Prière œcuménique au Mausolée Jean Garang

Voyage apostolique de Sa Sainteté François en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud
(Pèlerinage œcuménique de paix au Soudan du Sud)
(31 janvier – 5 février 2023) 

voyage du Pape au Sud-Soudan
voyage du Pape au Sud-Soudan

Cet après-midi, samedi 4 février, au mausolée « John Garang » à Juba, une prière œcuménique a eu lieu. Après la salutation liturgique et une brève introduction par le Révérend Thomas Tut Puot Mut, Président du Conseil des Églises du Soudan du Sud (SSCC), l’acte pénitentiel a eu lieu, suivi de la prière, de la première lecture et de la lecture de l’Évangile.

Puis, après une allocution de l’archevêque de Cantorbéry, Sa Grâce Justin Welby, et une introduction du modérateur de l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse, le pasteur Iain Greenshields, le Credo des Apôtres a été récité. La prière d’intercession et de miséricorde pour la nation a ensuite eu lieu au cours de laquelle chaque lecteur a versé de l’eau sur les arbres préalablement plantés en signe d’unité.

Le Saint-Père François a ensuite prononcé son discours qui a été suivi de la récitation du Notre Père, de la bénédiction des trois chefs religieux et du chant final. Selon les autorités locales, plus de 50 000 personnes ont participé à la prière œcuménique au mausolée « John Garang ».

Nous publions ci-dessous le discours que le Saint-Père a prononcé lors de la prière œcuménique :

Prière œcuménique au Mausolée « Jean Garang »

Monsieur le Président de la République,
Autorités religieuses et civiles distinguées,
Chers frères et sœurs !

Des prières nombreuses viennent de s’élever vers le Ciel de cette terre aimée et meurtrie: des voix différentes se sont unies, formant une seule voix. Ensemble, comme Peuple saint de Dieu, nous avons prié pour ce peuple blessé. En tant que chrétiens, prier est la première et plus importante chose que nous sommes appelés à faire pour pouvoir bien agir et avoir la force de marcher. Prier, agir et marcher : réfléchissons sur ces trois verbes.

Tout d’abord, prier. Le grand engagement des communautés chrétiennes pour la promotion humaine, pour la solidarité et pour la paix serait vain sans la prière. En effet, nous ne pouvons pas promouvoir la paix sans avoir d’abord invoqué Jésus, « Prince-de-la-Paix » (Is 9, 5). Ce que nous faisons pour les autres et partageons avec les autres est avant tout un don gratuit que, les mains vides, nous recevons de Lui : c’est une grâce, une pure grâce. Nous sommes chrétiens parce que nous sommes aimés gratuitement par le Christ.

Ce matin, je me suis inspiré de la figure de Moïse et maintenant, précisément en relation avec la prière, je voudrais évoquer un épisode qui a été décisif pour lui et pour son peuple, survenu alors qu’il venait à peine de commencer de l’accompagner sur le chemin vers la liberté. Arrivés près des rives de la mer Rouge, une scène dramatique se présente à ses yeux et à ceux de tous les Israélites : devant eux se dresse la barrière infranchissable des eaux ; derrière, arrive l’armée ennemie, avec des chars et des chevaux. Cela ne rappelle-t-il pas les premiers pas de ce pays, assailli tant par les eaux de la mort, comme celles des inondations désastreuses qui l’ont frappé, que par une violence belliqueuse effroyable ? Eh bien, dans cette situation désespérée, Moïse dit au peuple : « N’ayez pas peur ! Tenez bon ! Vous allez voir aujourd’hui ce que le Seigneur va faire pour vous sauver ! » (Ex 14, 13). Alors, je me demande : d’où venait à Moïse une telle certitude, alors que son peuple continuait à se plaindre effrayé ? Cette force lui venait de l’écoute du Seigneur (cf. 2-4) qui lui avait promis de manifester sa gloire. L’union avec Lui, la confiance en Lui cultivée dans la prière, est le secret par lequel Moïse a pu accompagner le peuple de l’oppression à la liberté.

Il en est de même pour nous aussi : prier donne la force d’avancer, de surmonter les peurs, d’entrevoir, même dans les ténèbres, le salut que Dieu prépare. De plus, la prière attire le salut de Dieu sur le peuple. La prière d’intercession, qui a caractérisé la vie de Moïse (cf. Ex 32, 11-14), est celle à laquelle nous sommes tenus, nous surtout, Pasteurs du Peuple saint de Dieu. Pour que le Seigneur de la paix intervienne là où les hommes ne parviennent pas à la construire, il faut la prière : une prière tenace, d’intercession constante. Frères et sœurs, en cela, soutenons-nous: dans nos diverses Confessions religieuses, sentons-nous unis entre nous, comme une seule famille ; et sentons-nous chargés de prier pour tous. Dans nos paroisses, églises, assemblées de culte et de louange, prions assidûment et unanimement (cf. Ac 1, 14) pour que le Soudan du Sud “rejoigne la terre promise”, comme le peuple de Dieu dans les Écritures. Qu’il dispose sereinement et équitablement de la terre fertile et riche qu’il possède, et qu’il soit comblé de cette paix promise mais, malheureusement, pas encore advenue.

Nous sommes précisément appelés, en second lieu, à agir pour la cause de la paix. Car Jésus nous veut « artisans de paix » (Mt 5, 9), il veut que son Église ne soit pas seulement signe et instrument de l’union intime avec Dieu, mais aussi de l’unité de tout le genre humain (cf. Lumen gentium, n. 1). Le Christ, en effet, comme le rappelle l’Apôtre Paul, « est notre paix » précisément dans le sens du rétablissement de l’unité. Il est celui qui “des deux, fait une seule réalité, en détruisant les murs de séparation, la haine” (cf. Ep 2, 14). Voilà la paix de Dieu : non seulement une trêve entre les conflits, mais une communion fraternelle, qui vient de l’union, non de l’absorption ; du pardon, non de la domination ; de la réconciliation, non de l’imposition. Le désir de paix du Ciel est si grand qu’il a été annoncé dès la naissance du Christ : « paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime » (Lc 2, 14). Et l’angoisse de Jésus provoquée par le refus de ce don qu’il venait apporter est si grande, qu’Il pleura sur Jérusalem, en disant : « Si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour ce qui donne la paix ! » (Lc 19, 42).

Chers frères et sœurs, œuvrons sans nous lasser pour cette paix que l’Esprit de Jésus et du Père nous invite à construire : une paix qui intègre les diversités, qui promeut l’unité dans la pluralité. Voilà la paix de l’Esprit Saint qui harmonise les différences, tandis que l’esprit ennemi de Dieu et de l’homme s’appuie sur les différences pour diviser. À cet égard, l’Écriture dit : « Voici comment se manifestent les enfants de Dieu et les enfants du diable : quiconque ne pratique pas la justice n’est pas de Dieu, et pas davantage celui qui n’aime pas son frère » (1 Jn 3, 10). Chers amis, celui qui se dit chrétien doit choisir son camp. Celui qui suit le Christ choisit la paix, toujours ; celui qui déclenche la guerre et la violence trahit le Seigneur et renie son Évangile. Le style que Jésus nous enseigne est clair : aimer tout le monde, car tous sont aimés comme des enfants par le Père commun qui est aux cieux. L’amour du chrétien n’est pas seulement pour les proches, mais pour chacun, car chacun est notre prochain en Jésus, un frère, une sœur, même l’ennemi (cf. Mt 5, 38-48) ; et à plus forte raison ceux qui appartiennent à notre même peuple, même s’ils sont d’ethnies différentes. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12) ; tel est le commandement de Jésus qui contredit toute vision tribale de la religion. « Que tous soient un » (Jn 17, 21) : telle est la prière pressante de Jésus au Père pour nous tous croyants.

Travaillons, frères et sœurs, pour cette unité fraternelle entre nous chrétiens et aidons-nous à faire passer le message de la paix dans la société, à répandre le style de non-violence de Jésus, afin qu’il n’y ait plus de place pour une culture fondée sur l’esprit de vengeance chez ceux qui se professent croyants; afin que l’Évangile ne soit pas seulement un beau discours religieux, mais une prophétie qui devienne réalité dans l’histoire. Travaillons à cela : travaillons pour la paix en tissant et en recousant, jamais en coupant ou en déchirant. Suivons Jésus et, derrière Lui, faisons des pas communs sur le chemin de la paix (cf. Lc 1,79).

