La joie de Marie et de Joseph ! Comme elle fut pure et dépouillée en cette nuit de Noël !
Pensons-y lorsque nous savons que Noël est fêté avec trop d’abondance. Ainsi nous irons rejoindre dans la pauvreté intérieure et dans le dépouillement, la joie véritable de Marie et de Joseph.
Pensons-y aussi lorsqu’au milieu des bruits du monde et des fêtes, notre cœur broyé de chagrin est dans le deuil et dans les larmes.
Alors nous saurons mieux être, envers et contre tout, souriants au milieu de nos frères afin de ne pas ternir leur joie. Mais sachons que nous aussi nous sommes sur le chemin de cette vraie et seule joie que Dieu a voulu garder intacte et pure pour entourer la naissance de l’Enfant.
Et quelle est donc cette vraie joie qui fut celle de Marie et celle de Joseph ? Ce fut la joie de l’adoration. En voyant l’Enfant, Marie et Joseph sont entrés en adoration.
Ils sont tombés à genoux, dans le grand silence de la nuit, dans le grand dépouillement de la crèche, dans le grand abandon à la volonté de Dieu.
Ils sont entrés en adoration, là où ils étaient : dans cette humble grotte de Bethléem. De même, Marie et Joseph continueront à adorer l’Enfant, dans leur maison de Nazareth.
Ils sont le modèle des maisons d’adoration ; ils sont le modèle de toute famille chrétienne qui ne peut vivre qu’en accueillant Jésus en sa maison et en vivant de Sa présence.
L’adoration commence à la maison ; là où l’on vit ; là où l’on s’aime.
Ainsi, il faut des « églises domestiques » pour que vive l’Église du Christ ; il faut des âmes-églises pour construire les églises domestiques.
Âme-église, c’est-à-dire âme qui accueille la Présence vivante de Jésus en elle, exactement comme Marie l’a accueillie.
Âme qui vive de cette Présence vivante là où elle est, dans sa maison.
La joie de l’adoration, Marie et Joseph ne l’ont pas gardée pour eux. Ils l’ont ouverte aux autres.
La grotte de Bethléem n’avait pas de porte. Elle était ouverte à tous sans exception ; c’est ainsi que les plus pauvres ont pu venir tout de suite, parce qu’ils étaient les plus proches. Sans le savoir, leur dépouillement les avaient amenés tout près du lieu de la Nativité. Et là, ils ont été avertis, par la joie du Ciel.
La joie du Ciel était si grande en cette nuit de Noël qu’elle s’est déversée sur la terre, de façon perceptible. Les bergers ont entendu le chant des anges. Ce chant était un chant de gloire !
Gloire à Dieu !
N’oublions jamais de contempler la gloire ! La gloire de Dieu ! Même au milieu des nuits les plus obscures et les plus froides ; même dans les grottes les plus dépouillées !
Lorsqu’un événement joyeux se passe sur la terre ; lorsque Jésus-Enfant vient habiter dans une maison, fut-elle une très pauvre grotte, et lorsque dans l’adoration, des âmes en prière l’aiment et le contemplent, alors tout le Ciel se réjouit et chante.
Ainsi, sans cesse, le Ciel se penche vers la terre, particulièrement au cours de nos prières familiales, de nos liturgies et de nos messes, et les anges du ciel chantent gloire à Dieu, nous invitant à lancer ce même cri de joie !
Les pauvres bergers ont entendu chanter la gloire de Dieu et, attirés par un appel mystérieux, ils se sont dirigés vers la grotte.
« Je te bénis, ô Père, de ce que tu as révélé ces choses aux petits et aux humbles. »
Alors les petits et les humbles se présentent à l’entrée de la grotte. Mais là, ils hésitent un instant. Ils n’ont pas pensé à leur pauvreté, ni à leur misère. Mais apercevant l’Enfant immaculé, posé dans la crèche, ils voient clairement cette pauvreté qui est la leur. Ils sont indignes. Ils ne peuvent pas avancer plus près. Pourtant, comme ils désirent entrer !
Et voilà que dans leur confusion, ils se tournent vers Marie qui se tient debout, au seuil de la grotte. Elle s’est approchée là, sans bruit, pour les accueillir, comme une parfaite maîtresse de maison et, bien plus, comme une mère qui attend ses enfants. Elle tend la main, prend la leur et les attire avec douceur au pied de la crèche, devant l’Enfant. Elle les regarde en souriant.
Il y a une si grande tendresse dans son geste d’accueil, que les bergers ne pensent plus à leur pauvreté. Leur confusion s’en est allée, car Marie s’en est chargée. Et auprès d’elle, comme rassurés et protégés, ils ne voient plus que l’Enfant. Alors, tombant à genoux, ils l’adorent.
Ils entrent en adoration. Plus rien d’autre ne compte que l’Enfant immaculé, et leur âme s’est envolée auprès de lui, en lui, pour l’adorer, le contempler jusqu’à disparaître en lui, n’être plus qu’un en lui, être uni à lui.
L’union de l’âme avec Jésus vivant ! Telle est la fin, la destinée de toute âme. Et cette union-là n’est pas réservée à la vie du ciel ; elle nous est proposée dès ici-bas, durant notre vie terrestre. Et c’est de cette façon-là que, déjà, nous connaissons le Royaume ; nous avons part dès cette terre, au règne de Dieu.
Ainsi, Marie nous montre que la prière est accueil : de Dieu et des autres.
La prière ne nous enferme pas ; elle est ouverture : ouverture à Dieu, ouverture aux autres.
Marie a contemplé debout au pied de la crèche, comme plus tard debout au pied de la Croix. Dans son adoration, elle ne se retirait pas du monde : elle y faisait face. Elle était toute tournée vers les enfants des hommes, prête à les accueillir, pour les amener à l’Homme-Dieu.
Prions Marie, afin d’être dans l’adoration, sans cesse prêts à partir en visitation.
Prière-adoration et prière-visitation intimement liées. C’est le grand enseignement de cette nuit de la Nativité. C’est le modèle proposé aux âmes d’adoration vivant dans le monde que le Seigneur rassemble, pour consacrer le monde.
NATIVITÉ, d’après les Très belles heures de Jean de France, Duc de Berry – France – vers 1400
UN NOUVEAU-NÉ couché dans une crèche vient faire surgir de notre vieux monde un homme nouveau. Son message est une Bonne Nouvelle, capable de renouveler nos cœurs.
Dieu est jeune, inépuisablement neuf, nouveau, source de vie nouvelle. Cette jeunesse, cette puissance divine de renouveau a bien du mal avec nos scléroses, nos habitudes, nos routines, nos idées toutes faites, ce qui fait de nous des êtres souvent tordus, blessés, malades, usés…
Mais un enfant nous est né ! Un cœur neuf nous est offert et donné. Un monde nouveau veut naître. Des paroles inouïes se font entendre. Ceux qui les entendent retrouvent leur cœur d’enfant. Ils sont enfants de Dieu. C’est Noël !
DANS notre monde souvent inhumain, nous sommes de plus en plus sensibles aux quelques oasis de l’âme qui nous restent, comme la fête de Noël. Ceux qui ne voient en Noël qu’une fête des enfants se trompent : c’est une fête pour les adultes, pour nous tous, prisonniers d’un univers de béton, de logique, de calculateurs, d’ordinateurs.
Quelle bouffée d’air incomparable, quelle prodigieuse fissure ouvrant sur l’infini, que cette naissance de Dieu petit enfant, bébé, né d’une vierge, couché dans une mangeoire, pauvre, ignoré, silencieux, sans or, sans auto, sans publicité !…
Qui aurait osé inventer pour Dieu un tel visage ? Qui, d’ailleurs, aurait osé inventer son autre visage parmi les hommes, celui de son dernier jour : nu, couronné d’épines, cloué sur une croix?
De tous temps les hommes se sont inventé des philosophies et des religions ; mais pas cette Incarnation du Fils de Dieu, ce défi total à toutes les vraisemblances, à tous les pouvoirs, à toutes les puissances qui règnent en ce monde.
Je crois ceci : plus on avance dans la connaissance de la vie et dans l’expérience des réalités terrestres, plus cette déconcertante naissance du Fils de Dieu devient croyable, et plus sa folle démesure laisse pressentir qui est Dieu ! Lui dont, comme le dit Isaïe, les pensées ne sont pas nos pensées…
Cependant, il ne faudrait pas que le mystérieux, l’admirable et le divin de Noël nous masquent son extrême réalisme ! Le risque n’est pas illusoire de tellement voir en Jésus le Dieu qu’on ne voit plus du tout l’homme. C’est alors annuler le mystère de l’Incarnation. Sans doute le Fils de Dieu aurait pu « faire semblant » d’être homme, descendre un beau jour du ciel, âgé de 33 ans, impassible et rayonnant.
