En ce premier jour de Voyage Apostolique à Malte, Le Pape François a eu une cérémonie de bienvenue à l’aéroport international de Malte, une visite de courtoisie au Président de la République de Malte, une brève rencontre avec le Premier Ministre au Palais du Grand Maître et une rencontre avec les Autorités et le Corps Diplomatique au Palais du Grand Maître.
«Que Malte continue à faire palpiter l’espérance»: le Pape François, lors de son discours aux autorités maltaises dans la matinée du samedi 2 avril, a salué l’exemple que représente l’archipel pour de nombreux peuples. Il a souligné les problèmes qui caractérisent la société et rappelé l’urgence d’une action commune pour la sauvegarde de l’environnement, avant de critiquer durement la guerre en cours en Ukraine et la course aux armements.
Après sa rencontre avec les autorités maltaises, le Pape François s’est rendu au sanctuaire de Ta’Pinu, sur l’île maltaise de Gozo. Célèbre lieu de pèlerinage marial, le sanctuaire est perché en haut du village de Gharb, au nord-ouest de l’île de Gozo. Son église de style gothique, une rosace ancrée sur la façade, abrite de nombreuses offrandes, témoins de la grande dévotion populaire des habitants depuis la construction du sanctuaire, en 1920.
Malte, petite île au grand cœur, est un trésor pour l’Église, a affirmé le Saint-Père au cours de la veillée de prière. Son histoire nous appelle à retrouver l’esprit des premières communautés de chrétiens, centré sur la relation au Christ et l’annonce de son Évangile. Le sanctuaire porte au monde un message de foi et d’espérance.
Au second et dernier jour de son voyage à Malte, le Pape François est allé prier dans la grotte de saint Paul, là où l’apôtre trouva refuge après son naufrage sur l’île. Dans sa prière, il implore Dieu de nous aider à reconnaître de loin les besoins de ceux qui luttent au milieu des vagues de la mer.
Messe sur la Place de Granai, à Floriana
Après avoir quitté la Basilique de Saint Paul, le Saint-Père s’est déplacé en voiture jusqu’à la Place de Granai à Floriana pour la célébration de la Sainte Messe. Devant la Paroisse Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse où se trouve la tombe de Saint Georges Preca, le Pape a changé de voiture et est monté dans la papamobile.
À son arrivée à la Place de Granai, après quelques tours de papamobile parmi les fidèles et les pèlerins rassemblés, à 10h15, il a célébré la Sainte Messe en présence d’environ 20 000 fidèles et représentants des Églises chrétiennes et autres confessions religieuses. Au cours de la célébration eucharistique, après la proclamation de l’Évangile, le Saint-Père a prononcé l’homélie.
A la fin de la Sainte Messe, l’Archevêque Métropolite de Malte, S.E. Mgr Charles J. Scicluna, a adressé un salut et des remerciements au Saint-Père. Puis le Pape François a dirigé la récitation de l’Angélus avec les fidèles et les pèlerins présents sur la Place de Granai à Floriana.
Après l’Angélus et la bénédiction finale, le Saint-Père est retourné à la Nonciature apostolique de Malte où il déjeune en privé. Il a conclu son voyage par une visite au centre pour migrants Giovanni XXIII Peace Lab, où il a rencontré deux cents migrants. Dans son discours, il a dénoncé les autorités complices des violations des droits fondamentaux et exprimé le rêve de voir les migrants devenir des témoins d’accueil et de fraternité.
Nous publions ci-dessous l’homélie que le Pape a prononcée lors de la célébration eucharistique :
Homélie du Saint-Père
Jésus « le matin retourna au temple et tout le peuple vint à lui » (Jn 8, 2). Ainsi commence l’épisode de la femme adultère. Le décor est serein : une matinée dans le lieu saint, au cœur de Jérusalem. Le protagoniste est le peuple de Dieu qui, dans la cour du temple, cherche Jésus, le Maître : il veut l’écouter, car ce qu’il dit éclaire et réchauffe.
Son enseignement n’a rien d’abstrait, il touche la vie et la libère, la transforme, la renouvelle. Voici le « flair » du peuple de Dieu, qui ne se contente pas du temple fait de pierres, mais se rassemble autour de la personne de Jésus. Dans cette page on peut entrevoir le peuple des croyants de tous les temps, le saint peuple de Dieu , qui ici à Malte est nombreux et vivant, fidèle dans la recherche du Seigneur, lié à une foi concrète, à une foi vécue. Je vous en remercie.
Devant les gens qui viennent à lui, Jésus n’est pas pressé : « Il s’assit – dit l’Évangile – et se mit à les enseigner » (v. 2). Il y a des absents : ce sont la femme et ses accusateurs. Ils ne sont pas allés chez le Maître comme les autres, et les raisons de leur absence sont différentes : scribes et pharisiens pensent qu’ils savent déjà tout, qu’ils n’ont pas besoin de l’enseignement de Jésus ; la femme, en revanche, est une personne perdue, égarée à la recherche du bonheur dans le mauvais sens.