Voici alors le troisième verbe : après prier et agir, marcher. Ici, au cours des décennies, les communautés chrétiennes se sont fortement engagées dans la promotion de chemins de réconciliation. Je voudrais vous remercier pour ce témoignage lumineux de foi, né de la reconnaissance, non seulement en paroles mais dans les faits, qu’avant les divisions historiques existe une réalité immuable : nous sommes chrétiens, nous sommes du Christ. Il est beau que, au milieu de tant de conflits, l’appartenance chrétienne n’a jamais détruit la population, mais a été, et est encore, facteur d’unité. L’héritage œcuménique du Soudan du Sud est un trésor précieux, une louange au nom de Jésus, un acte d’amour à l’Église son épouse, un exemple universel pour le chemin d’unité des chrétiens. C’est un héritage qui doit être conservé dans le même esprit : les divisions ecclésiales des siècles passés ne doivent pas se répercuter pas sur ceux qui sont évangélisés, mais la semence de l’Évangile doit contribuer à répandre une plus grande unité. Que le tribalisme et le sectarisme qui alimentent les violences dans le pays n’affectent pas les relations interconfessionnelles ; au contraire, que le témoignage d’unité des croyants se reverse sur le peuple.

En ce sens, pour finir, je voudrais suggérer deux mots-clés pour la suite de notre cheminement : mémoire et engagement. Mémoire : les pas que vous faites suivent les traces de vos prédécesseurs. N’ayez pas peur de ne pas en être à la hauteur, sentez-vous au contraire poussés par ceux qui vous ont préparé la route. Comme dans un relais, prenez le témoin pour hâter la réalisation de l’objectif d’une communion pleine et visible. Et ensuite engagement : on marche vers l’unité quand l’amour est concret, quand on secourt ensemble ceux qui sont en marge, ceux qui sont blessés et rejetés. Vous le faites déjà dans de nombreux domaines, je pense en particulier à la santé, à l’instruction, à la charité : que d’aides urgentes et indispensables vous apportez à la population ! Merci pour tout cela. Continuez ainsi : jamais concurrents, mais proches ; frères et sœurs qui, par leur compassion pour les souffrants, les préférés de Jésus, rendent gloire à Dieu et témoignent de la communion qu’Il aime.

Très chers amis, mes frères et moi nous sommes venus en pèlerins parmi vous, Peuple saint de Dieu en marche. Même si nous sommes loin physiquement, nous serons toujours proches de vous. Repartons chaque jour de la prière les uns pour les autres et avec les autres, en œuvrant ensemble comme témoins et médiateurs de la paix de Jésus, en marchant sur la même route, en faisant des pas concrets de charité et d’unité. En tout, aimons-nous intensément, et de tout cœur (cf. 1 P 1, 22).

Message du Saint-Père à l’occasion de la IIIe Journée internationale de la fraternité humaine

Message vidéo du Saint-Père à l’occasion de la IIIe Journée internationale de la fraternité humaine et de la remise du prix Zayed pour la fraternité humaine, 04.02.2023

Nous publions ci-dessous le texte du message vidéo que le Saint-Père François a envoyé à l’occasion de la IIIe Journée internationale de la fraternité humaine, qui a lieu aujourd’hui 4 février, diffusé lors de la cérémonie de remise du Prix Zayed 2023 inspiré du Document sur la fraternité humaine :

Message vidéo du Saint-Père

Chères sœurs et chers frères, bonjour !

Je salue avec affection et estime le Grand Imam Ahmed Al-Tayyeb avec qui, il y a exactement quatre ans à Abu Dhabi, j’ai signé le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune.

Je remercie Son Altesse Cheikh Mohammed bin Zayed pour son engagement sur la voie de la fraternité ; le Comité Supérieur pour la Fraternité Humaine pour les initiatives promues dans diverses parties du monde ; et je remercie également l’Assemblée générale des Nations Unies car, avec la résolution de décembre 2020, elle a établi le 4 février comme la Journée internationale de la fraternité humaine. Je suis également heureux de me joindre à l’initiative louable de décerner le prix Zayed pour la fraternité humaine 2023.

En partageant des sentiments de fraternité les uns pour les autres, nous sommes appelés à promouvoir une culture de paix qui encourage le dialogue, la compréhension mutuelle, la solidarité, le développement durable et l’inclusion. Nous portons tous dans notre cœur le désir de vivre en frères, en entraide et en harmonie. Le fait que souvent cela ne se produise pas – et nous en avons malheureusement des signes dramatiques – devrait stimuler encore plus la recherche de la fraternité.

