qu’il vient de dire de moi, je conclus que non. Si la chose qu’il a dite était vraie, la plus grande partie de ma colère serait tombée. Mais je vois qu’après tout, il ne me connaît pas ».

Puis voici que mon ami comprend qu’il m’a fait tort ; que le propos mensonger qu’il a rapporté ou les hypothèses qu’il a émises sur mes actes n’étaient ni justes ni vraies. Et dès que j’en suis averti, par l’un ou par l’autre, mon ressentiment s’en va si j’ai la moindre vertu naturelle ; il s’en va parce que mon orgueil blessé est guéri. Je lui pardonne facilement et naturellement parce qu’il sait maintenant ce qu’il a fait.

II. – Quelle différence absolue entre ce pardon humain, facile, plein d’amour-propre, et le divin pardon du Christ ! Or il est vrai que dans la conscience de Pilate, injuste représentant de la justice, et dans ce qui se nommait conscience dans Hérode, et dans le cœur des prêtres qui dénoncèrent leur Dieu et des soldats qui exécutèrent leur Maître et de Judas qui trahit son ami, chez tous ceux-ci il y avait sûrement un certain malaise — malaise explicitement attribué au premier et au dernier de cette liste, — une certaine ombre affaiblie de perception et de connaissance de ce qu’ils avaient fait et faisaient.

Et, pour l’homme naturel, il aurait été relativement facile de pardonner de telles offenses pour ce motif. « Je leur pardonne, eut pu dire un tel homme du haut de sa Croix, parce qu’il leur reste juste un rayon de connaissance ; il y a juste une étincelle dans leur cœur qui leur rend encore justice et pour cela, je puis essayer, au moins, de rejeter mon ressentiment et de demander à Dieu leur pardon. »

Mais Jésus s’écrie : « Pardonnez-leur parce qu’ils ne savent ce qu’ils font ! Pardonnez-leur parce qu’ils en ont terriblement besoin, puisqu’ils ne savent même pas qu’ils en ont besoin ! Pardonnez en eux ce qui est impardonnable ! »

III. — Deux choses évidentes se présentent d’elles-mêmes pour conclure :

1° D’abord, c’est du Pardon Divin dont nous avons besoin, puisque nul pécheur d’entre nous ne connaît toute la malice du péché. Un homme est esclave, disons d’un péché de la chair, et cherche à se rassurer lui-même par la réflexion qu’il n’offense personne autre que lui, ignorant quel outrage il fait au Saint-Esprit dont il détruit le temple.

Ou bien une femme répète tous les bavardages calomnieux qu’elle rencontre sur son chemin et se console dans ses moments de componction en réfléchissant qu’elle ne « cause aucun dommage », ignorante qu’elle est du découragement des âmes dont elle est la cause et des semences de défiance et d’inimitié jetées entre des amis. En fait, il est incroyable qu’aucun pécheur sache jamais ce qu’il fait par le péché.

Nous avons donc besoin du pardon divin et non de l’humain, du pardon qui descend quand nous ne savons pas que nous devons l’avoir ou mourir ; de l’amour du Père qui tandis que nous sommes encore loin court pour venir vers nous, et qui nous apprend pour la première fois, par la chaleur de son accueil, les distances glacées où nous avions erré.

Si nous savions, le premier venu pourrait nous pardonner. C’est parce que nous ne savons pas que Dieu seul, qui sait tout, peut nous pardonner effectivement.

2° Et c’est ce Divin pardon que nous avons nous-mêmes à étendre à ceux qui pèchent contre nous, puisque ceux-là seulement qui pardonnent ainsi peuvent être pardonnés. Nous ne devons pas attendre que l’orgueil blessé se guérisse par la honte consciente de notre ennemi, que la dette soit payée parce que reconnue et que nous nous complaisions en nous-mêmes une fois de plus en sachant que justice nous a enfin été faite.

Le seul pardon, au contraire, qui soit surnaturel et par conséquent méritoire, est celui qui va aux hommes parce qu’ils ignorent et non parce qu’ils reconnaissent leurs besoins.

Robert Hugh BENSON – Paradoxes du Catholicisme – les Sept Paroles (1913)

Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse