chacun a tout à apprendre de la vieillesse

chacun a tout à apprendre de la vieillesse

Le Pape François a continué son cycle de catéchèses sur la vieillesse, lors de l’audience générale du mercredi 1er juin, place Saint-Pierre de Rome. Il a dénoncé l’abandon et la mise au ban des personnes âgées de la société, rappelant que chacun a tout à apprendre de la vieillesse.

PAPE FRANÇOIS

AUDIENCE GÉNÉRALE

Place Saint-Pierre
Mercredi 1er juin 2022

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Catéchèse sur la vieillesse –
12. « Ne m’abandonne pas alors que décline ma vigueur » (Ps 71(70),9)

Résumé de la catéchèse :

Chers frères et sœurs,

Aujourd’hui le Psalmiste, dans sa vieillesse, nous fait entendre sa prière au Seigneur. Pour les personnes âgées, l’épreuve réside déjà dans la faiblesse et la vulnérabilité qui les accompagne, et qui trop souvent suscitent envers-elles abandon, tromperies, dominations et abus.

Le Psalmiste voit sa vieillesse comme une défaite et redécouvre dans le même moment la confiance dans le Seigneur. La prière renouvelle dans le cœur des aînés la promesse de la fidélité et de la bénédiction de Dieu, et, nous le savons, Jésus entend toujours les prières de ceux qui ont besoin d’aide.

Dans nos sociétés modernes, qui se veulent avancées, il est saisissant de voir combien la culture du déchet, empoisonnant notre monde, est prégnante. Elle suscite un malaise en face de la maladie et de la vieillesse. La marginalisation des aînés blesse tous les âges de notre civilisation, pas seulement les personnes âgées.

Perçue comme une perte de dignité, on en doute même qu’elle vaille la peine d’être vécue. Pourtant les personnes âgées nous enseignent, à tous et tout au long de notre vie, la nécessité de nous abandonner aux soin des autres à commencer par Dieu. Ce Magistère de la fragilité est décisif pour notre civilisation.

Catéchèse :

Chers frères et sœurs, bonjour !

La belle prière de la personne âgée que nous trouvons dans le psaume 70 que nous avons écouté, nous encourage à méditer sur la forte tension qui habite la condition de la vieillesse, quand le souvenir des labeurs surmontés et des bienfaits reçus est mis à l’épreuve de la foi et de l’espérance.

L’épreuve se présente avec la faiblesse qui accompagne le passage par la fragilité et la vulnérabilité de la vieillesse. Et le psalmiste – un homme âgé qui se tourne vers le Seigneur – mentionne explicitement le fait que ce processus devient une occasion d’abandon, de tromperie, de prévarication et d’abus qui s’acharnent sur la personne âgée.

Une forme de lâcheté dans laquelle notre société est en train de se spécialiser. C’est vrai ! Dans cette société du déchet, cette culture du déchet, les personnes âgées sont mises à l’écart et souffrent de ces choses. Il ne manque pas, en effet, des gens qui profitent de l’âge de la personne âgée, pour la tromper, pour l’intimider de mille manières.

Nous lisons souvent dans les journaux ou entendons des nouvelles de personnes âgées qui sont escroquées sans scrupules afin de s’emparer de leurs économies ; ou qui sont laissées sans protection ou et abandonnées sans soins ; ou qui sont blessées par des formes de mépris et intimidées pour qu’elles renoncent à leurs droits Même dans les familles – et c’est grave – de telles cruautés se produisent mème dans les familles.

Les personnes âgées sont mises à l’écart, abandonnées dans les maisons de retraite, sans que leurs enfants leur rendent visite, ou s’ils y vont, ils y vont si peu de fois par an. Les personnes âgées se retrouvent mises au coin de l’existence. Et cela arrive : cela arrive aujourd’hui, cela arrive dans les familles, cela arrive tout le temps. Nous devons y réfléchir.

*

La société toute entière doit s’empresser de s’occuper de ses personnes âgées – qui sont le trésor ! -, toujours plus nombreuses et souvent encore plus abandonnées.