Mais ce que Dieu a voulu pour nous, c’est un Sauveur né de notre humanité, d’une femme nommée Marie, vraiment nôtre, portant en lui devant Dieu toute notre condition humaine, pour la faire aboutir jusqu’à Dieu. Comme l’explique saint Thomas d’Aquin, c’est dans et par son humanité, son être d’homme, que Jésus nous a sauvés, au prix de sa fidélité jusqu’au bout envers Dieu.
Jésus, Fils de Dieu, oui. Mais en même temps, vrai homme, notre frère. Voilà pourquoi chacun peut le suivre pas à pas, jour après jour, dans le concret de la vie. Et ainsi se prolonge en quelque sorte, à travers nous, cette Incarnation de Noël, parce que grâce à lui, le Fils de Dieu, nous devenons nous-mêmes enfants de Dieu, capables de dire à Dieu : « Notre Père ».
Texte présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse
« Elle enfanta son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une mangeoire parce que dans l’hôtellerie il n’y avait pas de place pour eux. »
La crèche de Grecchio, lieu de la première crèche avec saint François d’Assise
Les mots de saint Luc évoquent avec toute leur simplicité cette scène si familière de tous les Noëls de toutes les crèches du monde. Mais essayons d’en dépouiller le pittoresque pour en voir toute la réalité !
« Il n’y avait pas de place pour eux !… » Ainsi donc, ô Marie, dans ce soir où vous arriviez à Bethléem, poussée par l’ordre du recensement comme tous les autres — les mamans en attente n’avaient pas un régime de faveur, — vous et saint Joseph vous avez frappé à bien des portes. Ce n’était pas plein partout puisque saint Luc ne dit pas « il n’y avait pas de place »… mais « pas de place pour vous » !
Nous savons bien la différence d’accueil entre les voyageurs de la belle conduite intérieure — entrez quand même, on trouvera bien une petite place, — et les pauvres gens avec leur baluchon hâtivement noué, devant lesquels les portes ne s’ouvraient guère !… Vous avez connu cela. D’autres ont pu entrer, et vous, vous avez traîné votre fatigue, et, sentant bien que votre heure était proche, vous vous demandiez où allait naître le fils qu’un messager céleste vous avait promis.
Était-ce la peine qu’un ange descende du ciel pour annoncer sa venue si c’était pour le faire naître comme le fils d’une pauvresse, de ces clochards qui n’ont que l’abri d’un pont !… Mais vous, ô Marie, vous ne pensiez pas ainsi. Vous alliez le coeur en paix, car vous sentiez au-dessus de vous cette main paternelle de Dieu qui n’abandonne pas !
Naissance de Jésus
Marie, vous avez sûrement pensé au petit berceau que Joseph le charpentier avait dû façonner avec amour de ses propres mains et sur lequel vous avez jeté un dernier regard quand vous avez fermé la maison de Nazareth, au moment de vous mettre en route.
Il y avait les couvertures de laine et toutes ces petites choses avec lesquelles les mamans trompent les longs mois de l’attente — petits bonnets de dentelle posés sur le poing et qui font tressaillir de bonheur longtemps à l’avance ! — Vous aussi vous aviez tout préparé, et voilà que tout est inutile.
Vous n’avez pu emporter que quelques langes pour l’envelopper le plus chaudement possible… et il n’y avait rien dans cette crèche en plein vent… ni eau, ni feu, rien de ce qui est nécessaire quand un enfant vient au monde, fût-il un Dieu, puisqu’il a voulu tout connaître de la dure condition humaine !
Et lui qui avait une maison pourtant comme tous les autres, modeste, mais si accueillante, c’est comme le plus dénué de tout qu’il veut faire son entrée dans ce monde
Mais cette pauvreté réelle, la Vierge, en cette nuit même, a su quel trésor elle pouvait apporter : elle fut de ces choses « qu’elle repassait dans son cœur » et avec quelle douceur ! Cette nuit-là, l’Église ne la compte pas au nombre des heures douloureuses de la Vierge, mais de ses heures de joie. « Mystère joyeux », ce n’est pas encore ce soir que Siméon prophétise ce glaive de douleur qui doit percer le cœur de la Mère !…
Vous n’avez rien, ô Marie, le froid, la paille, le vent, le dénuement… mais vous serrez contre vous cet adorable Enfant-Dieu, et votre joue contre sa joue dans la tendresse et l’adoration, les yeux clos, vous écoutez dans le ravissement les anges chanter autour de vous… mais pas aussi suavement que votre cœur… parce que vous êtes la plus comblée des créatures, parce que Dieu est là pour vous emplir de ses richesses !