Il est vrai que les religions n’ont pas la force politique d’imposer la paix, mais en transformant l’homme de l’intérieur, en l’invitant à se détacher du mal, elles le guident vers une attitude de paix. Les religions ont donc une responsabilité décisive dans la coexistence des peuples : leur dialogue tisse un complot pacifique, rejette la tentation de déchirer le tissu civil et libère de l’exploitation des différences religieuses à des fins politiques. La tâche des religions est également importante pour rappeler que le destin de l’homme va au-delà des biens terrestres et se situe dans un horizon universel, car toute personne humaine est une créature de Dieu, nous venons tous de Dieu et nous retournons tous à Dieu.

Les religions, pour se mettre au service de la fraternité, ont besoin de dialoguer entre elles, de se connaître, de s’enrichir et surtout d’approfondir ce qui unit et collabore pour le bien de tous.

Les différentes traditions religieuses, chacune puisant dans son propre héritage spirituel, peuvent apporter une grande contribution au service de la fraternité. Si nous sommes capables de démontrer qu’il est possible de vivre la différence dans la fraternité, nous pourrons peu à peu nous libérer de la peur et de la méfiance envers l’autre qui est différent de moi. Cultiver la diversité et harmoniser les différences n’est pas un processus simple, mais c’est la seule voie capable de garantir une paix solide et durable, c’est un engagement qui nous demande de renforcer notre capacité à dialoguer avec les autres.

Des hommes et des femmes de religions différentes marchent vers Dieu par des chemins qui s’entremêlent de plus en plus. Chaque rencontre peut être l’occasion de s’opposer ou, avec l’aide de Dieu, de s’encourager mutuellement à avancer en frères et sœurs. En effet, nous partageons non seulement une origine et une ascendance communes, mais aussi un destin commun, celui de créatures fragiles et vulnérables, comme nous le montre clairement la période historique que nous vivons.

Chers frères et chères sœurs,

nous sommes conscients que le chemin de la fraternité est un chemin long et difficile. Aux nombreux conflits, aux ténèbres d’un monde clos, opposons le signe de la fraternité ! Elle nous pousse à accueillir l’autre et à respecter son identité, elle nous incite à travailler dans la conviction qu’il est possible de vivre en harmonie et en paix.

Je remercie tous ceux qui se joindront à notre chemin de fraternité, et je les encourage à s’engager pour la cause de la paix et à répondre aux problèmes et aux besoins concrets des plus petits, des pauvres, des sans défense, de ceux qui ont besoin de notre aide.

Et dans ce sens va le prix Zayed pour la fraternité humaine. Merci beaucoup, merci beaucoup pour votre session avec le prix de cette année, qui a été décerné à la communauté de Sant’Egidio et à Mme Shamsa Abubakar Fadhil. Merci beaucoup pour votre travail, pour votre témoignage.

Et à vous tous, chers frères et sœurs, mes salutations et ma bénédiction.

En regardant l’histoire de Moïse

En regardant l’histoire de Moïse

Ce matin, après avoir célébré la Sainte Messe en privé, le Saint-Père François s’est rendu  à la cathédrale Sainte-Thérèse de Juba pour la rencontre avec les évêques, les prêtres, les diacres, les consacrés et les séminaristes.

voyage du Pape au Sud-Soudan
voyage du Pape au Sud-Soudan

A son arrivée à 9h10 (8h10 à Rome), le Pape a été accueilli par l’archevêque de Juba, S.E. Mgr Stephen Ameyu Martin Mulla, et par le curé qui lui a apporté la croix et l’eau bénite. Ensemble, ils descendirent la nef centrale pour atteindre l’autel. Puis, après le chant d’entrée et le salut du Président de la Conférence épiscopale du Soudan, S.E. Mgr Yunan Tombe Trille Kuku Andali, évêque d’El Obeid, un prêtre et une religieuse ont témoigné. Le pape François a ensuite prononcé son discours.

À la fin, après la bénédiction et l’hymne final, le Saint-Père est ensuite retourné  à la nonciature apostolique de Juba où il a rencontré en privé les membres de la Compagnie de Jésus présents dans le pays.

