Le sommeil des Apôtres figure nos ingratitudes

Le sommeil des Apôtres figure nos ingratitudes

Sainte Angèle de Foligno
Sainte Angèle de Foligno

LE jeudi de la Semaine Sainte, j’étais à méditer sur la mort de ce Fils de Dieu incarné et m’efforçais de vider mon esprit de toute autre chose, afin que je puisse avoir mon âme plus recueillie en cette Passion et Mort de ce Fils de Dieu.

Et j’étais occupée à chercher et désirer comme je pourrais mieux vider mon esprit de toute autre plénitude, et comme je pourrais mieux avoir souvenir de cette Passion et Mort du Fils de Dieu. Alors subitement, comme je me tenais en cette occupation et étude, divine locution fut faite en l’âme, disant : «Moi, Je ne t’aimai point par farce.»

Alors cette parole me fut coup de mortelle douleur. Car aussitôt furent ouverts les yeux de l’âme et je voyais comme était très vrai ce qu’il disait. Et je voyais les œuvres de cette dilection ; et je voyais tout ce que fit ce Fils de Dieu pour cet amour ; et je voyais tout ce que souffrit en vie et en mort ce Dieu et Homme martyrisé pour cet indicible et tendre amour.

Et comme je voyais toutes les œuvres de la très véritable dilection en Lui, je comprenais aussi que la susdite parole était très vraie en Lui vraiment, car ce n’était pas par farce, mais par parfait et tendre amour qu’il m’aima. Ainsi voyais-je tout le contraire en moi ; car moi je ne l’aimai sinon par comédie et non vraiment. Et voir cela m’était peine mortelle et douleur si intolérable que je croyais mourir.

Et alors subitement me furent dites autres paroles qui augmentèrent ma douleur… car après qu’il avait dit : « Moi, je ne t’aimai point par farce »…, Il dit : « Je ne te servis point par simulation ». Et puis II dit : « Je ne te sentis point par éloignement ». Et alors fut augmentée la susdite peine mortelle et douleur.

Et l’âme clama et dit : « Ô Maître, ce que Tu dis n’être pas en Toi est tout en moi. Car jamais ne T’aimai sinon par comédie et avec mensonge. Et jamais ne voulus approcher de Toi, en vérité, afin que je sentisse les douleurs que Tu souffris et sentis pour moi. Et jamais ne Te servis, sinon par simulation et non vraiment » !

Et voyant comme Il m’avait véritablement aimée, je voyais en lui tous les signes et œuvres du véritable amour, comme Il s’était donné tout et totalement pour me servir ; et comme Il s’était tellement approché de moi qu’il s’était fait homme afin de vraiment porter et sentir en soi mes douleurs.

Et en voyant tout le contraire en moi, telle douleur et peine étaient en moi que je croyais mourir ; et je sentais que pour cette douleur extrême les côtes de la poitrine se disjoignaient et me semblait que le cœur voulait éclater.

Angèle DE FOLIGNO , Le Livre des visions et instructions

 

Il a vraiment souffert

Il a vraiment souffert

TOUS les mécanismes impassibles du monde, rien n’est plus facile que d’en croire Dieu absent. Ils ont cependant été supportés par lui, en fait, à une certaine heure du temps humain, historiquement, devant des yeux de gens qui ont vu, sous des poings qui ont frappé, et des bouches qui ont craché.

Dieu s’est infligé, dans leurs inadaptations et leurs injustices, tous les déterminismes de la Terre, la passion, la souffrance, la mort, avant de nous les imposer…

Il a bronché. Il est tombé comme un autre. La pesanteur joue sur lui. Pour lui aussi, les pierres sont dures et les madriers lourds. Il a sué en travaillant.

Il a sué du sang d’homme à Gethsémani, émis des exsudats humains sous le coup de lance du Calvaire. Le microscope ne s’y tromperait pas. Il a souffert avec des nerfs d’homme tous les détails d’une mort d’homme, la soif des hémorragies, l’immobilité terrible de la Croix. Ses poumons ont jeté le dernier soupir, comme pour tous les morts.

Il a souffert avec son âme d’homme, l’amertume des œuvres humainement brisées, l’accablement des grandes défaites, les rires des gens, les branlements de tête, le ridicule sur ses dernières heures, tout ce qu’il goûtait déjà dans la lie du calice, à un jet de pierre des dormeurs… Sa mère lui pleurait sur les pieds.

Il a subi le délaissement de son Père, l’abandon de Dieu, la sécheresse et le désert des dérélictions absolues : cette croix sur la Croix, cette mort dans la mort.

C’est tout cela accepter la terre. Il s’est fait passible, mortel, très lentement connu.

Jamais je ne contemplerai assez l’abîme de la Sainte Humanité de mon Dieu.

Joseph MALÈGUE

Jésus se taisait

Jésus se taisait

chemin de croix 01 - Carmel de Dijon
chemin de croix 01 – Carmel de Dijon

QUE fait-il donc dans sa passion ? Le voici en un mot dans l’Écriture : Tradebat autem judicanti se injuste (I Pierre 2, 23) : * Il se livrait, il s’abandonnait à celui qui le jugeait injustement » ; et ce qui se dit de son juge, se doit entendre conséquemment de tous ceux qui entreprennent de l’insulter : Tradebat autem ; il se donne à eux pour en faire tout ce qu’ils veulent.

On le veut baiser, il donne les lèvres ; on le veut lier, il présente les mains ; on le veut souffleter, il tend les joues ; frapper à coups de bâton, il tend le dos ; flageller inhumainement, il tend les épaules ; on l’accuse devant Caïphe et devant Pilate, il se tient pour tout convaincu ; Hérode et toute sa cour se moque de lui, et on le renvoie comme un fou ; il avoue tout par son silence.

On l’abandonne aux valets et aux sol­dats, et il s’abandonne encore plus lui-même. Cette face autrefois si majestueuse, qui ravissait en admiration le ciel et la terre, Il la présente droite et immobile aux crachats de cette canaille ; on lui arrache les cheveux et la barbe ; il ne dit mot, il ne souffle pas ; c’est une pauvre brebis qui se laisse tondre.

Venez, venez, camarades, dit cette soldatesque insolente ; voilà ce fou dans le corps-de-garde, qui s’imagine être roi des Juifs ; il faut lui mettre une couronne d’épines : Trabedat autem judicanti se injuste ; il la reçoit : et elle ne tient pas assez, il faut l’enfoncer à coups de bâton ; frappez, voilà la tête. Hérode l’a habillé de blanc comme un fou : apporte cette vieille casaque écarlate pour le changer de couleur ; mettez, voilà les épaules: donne, donne ta main, Roi des Juifs, tiens ce roseau en forme de sceptre ; la voilà, faites-en ce que vous voudrez.

Ah ! maintenant ce n’est plus un jeu,, ton arrêt de mort est donné ; donne encore ta main qu’on la cloue : tenez, la voilà encore.

Enfin assemblez-vous, ô Juifs et Romains, grands et petits, bourgeois et soldats ; revenez cent fois à la charge ; multipliez sans fin les coups, les injures, plaies sur plaies, douleurs sur douleurs, indignités sur indignités ; insultez à sa misère jusque sur la croix ; qu’il devienne l’unique objet de votre risée comme un insensé, de votre fureur comme un scélérat ; Tradebat autem : il s’abandonne à vous sans réserve, il est prêt à soutenir tout ensemble tout ce qu’il y a de dur et d’insupportable dans une raillerie inhumaine et dans une cruauté malicieuse.

BOSSUET

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