Des absences donc dues à des motifs différents, tout comme le dénouement de leur histoire est différent. Arrêtons-nous sur ces absents.
Tout d’abord sur les accusateurs de la femme, absents, comme la femme. En eux, nous voyons l’image de ceux qui se targuent d’être justes, qui se targuent d’observer la loi de Dieu, des gens décents. Ils ne prêtent aucune attention à leurs propres défauts, mais ils sont très attentifs à trouver ceux des autres. Alors ils vont à Jésus : non pas le cœur ouvert pour l’écouter, mais « pour le mettre à l’épreuve – dit l’Évangile – et avoir des raisons de l’accuser » (v. 6).
C’est une intention qui photographie l’intériorité de ces personnes cultivées et religieuses, qui connaissent les Écritures, fréquentent le temple, mais subordonnent tout à leurs propres intérêts et ne luttent pas contre les pensées malveillantes qui s’agitent dans leur cœur. Aux yeux des gens, ils semblent être des experts en Dieu, mais ils ne reconnaissent vraiment pas Jésus, au contraire ils le voient comme un ennemi à éliminer.
Pour ce faire, ils mettent une personne devant lui, comme s’il s’agissait d’une chose, l’appelant avec mépris « cette femme » et dénonçant publiquement son adultère. Ils pressent la femme d’être lapidée, déversant contre elle l’aversion qu’ils ont pour la compassion de Jésus, et ils font tout cela sous le couvert de leur réputation d’hommes religieux.
Frères et sœurs, ces personnages nous disent que même dans notre religiosité le ver de l’hypocrisie et l’habitude de pointer du doigt peuvent se glisser. À tout moment, dans n’importe quelle communauté. Il y a toujours le danger de méconnaître Jésus, d’avoir son nom sur les lèvres mais de le renier en fait.
Et cela peut aussi être fait en levant des bannières avec la croix. Comment alors vérifier si nous sommes disciples à l’école du Maître ? De notre regard, de la façon dont nous regardons les autres et de la façon dont nous nous regardons. C’est le point de définir notre appartenance.
De la façon dont nous regardons notre prochain : si nous le faisons comme Jésus nous le montre aujourd’hui, c’est-à-dire avec un regard de miséricorde, ou d’une manière critique, parfois même méprisante, comme les accusateurs de l’Évangile, qui se présentent comme les champions de Dieu mais ne réalise que piétiner les frères.
En réalité, ceux qui croient défendre la foi en pointant du doigt les autres auront aussi une vision religieuse, mais ils n’épousent pas l’esprit de l’Évangile, car ils oublient la miséricorde, qui est le cœur de Dieu.
Le Seigneur est mon berger :
je ne manque de rien.
Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles
et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi :
ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du Seigneur
pour la durée de mes jours.
Je voudrais aujourd’hui méditer surtout sur les textes avec lesquels l’Église qui prie répond à la Parole de Dieu donnée dans les lectures. Dans ces chants, la parole et la réponse se compénètrent. D’une part, eux-mêmes sont tirés de la Parole de Dieu, mais d’autre part, ils sont en même temps déjà la réponse de l’homme à une telle Parole, une réponse dans laquelle la Parole elle-même se communique et entre dans notre vie.
Le plus important de ces textes dans la liturgie de ce jour est le Psaume 23 (22) – « Le Seigneur est mon berger » -, à travers lequel l’Israël priant a accueilli l’autorévélation de Dieu comme pasteur, et en a fait l’orientation pour sa vie. « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien » : dans ce premier verset, la joie et la gratitude s’expriment pour le fait que Dieu est présent et qu’il s’occupe de nous.
La lecture tirée du Livre d’Ézéchiel débute par le même thème : « J’irai moi-même à la recherche de mes brebis, et je veillerai sur elles » (Ez 34, 11). Dieu prend personnellement soin de moi, de nous, de l’humanité. Je ne suis pas laissé seul, perdu dans l’univers et dans une société devant laquelle on demeure toujours plus désorientés. Il prend soin de moi.
Il n’est pas un Dieu lointain, pour lequel ma vie compterait très peu. Les religions du monde, d’après ce que l’on peut voir, ont toujours su que, en dernière analyse, il y a un seul Dieu. Mais un tel Dieu demeurait lointain. Apparemment celui-ci abandonnait le monde à d’autres puissances et à d’autres forces, à d’autres divinités. De cela, il fallait s’accommoder.
Le Dieu unique était bon, mais lointain cependant. Il ne constituait pas un danger, mais il n’offrait pas davantage une aide. Il n’était donc pas nécessaire de se préoccuper de lui. Il ne dominait pas. Étrangement, cette pensée est réapparue avec les Lumières. On comprenait encore que le monde supposait un Créateur. Cependant, ce Dieu avait construit le monde et s’en était ensuite évidemment retiré.
À présent, le monde avait un ensemble de lois suivant lesquelles il se développait et sur lequel Dieu n’intervenait pas, ni ne pouvait intervenir. Dieu ne constituait qu’une origine lointaine. Beaucoup peut-être ne désiraient pas non plus que Dieu prenne soin d’eux. Ils ne voulaient pas être dérangés par Dieu. Mais là où la tendresse et l’amour de Dieu sont perçus comme une gêne, là l’être humain est faussé.
Il est beau et consolant de savoir qu’il y a une personne qui m’aime et qui prend soin de moi. Mais il est encore plus décisif qu’existe ce Dieu qui me connaît, qui m’aime et se préoccupe de moi. « Je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent » (Jn 10, 14), dit l’Église avant l’Évangile (de ce jour) avec une parole du Seigneur. Dieu me connaît, il se préoccupe de moi.
Cette pensée devrait nous rendre véritablement joyeux. Laissons cela pénétrer profondément en nous. Alors nous comprendrons aussi ce qu’elle signifie : Dieu veut que nous, en tant que prêtres, en un petit point de l’histoire, nous partagions ses préoccupations pour les hommes.
En tant que prêtres, nous voulons être des personnes qui, en communion avec sa tendresse pour les hommes, prenons soin d’eux, leur permettons d’expérimenter concrètement cette tendresse de Dieu. Et, à l’égard du milieu qui lui est confié, le prêtre, avec le Seigneur, devrait pouvoir dire : « Je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent ».
« Connaître », au sens des Saintes Écritures, n’est jamais seulement un savoir extérieur, comme on connaît le numéro de téléphone d’une personne. « Connaître » signifie être intérieurement proche de l’autre. L’aimer. Nous devrions chercher à « connaître » les hommes de la part de Dieu et en vue de Dieu ; nous devrions chercher à cheminer avec eux sur la voie de l’amitié de Dieu.
*
Revenons à notre Psaume. Il y est dit : « Il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom. Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure » (23 (22), 3-4). Le pasteur indique le juste chemin à ceux qui lui sont confiés. Il les précède et il les guide. Disons-le autrement : le Seigneur nous dévoile comment l’être humain s’accomplit de façon juste.
Il nous enseigne l’art d’être une personne. Que dois-je faire pour ne pas précipiter, pour ne pas gaspiller ma vie dans l’absence de sens ? C’est précisément la question que tout homme doit se poser et qui vaut pour tout âge de la vie. Et quelle obscurité existe autour de cette question en notre temps !
Toujours de nouveau, nous vient à l’esprit la parole de Jésus, lequel avait compassion des hommes, parce qu’ils étaient comme des brebis sans pasteur. Seigneur, aie pitié aussi de nous ! Indique-nous le chemin ! De l’Évangile, nous savons cela : Il est lui-même la vie.
Vivre avec le Christ, le suivre – cela signifie découvrir le juste chemin, afin que notre vie acquiert du sens et afin que nous puissions dire : « Oui, vivre a été une bonne chose ». Le peuple d’Israël était et est reconnaissant à Dieu, parce qu’à travers les Commandements il a indiqué la route de la vie.
Le grand Psaume 119 (118) est une seule expression de joie pour ce fait : nous n’avançons pas à tâtons dans l’obscurité. Dieu nous a montré quel est le chemin, comment nous pouvons cheminer de façon juste. Ce que les Commandements disent a été synthétisé dans la vie de Jésus et est devenu un modèle vivant. Nous comprenons ainsi que ces directives de Dieu ne sont pas des chaînes, mais sont la voie qu’Il nous indique.
Nous pouvons en être heureux et nous réjouir parce que dans le Christ elles sont devant nous comme une réalité vécue. Lui-même nous a rendus heureux. Dans notre cheminement avec le Christ, nous faisons l’expérience de la joie de la Révélation, et comme prêtres nous devons communiquer aux gens la joie liée au fait que nous a été indiquée la voie juste de la vie.
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Il y a ensuite la parole concernant « le ravin de la mort » à travers lequel le Seigneur guide l’homme. La route de chacun de nous nous conduira un jour dans le ravin obscur de la mort dans lequel personne ne peut nous accompagner. Et il sera là. Le Christ lui-même est descendu dans la nuit obscure de la mort. Là aussi, il ne nous abandonne pas. Là aussi, il nous guide. Si « je descends chez les morts : te voici » dit le Psaume 139 (138).
Oui, tu es aussi présent dans l’ultime labeur, et ainsi, notre Psaume responsorial peut-il dire : là aussi, dans le ravin de la mort, je ne crains aucun mal. En parlant du ravin obscur nous pouvons, cependant, penser aussi aux vallées obscures de la tentation, du découragement, de l’épreuve, que tout être humain doit traverser. Dans ces vallées ténébreuses de la vie, il est là aussi.
Oui, Seigneur, dans les obscurités de la tentation ; dans les heures sombres où toutes les lumières semblent s’éteindre, montre-moi que tu es là. Aide-nous, prêtres, afin que nous puissions être auprès des personnes qui nous sont confiés et qui sont dans ces nuits obscures. Afin que nous puissions leur montrer ta lumière.
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« Ton bâton me guide et me rassure » : le pasteur a besoin du bâton contre les bêtes sauvages qui veulent faire irruption dans le troupeau ; contre les brigands qui cherchent leur butin. À côté du bâton, il y a la houlette qui offre un appui et une aide pour traverser les passages difficiles. Les deux réalités appartiennent aussi au ministère de l’Église, au ministère du prêtre.
L’Église aussi doit utiliser le bâton du pasteur, le bâton avec lequel elle protège la foi contre les falsificateurs, contre les orientations qui sont, en réalité, des désorientations. L’usage même du bâton peut être un service d’amour. Nous voyons aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’amour, quand on tolère des comportements indignes de la vie sacerdotale.
De même il ne s’agit pas non plus d’amour quand on laisse proliférer l’hérésie, la déformation et la décomposition de la foi, comme si nous inventions la foi de façon autonome. Comme si elle n’était plus le don de Dieu, la perle précieuse que nous ne nous laissons pas dérober.
Toutefois, en même temps, le bâton doit toujours redevenir la houlette du pasteur – la houlette qui aide les hommes à pouvoir marcher sur les sentiers difficiles et à suivre le Seigneur.
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À la fin du Psaume, on évoque le banquet préparé, l’huile dont la tête est ointe, le calice débordant, la possibilité d’habiter avec le Seigneur. Dans le Psaume, ceci exprime avant tout la perspective de la joie festive qui accompagne le fait d’être avec Dieu dans le temple, d’être accueilli et servi par Lui, de pouvoir habiter auprès de Lui.
Pour nous qui prions ce Psaume avec le Christ et avec son Corps qui est l’Église, cette perspective d’espérance a acquis une amplitude et une profondeur encore plus grandes.
Nous voyons dans ces paroles, pour ainsi dire, une anticipation prophétique du mystère de l’Eucharistie dans lequel Dieu en personne nous accueille en s’offrant lui-même à nous comme nourriture – comme ce pain et ce vin excellents qui, seuls, peuvent constituer la réponse ultime à la faim et à la soif intimes de l’homme.
Comment ne pas être heureux de pouvoir chaque jour être les hôtes de la table même de Dieu, d’habiter près de Lui ? Comment ne pas être heureux du fait qu’il nous a laissé ce commandement : « Faites cela en mémoire de moi » ?
Heureux parce qu’Il nous a donné de préparer la table de Dieu pour les hommes, de leur donner son Corps et son Sang, de leur offrir le don précieux de sa présence même. Oui, nous pouvons de tout notre cœur prier ensemble les paroles du Psaume : « Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie » (23 (22), 6).
HOMÉLIE DU PAPE BENOÎT XVI lors de la MESSE pour la CONCLUSION DE L’ANNÉE SACERDOTALE – Solennité du Sacré Cœur de Jésus – Place Saint-Pierre Vendredi 11 juin 2010
Après nos catéchèses mystagogiques sur les trois parties de la Messe –la liturgie de la Parole, la consécration et la communion – méditons aujourd’hui sur l’Eucharistie comme « présence réelle » du Christ dans son Église.
Comment affronter un mystère si élevé, inaccessible ? Il nous vient aussitôt à l’esprit le nombre incalculable de théories et de discussions à ce sujet, les divergences entre catholiques et protestants, entre latins et orthodoxes, qui remplissaient les livres où nous – qui avons un certain âge – avons étudié la théologie ? Nous sommes enclins à penser à l’impossibilité d’ajouter quoi que ce soit à ce mystère qui puisse faire grandir notre foi et réchauffer notre cœur, sans glisser inévitablement dans la polémique entre les diverses confessions chrétiennes.
Mais c’est exactement ce en quoi consiste l’œuvre merveilleuse que l’Esprit Saint est en train d’accomplir, de nos jours, entre tous les chrétiens. Il nous pousse à reconnaître combien, dans nos discussions sur l’Eucharistie, il y avait de présomption humaine de pouvoir enfermer le mystère dans une théorie ou même dans une parole, comme aussi la volonté de l’emporter sur l’adversaire. L’Esprit nous pousse au repentir, car nous avons réduit le gage suprême de l’amour et de l’unité que le Seigneur nous a laissé jusqu’à en faire l’objet privilégié de nos querelles.
Le moyen de nous acheminer sur cette voie de l’œcuménisme eucharistique, c’est la reconnaissance mutuelle, la voie chrétienne de l’agapé, du partage réciproque. Il ne s’agit pas de passer outre les divergences réelles ou de faillir, en quoi que ce soit, à l’authentique doctrine catholique ; il s’agit plutôt de mettre en commun les aspects positifs et les valeurs authentiques qu’il y a dans chacune des trois grandes traditions chrétiennes, de manière à construire une « masse » de vérité commune, qui nous entraîne vers une unité toujours plus pleine.