Nous publions ci-dessous le discours que le Saint-Père a prononcé lors de la rencontre avec les évêques, les prêtres, les diacres, les consacrés et les séminaristes :

VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
en RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO et au SOUDAN DU SUD
(Pèlerinage Œcuménique de Paix au Soudan du Sud)
[31 janvier – 5 février 2023]

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES, LES PRÊTRES, LES DIACRES, LES PERSONNES
CONSACRÉES, ET LES SÉMINARISTES

DISCOURS DU SAINT-PÈRE 

<Cathédrale de Sainte-Thérèse (Djouba)
Samedi 4 février 2023

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Chers frères Évêques, prêtres et diacres,
chers consacrés, chers séminaristes, chers novices et aspirants, bonjour à tous !

Depuis longtemps, je nourri le désir de vous rencontrer ; c’est pourquoi je voudrais remercier le Seigneur aujourd’hui. J’exprime ma gratitude à Mgr Tombe Trille pour ses salutations et à vous tous pour vos salutations et votre présence ; certains d’entre vous ont fait des jours de voyage pour être ici aujourd’hui ! Je porte toujours gravés dans mon cœur des moments vécus avant cette visite : la célébration à Saint-Pierre en 2017, au cours de laquelle nous avons élevé une supplique à Dieu pour le don de la paix ; et la retraite spirituelle en 2019 avec les Leaders politiques, invités pour que, par la prière, ils prennent à cœur la ferme décision de poursuivre la réconciliation et la fraternité dans le pays. Nous avons besoin avant tout de cela: accueillir Jésus, notre paix et notre espérance.

Dans mon discours d’hier, je me suis inspiré du cours des eaux du Nil qui traverse votre pays comme s’il était sa colonne vertébrale. Dans la Bible, à l’eau sont souvent associées l’action du Dieu créateur, la compassion avec laquelle il étanche notre soif lorsque nous errons dans le désert, la miséricorde avec laquelle il nous purifie lorsque nous tombons dans les marécages du péché. Dans le baptême, Il nous a sanctifiés avec une eau qui nous « a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint » (Tt 3, 5). C’est précisément dans une perspective biblique que je voudrais regarder à nouveau les eaux du Nil. D’une part, dans le lit de ce cours d’eau, les larmes d’un peuple plongé dans la souffrance et la douleur, martyrisé par la violence se déversent ; un peuple qui peut prier comme le psalmiste : « Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions » (Ps 137, 1). Les eaux du grand fleuve, en effet, recueillent les gémissements de souffrance de vos communautés, recueillent le cri de douleur de tant de vies brisées, recueillent le drame d’un peuple en fuite, l’affliction du cœur des femmes et la peur gravée dans les yeux des enfants. On peut voir la peur dans les yeux des enfants. Mais en même temps, les eaux du grand fleuve nous ramènent à l’histoire de Moïse et, par conséquent, elles sont un signe de délivrance et de salut : des eaux, en effet, Moïse a été sauvé et, en conduisant les siens à travers la Mer Rouge, il est devenu un instrument de libération, une icône du secours de Dieu qui voit l’affliction de ses enfants, entend leur cri et descend pour les libérer (cf. Ex 3, 7). En regardant l’histoire de Moïse qui a conduit le peuple de Dieu à travers le désert, demandons-nous que signifie être ministres de Dieu dans une histoire traversée par la guerre, la haine, la violence, la pauvreté. Comment exercer le ministère sur cette terre, sur les rives d’un fleuve baigné de tant de sang innocent, alors que les visages des personnes qui nous sont confiées sont striés par les larmes de la souffrance ? Voilà la question. Et quand je parle de ministère, je le fais dans un sens large : ministère presbytéral, ministère diaconal et ministère catéchétique, d’enseignement, qu’accomplissent tant de consacrés et de laïcs.

Moïse église sainte Clotilde Paris
Moïse église sainte Clotilde Paris

Pour tenter de répondre, je voudrais m’arrêter sur deux attitudes de Moïse : la docilité et l’intercession. Je pense que ces deux choses touchent notre vie ici.