Lorsque nous entendons parler de personnes âgées dépossédées de leur autonomie, de leur sécurité, voire de leur domicile, nous comprenons que l’ambivalence de la société actuelle à l’égard de la vieillesse n’est pas un problème d’urgences ponctuelles, mais un trait de cette culture du déchet qui empoisonne le monde dans lequel nous vivons.

Le vieillard du psaume confie à Dieu son découragement : « mes ennemis – dit-il- parlent contre moi, / ils me surveillent et se concertent. / Ils disent : « Dieu l’abandonne ! / Traquez-le, empoignez-le, il n’a pas de défenseur ! » (vv.10-11). Les conséquences sont fatales. La vieillesse non seulement perd sa dignité, mais on doute même qu’elle vaille la peine d’être vécue.

Ainsi, nous sommes tous tentés de cacher notre vulnérabilité, de dissimuler notre maladie, notre âge, et notre vieillesse, puisque nous craignons que ce soit l’antichambre de notre perte de dignité.

Demandons-nous : est-ce humain d’induire ce sentiment ? Comment se fait-il que la civilisation moderne, si avancée et efficace, soit si mal à l’aise avec la maladie et la vieillesse, cache la maladie, cache la vieillesse ? Et comment se fait-il que la politique, tant attachée à définir les limites d’une survie digne, soit en même temps insensible à la dignité d’une cohabitation affectueuse avec les personnes âgées et celles malades ?

*

Le vieillard du psaume que nous avons entendu, ce vieillard qui voit sa vieillesse comme une défaite, redécouvre la confiance dans le Seigneur. Il ressent le besoin d’être aidé. Et il se tourne vers Dieu. Saint Augustin, commentant ce psaume, exhorte le vieillard :

« Ne crains pas d’être abandonné dans ta vieillesse. […] Pourquoi crains-tu que [le Seigneur] t’abandonne, qu’il te rejette au temps de la vieillesse, quand tes forces faiblissent ? En effet, c’est à ce moment-là que sa force sera en toi, quand la tienne fera défaut » (PL 36, 881-882).

Et le vieux psalmiste d’invoquer : « défends-moi, libère-moi, / tends l’oreille vers moi, et sauve-moi. / Sois le rocher qui m’accueille, / toujours accessible ; / tu as résolu de me sauver : / ma forteresse et mon roc, c’est toi ! (vv. 2-3).

L’invocation témoigne de la fidélité de Dieu et met en cause sa capacité à secouer les consciences détournées par l’insensibilité à la parabole de la vie mortelle, qui doit être préservée dans son intégrité.

Il prie encore ainsi : « Ô Dieu, ne sois pas loin de moi ; / mon Dieu, viens vite à mon secours ! / Qu’ils soient humiliés, anéantis, ceux qui se dressent contre moi ; / qu’ils soient couverts de honte et d’infamie, ceux qui veulent mon malheur ! » (vv. 12-13).

En effet, la honte devrait tomber sur ceux qui profitent de la faiblesse de la maladie et de la vieillesse. La prière renouvelle dans le cœur de la personne âgée la promesse de la fidélité et de la bénédiction de Dieu. La personne âgée redécouvre la prière et témoigne de sa puissance.

Jésus, dans les Évangiles, ne rejette jamais la prière de ceux qui ont besoin d’aide. Les personnes âgées, en raison de leur faiblesse, peuvent enseigner à ceux qui sont à d’autres âges de la vie que tous nous avons besoin de nous abandonner au Seigneur, d’invoquer son aide.

En ce sens, nous devons tous apprendre de la vieillesse : oui, il y a un don dans le fait d’être vieux, compris comme l’abandon de soi aux soins des autres, à commencer par Dieu lui-même.

*

Il existe donc un « magistère de la fragilité« , ne pas cacher ses faiblesses, non. Elles sont vraies, c’est une réalité et il y a un magistère de la fragilité, que la vieillesse est en mesure de nous rappeler de manière crédible tout au long de la vie humaine. Ne pas cacher la vieillesse, ne pas cacher les fragilités de la vieillesse.