Il est étonnant de voir combien certaines positions catholiques, orthodoxes et protestantes autour de la présence réelle divergent les unes des autres et sont destructrices, si on les oppose et si on les voit alternativement entre elles, alors qu’elles apparaissent, au contraire, merveilleusement convergentes, si on les maintient ensemble en équilibre. C’est la synthèse qu’il faut commencer à faire ; il faut passer les grandes traditions chrétiennes comme au tamis, pour retenir de chacune, comme nous l’exhorte l’Apôtre, « ce qui est bien » (cf. 1 Th 5, 21).
La tradition latine : une présence réelle, mais cachée
Dans cet esprit, prenons le temps de regarder d’un peu plus près les trois principales traditions eucharistiques : latine, orthodoxe et protestante, pour nous inciter à bâtir sur les richesses de chacune et à les réunir toutes dans le trésor commun de l’Église. L’idée que nous aurons, à la fin, du mystère de la présence réel¬le n’en sera que plus riche et plus vivant.
Dans la théologie et la liturgie latines, le centre indiscuté de l’action eucharistique d’où jaillit la présence réelle du Christ, c’est le moment de la consécration. C’est là que Jésus agit et parle à la première personne. Saint Ambroise, par exemple, écrit :
Ce pain est du pain avant les paroles sacramentelles ; mais, quand intervient la consécration, le pain devient chair du Christ… Par quelles paroles s’opère la consécration ? Et de qui sont-elles ? Du Seigneur Jésus ! Toutes les prières qui sont prononcées avant ce moment, le sont par le prêtre qui loue Dieu, prie pour le peuple, ceux qui le gouvernent et pour les autres ; mais quand vient le moment où se réalise le saint sacrement, le prêtre ne se sert plus de ses propres paroles, mais de celles du Christ. C’est donc la parole qui opère (conficit) le sacrement… Vois-tu combien est efficace (operatorius) la parole du Christ ? Avant la consécration, il n’y avait pas le corps du Christ, mais après la consécration, je te le dis, désormais le corps du Christ est là. C’est lui qui a parlé et cela arriva ; lui qui a commandé et cela exista (cf. Ps 33, 9) .
De sacramentis, IV, 14-16.
Dans la vision latine, nous pouvons parler d’un réalisme christologique. « Christologique », car l’attention est tout entière tournée vers le Christ, considéré aussi bien dans son existence historique et incarnée que comme Ressuscité. Le Christ est tout autant l’objet que le sujet de l’Eucharistie : celui qui est réalisé dans l’Eucharistie et celui qui réalise l’Eucharistie- « Réalisme », car on ne voit pas Jésus présent sur l’autel simplement dans un signe ou un symbole, mais en vérité et avec sa propre réalité. Pour donner un exemple d’un tel réalisme, prenons le cantique « Ave verum » : « Salut, corps véritable, né de la Vierge Marie, toi qui as réellement souffert et qui fus immolé sur la croix pour les hommes, du côté transpercé duquel ont jailli du sang et de l’eau… »
Par la suite, le Concile de Trente a apporté plus de précisions sur la manière de concevoir la présence réelle, en utilisant trois adverbes : vere, realiter, substantialiter ; Jésus est présent véritablement, pas seulement en image ou en figure ; il est réellement présent et pas seulement subjectivement, à cause de la foi des croyants ; il est présent substantiellement, c’est-à-dire selon sa réalité profonde qui est invisible aux sens, et non selon les apparences qui restent du pain et du vin.
Il y avait, c’est vrai, un danger possible, celui de tomber dans un réalisme « cru », ou excessif, mais ce danger trouve son remède dans la tradition même. Saint Augustin a clarifié la chose, une fois pour toutes : la présence de Jésus dans l’Eucharistie advient « in sacramento », autrement dit, ce n’est pas une présence physique mais sacramentelle, par l’intermédiaire de signes qui sont, précisément, le pain et le vin. Dans ce cas pourtant, le signe n’exclut pas la réalité, mais la rend présente dans un mode unique, à savoir qu’une réalité spirituelle – ce qu’est le corps du Christ ressuscité – peut se rendre présente pour nous, tant que nous vivons encore dans cette vie.
Saint Thomas d’Aquin – l’autre grand maître de la spiritualité eucharistique latine, avec saint Ambroise et saint Augustin – tient le même discours quand il parle d’une présence du Christ « selon la substance » sous les espèces du pain et du vin . Dire, en effet, que Jésus se rend présent avec sa substance dans l’Eucharistie, revient à dire qu’il se rend présent dans sa réalité véritable et profonde qu’on ne peut atteindre que moyennant la foi : « La vue, le toucher, le goût : tout ici faillit ; ne reste que la foi dans ta parole », chante-t-on dans l’hymne « Adoro Te devote » qui reflète entièrement la pensée eucharistique de St. Thomas : « Visus, tactus, gustus in te fallitur – sed auditui solo tuto creditur ». (Cf. Somme théologique IIIa, q.75, a.4.)