LE SENS DES VRAIES RICHESSES
Vierge Marie, faites que je regarde sans cesse vers vous, comme en ce moment où, méditant ce mystère, une telle douceur pénètre en moi rien qu’à vous regarder si paisible et si rayonnante au sein de votre abandon !…
Maintenant tout me semble clair parce que vous êtes là, mais c’est tout à l’heure qu’il me faudra emporter cette dure et émouvante et féconde conviction du bienfait de la pauvreté, tout à l’heure, quand je ferai la vaisselle ou frotterai mon parquet, que je repriserai une robe bien usée et que je compterai au fond de ma bourse ces billets qui ne « valent rien » mais procurent encore tant de choses à ceux qui en ont !
Jamais plus qu’aujourd’hui la pauvreté ne m’est apparue avec un visage si pénible. Il manque tant et tant de choses, des plus humbles jusqu’aux plus précieuses — oh ! la maison des réfugiés ! oh ! le foyer disparu, — et jamais plus qu’aujourd’hui l’argent n’a semblé le meilleur moyen de se mettre à l’abri !
Vous qui avez compris, faites que je comprenne ce « Bienheureux les pauvres » que Jésus prêche déjà tout petit entre vos bras. Comment faut-il que je dédaigne ces biens qui me semblent pourtant si réels… comment faut-il, si je les ai, que je m’en passe… Oh ! contradiction de cet Évangile qui renverse toutes nos fausses sagesses et nous donne à aimer tant de choses que la pauvre nature rejette…
C’est que les biens que je crois posséder, ce sont souvent eux qui me possèdent, et si je n’y prends garde ils m’enserreront et m’étoufferont comme le lierre — revêtement somptueux — finit par étouffer l’arbre qu’il entoure ! C’est que ces biens risquent de servir d’écran aux vrais biens spirituels et rabaisser vers la terre des yeux qui sont faits pour regarder le ciel !
C’est que ces biens risquent de me faire oublier ma vraie situation de voyageur en route vers son éternité, libre de marcher en chantant, sans retourner sans cesse la tête en arrière, et que je peux devenir le propriétaire farouchement attaché à son bien et qui ne pourra jamais plus prendre de beaux départs.
Certes, mon Dieu, vous avez donné à l’homme des biens qu’il ne doit pas mépriser… ce coin de terre avec cette maison au toit rouge, ce bouquet d’arbres qui tremble au vent et évoque tant de souvenirs… tant et tant de choses précieuses qui semblent prolonger notre personnalité et l’enrichir !… mais comme vite ces biens-là, si on n’y prend pas garde, deviennent des tentacules qui nous étouffent.
Cette terrible passion de la possession — du gros compte en banque au petit livret de caisse d’épargne — dont on ne sait plus qui est le possesseur et le possédé, et qui nous masque le merveilleux visage de la création, de nos frères et de Dieu.
« Donne tout ce que tu as, conseille Jésus au jeune homme riche qui désirait la perfection, et suis-moi » ; mais celui-là s’en alla tristement parce qu’il n’avait pas le courage de renoncer à ses biens. Il préfère garder son luxe, ses beaux vêtements, sa maison de campagne… mais du coup il renonce à la joie… « Il devint triste », dit deux fois l’Évangile.
Cette joie de la pauvreté, je n’ai pas encore su la découvrir. Dans mes privations d’aujourd’hui je ne vois pas luire le rayon de soleil des béatitudes. Je me perds à supputer mes maigres ressources, je soupire devant mon pauvre feu, je veille jalousement sur mes petites provisions et je chemine lourdement sans jouir des promesses de l’Évangile. « Bienheureux les pauvres ! »
C’est que j’ai la pauvreté sans en avoir l’esprit. Manquer de tout n’est pas une vertu : il y aurait aujourd’hui trop de gens vertueux dans le monde.
Même sans rien posséder, mon cœur n’est pas libre des biens, s’il passe son temps à soupirer après eux, si en mangeant mon pain, an lieu de remercier Dieu qui me le donne, je louche du côté de ceux qui ont la chance de pouvoir mettre du beurre dessus !
Ces biens dont je suis privée me ligotent aussi bien que si je les avais. Et tout pauvre que je suis, je porte dans mon cœur ce riche que Dieu condamne, celui qui passera plus difficilement par la porte du paradis que par le trou de l’aiguille.