C’est une leçon pour nous tous. Ce magistère ouvre un horizon décisif pour la réforme de notre propre civilisation. Une réforme désormais indispensable pour le bien de la cohabitation de tous. La marginalisation des personnes âgées, tant au niveau conceptuel que pratique, corrompt toutes les saisons de la vie, et pas seulement celle de la vieillesse.

Chacun d’entre nous peut penser aujourd’hui aux personnes âgées de la famille : comment est-ce que j’entretiens des relations avec elles, est-ce que je me souviens d’elles, est-ce que je leur rends visite ? Est-ce que je veille à ce que rien ne leur manque ? Est-ce que je les respecte ? Les personnes âgées qui sont dans ma famille, maman, papa, grand-père, grand-mère, oncles, tantes, amis, est-ce que je les efface de ma vie ?

Ou est-ce que je vais vers elles pour trouver la sagesse, la sagesse de la vie ? N’oublie pas que toi aussi, ta vieillesse arrivera. La vieillesse arrive pour tout le monde. Et de la même manière dont tu aimerais être traité au moment de la vieillesse, traite les personnes âgées aujourd’hui. Ils sont la mémoire de la famille, la mémoire de l’humanité, la mémoire du pays. Prendre soin des anciens qui sont la sagesse.

Que le Seigneur accorde aux personnes âgées qui font partie de l’Église la générosité de cette invocation et de cette provocation. Que cette confiance dans le Seigneur nous contamine. Et ce, pour le bien de tous, d’eux, de nous et de nos enfants.


Je salue cordialement les personnes de langue française, en particulier les lycéens de l’Immaculée Conception de Laval et les étudiants de l’Institut de l’Oratoire de Lyon. Nos personnes âgées sont un Magistère vivant. Par leur fragilité, ils nous apprennent la nécessité de nous abandonner au Seigneur et aux autres.

Demandons au Seigneur d’entrer, par la foi, dans la sagesse de cette fragilité pour qu’elle puisse rendre nos sociétés plus humaines et fraternelle. Que Dieu vous bénisse.


APPEL

Une grande préoccupation s’installe, le blocage des exportations du blé de l’Ukraine, dont dépend la vie de millions de personnes, notamment dans les pays les plus pauvres. Je demande instamment que tout soit mis en œuvre pour résoudre cette question et garantir le droit humain universel à se nourrir. S’il vous plaît, n’utilisez pas le blé, aliment de base, comme arme de guerre !

Enfin, comme d’habitude, mes pensées vont aux personnes âgées, aux malades, aux jeunes et aux jeunes mariés. Dimanche prochain, nous célébrerons la solennité de la Pentecôte. Que l’Esprit Saint soit pour vous, jeunes, comme « vent et feu » qui vous préserve de la torpeur, vous pousse à aimer les grands idéaux et l’engagement envers l’Église et la société.

Que le « Consolateur » qui vous accompagne dans votre labeur quotidien, vous donnant la certitude de l’amour de Dieu, soit pour vous, les personnes âgées et les malades. Qu’il soit pour vous, jeunes mariés, une source de « communion » qui vous fasse grandir dans amour mutuel. Ma bénédiction à tous.


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La prière peut changer le sort du monde

La prière peut changer le sort du monde

Marie reine de la paix - Vatican
Marie reine de la paix – Vatican

Dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, en fin d’ après-midi, le Pape a présidé le chapelet pour la paix devant la statue de Marie Reine de la Paix, en conclusion du mois marial. L’invocation à la Vierge: réconcilier les cœurs remplis de violence et de vengeance, redresser les pensées aveuglées par le désir d’un enrichissement facile.

«Ce soir, à la fin du mois qui t’est particulièrement consacré, nous voici de nouveau devant Toi, Reine de la Paix, pour Te supplier: accorde-nous le grand don de la paix, et fais que nous mettions rapidement fin à la guerre qui fait rage depuis des décennies dans diverses parties du monde, et qui a maintenant aussi envahi le continent européen».

Le jour de la fête liturgique de la Visitation de Marie, des fidèles,  à l’invitation du Souverain Pontife lui-même qui, lors du Regina Coeli de dimanche dernier, a demandé une invocation pour la paix. Le Pape veut donner un signe d’espoir pour le monde, qui souffre du conflit en Ukraine, conscient «que la paix ne peut être le résultat de négociations ni la conséquence des seuls accords politiques, mais qu’elle est avant tout un don pascal de l’Esprit Saint».