Jésus est donc présent dans l’Eucharistie d’une manière unique qu’on ne rencontre nulle part ailleurs ; aucun adjectif ne suffit, à lui seul, à qualifier cette présence ; pas même l’adjectif « réel ». Réel vient de res (chose) et signifie : à la manière d’une chose ou d’un objet ; et Jésus n’est pas présent dans l’Eucharistie comme une « chose » ou un objet, mais comme une personne. Si l’on tient à dénommer cette présence, il vaut mieux simplement l’appeler présence « eucharistique », car elle ne se réalise que dans l’Eucharistie.
La tradition orthodoxe : l’action de l’Esprit Saint
La théologie latine offre bien des richesses, mais n’épuise pas le mystère – ni ne pourrait le faire. Il lui a manqué, au moins dans le passé, de donner à l’Esprit Saint l’importance qui lui est due, et qui est essentielle pour comprendre l’Eucharistie. Alors nous nous tournons vers l’Orient pour interroger la tradition orthodoxe, d’un cœur tout autrement disposé que naguère : nous ne sommes plus inquiets de la différence, mais heureux du complément qu’elle apporte à notre vision latine.
La tradition orthodoxe met, de fait, l’action de l’Esprit Saint en pleine lumière au cours de la célébration eucharistique. Ces confrontations ont déjà porté leurs fruits, du reste, depuis le Concile Vatican II. Jusqu’alors dans le canon romain de la messe, il n’y avait qu’une seule mention de l’Esprit Saint, en incise, dans la doxologie finale : « Per ipsum, et cum ipso et in ipso… in unitate Spiritus Sancti… ». [Par lui, avec lui et en lui… dans l’unité du Saint Esprit…] Mais, à présent, tous les nouveaux canons font une double invocation à l’Esprit Saint : la première, sur les offrandes avant la consécration et, l’autre, sur l’Église, après la consécration.
Les liturgies orientales ont toujours attribué la réalisation de la présence réelle du Christ sur l’autel à une intervention spéciale de l’Esprit Saint. Dans l’anaphore dite de saint Jacques en usage dans l’Église d’Antioche, l’Esprit Saint est invoqué en ces termes :
Envoie sur nous et sur ces dons sacrés qui te sont présentés, ton Esprit de sainteté, Seigneur, et qui donne la vie, qui siège avec toi, Dieu et Père, et avec ton Fils Unique. Il règne, consubstantiel et coéternel ; il a parlé par la Loi, les prophètes et le Nouveau Testament ; sous la forme d’une colombe, il est descendu sur notre Seigneur Jésus Christ dans le Jourdain et il a reposé sur lui ; il est descendu, sous la forme de langues de feu, sur les apôtres, le jour de Pentecôte. Envoie, Seigneur, sur nous-mêmes et sur ces offrandes saintes qui te sont présentées, ton Esprit trois fois saint afin que, par sa venue sainte, bonne et glorieuse, il sanctifie ce pain et en fasse le corps sacré du Christ (Amen), qu’il sanctifie ce calice et en fasse le sang précieux du Christ.
Il y a ici, bien plus qu’un simple ajout de l’invocation à l’Esprit Saint ; il y a un vaste regard qui embrasse toute l’histoire du salut et permet de découvrir une nouvelle dimension du mystère eucharistique. A partir des paroles du symbole de Nicée-Constantinople, qui définissent le Saint-Esprit « Seigneur » et « Auteur de la vie », « qui a parlé par les prophètes », la perspective s’élargit jusqu’à tracer une véritable « histoire » de l’action de l’Esprit Saint.
L’Eucharistie porte à son achèvement cette série d’interventions prodigieuses : l’Esprit Saint qui, à Pâques, fit irruption dans le sépulcre et, « touchant » le corps inanimé de Jésus, le fit revivre, réitère ce prodige dans l’Eucharistie. Il vient sur le pain et sur le vin qui sont des éléments morts et leur donne la vie, il en fait le corps et le sang vivants du Rédempteur. Vraiment – Jésus lui-même le disait, en parlant de l’Eucharistie – « c’est l’Esprit qui donne la vie » (Jn 6, 63). Théodore de Mopsueste, qui représente admirablement la tradition eucharistique orientale, écrit :
Grâce à l’action liturgique, notre Seigneur est comme ressuscité des morts et répand sur nous tous sa grâce, par la venue de l’Esprit Saint… Quand le pontife déclare que ce pain et ce vin sont le Corps et le Sang du Christ, il affirme qu’ils le sont devenus au contact de l’Esprit Saint. Il en va comme du corps naturel du Christ, quand il reçut l’Esprit Saint et son onction. A ce moment où survient l’Esprit Saint, nous le croyons, le pain et le vin reçoivent une sorte d’onction de grâce. Et dès lors, nous le croyons, ils sont le corps et le sang du Christ, immortels, incorruptibles, impassibles et immuables par nature, comme le corps même du Christ dans la Résurrection .
Homélies catéchétiques. XVI, 11 s
Toutefois, il est une précision dont il faut tenir compte et qui montre que la tradition latine a, elle aussi, quelque chose à offrir aux frères orthodoxes. L’Esprit Saint n’agit pas séparément de Jésus, mais dans la parole de Jésus. Jésus dit à son sujet : « Ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira. […] Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître ». (Jn 16, 13-14) Voilà pourquoi il ne faut pas séparer les paroles de Jésus (« Ceci est mon corps ») et celles de l’épiclèse (« Que l’Esprit Saint fasse de ce pain le corps du Christ »).