Si être pauvre en esprit, c’est aller tout droit vers Dieu, dans l’allégresse et la légèreté, comment pourrai-je le faire, puisque sans cesse mes yeux, au lieu de regarder vers Dieu, regardent vers Mammon ; comment pourrai-je être légère, moi qui suis lourde de toutes mes envies, et comment mon cœur aurait-il la joie lorsqu’il vit dans l’amertume de ses convoitises ?
Vierge Marie ! Vierge Marie ! obtenez-moi de comprendre et de n’être pas comme le jeune homme qui s’en retourna triste… Obtenez-moi de me libérer de ce poids qui m’attache à la terre. Si je suis riche, que ma richesse ne me retienne pas, et si je suis pauvre, que ce désir de richesse ne me soit pas du même poids !
« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. » Je veux mettre mon cœur au-dessus de ces biens matériels, si périssables, si vite arrachés. Je veux avoir pour trésor l’amour de mes frères et l’amour de Dieu et y trouver la vraie joie que rien ne pourra me prendre, « trésor à l’abri de la rouille et des voleurs ». Cette joie de saint François d’Assise qui, ayant épousé Dame Pauvreté, s’en allait par les routes, vêtu de bure et si heureux qu’il était obligé de chanter pour soulager son cœur !
Dieu ne me demande pas de tout quitter effectivement. Je suis prise dans ma vie temporelle et je dois bien m’occuper de subvenir à mes besoins, mais sans me préoccuper de ce qui peut me manquer. Je sais que Dieu nourrit les passereaux qui pourtant ne valent que « deux as ». Ils cherchent leur vie, mais sans s’arrêter de chanter, et c’est bien ainsi que je dois faire !
Ce que j’ai aujourd’hui, mon Dieu, je vous en remercie. J’en userai non pas pour moi seule, mais aussi pour mes frères. J’aurais déjà cette première joie, celle de donner,… un morceau de pain, si je n’ai que cela à partager ! La joie d’un visage me sera plus précieuse qu’un bijou à mon doigt.
Du bonheur dans ma maison, de la santé pour un gosse, ce sera plus beau à contempler qu’une œuvre d’art dont j’aurais la jouissance solitaire. Ce secours à cette pauvre femme ne m’apportera-t-il pas plus de vrai bonheur que tout le luxe tape-à-l’œil qui fait si peu d’amis et tant de jaloux… Oh ! ces « pauvres » riches qui ont tant de choses et ne connaissent pas les plus précieuses joies de la vie ?
Vous n’avez rien, Vierge Marie, dans cette étable, mais vous avez Jésus entre vos bras ; n’est-ce pas la plus émouvante des leçons !… Si mon cœur est rempli de la convoitise des biens terrestres, où Dieu trouvera-t-il sa place ? « Dès que nous serons vides de nous-mêmes, Dieu nous remplira de Lui », dit saint Vincent de Paul. C’est dans ce sens-là qu’il faut comprendre la grande parole du Christ. « Celui qui ne se renonce pas ne peut pas être mon disciple. »
Notre cœur est si petit, si étroit, comment l’Infini y trouverait-Il sa place, si nous le transformons par surcroît en un bric-à-brac ! Il faut ne tenir à rien pour découvrir le sens des vrais biens. C’est Dieu seul qui est la vraie richesse, et la vie aujourd’hui, en nous arrachant tant de choses, doit nous aider à ce dépouillement intérieur, à ne pas faire passer l’accessoire pour l’essentiel !
Que de réfugiés dont tous les biens tenaient à l’aise dans une valise, m’ont dit avoir découvert enfin la joie des libérations intimes qui permet la possession des vraies richesses.
Vierge Marie, faites que chaque méditation de ce mystère fasse pénétrer davantage en moi le sens de cette « pauvreté en esprit » qui me libérera de toute attache et me donnera le goût de Dieu qui est la seule richesse.
Faites que je ne dénature pas le visage de la Pauvreté qui est vraiment le reflet de son visage… que je ne sois pas de ceux qui thésaurisent, même des indulgences quand ce n’est plus des sous… tellement il leur est difficile de tout abandonner !
Faites que le peu que j’ai ne me colle pas aux doigts et que je m’en aille ainsi au milieu du monde qui agonise dans la convoitise des uns et le rassasiement triste des autres, montrant le visage joyeux d’un de vos enfants qui n’a peur de rien, car « ceux qui cherchent le Seigneur ne seront privés d’aucun bien » (Psaume 33).