La prière, le jeûne et l’aumône pour changer le cœur des hommes

Le Pape a pris la parole après avoir déposé un petit bouquet de roses et d’orchidées au pied de l’effigie de la Vierge voulue en 1918 par Benoît XV pour demander la fin de la Première Guerre mondiale. Là où il est de tradition que les fidèles déposent de petites notes manuscrites avec leurs intentions de prière, Il a lu la sienne.

Il a rappelé les demandes adressées à la Vierge pendant la pandémie «pour soutenir les malades et donner de la force au personnel médical», implorant «miséricorde pour les mourants et sécher les larmes de ceux qui souffraient en silence et dans la solitude». Il a également mentionné la consécration des Nations en guerre au Cœur Immaculé de Marie le 25 mars et la supplication du «grand don de la conversion des cœurs».

À la fin de la récitation du Rosaire, le Pape François s’est brièvement arrêté dans la prière devant l’icône de la Vierge Salut du Peuple Romain.

 

TRIDUUM POUR JEANNE D’ARC III

TRIDUUM POUR JEANNE D’ARC : TROIS VICTOIRES DE LA FOI – III. L’ESPOIR CONTRE LE MENSONGE

L’évangile de l’Ascension laisse les hommes orphelins : orphelins d’une présence, celle du Christ selon la chair. Mais annonce est en même temps faite à ces orphelins qu’à cause même de cette absence, ils «seront revêtus d’une force venue d’en-haut».

Jeanne d'Arc -Lettrine historiée - Archives nationales (France) - AE-II-2490
Jeanne d’Arc -Lettrine historiée – Archives nationales (France) – AE-II-2490

«Une force venue d’en-haut» : je connais peu de définitions du chré­tien qui nous permettent de mieux comprendre comment Jeanne d’Arc en est l’exemple et encore aujourd’hui le modèle. Nous avons regardé deux des trois victoires qui jalonnent sa vie. La victoire militaire, prestigieuse, puis la victoire en face de la torture.

Mais, c’est évident, ni l’une ni l’autre ne nous sera fort probablement proposées. Il ne nous sera pas demandé d’assurer une victoire de chef de guerre ; il ne nous est pas, à la plupart d’entre nous, proposé d’avoir l’héroïsme d’affronter la torture et le bûcher.

Mais à tous, à nous tous, il est bien proposé d’entrer dans une autre vic­toire, la troisième victoire de Jeanne d’Arc. La plus cachée, la plus profonde, la plus extraordinaire dans l’ordinaire. C’est celle du début. C’est la plus simple et la plus contagieuse. Cette bataille va durer quatre ans. On n’y pense presque jamais. De 13 à 17 ans, Jeanne aura le courage de n’en parler à personne. Ce sera l’un des griefs du Procès de condamnation.

Vous vous demandez comment, à peine âgée de dix-huit ans, elle aura la force de tenir plus d’un an de prison et de procès. Mais, je me demande d’abord comment, à l’âge de treize ans, — et c’est encore plus étonnant — elle a pu tenir des années sous le poids du silence. Et pourtant c’est là que réside sa première et principale victoire, celle qui tient en un mot : la victoire de l’espérance, la victoire de la confiance dont le prix est peut-être autre que ce que nous imaginons.

À L’ÂGE DE TREIZE ANS

Jeanne d’Arc le dit bien elle-même : «Quand j’eus l’âge de treize ans j’ai eu une voix de Dieu pour m’aider à me gouverner. Et la première fois j’eus grand peur.» Jeanne n’a pas d’abord eu des voix comme un phé­nomène d’exception. Les voix n auraient servi à rien si Jeanne n’avait pas été possédée par autre chose.

Tous les témoins de son enfance y reviennent dans leur témoignage : ce ne sont pas les voix qui ont été les premières dans sa vie. Mais la prière, la supplication, la confiance qui s’appuient sur un Autre qu’elle-même. Alors les voix ouvriront toutes les audaces de l’espérance. «Je ne suis venue en France que du commandement de Dieu. J’aimerais mieux être tirée à quatre chevaux que d’être venue en France sans congé de Dieu.»