La première chose qui nous frappe dans l’histoire de Moïse est sa docilité à l’initiative de Dieu. Nous ne devons cependant pas penser qu’il en a toujours été ainsi : au début, il avait la prétention de mener seul la tentative de lutter contre l’injustice et l’oppression. Sauvé par la fille du Pharaon des eaux du Nil, il se laisse toucher par la souffrance et l’humiliation de ses frères lorsqu’il découvre son identité, si bien qu’un jour il décide de se faire justice tout seul, en frappant à mort un égyptien qui maltraite un juif. Suite à cet épisode il doit fuir et rester dans le désert de nombreuses années. Il y fait l’expérience d’une sorte de désert intérieur : il avait pensé affronter l’injustice par ses seules forces, et maintenant, en conséquence, il se retrouve comme un fugitif devant se cacher, vivant dans la solitude, éprouvant le sentiment amer de l’échec. Je me demande : quelle a été l’erreur de Moïse ? Penser qu’il était le centre, ne comptant que sur ses propres forces. Mais il était ainsi devenu prisonnier des pires méthodes humaines, comme celle de répondre à la violence par la violence.

Quelque chose de semblable se produit parfois dans notre vie de prêtres, de diacres, de religieux, de séminaristes, de consacrés, dans notre vie à tous : au plus profond, nous pensons que nous sommes le centre, que nous pouvons compter, sinon en théorie du moins en pratique, presque exclusivement sur notre talent ; ou, en tant qu’Église, que nous trouvons la réponse aux souffrances et aux besoins du peuple dans des moyens humains, comme l’argent, la ruse, le pouvoir. Au contraire, notre œuvre vient de Dieu : Il est le Seigneur et nous sommes appelés à être des instruments dociles entre ses mains. Moïse l’apprend lorsqu’un jour, Dieu vient à sa rencontre, en lui apparaissant dans « la flamme d’un buisson en feu » (Ex 3, 2). Moïse se laisse attirer, il fait place à l’émerveillement, il se met dans une attitude de docilité pour se laisser éclairer par le charme de ce feu devant lequel il pense : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? » (v. 3). Voilà la docilité nécessaire à notre ministère : s’approcher de Dieu avec émerveillement et humilité. Frères et sœurs, ne perdez pas l’émerveillement de la rencontre avec Dieu ! Ne perdez pas l’émerveillement du contact avec la Parole de Dieu. Moïse s’est laissé attirer et diriger par Dieu. La primauté n’est pas à nous, la primauté est à Dieu : nous confier à sa Parole avant d’utiliser nos propres mots, accueillir docilement son initiative avant de nous concentrer sur nos projets personnels et ecclésiaux.

Le fait de nous laisser docilement modeler nous fait vivre le ministère d’une manière renouvelée. Devant le Bon Pasteur, nous comprenons que nous ne sommes pas des chefs tribaux, mais des pasteurs compatissants et miséricordieux ; non pas les maîtres du peuple, mais des serviteurs s’abaissant pour laver les pieds des frères et sœurs ; nous ne sommes pas une organisation mondaine qui administre des biens terrestres, mais nous sommes la communauté des enfants de Dieu. Frères et sœurs, faisons donc comme Moïse sous le regard de Dieu : enlevons nos sandales avec un humble respect (cf. v. 5), dépouillons-nous de notre présomption humaine, laissons-nous attirer par le Seigneur et cultivons la rencontre avec Lui dans la prière ; approchons-nous chaque jour du mystère de Dieu, pour qu’il nous émerveille, pour qu’Il brûle les broussailles de notre orgueil et de nos ambitions démesurées et fasse de nous d’humbles compagnons de route de ceux qui nous sont confiés.

Purifié et illuminé par le feu divin, Moïse devient un instrument de salut pour les siens qui souffrent ; la docilité envers Dieu le rend capable d’intercéder pour ses frères. Voilà la deuxième attitude dont je voudrais vous parler aujourd’hui : l’intercession. Moïse a fait l’expérience d’un Dieu compatissant, qui ne reste pas indifférent au cri de son peuple et descend pour le délivrer. C’est magnifique : descendre. Dieu descend pour le libérer. Dieu, par condescendance envers nous, descend parmi nous au point de prendre notre chair en Jésus, de faire l’expérience de notre mort et de nos enfers. Il descend toujours pour nous relever et ceux qui le vivent sont amenés à l’imiter. C’est ainsi que fait Moïse, qui “descend” au milieu des siens : il le fera plusieurs fois au cours de la traversée du désert. En effet, dans les moments les plus importants et les plus difficiles, il monte et descend de la montagne de la présence de Dieu afin d’intercéder pour le peuple, c’est-à-dire de se mettre à l’intérieur de son histoire pour le rapprocher de Dieu. Frères et sœurs, intercéder, « ne signifie pas simplement “prier pour quelqu’un”, comme nous le pensons souvent. Étymologiquement, cela signifie “faire un pas au milieu”, faire un pas pour se mettre au milieu d’une situation » (C.M. Martini, Un grido di intercessione, Milan, 29 janvier 1991). Parfois, on n’obtient pas beaucoup, mais il faut le faire : un cri d’intercession. Intercéder, c’est donc descendre pour se mettre au milieu du peuple, pour “devenir des ponts” qui le relient à Dieu.