L’appel à l’unité entre frères catholiques et orthodoxes monte des profondeurs même du mystère eucharistique. Même si, par la force des choses, le souvenir de l’institution et l’invocation de l’Esprit se produisent à des moments distincts (impossible à l’homme d’exprimer le mystère en un seul instant), toutefois leur action est conjointe. L’efficacité vient sans aucun doute de l’Esprit (et non pas du prêtre, ni de l’Église), mais cette efficacité s’exerce à l’intérieur de la parole du Christ et à travers elle.
L’efficacité qui actualise la présence de Jésus sur l’autel – je l’ai dit – ne vient pas de l’Église, mais – et je l’ajoute – elle n’advient pas sans l’Église. L’Église est l’instrument vivant qui sert de canal à l’Esprit Saint pour une œuvre commune. Il en est de la venue de Jésus sur l’autel comme de son dernier retour dans la gloire : L’Esprit et l’Épouse [l’Église !] disent à Jésus dans la Messe : Viens ! Et, lui, vient (cf. Ap 22,17).
La spiritualité protestante, ou l’importance de la foi
La tradition latine a mis en lumière « qui » est présent dans l’Eucharistie : le Christ ; la tradition orthodoxe a manifesté « par qui » est opérée sa présence, par l’Esprit Saint ; la théologie protestante éclaire « sur qui » cette présence opère ; autrement dit : à quelles conditions le sacrement opère, de fait, en celui qui le reçoit, ce qu’il signifie. Ces conditions sont diverses mais se résument en un seul mot : la foi.
Ne nous attardons pas subitement aux conséquences négatives qu’à certaines époques on a tiré du principe protestant selon lequel les sacrements ne sont que des « signes de la foi » ; dépassons les malentendus et la polémique, et alors nous trouvons bien salutaire cet énergique rappel à la foi pour sauver le sacrement et pour ne pas le réduire à l’une des « bonnes œuvres » ou à quelque chose qui agit mécaniquement et par magie, presque à l’insu de l’homme.
En fin de compte, il s’agit de découvrir le sens profond de l’exclamation liturgique qui retentit à la fin de la consécration ; et qui, jadis, nous nous en souvenons, était bien insérée au cœur même de la formule consécratoire, comme pour souligner que la foi est partie essentielle du mystère : « Mysterium fidei », Mystère de la foi !
La foi ne « fait » pas le sacrement, elle ne fait que le « recevoir » ; seule, la parole du Christ, reprise par l’Église et rendue efficace par l’Esprit Saint, « fait » le sacrement. Mais quelle serait l’utilité d’un sacrement s’il n’était pas « reçu » ? Au sujet de l’Incarnation, des hommes comme Origène, saint Augustin, saint Bernard ont dit : « A quoi bon pour moi que le Christ soit né, jadis, de Marie, à Bethléem, s’il ne naît pas aussi dans mon cœur, par la foi ? »
On doit tenir le même langage à propos de l’Eucharistie : à quoi bon le Christ est-il réellement présent sur l’autel, s’il n’est pas présent pour moi ? Du temps où Jésus était présent dans son corps sur la terre, déjà la foi était nécessaire ; autrement – comme il le répète si souvent lui-même dans l’Évangile – sa présence n’était d’aucune utilité, sinon pour la condamnation : « Malheur à toi, Corazine, malheur à toi, Bethsaïde ! »
Il faut la foi pour que la présence de Jésus dans l’Eucharistie soit « réelle », certes, mais aussi « personnelle », c’est-à-dire de personne à personne. C’est une chose en effet « d’être là », autre chose « d’être présent ». La présence suppose quelqu’un qui est présent et quelqu’un devant qui il est présent ; elle suppose une communication mutuelle, l’échange entre deux sujets libres qui prennent conscience l’un de l’autre. C’est donc beaucoup plus que le simple fait de se trouver dans un lieu donné.
Cette dimension subjective et existentielle de la présence eucharistique n’annule pas la présence objective qui précède la foi de l’homme, bien plus elle la suppose et la valorise, tant il est vrai que Luther lui-même, qui a tant exalté le rôle de la foi, a pu prononcer l’extraordinaire profession de foi dans la présence réelle que voici :
Je ne peux pas comprendre les mots « ceci est mon corps » autrement que ce qu’ils disent. Aux autres, donc, de prouver que là où la parole dit : « Ceci est mon corps », le corps du Christ n’y est pas. Je ne veux pas prêter l’oreille aux explications fondées sur la raison. Face à des paroles si claires, je n’admets pas de questions ; je repousse le bon sens et la saine raison humaine. Preuves matérielles, argumentations géométriques… je repousse tout en bloc. Dieu est bien au-dessus de toute espèce de mathématique ; il n’est besoin que d’adorer, dans un très grand étonnement, la parole de Dieu .