Tous les saints ont connu cette bataille de l’espérance. Peu de chré­tiens autant que Jeanne d’Arc auront aussi simplement et fortement qu’elle illustré les trois grandes lois de l’espérance proposée par le Christ à chacun de nous.

  1. D’abord l’espérance est un combat. Et il n’est pas naturel d’avoir envie d’y entrer.
  2. Ce combat a un lieu privilégié : c’est le refus du mensonge.
  3. Mais vertu du difficile et vertu du futur, ce combat de l’espérance est impossible â nos seules forces. Nous sommes invités à désarmer pour nous en remettre à la force d’un autre, pour faire passer l’appui d’un autre avant nos propres assurances.
  4. Quand Jeanne se décide après quatre ans de silence â quitter son travail de petite bergère pour aller voir le sire de Baudricourt, elle est reçue par une paire de gifles. Le combat commence. Il ne se terminera jamais. La lutte la plus difficile pour elle ne sera pas celle de l’angoisse d’être en­cerclée à Compiègne, ni même la crainte des tortures et de la souffrance physique à Rouen. Ce n’est pas là le combat le plus dur.
  • Ce fut d’abord contre la lâcheté avec les capitulards ;
  • puis contre le soupçon avec l’entourage du roi ;
  • contre la jalousie avec les anciens capitaines ;
  • contre les marchandages avec les barons ;
  • contre le mensonge avec l’Archevêque Regnault de Chartres et les universitaires ;
  • enfin, c’est le combat contre le doute : elle est seule dans la prison. Mais, dès l’âge de treize ans, elle avait déjà été seule avec l’appel.

Tous les témoins de la Bible et du christianisme ont appris ce combat : celui de la solitude, celui de la traversée du désert, celui de la sentinelle dans la nuit.

LE MENSONGE

2. Mais Jeanne découvre — et c’est la deuxième loi de l’espérance — que le lieu principal de cette bataille n’est pas à chercher en dehors de soi. Il a un nom. Elle le connaît. Elle le crie à ses juges en disant : «Si je voyais le feu, je dirais tout ce que je vous dis et ne ferais autre chose.» On la force à le révéler, le secret : c’est le refus du mensonge.

Elle reprendra ceux qui biaisent pour lui faire dire autre chose que ce qu’elle a dit. Elle n’enjolive rien. Elle, qui saurait si bien séduire — tous ses compagnons d’armes ont été sous le charme —, elle se refuse à chercher à plaire. Voir ce qui est, le courage du réel. Et ce qui était de son temps a reçu un nom de l’Histoire : ce fut «la grande pitié du Royaume de France».

Paris : depuis plus de dix ans déjà aux mains de l’occupant anglais. Azincourt : l’armée française anéantie, sept mille tués. L’entrée des Anglais à Paris avec la complicité du Duc de Bourgogne. Le roi Charles VI fou. La reine, Isabeau de Bavière, pactise avec l’ennemi. Le roi d’Angleterre fait figure, non seulement de vainqueur, mais presque d’envoyé de Dieu, venu pour châtier les «mauvais vices» qui règnent en France.

Trois dauphins meurent successivement. Il y a vraiment «grande pitié» au royaume de France, livré au pillage, rançonné, ravagé, guerres et épidémies. Et c’est le traité de Troyes, qui déshérite le dauphin au profit du roi d’Angleterre.

Mais on n’en remontre pas à une paysanne lorraine. Elle sait ce que cela voulait dire d’avoir été obligée par deux fois de fuir son village, en laissant ses bêtes. Elle la voit en face cette grande pitié de la France. Pour­quoi du début â la fin, son espérance est-elle plus forte que les complai­sances idéologiques ou vénales ?

C’est qu’elle ne se rassure jamais en se mentant â elle-même comme ceux qui ne voudraient pas voir si loin, et se sécurisent en étant armagnac ou bourguignon parce qu’ils préfèrent ne pas se laisser déchirer. Mais il n’y a pas d’espoir sans déchirure, il n’y a pas d’espoir réel qui ne commence par un choix contre le mensonge.