Il est demandé aux pasteurs de développer justement cet art de “marcher au milieu”. Ce doit être la spécialité des pasteurs, de marcher au milieu : au milieu de la souffrance, au milieu des larmes, au milieu de la faim de Dieu et de la soif d’amour des frères et sœurs. Notre premier devoir n’est pas d’être une Église parfaitement organisée – n’importe quelle entreprise peut le faire -, mais une Église qui, au nom du Christ, se tient au milieu de la vie souffrante du peuple et se salit les mains pour les gens. Nous ne devons jamais exercer le ministère en recherchant le prestige religieux et social, – que c’est laid de  » faire carrière  » -mais en marchant au milieu et ensemble, en apprenant à écouter et à dialoguer, en collaborant entre nous ministres et laïcs. Je voudrais ici répéter ce mot important : ensemble. Ne l’oublions pas : ensemble. Évêques et prêtres, prêtres et diacres, pasteurs et séminaristes, ministres ordonnés et religieux – toujours dans le respect de la merveilleuse spécificité de la vie religieuse : essayons de surmonter entre nous la tentation de l’individualisme, des intérêts partisans. Il est bien triste que des pasteurs ne soient pas capables de communion, ne réussissent pas à coopérer, voire s’ignorent mutuellement ! Cultivons le respect mutuel, la proximité, la coopération concrète. Si cela ne se produit pas entre nous, comment pouvons-nous le prêcher aux autres ?

Revenons à Moïse et, afin d’approfondir l’art de l’intercession, regardons ses mains. L’Écriture nous offre trois images à cet égard : Moïse avec le bâton à la main, Moïse avec les mains tendues, et Moïse avec les mains levées vers le ciel.

La première image, celle de Moïse avec le bâton à la main, nous montre qu’il intercède par la prophétie. Avec ce bâton, il accomplit des prodiges, des signes de la présence et de la puissance de Dieu au nom duquel il parle, dénonçant avec force le mal dont souffre le peuple et demandant au Pharaon de le laisser partir. Frères et sœurs, pour intercéder en faveur de notre peuple, nous sommes également appelés à élever la voix contre l’injustice et la prévarication, qui écrasent les gens et utilisent la violence pour gérer les affaires à l’ombre des conflits. Si nous voulons être des pasteurs qui intercèdent, nous ne pouvons pas rester neutres face à la douleur causée par les injustices et les violences, car là où une femme ou un homme est lésé dans ses droits fondamentaux, le Christ lui-même est offensé. J’ai été heureux d’entendre dans le témoignage du Père Luka que l’Église ne cesse d’exercer un ministère à la fois prophétique et pastoral. Merci ! Merci car, s’il y a une tentation dont nous devons nous prémunir, c’est bien celle de laisser les choses telles qu’elles sont et de ne pas nous intéresser aux situations par peur de perdre des privilèges et des commodités.