Colloque de Marburg, 1529.
Nous avons jeté rapidement un regard sur la richesse des diverses traditions chrétiennes, suffisamment pour nous faire entrevoir quel don s’ouvre à l’Église, quand les diverses confessions chrétiennes décident la mise en commun de leurs biens spirituels, à la manière des premiers chrétiens dont il est dit qu’« ils avaient tout en commun » (Ac 2, 44). C’est cela l’agapé la plus grande, aux dimensions de l’Église tout entière ; le Seigneur met dans notre cœur le désir de la rechercher, pour la joie de notre Père commun et le raffermissement de son Église.
Sentiment de la présence
Au cours du bref pèlerinage eucharistique que nous venons de faire parmi les différentes confessions chrétiennes, nous avons recueilli nous aussi dans des corbeilles les restes de la grande multiplication des pains qui s’est produite dans l’Église. Mais nous ne pouvons pas nous arrêter là dans notre méditation sur le mystère de la présence réelle ; cela reviendrait à ne pas manger les restes que nous avons recueillis.
La foi en la présence réelle est une grande chose, mais elle ne nous suffit pas ; du moins la foi comprise d’une certaine manière. Il n’est pas suffisant d’avoir une idée théologiquement parfaite et œcuméniquement ouverte de la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie. Parmi les théologiens, il en est beaucoup qui savent tout sur ce mystère, mais ils ne connaissent pas la présence réelle.
Parce que, au sens biblique du terme, ne « connaît » une chose que celui qui en a fait l’expérience. Ne connaît vraiment le feu que celui qui a été, une fois au moins, touché par une flamme et qui a dû reculer rapidement pour ne pas se brûler.
Saint Grégoire de Nysse nous a laissé une très belle expression pour préciser ce niveau le plus élevé de la foi. Il parle d’un « sentiment de présence » (aisthesis parousias) que peut éprouver quelqu’un qui est surpris par la présence de Dieu et a une certaine perception (non seulement une idée) de sa présence. Il ne s agit pas d’une perception naturelle mais du fruit d’une grâce qui opère comme une rupture de niveau, un saut de qualité.
Il y a une analogie très forte avec ce qui se produisait après la Résurrection, quand Jésus se donnait à reconnaître à quelqu’un. C’était l’imprévu qui, tout à coup, changeait de fond en comble la manière d’être d’une personne. Un jour, après la Résurrection, les apôtres sont occupés à pêcher sur le lac ; un homme paraît sur le rivage, un dialogue à distance s’établit : « N’avez-vous rien à manger ? » Non ! répondent-ils ; mais voici que dans le cœur de Jean jaillit une étincelle, il se met à crier : C’est le Seigneur !
Tout change alors et ils se hâtent de gagner la rive (cf. Jn 21, 4). Les disciples d’Emmaüs ont connu la même aventure : Jésus faisait route avec eux, mais leurs yeux étaient incapables de le reconnaître ; à la fin, quand Jésus fit le geste de rompre le pain, alors leurs yeux s ’ouvrirent et ils le reconnurent (Lc 24, 31). Voilà ! C’est exactement ce qui se produit le jour où un chrétien – qui a reçu tant et tant de fois Jésus dans l’Eucharistie – par un don de sa grâce – finit par le « reconnaître ».
De notre foi et du « sentiment » de la présence réelle doit naître une révérence spontanée envers Jésus dans le Saint-Sacrement, et même de la tendresse. C’est un sentiment si délicat et si personnel qu’on risque de l’altérer rien qu’en en parlant.
Saint François d’Assise avait le cœur rempli de tels sentiments envers Jésus dans l’Eucharistie. Il se tient devant Jésus dans le sacrement, comme à Greccio il se tenait devant l’Enfant de Bethléem ; il le voit abandonné entre nos mains, si impuissant, si humble. Dans sa « Lettre à tout l’Ordre », il écrit de mots de feu que nous voulons écouter comme adressés maintenant à nous, à conclusion de notre méditation sur la présence réelle de Jésus dans l’Eucharistie:
Voyez votre dignité, frères prêtres, et soyez saints parce qu’il est saint… Grande misère et misérable faiblesse si, le tenant ainsi présent entre vos mains, vous vous occupez de quelque autre chose qui soit au monde ! Que tout homme craigne, que le monde entier tremble, et que le ciel exulte, quand le Christ, Fils du Dieu vivant, est sur l’autel entre les mains du prêtre ! Ô admirable grandeur et stupéfiante bonté ! Ô humilité sublime, ô humble sublimité ! Le maître de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie pour notre salut, au point de se cacher sous une petite hostie de pain ! Voyez, frères, l’humilité de Dieu, et faites-lui l’hommage de vos cœurs. Humiliez-vous, vous aussi, pour pouvoir être exaltés par lui. Ne gardez pour vous rien de vous, afin que vous reçoive tout entiers Celui qui se donne à vous tout entier.
In Cant. XI, 5, 2
Traduit par Cathy Brenti de la Communauté des Béatitudes