Jeanne aura peur d’être brûlée, oui, une peur panique. Mais elle a plus peur encore de se mentir à elle-même. Et cela ne va pas de soi. Com­bien d’occasions où Jeanne, comme chacun des politiques qui l’entourent aurait pu hésiter. Elle sait les concessions possibles. Ce serait si facile de se laisser aller au désir de plaire.

Ce serait tellement simple de se laisser aller dans le sens de la volonté collective ou des mythes politiques. Jeanne choi­sit de voir ce qui est. Et ici, il n’y a pas de différence entre les réponses du départ de Vaucouleurs et celles du procès de Rouen : — «Vraiment si vous deviez me faire arracher les membres et faire partir l’âme du corps, je ne vous en dirais autre chose», répond-elle à ses juges.

C’est le prix de l’espérance. Le bouleversement du bûcher est le même que celui du départ de Domrémy. Elle revient à la fin à ce qui l’avait mise en route : une espérance contre toute espérance. Elle ne pouvait pas savoir que son destin allait changer celui de l’Occident.

Elle ne pouvait pas penser que ses cendres dispersées au vent enfanteraient un peuple et qu’aujourd’hui encore c’est de l’espoir contre tout espoir qu’elle serait contagieuse pour le monde entier. C’est quand même étonnant qu’on reste parfois si hésitant, si réservé, en France, en face de Jeanne d’Arc alors que le monde entier a très bien compris qu’elle était un des exemples de la plus haute de toutes les libertés.

Ici, Jeanne nous révèle le pourquoi de sa force et en même temps la troisième loi de l’espérance. C’est la même force qui a tenu saint Paul fragile devant le monde grec ; Blandine, Agnès, Cécile, fra­giles devant les bourreaux romains ; Félicité et Perpétue devant la persé­cution en Afrique du Nord ; Ambroise et Chrysostome devant les menaces des empereurs : un Autre les avait pris en charge.

Comme eux, Jeanne a choisi la confiance dans ses voix qui lui disent la volonté de cet Autre à qui elle s’en est remise, plutôt que la complaisance en ses projets ou la démission devant l’impossible. Regardez-bien : ce n’est rien de ce qui dirige habituellement la vie des politiciens qui la soutient.

Ce n’est pas un pro­gramme, ce n’est pas une ambition, ce n’est pas une valeur, ce n’est pas une idée, ce n’est pas un projet d’abord qui la guide : c’est Quelqu’un. Sa dernière parole le crie : «Jésus», «Jésus». Ce fut sa dernière parole.

Voilà où est la bataille, source de toutes les autres : c’est celle de la confiance en Quelqu’un, et du même fait de la confiance en ses compa­gnons. Et de cette bataille-là nous ne sommes pas dispensés, aucun d’entre nous ne l’est. Et il n’y a pas aujourd’hui d’autre réponse que celle de Jeanne : c’est la même. C’est la foi des premiers martyrs. On ne peut pas espérer être plus fort qu’elle en face de la montée des périls.

En face des chiens muets, il n’y a plus de victoire possible que celle des mains nues. Toute autre désormais est pourrie ou perdue à l’avance. Une ténacité aussi folle, une vérité sans faille, une douceur aussi résolue que celles de Jeanne d’Arc, ce n’est pas de notre ressort. Tout seul, c’est impossible à la force de l’homme. Le croire, ce serait déjà entrer dans le cycle du mensonge.

Toute l’espérance biblique est là, elle tient en un retournement : faire passer l’aide de l’Autre, Dieu, avant sa propre assurance. Dieu propose à Jeanne la victoire, la réussite, le succès. Elle en est assurée. «En nom Dieu, je suis venue.» Mais, pour accomplir sa promesse. Dieu propose à Jeanne son alliance : «Je serai avec toi.» C’est la phrase-clé de tous les prophètes, de tous les saints.