Deuxième image : Moïse avec les mains tendues. L’Écriture nous dit qu’il, « étendit les bras sur la mer » (Ex 14, 21). Ses mains tendues sont le signe que Dieu est sur le point d’agir. Ensuite, Moïse tiendra les tables de la Loi dans ses mains (cf. Ex 34, 29) pour les montrer au peuple Ses mains tendues indiquent la proximité de Dieu qui est à l’œuvre et qui accompagne son peuple. En effet, pour libérer du mal, la prophétie ne suffit pas, il faut tendre les bras à ses frères et sœurs, soutenir leur marche. Caresser le troupeau de Dieu. Nous pouvons imaginer Moïse montrant le chemin et saisissant les mains des siens pour les encourager à avancer. Après quarante ans, devenu vieux, il reste proche des siens : voilà la proximité. Et cela n’a pas été une tâche facile : il a souvent dû relancer un peuple découragé et fatigué, affamé et assoiffé, parfois même capricieux, qui s’abandonnait aux murmures et à la paresse. Et pour accomplir cette tâche, il a dû aussi lutter contre lui-même, car il a parfois connu des moments d’obscurité et de désolation, comme celui où il a dit au Seigneur : « Pourquoi traiter si mal ton serviteur ? Pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux que tu m’aies imposé le fardeau de tout ce peuple ? […] Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple : c’est trop lourd pour moi » (Nb 11, 11.14). Regardez la prière de Moïse : il est épuisé. Pourtant, Moïse n’a pas reculé : toujours proche de Dieu, il ne s’est jamais éloigné des siens. Nous aussi, nous avons ce devoir : tendre la main, relever nos frères, leur rappeler que Dieu est fidèle à ses promesses, les exhorter à avancer. Nos mains ont été “ointes de l’Esprit” non seulement pour les rites sacrés, mais pour encourager, aider, accompagner les personnes à sortir de ce qui les paralyse, les enferme, les rend craintives.

Enfin – troisième image – les mains levées vers le ciel. Lorsque le peuple tombe dans le péché et se fabrique un veau d’or, Moïse remonte sur la montagne – pensons à toute cette patience ! – et prononce une prière qui est une véritable lutte avec Dieu pour qu’il n’abandonne pas Israël. Il va jusqu’à dire : « Ce peuple a commis un grand péché : ils se sont fait des dieux en or. Ah, si tu voulais enlever leur péché ! Ou alors, efface-moi de ton livre, celui que tu as écrit. » (Ex 32, 31-32). Il se range du côté du peuple jusqu’au bout, élève la main en sa faveur. Il ne pense pas à se sauver seul, il ne vend pas le peuple pour ses propres intérêts ! Il intercède. Moïse intercède, Moïse lutte avec Dieu ; il garde les bras levés en prière pendant que ses frères se battent dans la vallée (cf. Ex 17, 8-16). Soutenir les luttes du peuple par la prière devant Dieu, implorer le pardon, administrer la réconciliation en tant que canaux de la miséricorde de Dieu qui pardonne les péchés : tel est notre devoir d’intercesseurs !

Bien-aimés, ces mains prophétiques tendues et levées requièrent un effort, cela n’est pas facile. Être prophète, accompagnateur, intercesseur, montrer par sa vie le mystère de la proximité de Dieu avec son peuple peut même coûter la vie. Beaucoup de prêtres, de religieuses et de religieux – comme Sœur Regina nous l’a dit à propos de ses sœurs – ont été victimes de violences et d’attaques dans lesquelles ils ont perdu la vie. En réalité, ils ont offert leur existence pour la cause de l’Évangile, et leur proximité avec leurs frères et sœurs est un merveilleux témoignage qu’ils nous laissent et qui nous invite à poursuivre leur chemin. Nous pouvons rappeler Saint Daniel Comboni qui, avec ses frères missionnaires, a réalisé une grande œuvre d’évangélisation sur ces terres : il disait que le missionnaire doit être prêt à tout pour le Christ et l’Évangile, et qu’il faut des âmes audacieuses et généreuses qui sachent souffrir et mourir pour l’Afrique.

Je tiens donc à vous remercier pour ce que vous faites au milieu de tant d’épreuves et d’efforts. Merci, au nom de toute l’Église, pour votre dévouement, votre courage, vos sacrifices, votre patience. Merci ! Je vous souhaite, chers frères et sœurs, d’être toujours des pasteurs et des témoins généreux, armés seulement de la prière et de la charité ; pasteurs témoins, qui se laissent docilement surprendre par la grâce de Dieu et deviennent des instruments de salut pour les autres ; pasteurs et prophètes de proximité qui accompagnent le peuple, des intercesseurs aux bras levés. Que la Sainte Vierge vous protège. En ce moment, pensons en silence à nos frères et sœurs qui ont donné leur vie dans ce ministère pastoral ici, et remercions le Seigneur de nous avoir été proches. Nous remercions le Seigneur pour leur proximité martyriale. Prions en silence.

Merci pour votre témoignage. Et si vous avez un peu de temps, priez pour moi. Merci.


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Texte traduit et présenté par l’Association de la Médaille Miraculeuse

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