«Veux-tu faire passer mon alliance, la confiance en mon appui, dit Dieu, avant ton désir de réussite ?» Trois semaines avant le bûcher, au plus noir de son temps de prison, Jeanne le crie : «Je sais bien que Dieu a toujours été le maître de tout ce que j’ai fait. J’ai demandé a mes voix si je serais brûlée et mes voix m’ont répondu que je m’en attende à Notre Seigneur et que lui m’aiderait.»

Arrêtez-vous un instant dans la cellule de Jeanne d’Arc en ce mois de mai 1431… Il n’y a plus rien au monde qui la rassure. Ces voix ne lui pro­mettent pas d’éviter le supplice. Le Pape ne peut répondre. Le Roi l’a oubliée. Il n’y a plus aucun parent, aucun ami. On a pris tous les stra­tagèmes pour la faire se trahir. On lui enlève les habits d’homme qui pou­vaient mieux la protéger des brutalités des soldats.

On lui envoie un baron anglais pour tenter de la prendre de force. Martin Ladvenu l’avouera au procès de Réhabilitation. Et c’est alors qu’elle donne au monde la plus belle définition de l’espérance. «Je m’en attends à Notre Seigneur. Et lui m’aidera.» Elle découvre alors qu’elle ne peut plus demander à Dieu l’aide de Dieu pour obtenir moins que Dieu.

J’EN APPELLE DE VOUS DEVANT DIEU

«Évêque je meurs par vous… C’est pourquoi j’appelle de vous devant Dieu.» C’est la référence permanente et inlassable de Jeanne. «Je m’en at­tends à mon juge : Dieu à qui je m’en attends de tout et non à un autre.» «Je m’en attends à Dieu», c’est ce qu’elle lance au visage de l’Évêque Cauchon lorsqu’il entre dans sa cellule au matin du bûcher.

La «transcendance ?» Le journaliste Hubert Beuve-Méry disait : «Expulsé par son parti, on ne peut plus faire appel [ non croyant] qu’à des idées, des projets ou des programmes. Jeanne d’Arc rejetée par les gens de son Église peut en­core faire appel à Quelqu’un.» C’est la définition même de l’espérance.

Sur le chemin des interrogatoires, la chapelle Saint-Maclou nous rap­pelle aujourd’hui encore à Rouen l’endroit où entre la prison et le lieu du procès Jeanne demandait à s’agenouiller un instant parce que le Saint Sacrement était là. Et les soldats n’osaient pas lui refuser de s’agenouiller un moment.

Son Seigneur était là. Celui qui ne lui manquerait pas. Il était là celui sur qui elle pouvait s’appuyer. Seule présence indéfectible au terme de celui qui avait déjà été présent dans la prière de Domrémy.

A nous à qui il n’est pas proposé la prison et l’angoisse de Jeanne en son procès, il est cependant proposé la même espérance : le même silence, la même confiance : celle du silence qui tient bon.

Frères, vous avez, nous avons tous mille raisons d’être dans la nuit ou la lassitude : le vieillissement, la fatigue, les changements trop rapides et difficiles à comprendre, l’agression des usures physiques, l’inquiétude de l’avenir, une vitalité diminuée, un travail devenu sans intérêt, un amour effacé peut-être et même cette question, cette hésitation : faut-il encore pra­tiquer notre foi ?

Pourquoi parler du visage des saints ? Mais c’est d’abord exactement pour cela : parce que les saints, parce que Jeanne d’Arc ont connu avant nous cette nuit, notre nuit, ils ont partagé l’épreuve, ils ont été saisis, eux aussi, par l’usure et l’angoisse.

Et voici que, chaque année au mois de mai en France, une petite fille de treize ans vient nous reprendre par la main pour nous aider, pour nous dire, à nous les orphelins de l’Ascension, ces mots très simples : ceux que, dans notre lassitude, nous pouvons tous redire : «Je m’en attends à Dieu…» «J’en appelle de vous devant Dieu…»

Voilà notre victoire, notre cri. On ne pourra pas nous en priver. C’est celui de tous les pauvres, de tous les petits, de tous les sans-espoir contre tout espoir, de tous ceux à qui on ne pourra jamais enlever la confiance de l’espérance.

D’après le Père Bernard Bro à Saint-Étienne de Caen le jeudi 12 mai 1983.

Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

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